L’Encyclopédie/1re édition/LATICLAVE

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LATICLAVE, s. m. (Littérat.) latus clavus, tunica laticlava ; tunique à large bordure de pourpre par-devant, & qui faisoit un habillement particulier de distinction & de dignité chez les Romains.

Tout le monde reconnoît que le laticlave étoit l’habit de marque de certaine magistrature ; mais il n’y a rien, en fait d’habits, sur quoi les savans soient si peu d’accord que sur la forme du laticlave & de l’angusticlave.

Les uns ont imaginé que le laticlave étoit une bande de pourpre entierement détachée des habits, qu’on la passoit sur le col, & qu’on la laissoit pendre tout du long par-devant & par-derriere, comme le scapulaire d’un religieux. D’autres ont pensé que c’étoit un manteau de pourpre qui couvroit seulement les épaules, comme les manteaux d’hermine de nos rois ; mais ces deux opinions sont également insoutenables. Indiquons-en une troisieme qui ait plus de vraissemblance ; & cela ne sera pas difficile.

On distinguoit chez les Romains plusieurs sortes de robes ou de tuniques, & entr’autres la tunique nommée tunica clavata. C’étoit une maniere de veste avec des bandes de pourpre, appliquées en forme de galon sur le devant, au milieu de la veste & dan toute sa longueur, de sorte que quand la veste étoit fermée, ces deux bandes se joignoient & sembloient n’en faire qu’une. Si la bande étoit large, la tunique s’appelloit laticlave, latus clavus, tunica laticlavia. Si elle étoit étroite, la tunique prenoit le nom d’angusticlave, angustus clavus, tunica angusticlavia.

Ces deux sortes de tuniques qui servoient à distinguer les emplois parmi les gens de qualité, étoient opposées à celle qui étoit toute unie sans bandes, qu’on nommoit tunica recta, & dont l’usage n’étoit que pour les personnes qui n’avoient point de part à l’administration des affaires.

Il résulte de-là, que le laticlave étoit une large bordure de pourpre, cousue tout du long sur la partie de devant d’une tunique, ce qui la distinguoit de celle des chevaliers qui étoit à la vérité une bordure de la même couleur & de la même maniere, mais beaucoup plus étroite, d’où vient qu’on l’appelloit angusticlave.

Plusieurs savans se sont persuadés que les bandes ou galons de ces tuniques étoient comme brochées de têtes de clous, quasi clavis intertextæ ; cela peut être. Cependant M. Dacier qui n’est pas de cet avis, remarque pour le réfuter, que les anciens appelloient clavus, clou, tout ce qui étoit fait pour être appliqué sur quelque chose.

Ce qui est plus sûr, c’est qu’on a confondu à tort, le laticlave avec la prétexte, peut-être parce que la prétexte avoit un petit bordé de pourpre ; mais outre que ce bordé de pourpre régnoit tout au tour, il est certain que ces deux robes étoient différentes à d’autres égards, & même que la prétexte se mettoit sur le laticlave. Varron l’a dit quelque part ; d’ailleurs on sait que quand le préteur prononçoit un arrêt de mort, il quittoit la prétexte & prenoit la robe laticlave.

Elle se portoit sans ceinture, & étoit un peu plus longue que la tunique ordinaire, c’est pourquoi Suétone observe comme une chose étrange que Cesar ceignoit son laticlave. « Il étoit, dit cet historien, fort singulier dans ses habits ; son laticlave avoit de longues manches avec des franges au bout ; il se ceignoit toujours, & toujours sa ceinture étoit lâche, ce qui donna lieu à ce mot de Sylla, qu’il avertissoit les grands de se donner garde du jeune homme mal-ceint, ut malè præcinctum puerum caverent ».

Comme les sénateurs avoient droit de porter le laticlave, le même Suétone remarque qu’on les appelloit d’un seul nom laticlavii. Les consuls, les préteurs, & ceux qui triomphoient jouissoient aussi de cette décoration : Isidore nous apprend que sous la république, les fils des sénateurs n’en étoient honorés qu’à l’âge de 25 ans ; César fut le premier qui ayant conçu de grandes espérances d’Octave son neveu, & voulant l’élever le plutôt possible au timon de l’état, lui donna le privilege du laticlave avant le tems marqué par les lois.

Octave étant parvenu à la suprème puissance, crut à son tour devoir admettre de bonne heure les enfans des sénateurs dans l’administration des affaires ; pour cet effet, il leur accorda libéralement la même faveur qu’il avoit reçue de son oncle. Par ce moyen, le laticlave devint sous lui l’ordre de l’empereur ; il en revêtoit à sa volonté les personnes qu’il lui plaisoit, magistrats, gouverneurs de provinces, & les pontifes mêmes.

Sacrificam lato vestem distinguere clavo.

Il paroît que, sous ses successeurs, les premiers magistrats des colonies & des villes municipales obtinrent la même grace. Ensuite les César la prodiguerent à toutes leurs créatures & à quantité de chevaliers.

Enfin, les dames à leur tour ne furent point privées de cette décoration, qui passa même jusqu’aux étrangeres. Flavius Vopiscus nous rapporte qu’Aurélien fit épouser à Bonosus, l’un de ses capitaines, Humila, belle & aimable princesse. Elle étoit prisonniere, & d’une des plus illustres familles des Goths ; les frais de la noce furent pris sur l’épargne publique. Le prince voulut avoir le soin d’en régler les habits, & parmi des tuniques de toute espece, il ordonna pour cette dame celle du laticlave, tunicam auro clavatam.

Rubens (Albert) en latin Rubenius, fils du célebre Rubens, a écrit un traité plein d’érudition sur le laticlave & l’angusticlave, de latoclavo & angusticlavo tractatus. On soupçonne que M. Grævius qui a mis ce petit ouvrage au net & au jour, n’en partage pas le moindre honneur. (D. J.)