L’Encyclopédie/1re édition/MÉGALOPOLIS

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MÉGALOPOLIS, (Géog. anc.) Ptolomée, Pausanias, & Etienne le Géographe, écrivent Mégalepolis. Polybe écrit indifféreiment Mégale-polis, & Mégalepolis. Strabon écrit seulement Mégalopolis en un seul mot. Ses habitans sont appellés par Tite-Live Mégalopolites, & Mégalopolitani.

Mégalopolis étoit une ville de Péloponnese dans l’Arcadie, qui se forma sous les auspices d’Epaminondas, de diverses petites villes rassemblées en une seule, après la bataille de Leuctres, afin d’être plus en état de résister aux Lacédémoniens. On nomme aujourd’hui cette ville Leontari, selon Sophian & de Witt. M. Fourmont prétend, que ce n’est point Léontari qui tient la place de Mégalopolis, mais un méchant village d’environ 150 maisons, la plûpart habitées par des mordates.

Quoi qu’il en soit, Mégalapolis a été la patrie de deux grands personnages, qui méritent de nous arrêter quelques momens ; je veux parler de Philopæmen, & de Polybe son tendre éleve.

Philopæmen se montra l’un des plus habiles & des premiers capitaines de l’antiquité. Il résuscita la puissance de la Grece, à mesure qu’elle vit croître sa réputation. Les Achéens l’élurent huit fois pour leur général & ne cessoient de l’admirer. Il eut une belle preuve de la haute considération qu’on lui portoit, lorsqu’il vint un jour par hazard à l’assemblée des jeux neméens, au moment que Pylade chantoit ces deux vers de Thimothée,

C’est lui qui couronne nos têtes
Des fleurons de la liberté.

Tous les Grecs en se levant jetterent les yeux sur Philopæmen, avec des acclamations, des battemens des mains, des cris de joie, qui marquoient assez leurs espérances de parvenir sous ses ordres, à leur premier degré de bonheur & de gloire. Mais cet illustre guerrier, en chargeant Dinocrate, qui s’étoit emparé d’un poste important, eut son cheval abattu sous lui, & tomba presque sans vie. Les ennemis le releverent, comme si c’eût été leur général, & le conduisirent à Messene, où Dinocrate acheva ses jours par le poison.

Les Achéens ne différerent pas la vengeance de cet attentat, & le tyran se donna la mort, pour éviter sa juste peine. L’on tira de Messene le corps de Philopaemen, l’on le brûla, & l’on porta ses cendres à Mégalopolis.

Toutes les villes de Péloponnese lui décernerent les plus grands honneurs par des decrets publics, & lui érigerent par-tout des statues & des inscriptions. Son convoi funebre fut une sorte de pompe triomphale. Polybe, âgé de 22 ans, portoit l’urne, & Lycortas son pere, fut nommé général des Achéens, comme le plus digne de succéder au héros qu’ils pleuroient.

Ce fut à ces deux écoles de Philopæmen & de Lycortas, que notre historien prit ces savantes leçons de gouvernement & de guerre qu’il a mises en pratique. Après avoir été chargé des plus grandes négociations auprès des Ptolomées, rois d’Egypte, il fut long-tems détenu à Rome dans la maison des Emiles, & forma lui-même le destructeur de Carthage & de Numance. Quel pupile, & quel maître ! Notre ame s’éleve en lisant ces beaux conseils qu’il lui donnoit, ces sentimens de générosité & de magnanimité qu’il tâchoit de lui inspirer, & dont le pupille fit un si bel usage. C’est encore aux conseils de Polybe que Démétrius fut redevable du trône de Syrie. Génie supérieur, il cherchoit dans les regles de la prudence, de la politique, & de la guerre, la cause des événemens. Il traitoit la fortune de chimere, & ne croyoit point à ces divinités qui avoient des yeux sans voir, & des oreilles sans entendre.

Il composa la plus grande partie de son histoire dans la maison même des Emiles, qui lui donnerent tous les mémoires qu’il desira. Scipion l’emmena au siege de Carthage, & lui fournit des vaisseaux pour faire le tour de la mer Atlantique. Toutes les villes du Péloponnese adopterent le code des lois dont il étoit l’auteur, & les Achéens, en reconnoissance, lui érigerent, de son vivant, plusieurs statues de marbre. Il mourut l’an de Rome 624, à l’âge de 82 ans, d’une blessure qu’il s’étoit faite en tombant de cheval.

Il avoit composé son histoire universelle en quarante-deux livres, dont il ne nous reste que les cinq premiers, avec des fragmens des douze livres suivans. Quel dommage que le tems nous ait envié des annales si précieuses ! Jamais historien ne mérita mieux notre confiance dans ses récits, & jamais homme ne porta plus d’amour à la vérité. Pour la politique, il l’avoit étudiée toute sa vie ; il avoit géré les plus grandes affaires, & avoir gouverné lui-même.

Les Géographes ont encore raison de partager avec les politiques, & les généraux d’armées, la douleur de la perte de son histoire. Si l’on doit juger de ce que nous n’avons pas par ce qui nous en reste, ses descriptions de villes & de pays sont d’un prix inestimable, & n’ont été remplacées par aucun historien.

On desireroit qu’il eût fait moins de réflexions & de raisonnemens ; mais il réfléchit avec tant de sagesse, il raisonne si bien, il discute les faits avec tant de sagacité, qu’il développe chaque événement jusque dans la source. On lui reproche aussi ses digressions, qui sont longues & fréquentes ; mais elles sont utiles & instructives. Enfin, Denys d’Halicarnasse critique son style raboteux ; mais c’est que Polybe s’occupoit de plus grandes choses, que du nombre & de la cadence de ses périodes ; & c’est encore parce que Dénis ne prisoit dans les autres, que ce qu’il possédoit lui-même davantage. Après tout, nous avons en françois une excellente traduction de Polybe, avec un savant commentaire militaire, qui passeront l’un & l’autre à la postérité. (D. J.)