L’Encyclopédie/1re édition/INDIVIDU

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 684).
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INDIVIDU, s. m. (Métaphysiq.) c’est un être dont toutes les déterminations sont exprimées. Quand il reste des déterminations à faire dans la notion de l’espece, & qu’on les assigne toutes d’une maniere qui ne répugne pas à l’espece, on parvient à l’individu ; car l’espece n’exprimant que les choses communes aux individus, omet les différences qui les distinguent. Indiquez-donc ces différences, & vous dépeindrez par-là même l’individu. L’espece de cheval renferme tout ce qui se trouve dans chaque animal de cette espece, certaine figure, proportion de parties ; & ajoûtez-y tel poil, tel âge, telle conformation précisément déterminée, tel lieu où un cheval se trouve, & vous aurez l’idée d’un individu de cette espece ; & voilà le vrai principe d’individuation, sur lequel les scholastiques ont débité tant de chimeres. Ce n’est autre chose qu’une détermination complette, de laquelle naît la différence numérique. Pierre est un homme, Paul est un homme, ils appartiennent à la même espece ; mais ils different numériquement par les différences qui leur sont propres. L’un est beau, l’autre laid ; l’un savant, l’autre ignorant, & un tel sujet est un individu suivant l’étymologie, parce qu’on ne peut plus le diviser en nouveaux sujets qui ayent une existence réellement indépendante de lui. L’assemblage de ses propriétés est tel, que prises ensemble elles ne sauroient convenir qu’à lui. Les scholastiques expriment les circonstances d’où l’on peut recueillir ces propriétés par le vers suivant,

Forma, figura, locus, stirps, nomen, patria, tempus.

Les différentes subtilités qu’ils proposent là-dessus ne méritent pas de nous arrêter ; il vaut mieux lire le chapitre du Traité de l’entendement humain, où M. Loke examine ce que c’est qu’identité & diversité. Je rapporterai ici une partie de ce qu’il dit liv. II. chap. 27, v. 3. « Il est évident que ce qu’on nomme principium individuationis dans les écoles, où l’on se tourmente si fort pour savoir ce que c’est ; il est, dis-je, évident que ce principe consiste dans l’existence même, qui fixe chaque être, de quelque sorte qu’il soit, à un tems particulier, & à un lieu incommunicable à deux êtres de la même espece… Supposons, par exemple, un atôme, c’est-à-dire un corps continu sous une surface immuable qui existe dans un tems & dans un lieu déterminé. Il est évident que dans quelque instant de son existence qu’on le considere, il est dans cet instant le même avec lui-même ; car étant dans cet instant ce qu’il est effectivement, & rien autre chose, il est le même, & doit continuer d’être tel aussi long-tems que son existence est continuée ; car pendant tout ce tems il sera le même, & non un autre… Quant aux créatures vivantes, leur identité ne dépend pas d’une masse composée des mêmes particules, mais de quelque autre chose ; car en elles un changement de grandes parties de matiere ne donne point d’atteinte à l’identité. Un chêne qui d’une petite plante devient un grand arbre, est toûjours le même chêne. Un poulain devenu cheval, tantôt gras, tantôt maigre, est toûjours le même cheval ». Voyez Identité.