L’Encyclopédie/1re édition/MARÉE

La bibliothèque libre.
◄  MARECHER
MAREGRAVE  ►

MARÉE, (Phys.) s. f. se dit de deux mouvemens périodiques des eaux de la mer, par lesquels la mer se leve & s’abaisse alternativement deux fois par jour, en coulant de l’équateur vers les poles, & refluant des poles vers l’équateur. On appelle aussi ce mouvement flux & reflux de la mer. Voyez Flux & Reflux, Mer, Océan, &c.

Quand le mouvement de l’eau est contraire au vent, on dit que la marée porte au vent. Quand on a le cours de l’eau & le vent favorables, on dit qu’on a vent & marée. Quand le cours de l’eau est rapide, on l’appelle forte marée. On dit attendre les marées dans un parage ou dans un port, quand on mouille l’ancre ; ou qu’on entre dans un port pendant que la marée est contraire, pour remettre à la voile avec la marée suivante & favorable. On dit refouler la marée, quand on suit le cours de la marée, ou qu’on fait un trajet à la faveur de la marée. On appelle la marée, marée & demie, quand elle dure trois heures de plus au largue, qu’elle ne fait aux bords de la mer : Et quand on dit de plus, cela ne signifie point que la marée dure autant d’heures de plus ; mais que si par exemple, la marée est haute aux bords de la mer à midi, elle ne sera haute au largue qu’à trois heures.

Quand la lune entre dans son premier & dans son troisieme quartier, c’est-à-dire, quand on a nouvelle & pleine lune, les marées sont hautes & fortes, & on les appelle grandes marées. Et quand la lune est dans son second & dans son dernier quartier, les marées sont basses & lentes, on les appelle mortes-marées, &c. Chambers.

Nous avons donne au mot Flux & Reflux les principaux phénomenes des marées, & nous avons tâché d’en expliquer la cause.

Nous avons promis au même article flux & reflux, d’ajouter ici quelques détails sur les marées ; & nous allons satisfaire à cette promesse.

On demande pourquoi il n’y a point de marées sensibles dans la mer Caspienne ni dans la Méditerranée.

On trouve par le calcul, que l’action du soleil & de la lune pour soulever les eaux, est d’autant moindre que la mer a moins d’étendue ; & ainsi comme dans le vaste & profond Océan, ces deux actions ne tendent à élever les eaux que d’environ 8 à 10 piés, il s’ensuit que dans la mer Caspienne qui n’est qu’un grand lac, l’élevation des eaux doit être insensible.

Il en est de même de la Méditerranée dont la commun cation avec l’Océan est presqu’entierement coupée au détroit de Gibraltar.

On peut voir dans la piece de M. Daniel Bernoulli, sur le flux & reflux de la mer, l’explication d’un grand nombre d’autres phénomenes des marées. On trouvera aussi dans cette même piece des tables pour la hauteur & pour l’heure des marées de chaque jour : & ces tables répondent assez bien aux observations, sauf les différences que la situation des côtes & les autres circonstances particulieres y peuvent apporter.

Les alternatives du flux & reflux de six heures en six heures, font que les côtes sont battues sans cesse par les vagues qui en enlevent de petites parties qu’elles emportent & qu’elles déposent au fond, de même les vagues portent sur les côtes différentes productions, comme des coquilles, des sables qui s’accumulant peu-à-peu, produisent des éminences.

Dans la principale des îles Orcades où les rochers sont coupé à pic, 200 piés au-dessus de la mer, la marée se leve quelquefois jusqu’à cette hauteur, lorsque le vent est fort. Dans ces violentes agitations la mer rejette quelquefois sur les côtes des matieres qu’elle apporte de fort loin, & qu’on ne trouve jamais qu’après les grandes tempêtes. On en peut voir le détail dans l’Hist. nat. générale & particuliere, tome I. page 438.

La mer, par son mouvement général d’orient en occident, doit porter sur les côtes de l’Amérique les productions de nos côtes ; & ce ne peut être que par des mouvemens fort irréguliers, & probablement par des vents, qu’elle porte sur nos côtes les productions des Indes & de l’Amérique. On a vû souvent dans les hautes mers, à une très grande distance des côtes, des plages entieres couvertes de pierres-ponces qui venoient probablement des volcans des îles & de la terre-ferme, voyez Volcan & Pierre-ponce, & qui paroissent avoir été emportées au milieu de la mer par de courans. Ce fut un indice de cette nature qui fit soupçonner la communication de la mer des Indes avec notre Océan, avant qu’on l’eût découverte. (O)

Marées, (Marine.) Les Marins nomment ainsi le tems que la mer emploie à monter & à descendre, c’est-à-dire, le flux & le reflux qui est une espece d’inondation de la part de la mer deux fois le jour.

Les eaux montent environ pendant six heures ; ce mouvement qui est quelquefois assez rapide, & par lequel la mer vient couvrir les plages, se nomme le flux ou le flot. Les eaux, lorsqu’elles sont parvenues à leur plus grande hauteur, restent à peine un demi quart-d’heure dans cet état. La mer est alors pleine ou elle est étale. Elle commence ensuite à descendre, & elle le fait pendant six heures qui forment le tems du reflux, de l’ébe, ou de jusan. La mer en se retirant, parvient à son plus bas terme qu’on nomme bassé-mer, & elle remonte presque aussi-tôt.

