L’Encyclopédie/1re édition/LEUCOPHLEGMATIE

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LEUCOPHLEGMATIE, s. f. (Médecine.) λευκοφλεγματια ; espece d’hydropisie qui a son siége dans le tissu cellulaire qui meut toutes les parties du corps. La blancheur extraordinaire qu’on observe dans les parties infiltrées, a fait soupçonner à Hippocrate qu’elle étoit produite par une humeur blanchâtre, & lui a fait donner le nom de leucophlegmatie, qui chez les Grecs vient de λευκον φλεγμα, qui signifie phlegme blanc : elle est générale ou particuliere. Dans le premier cas, tout le corps est bouffi, œdémateux ; dans quelque partie que l’on enfonce le doigt, l’impression reste gravée pendant quelque tems, & ne s’efface qu’avec peine : le plus souvent cette humeur ne s’observe que dans les jambes & les cuisses. Lorsque la leucophlegmatie commence, les parties les plus lâches, & celles dans lesquelles la circulation est la plus lente, sont les premieres attaquées. Ainsi d’abord le dessous des yeux & les environs des chevilles se gonflent, peu-à-peu l’enflure gagne les jambes, les cuisses, se répand dans les bourses, dans la verge, qui grossit & se contourne singulierement : bientôt après tout le reste du corps se trouve infiltré, ou les eaux s’accumulent dans quelque cavité, comme le ventre, la poitrine, &c. Alors l’ascite ou l’hydropisie de poitrine se complique avec la leucophlegmatie : la respiration devient plus difficile, le pouls se concentre, devient petit, serré, inégal : de tems en tems il se developpe, se dilate, devient supérieur, nasal. J’ai observé que les hémorrhagies de nez étoient fréquentes dans cette maladie, l’excrétion des urines diminuée ; elles sont en petites quantité, rougeâtres, & déposent un sédiment briqueté : la soif & la toux surviennent.

Les causes qui produisent la leucophlegmatie sont les mêmes que celles de l’hydropisie (voyez ce mot), les obstructions dans les visceres, les fievres intermittentes mal traitées, trop tôt arrêtées, la suppression du flux menstruel, hémorrhoïdal, &c ; celles qui occasionnent le plus souvent l’espece d’hydropisie dont il est ici question, sont les cachéxies, les éruptions galeuses, dartreuses, repercutées : l’arrêt de la transpiration, la lenteur de la circulation, la rapidité, l’atonie, la langueur du mouvement putréfactif du sang y disposent beaucoup. Les observations anatomiques nous font voir, dans presque tous ceux qui sont morts à la suite de cette maladie, des concrétions polypeuses dans le cœur, l’aorte : des vices dans le foie, la rate, & autres visceres du bas-ventre, la pâleur du foie, l’inertie de la bile, sont ceux qu’on observe le plus souvent. Pour se former une idée de la façon dont cette extravasation de sérosité peut avoir lieu, il n’y a qu’à faire attention à une expérience ingénieuse faite par Louwer. Ce célebre anatomiste lia dans un chien vivant la veine cave inférieure, il recousut après cela les tégumens ; quelques heures après tout le bas-ventre, toutes les parties inférieures étoient vuides de sérosité qui avoit transudé à-travers des pores des vaisseaux par ce vice, que les Pathologistes appellent diapedese. Il tenta la même expérience sur la souclaviere, qui fut suivie d’un effet semblable dans les parties supérieures. La communication qui est entre le tissu cellulaire de toutes les différentes parties, explique fort simplement la facilité avec laquelle la leucophlegmatie se répand d’une partie à l’autre.

