L’Encyclopédie/1re édition/INSOMNIE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 791-792).

INSOMNIE, (Medec.) voyez Veille.

Insomnie, fébrile, (Medec.) affection morbifique, qui dans le cours de la fievre tient le malade éveillé, & suspend le sommeil dont il a besoin. Cette affection est l’opposé du coma fébrile, c’est-à-dire de l’envie continuelle de dormir, avec ou sans effet.

Il paroît que l’insomnie fébrile procede sur-tout des commencemens d’une légere inflammation du cerveau, qui venant à s’augmenter, la fait dégénérer en coma, en délire, en convulsions, & en plusieurs autres accidens très-dangereux. Il importe donc de travailler à dissiper promptement l’inflammation commençante du cerveau, & à en arrêter les progrès.

On y parviendra par la saignée, les diluans, les atténuans, les relâchans, les remedes propres à diminuer la force, la quantité des humeurs de la circulation, & à les détourner de la tête. On recommande à cet effet les boissons légeres du petit lait, d’orge, d’avoine, de riz & autres semblables. On conseille les alimens, les médicamens farineux, un peu huileux, émolliens, humectans, adoucissans. Ils conviennent en effet, parce qu’ils humectent par leur lenteur farineuse ; ils adoucissent l’acrimonie par leurs parties huileuses, & ils nourrissent en même tems. Telles sont les décoctions d’orge & d’avoine ; telles sont celles des plantes laiteuses de chondrille, d’hieracium, de taraxacum, de scorzonere, de barbe de bouc, & de laitues potageres. Leur suc visqueux & laiteux, accompagné d’une légere vertu parégorique, dispose merveilleusement au sommeil. Telles sont encore les douces émulsions d’amandes, de semences froides, de graines de pavots blancs : voilà pourquoi toutes ces plantes se trouvoient à l’entrée du palais de Morphée. La nuit, dit-on, en ramassoit les sucs & les graines, les semoit & les répandoit de toutes parts ;

Ante fores antri fæcunda papavera florent,
Innumeræque herbæ, quarum de lacte soporem
Nox legit, & spargit per opacas humida terras.

Enfin, en cas de continuation d’insomnie, & lorsque tous les signes indiquent qu’on n’a plus à craindre l’inflammation du cerveau, on peut hardiment employer les anodins, les parégoriques, les calmans, en les donnant avec ordre & avec prudence, jusqu’au rétablissement du sommeil nécessaire.

En même tems qu’on pratiquera les remedes qu’on vient d’indiquer, il est permis pour guérir les malades attaqués d’insomnie fébrile, de recourir à plusieurs des moyens inventés par le luxe, pour endormir les sybarites en santé.

Les moyens dont je parle, consistent à procurer un froid modéré, à humecter l’air de vapeurs aqueuses, à imaginer quelque murmure doux, égal, continuel & agréable aux sens. La lyre d’Orphée assoupit Cerbere, calma sa fureur, enchanta les puissances infernales, & leur arracha des larmes. Le dieu du sommeil avoit établi sa demeure dans le pays des Cimmériens, & le seul bruit qu’on y entendoit, étoit celui du fleuve Léthé, qui coulant sur de petits cailloux, faisoit un murmure perpétuel pour inviter au repos.

Saxo tamen exit ab imo
Rivus aquæ Lethes, per quem cum murmure labens
Invitat somnos crepitantibus unda lapillis.

Mais un secret important pour appaiser l’insomnie fébrile, secret pratiquable chez le pauvre comme chez le riche, c’est d’éloigner de la vûe & des oreilles du malade tous les objets qui peuvent frapper ses sens, les émouvoir & les agiter. Pour y réussir immanquablement, imitez en partie le domicile du fils de l’Erebe & de la Nuit ; Ovide l’a peint d’une main de maître, & je crois que son tableau fera plus d’impression sur l’esprit du lecteur, que les tristes ordonnances de la Medecine.

« Là, dit cet aimable poëte, est une vaste caverne où les rayons du soleil ne pénétrerent jamais. Toujours environnée de nuages obscurs, à peine y jouit-on de cette foible lumiere, qui laisse douter s’il est jour ou s’il est nuit. Jamais les cocqs n’y annoncerent le lever de l’aurore ; jamais les chiens, ni les oies qui veillent à la garde des maisons, ne troublerent ce lieu par leurs cris importuns. Jamais on n’y entendit ni mugissemens de bêtes féroces ou domestiques, ni querelle, ni son de voix humaine ; tel est le séjour de la Taciturnité. De crainte que la porte ne fasse du bruit en s’ouvrant ou en se refermant, l’antre reste toujours ouvert, & l’on n’y met point de garde. Au milieu du palais est un lit d’ébene, dont les rideaux sont noirs. C’est dans ce lit que repose le dieu du sommeil sur la plume & sur le duvet ». Lisez-vous même ici la description de l’original, sans avoir besoin de bouger de votre place, & vous trouverez que c’est un des beaux morceaux des Métamorphoses.

Hic nunquam radiis oriens, mediusve cadensque
Phœbus adire potest. Nebulæ caligine mixtæ
Exhalantur humo, dubiæque crepuscula lucis.

Non vigil ales ibi cristati cantibus oris
Evocat Auroram. Nec voce silentia rumpunt
Sollicitive canes, canibusve sagacior anser ;
Non fera, non pecudes, non noti flamine rami
Humanæve sonum reddunt convicia linguæ ;
Muta quies habitat.
Janua quæ verso stridorem cardine reddat,
Nulla domo tota, custos in limine nullus.
At medio torus est ebeno sublimis in atra,
Plumeus, atricolor, pullo velamine tectus,
Quò cubat ipse deus, membris languore solutis.

Metam. lib. XI.

Les prognostics qu’on peut tirer de l’insomnie fébrile, méritent d’être connus des praticiens. Cette affection morbifique précede quelquefois un saignement de nez favorable ; mais s’il est accompagné de sueurs froides, d’excrétions ou d’évacuations crues, sans soulagement du patient, c’est un mauvais augure. Si elle est jointe à de grandes douleurs de tête, à des vomissemens érugineux, elle annonce le délire ou la mort, dit Hippocrate, lib. I. Prorrhét. 10. Le coma succédant à une insomnie fébrile qui a été continuelle, est d’un dangereux présage, &c. (D. J.)