Chaque mouvement de la mer n’est pas précisément de six heures : elle met ordinairement un peu plus à venir & un peu plus à s’en retourner. Ces deux mouvemens contraires sont même considérablement inégaux dans certains ports : mais les deux ensemble sont toujours plus de douze heures ; ce qui est cause que la pleine mer où chaque marée ne se fait pas à la même heure tant le soir que le matin, elle arrive environ 24 minutes plus tard. Et d’un jour à l’autre, il se trouve environ 48 minutes de retardement ; c’est-à-dire, que s’il est pleine mer aujourd’hui dans un port à 9 heures du matin, il n’y sera pleine mer ce soir qu’à 9 heures 24 minutes, & demain à neuf heures quarante-huit minutes du matin, & le soir à 10 heures 12 minutes. C’est aussi la même chose à l’égard des basses-mers, elles retardent également d’un jour à l’autre de 48 minutes, & du matin au soir de 24 minutes.

Ce retardement étant connu, on peut, si l’on a été attentif à l’instant de la marée un certain jour, prévoir à quelle heure il sera pleine mer dans le même port un autre jour, & faire ses dispositions à-propos pour sortir du port ou y entrer ce jour-là. Chaque jour les marées retardent de 48 minutes ; ainsi en 5 jours, elles doivent retarder de 4 heures, ce qui donne la facilité de trouver leur retardement à proportion pour tout autre nombre de jours. Elles doivent retarder de 8 heures en 10 jours, & de 12 heures en 15 jours. Or il suit de-là que les marées reviennent exactement aux mêmes heures dans les quinze jours ; mais que celles qui se faisoient le matin, se font le soir, & celles qui arrivoient le soir, se font le matin : à la fin de quinze autres jours elles reprennent leur premier ordre.

Les marées sont plus fortes de quinze jours en quinze jours, c’est ce qui arrive à toutes les nouvelles & pleines lunes. On donne le nom de grandes eaux à ces plus fortes marées : on les nomme aussi malines ou reverdies. Dans les quadratures, c’est-à-dire aux premier & dernier quartiers, la mer monte moins, & elle descend aussi moins, c’est ce qu’on nomme les mortes eaux. Et la différence de hauteur entre les mortes eaux & les malines, va quelquefois à la moitié : ce que l’on doit savoir pour entrer ou sortir d’un port. En général, les marées du matin & du soir ne sont pas également fortes ; mais ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que l’ordre de ces marées change au bout de six mois ; c’est-à-dire, que si ce sont les marées du matin qui sont actuellement les plus fortes, comme cela ne manque pas d’arriver ; en hiver, en six mois ou un peu plus, elles seront les plus foibles. Ce sont effectivement les marées du soir qui sont les plus fortes en été. Mais au-bout de six mois, les plus fortes marées deviennent les plus foibles, & les plus foibles deviennent les plus fortes.

Au surplus, les malines n’arrivent pas précisément les jours des nouvelles & pleines lunes, mais un jour & demi ou deux jours après. Les plus petites marées ou les mortes-eaux ne concourent pas non-plus exactement avec les quadratures ; elles tombent un jour & demi plus tard. Après qu’elles ont été fort grandes un ou deux jours après la nouvelle ou la pleine lune, elles vont en diminuant jusqu’à un jour & demi après la quadrature, & elles augmentent ensuite jusqu’à la pleine ou nouvelle lune suivante.

On a vû ci-devant que les marées retardoient chaque jour de 48 minutes, & qu’elles ne revenoient aux mêmes heures que de 15 jours en 15 jours. Il est pleine mer sur toute une étendue de côte à la même heure. Mais selon que les ports sont plus ou moins retirés dans les terres, ou que leur ouverture est plus ou moins étroite, la mer emploie plus ou moins de tems pour s’y rendre, & il y est pleine mer plus tôt ou plus tard. Chaque port a donc son heure particuliere ; outre que cette heure est différente chaque jour, il a été naturel de considérer plus particulierement les marées des nouvelles & pleines lunes, & d’y rapporter toutes les autres. On nomme établissement cette heure à laquelle il est pleine mer, lorsque la lune est vis-à-vis du soleil, ou qu’elle se trouve à l’opposite. Par exemple, à Brest, l’établissement des marées est à 3 heures 30 minutes ; au lieu qu’au Havre-de-grace, il est à 9 heures, parce qu’il est pleine mer à ces heures-là les jours de nouvelle & pleine lune.