On trouve dans bien des auteurs la leucophlegmatie confondue avec l’anasarque : ces deux maladies ont effectivement les mêmes symptômes, elles sont caractérisées l’une & l’autre par une bouffissure générale ou particuliere. Les écrivains plus exacts pensent que dans l’anasargue l’épanchement des eaux est plus profond, que son siege est dans l’enveloppe même des muscles, ανασαρκα, autour des chairs, comme le porte son nom. Aretée prétend en outre que la sérosité infiltrée dans l’anasarque est putride, sanieuse, & qu’elle suppose une altération considérable dans les visceres qui servent à la sanguification, ce qui fait qu’alors la couleur de la peau est plus changée, qu’elle est d’un vert noirâtre, au lieu que dans la leucophlegmatie la peau est luisante & très-blanche. Cælius Aurelianus établit la même différence.

De toutes les hydropisies, celle-ci, qui est la moins dangereuse, est la plus facile à guérir ; elle est très rebelle lorsqu’elle succede à quelque maladie chronique, & qu’elle est entretenue par un vice dans les visceres du bas-ventre, sur-tout dans un vieillard ; mais lorsqu’elle est le produit d’une maladie aiguë, d’une fievre intermittente, de la suppression de quelqu’écoulement, &c. elle se dissipe assez surement ; celle qui survient aux jambes, aux cuisses dans les femmes enceintes, se guérit d’elle même par l’accouchement. Il arrive aussi quelquefois, à la suite des maladies aiguës pendant la convalescence, une leucophlegmatie particuliere aux jambes : j’ai toujours observé que ce symptome étoit d’un très-bon augure, & que le rétablissement, dès qu’il paroissoit, étoit plus solide & plus prompt. Tout ce qu’on a à craindre dans cette maladie, c’est qu’elle ne se termine en ascite. A la leucophlegmatie, dit Hippocrate, survient ordinairement l’hydropisie ascite, Aph. 7, lib. VII. On peut enfin regler le prognostic sur l’abondance des urines, l’état du pouls, la fréquence de la toux, la gêne de la respiration, la diminution des forces, &c. On doit très-bien augurer d’un cours de ventre ; il procure, dit Hippocrate, Aphor. 29, lib. VII. la solution de la leucophlegmatie.

Je consultois, il y a quelque tems, pour une jeune & aimable dame qui avoit les jambes & les cuisses prodigieusement bouffies, à cause d’un cancer à la matrice ; lorsque l’enflure étoit parvenue à un certain point, il survenoit une petite fievre & un dévoiement qui dissipoit la bouffissure ; mais la diarrhée arrêtée, les jambes s’infiltroient de nouveau, & peu de tems après la fievre & le cours de ventre revenoient & produisoient le même effet. Elle a vécu pendant plus d’un an dans cette alternative de leucophlegmatie, de fievre & de dévoiement ; enfin elle a succombé à la violence de sa maladie.

L’on a dans cette maladie les mêmes indications à remplir & les mêmes remedes pour en venir à bout, que dans l’hydropisie (Voyez ce mot.). Si nous en croyons Hippocrate, Alexandre de Tralle, Paul d’Egine, & quelqu’autres praticiens fameux, la saignée est quelquefois nécessaire dans la guérison de la leucophlegmatie, quoique cependant elle paroisse au premier coup d’œil déplacée. Les violens purgatifs, hydragogues, drastiques, peuvent être employés avec moins de risque & d’inconvénient ici que dans l’ascite : on doit terminer leur usage par les stomachiques amers, & sur-tout par les martiaux ; les sudorifiques peuvent avoir lieu dans certains cas où la répercussion des éruptions entamées a causé la maladie. Lorsqu’on doit en accuser la gale rentrée, il n’y a point de secours plus assuré que de faire reprendre la gale. Si l’enflure étoit trop considérable, si les tégumens étoient trop distendus, on pourroit évacuer les eaux par des scarifications ou les vésicatoires ; mais il faut user de circonspection dans l’usage de ce remede, parce qu’on risque d’amener la gangrene. On doit éviter avec plus d’attention les astringens répercussifs, trop forts pour dissiper l’enflure des piés. L’ascite ou l’hydropisie de poitrine suit d’ordinaire une pratique si peu judicieuse ; il est plus à-propos alors d’appliquer des cendres chaudes, du son ou autres choses semblables. (m)