L’Encyclopédie/1re édition/LECTISTERNE

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LECTISTERNE, s. m. lectisternium, (Antiq. romaines.) cérémonie religieuse pratiquée chez les anciens Romains dans des tems de calamités publiques, afin d’en obtenir la cessation.

L’an de Rome 354, un mal contagieux qui faisoit mourir tous les bestiaux, jetta la consternation dans la ville. Les duumvirs, après avoir consulté les livres sacrés des sibylles, ordonnerent le lectisterne.

Cette cérémonie ancienne avoit déja été mise en usage au rapport de Valere-Maxime, liv II. chap. iv sous le consulat de Brutus & de Valerius Publicola.

Pendent cette cérémonie, on descendoit les statues des dieux de leurs niches ; on les couchoit sur des lits autour des tables dressées dans leurs temples ; on leur servoit alors pendant huit jours, aux dépens de la république, des repas magnifiques, comme s’ils eussent été en état d’en profiter. Les citoyens, chacun selon leurs facultés tenoient table ouverte. Ils y invitoient indifféremment amis & ennemis, les étrangers sur-tout y étoient admis On mettoit en liberté les prisonniers, & on se seroit fait un scrupule de les faite arrêter de nouveau, après que la fête étoit finie.

Le soin & l’ordonnance de cette fête furent confiés aux duumvirs sibillins jusqu’à l’an 558 de Rome, qu’on créa les épulons, à qui l’on attribua l’intendance de tous les festins sacrés.

Tite Live, on nous apprenant ce détail, ne dit point si le célebre lectisterne de l’an de Rome 354 produisit l’effet qu’on en espéroit ; mais le troisieme lectisterne qu’on dressa environ trente six ans après l’an 390, pour obtenir des dieux la fin d’une peste cruelle, eut si peu d’efficace, que l’on recourut à un autre genre bien singulier de dévotion ; ce fut à l’institution des jeux scéniques ; on se flatta que ces jeux n’ayant point encore paru à Rome, ils en seroient plus agréables aux dieux.

Casaubon a le premier remarqué sur un passage du scholiaste de Pindare, Olymp. ode I. que les lectisternes étoient en usage chez les Grecs, avant que d’être connus des Romains. Mais les Grecs mêmes avoient pris cette coutume des Medes & autres peuples orientaux, qui couchoient leurs dieux sur les oreillers, pulvinaria, & leur servoient de magnifiques repas.

M. Spon a vu à Athenes un bas-relief de marbre. qu’il croit être la figure d’un lectisterne. Ce bas-relief représente un lit élevé d’un pié, & long de deux, sur lequel est le dieu Sérapis, tenant une corne d’abondance. Il a des fruits devant lui, & son boisseau sur la tête ; plus bas est Isis, & autour d’elle quatre ou cinq figures d’hommes.

Lectisterne est un mot purement latin, qui signifie l’action de dresser, de préparer des lits, a lectis sternendis ; ces lits étoient ainsi préparés dans les fêtes ou pour inviter les dieux à s’y rendre pendant la nuit, ou pour y placer leurs statues & leurs images. Quant à la desserte das mers qu’on leur offroit pendant la durée du lectisterne, comme ils n’y touchoient pas, les prêtres de leurs temples en faisoient leur profit. (D. J.)