L’Encyclopédie/1re édition/JOURNALISTE

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Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 897-898).
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* JOURNALISTE, s. m. (Littérat.) auteur qui s’occupe à publier des extraits & des jugemens des ouvrages de Littérature, de Sciences & d’Arts, à mesure qu’ils paroissent ; d’où l’on voit qu’un homme de cette espece ne feroit jamais rien si les autres se reposoient. Il ne seroit pourtant pas sans mérite, s’il avoit les talens nécessaires pour la tâche qu’il s’est imposée. Il auroit à cœur les progrès de l’esprit humain ; il aimeroit la vérité, & rapporteroit tout à ces deux objets.

Un journal embrasse une si grande variété de matieres, qu’il est impossible qu’un seul homme fasse un médiocre journal. On n’est point à la fois grand géometre, grand orateur, grand poëte, grand historien, grand philosophe : on n’a point l’érudition universelle.

Un journal doit être l’ouvrage d’une société de savans ; sans quoi on y remarquera en tout genre les bévûes les plus grossieres. Le Journal de Trévoux que je citerai ici entre une infinité d’autres dont nous sommes inondés, n’est pas exempt de ce défaut ; & si jamais j’en avois le tems & le courage, je pourrois publier un catalogue qui ne seroit pas court, des marques d’ignorance qu’on y rencontre en Géométrie, en Littérature, en Chimie, &c. Les Journalistes de Trévoux paroissent sur-tout n’avoir pas la moindre teinture de cette derniere science.

Mais ce n’est pas assez qu’un journaliste ait des connoissances, il faut encore qu’il soit équitable ; sans cette qualité, il élevera jusqu’aux nues des productions médiocres, & en rabaissera d’autres pour lesquelles il auroit dû reserver ses éloges. Plus la matiere sera importante, plus il se montrera difficile ; & quelqu’amour qu’il ait pour la religion, par exemple, il sentira qu’il n’est pas permis à tout écrivain de se charger de la cause de Dieu, & il fera main-basse sur tous ceux qui, avec des talens médiocres, osent approcher de cette fonction sacrée, & mettre la main à l’arche pour la soutenir.

Qu’il ait un jugement solide & profond de la Logique, du goût, de la sagacité, une grande habitude de la critique.

Son art n’est point celui de faire rire, mais d’analyser & d’instruire. Un journaliste plaisant est un plaisant journaliste.

Qu’il ait de l’enjouement, si la matiere le comporte ; mais qu’il laisse là le ton satyrique qui décele toujours la partialité.

S’il examine un ouvrage médiocre, qu’il indique les questions difficiles dont l’auteur auroit dû s’occuper ; qu’il les approfondisse lui-même, qu’il jette des vûes, & que l’on dise qu’il a fait un bon extrait d’un mauvais livre.

Que son intérêt soit entierement séparé de celui du libraire & de l’écrivain.

Qu’il n’arrache point à un auteur les morceaux saillans de son ouvrage pour se les approprier ; & qu’il se garde bien d’ajoûter à cette injustice, celle d’exagérer les défauts des endroits foibles qu’il aura l’attention de soûligner.

Qu’il ne s’écarte point des égards qu’il doit aux talens supérieurs & aux hommes de génie ; il n’y a qu’un sot qui puisse être l’ennemi d’un de Voltaire, de Montesquieu, de Buffon, & de quelques autres de la même trempe.

Qu’il sache remarquer leurs fautes, mais qu’il ne dissimule point les belles choses qui les rachetent.

Qu’il se garantisse sur-tout de la fureur d’arracher à son concitoyen & à son contemporain le mérite d’une invention, pour en transporter l’honneur à un homme d’une autre contrée ou d’un autre siecle.

Qu’il ne prenne point la chicane de l’art pour le fond de l’art ; qu’il cite avec exactitude, & qu’il ne déguise & n’altere rien.

S’il se livre quelquefois à l’enthousiasme, qu’il choisisse bien son moment.

Qu’il rappelle les choses aux principes, & non à son goût particulier, aux circonstances passageres des tems, à l’esprit de sa nation ou de son corps, aux préjugés courans.

Qu’il soit simple, pur, clair, facile, & qu’il évite toute affectation d’éloquence & d’érudition.

Qu’il loue sans fadeur, qu’il reprenne sans offense.

Qu’il s’attache sur-tout à nous faire connoître les ouvrages étrangers.

Mais je m’apperçois qu’en portant ces observations plus loin, je ne ferois que répéter ce que nous avons dit à l’article Critique. Voyez cet article.