L’Encyclopédie/1re édition/MARÉCAGE
MARÉCAGE, s. m. en Géographie, est une espece de lac ou plutôt de marais. Voyez Lac & Marais.
Il y en a de deux sortes ; le premier est un composé d’eau & de terre mêlées ensemble, & qui pour l’ordinaire n’est pas assez ferme pour qu’un homme puisse passer dessus. Voyez Marais.
La 2° sorte sont des étangs ou amas d’au bourbeuse, au-dessus de laquelle on voit çà & là des éminences de terrein sec qui s’élevent sur la surface. Chambers.
« Lorsque les eaux qui sont à la surface de la terre ne peuvent trouver d’écoulement, elles forment des marais & des marécages. Les plus fameux marais de l’Europe sont ceux de Moscovie, à la source du Tanaïs ; ceux de Finlande, où sont les grands marais Savolax & Enasak ; il y en a aussi en Hollande, en Westphalie, & dans plusieurs autres pays bas. En Asie, on a les marais de l’Euphrate, ceux de la Tartarie, le Palus Méotide ; cependant en général, il y en a moins en Asie & en Afrique, qu’en Europe ; mais l’Amérique n’est, pour ainsi dire, qu’un marais continu dans toutes ses plaines : cette grande quantité de marais est une preuve de la nouveauté du pays, & du petit nombre des habitans, encore plus que du peu d’industrie.
» Il y a de très-grands marécages en Angleterre, dans la province de Lincoln, près de la mer, qui a perdu beaucoup de terrein d’un côté, & en a gagné de l’autre. On trouve dans l’ancien terrein une grande quantité d’arbres qui y sont enterrés au-dessous du nouveau terrein amené par les eaux. On en trouve de même en grande quantité en Ecosse, à l’embouchure de la riviere Ness. Auprès de Bruges, en Flandres, en fouillant à 40 ou 50 piés de profondeur, on trouve une très-grande quantité d’arbres aussi près les uns des autres que dans une forêt ; les troncs, les rameaux & les feuilles sont si bien conservés, qu’on distingue aisément les différentes especes d’arbres. Il y a 500 ans que cette terre où l’on trouve des arbres, étoit une mer, & avant ce tems-là on n’a point de mémoire ni de tradition que jamais cette terre eût existé : cependant il est nécessaire que cela ait été ainsi dans le tems que ces arbres ont crû & végété ; ainsi le terrein qui dans les tems les plus reculés étoit une terre ferme couverte de bois, a été ensuite couvert par les eaux de la mer, qui y ont amené 40 ou 50 piés d’épaisseur de terre, & ensuite ces eaux se sont retirées.
» Dans l’île de Man on trouve dans un marais qui a six milles de long & trois milles de large, appellé Curragh, des arbres souterrains qui sont des sapins, & quoiqu’ils soient à 18 ou 20 piés de profondeur, ils sont cependant fermes sur leurs racines. Voyez Rays, Discourses, pag. 232. On en trouve ordinairement dans tous les grands marais, dans les fondrieres & dans la plupart des endroits marécageux, dans les provinces de Sommerset, de Chester, de Lancastre, de Stafford. On trouve aussi une grande quantité de ces arbres souterrains dans les terres marécageuses de Hollande, dans la Frise & auprès de Groningue, & c’est de-là que viennent les tourbes qu’on brûle dans tout le pays.
» On trouve dans la terre une infinité d’arbres, grands & petits, de toute espece ; comme sapins, chênes, bouleaux, hêtres, ifs, aubépins, saules, frênes. Dans les marais de Lincoln, le long de la riviere d’Ouse, & dans la province d’Yorck en Hatfieldchace, ces arbres sont droits, & plantés comme on les voit dans une forêt. Plusieurs autres endroits marécageux de l’Angleterre & de l’Irlande sont remplis de troncs d’arbres, aussi-bien que les marais de France, de Suisse, de Savoie & d’Italie. Voyez trans. phil. abr. pag. 218. &c. vol. IV.
» Dans la ville de Modene, & à quatre milles aux environs, en quelqu’endroit qu’on fouille, lorsqu’on est parvenu à la profondeur de 63 piés, & qu’on a percé la terre à 5 piés de profondeur de plus avec une tarriere, l’eau jaillit avec une si grande force, que le puits se remplit en fort peu de tems presque jusqu’au-dessus ; cette eau coule continuellement, & ne diminue ni n’augmente par la pluie ou par la sécheresse : ce qu’il y a de remarquable dans ce terrein, c’est que lorsqu’on est parvenu à 14 piés de profondeur, on trouve les décombremens & les ruines d’une ancienne ville, des rues pavées, des planchers, des maisons, différentes pieces de mosaïques ; après quoi, on trouve une terre assez solide, & qu’on croiroit n’avoir jamais été rémuée ; cependant au-dessous on trouve une terre humide & mêlée de végétaux, & à 26 piés, des arbres tout entiers ; comme des noisetiers avec des noisettes dessus, & une grande quantité de branches & de feuilles d’arbres : à 28 piés on trouve une craie tendre, mêlée de beaucoup de coquillages, & ce lit a onze piés d’épaisseur ; après quoi on retrouve encore des vél, étaux, des feuilles & des branches, & ainsi alternativement de la craie & une terre mêlée de végétaux, jusqu’à la profondeur de 63 piés, à laquelle profondeur est un lit de sable mêlé de petit gravier & de coquilles semblables à celles qu’on trouve sur les côtes de la mer d’Italie : ces lits successifs de terre marécageuse & de craie se trouvent toujours dans le même ordre, en quelqu’endroit qu’on fouille, & quelquefois la tarriere trouve de gros troncs d’arbres qu’il faut percer, ce qui donne beaucoup de peine aux ouvriers. On y trouve aussi des os, du charbon de terre, des cailloux & des morceaux de fer. Ramazzini, qui rapporte ces faits, croit que le golfe de Vénise s’étendoit autrefois jusqu’à Modene & au-delà, & que par la succession des tems, les rivieres, & peut-être les inondations de la mer ont formé successivement ce terrein.
» On ne s’étendra pas davantage ici sur les variétés que présentent ces couches de nouvelle formation, il suffit d’avoir montré qu’elles n’ont pas d’autres causes que les eaux courantes ou stagnantes qui sont à la surface de la terre, & qu’elles ne sont jamais aussi dures, ni aussi solides que les couches anciennes qui se sont formées sous les eaux de la mer ». Voyez l’Hist. nat. gén. & part. ton. I. d’où cet article est entierement tiré.