L’Encyclopédie/1re édition/LAGOPHTHALMIE ou OEIL DE LIEVRE

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LAGOPHTHALMIE ou ŒIL DE LIEVRE, subst. fém. (Chirurgie.) maladie de la paupiere supérieure retirée en haut, en sorte que l’œil n’en peut être couvert. Ce nom est composé de deux mots grecs λαγὼς, lievre, & ὀφθαλμὸς, œil, parce qu’on dit que les lievres dorment les paupieres ouvertes.

Les auteurs ont confondu la lagophthalmie avec l’éraillement, de même que l’ectropium qui est à la paupiere inférieure, la même maladie que la lagophthalmie à la supérieure. Les descriptions qu’on a données de ces maux, de leurs causes, de leurs symptômes & de leurs indications curatives, m’ont paru défectueuses à plusieurs égards. Voyez Ectropium.

Quand la peau qui forme extérieurement la paupiere est retirée par quelque cause que ce soit, la membrane intérieure rebroussée, fort saillante, & dans une inversion véritable, se gonfle communément au point de couvrir entierement la cornée transparente. On ne doit pas confondre l’éraillement, qui est la suite d’une plaie simple à la commissure ou au bord des paupieres & qui n’a pas été réunie, avec le boursouflement de la membrane interne, produit par d’autres causes.

Ce boursouflement idiopathique qui seroit causé par une fluxion habituelle d’humeurs séreuses, ou par l’usage indiscret des remedes émolliens, prescriroit les remedes astringens & fortifians, comme on l’a dit au mot Ectropium ; mais ces médicamens pourroient être sans effet si l’on ne donnoit aucune attention à la cause. Il faut détourner l’humeur par les purgatifs ; faire usage de la ptisane d’esquine ; appliquer des vésicatoires ou faire un cautere, suivant le besoin : souvent même, avec toutes ces précautions, le vice local exige qu’on fasse dégorger la partie tuméfiée au moyen des scarifications ; & le tissu de la partie dans les tuméfactions invétérées, peut s’être relâché au point qu’il en faut faire l’amputation.

L’usage des remedes ophthalmiques fort astringens ne paroît pas pouvoir être mis au nombre des causes de la lagophthalmie ni de l’ectropium, comme on l’a dit ailleurs. Mais pour ne parler ici que de la paupiere supérieure, les auteurs ont admis quatre causes principales du raccourcissement de cette partie, qui sont ; 1°. un vice de conformation ; 2°. la convulsion du muscle releveur de cette paupiere, & la paralysie simultanée du muscle orbiculaire qui sert à l’abaisser ; 3°. le dessechement de la paupiere ; & 4°. des cicatrices qui suivent les plaies, les ulceres & les brûlures de cette partie.

Maître Jean ne dispute point l’existence des trois premieres causes, quoiqu’il ne les ait jamais rencontrées dans la pratique ; mais il soutient avec raison que l’opération que quelques praticiens ont proposée contre cette maladie n’est point admissible. Cette opération consiste à faire sur la paupiere supérieure une incision en forme de croissant, dont les extrémités seroient vers le bord de la paupiere. On rempliroit la plaie de charpie, & l’on auroit soin d’en entretenir les levres ecartées jusqu’à ce que la cicatrice fût formée. Maître Jean prouve très-solidement que toute cicatrice causant un rétrécissement de la peau, & étant toujours beaucoup plus courte que la plaie qui y a donné lieu, l’opération proposée doit rendre la difformité plus grande, parce que la paupiere en sera nécessairement un peu raccourcie. L’expérience m’a montré la verité de cette assertion. Cette opération a été pratiquée sur un homme qui, à la suite d’un abscès, avoit la peau de la paupiere supérieure raccourcie ; la membrane interne étoit un peu saillante & rebroussée. Depuis l’opération elle devint fort saillante, & couvrit tout le globe de l’œil : je fus obligé d’en faire l’extirpation ; le malade sentit qu’il avoit la paupiere beaucoup plus courte qu’avant l’opération qu’on lui avoit faite pour l’allonger. J’ai traité quelque tems après un homme d’un phlegmon gangreneux à la paupiere supérieure. Pendant le tems de la suppuration, & assez longtems après la chûte de l’escarre, on auroit pû craindre que la paupiere ne demeurât de beaucoup trop longue ; le dégorgement permit aux parties tuméfiées de se resserrer au point, que malgré toutes mes précautions, le malade ne guérit qu’avec une lagophthalmie ; preuve bien certaine de l’inutilité de l’opération proposée, & grand argument contre la régénération des substances perdues dans les ulceres. Voyez Incarnation. La membrane interne forma un bourrelet fort lâche sur le globe de l’œil au-dessus de la cornée transparente. Le seul usage de lotions avec l’eau de plantain a donné à cette membrane le ressort nécessaire pour ne pas s’éloigner de la peau de la paupiere.

Cet état ne doit pas être confondu avec l’éraillement causé, comme nous l’avons dit, par la simple solution de continuité qui s’étend jusqu’au cartilage qui les borde, comme la fente de la levre dans le bec de lievre. Pourquoi donner le nom de mutilation à une simple fente ? Le renversement de la paupiere, ou l’éraillement qui résulte de ce qu’on a entamé la commissure des paupieres dans l’opération de la fistule lacrymale étant sans déperdition de substance, peut être assez facilement corrigé. On a dit à l’art. Ectropium que la paupiere a trop peu d’épaisseur pour pouvoir être retaillée, unie, consolidée & remise dans l’état qu’elle doit avoir naturellement. La raison montre la possibilité de cette opération, & l’expérience en a prouvé le succès. Le premier tome des mémoires de l’acad. royale de Chirurgie contient une observation de M. Ledran sur un œil éraillé, dans laquelle il décrit les procédés qu’il a suivis pour corriger efficacement cette difformité. (Y)