Il est bon de remarquer que les pilotes sont assez dans l’usage d’exprimer l’établissement des ports, par les rumbs de vent de la boussolle. Ils se servent du nord & du sud pour indiquer 12 heures ; ils indiquent 6 heures par l’est & l’ouest, 3 heures par le sud-est & nord-ouest, & ainsi des autres. Cet usage qui s’est introduit dans plusieurs livres, n’est propre qu’à induire en erreur les personnes peu instruites, en leur faisant croire que ces prétendus rumbs de vent qui désignent l’établissement des marées, ont rapport à la direction des rivieres, ou aux régions du monde, vers lesquelles les entrées des ports sont exposées. Il n’est pleine mer plus tard à Nantes qu’au bas de la Loire, que parce que cette ville est considérablement éloignée de la côte, & qu’il faut du tems au flux pour y faire sentir son effet.

Tout ce qu’on vient de dire sur les marées, est tiré du nouveau traité de Navigation, publié par M. Bouguer en 1753, auquel on peut avoir recours pour de plus grands détails. On ajoute ici une table de quelques côtes & ports de l’Europe, où l’heure de la pleine mer est marquée, les jours de la nouvelle lune & de la pleine, & à la suite une table du retardement des marées.

Tables des côtes & ports de l’Europe où l’heure de la pleine mer arrive le jour de la nouvelle & pleine lune.
France.
A Saint-Jean de Luz, à Bayonne, à 3 h. 30′.
A la côte de Guyenne & Gascogne, 3 0.
Côtes de Saintonge & d’Aunis
A Royan, à Brouage, à la Rochelle, à l’embouchure de la Charente, 3 45.
A l’île de Ré & dans les pertuis bretons & d’Antioche, 3.
Côtes de Poitou.
Dans toute la côte de Poitou, 3.
A Olonne, 3 15.
A l’Ile-Dieu, 3.
Côtes de Bretagne.
A l’embouchure de la Loire, 3 15.
A Pembœuf, 5 15.
A Morbian, Port-Louis, Concarnaux, & toute la côte du sud de Bretagne, 3.
A Vannes, à Auray, 3 45.
A la Roche-Bernard, 4 30.
A Belleisle, 1 30.
A Pennemarck, Audierne, 2 15.
A la rade de Brest, 3 15.
A la rade de Bertaume, 3.
Entre Ouessant & la terre-ferme, & dans le passage de l’Iroise, 3 45.
Au Conquet, 2 15.
A Abbreverak, 3 30.
A l’ile de Bas, 5 13.
A Saint Pol de Léon & à l’embouchure de la riviere de Morlaix, 4.
Aux sept îles, 5.
A Saint-Malo & Cancale, 6.
Côtes de Normandie.
A Grandville, 6 45.
A l’anse de Vauville, 6 30.
A Cherbourg, 7 30.
A la Hougue, 8 15.
A Honfleur, à l’embouchure de la Seine, au Havre de Grace, 9.
A Fécamp, à S. Valery en Caux, 9 45.
A Dieppe & à Tréport, 10 30.
Côtes de Picardie.
Dans toute la côte depuis Treport jusqu’à Ambleteuse, 11.
A Calais, 11 30.
Dans le pas de Calais, 3 45.
A Dunkerque, Nieuport & Ostende, 12.
En Flandres.
Dans le canal entre l’Angleterre & la Flandres, 3.
En Hollande.
A l’Ecluse & à Flessingue, 2 30.
Dans les îles de Zélande, 1.
Dans le Texel, 7 30.
Hors le Texel à la côte, 6.
A Amsterdam, à Roterdam & à Dor drecht, 3.
En Angleterre.
Aux Sorlingues & à la pointe occidentale d’Angleterre, 4 30.
A l’entrée de la Manche, 3.
A Montboy, 5.
Aux côtes près le cap Lezard, 7.
A Falmouth, 5 30.
A Faure, à Plimouth & à Darmouth, 5 45.
A la côte, près le cap Goustard, 7
A Torbay & à Exmouth, 5 15.
A Portland & à Weymouth, 8 30.
Le long de la côte, depuis Portland jusqu’à l’île de Wight, 9.
Dans la rade de Sainte-Hélene, 10 30.
A Portsmouth & Hampton, 11.
Dans toute la côte, depuis l’île de Wigth jusqu’à Douvres, 11 30.
A Douvres, 12.
Dans la rade des Dunes, 11.
A Douvres, 12.
Dans la rade des Dunes, 11.
A l’embouchure de la Tamise, 12.
Depuis la Tamise jusqu’à Yarmouth, le long de la côte, 10.
En Irlande.
Dans toute la côte de l’ouest, 4.
Aux îles Blaques, 3.
A Dingle, 3 30.
Dans la baie de Bantry, 4 30.
A Baltimont, à Rosse, & à Kingsale, 5 15.
A Kork, 5 15.
A Waterfort & le long de la côte, 6 30.
A Wiclo, 7 30.
A Dublin, 9.
A la côte du nord d’Irlande, 6 30.
En Espagne.
A Cadix & par toute la côte voisine, 1 30.
En Portugal.
A Lagos, 3.
A Setuval, 4 15.
Dans le port de Lisbonne, 3 30.
Dans toute la côte depuis Lisbonne jusqu’au cap Finistere, 3.

Il est inutile d’étendre cette table ; ce qu’on vient de voir suffit pour l’intelligence de ce que nous avons dit ci-devant sur l’établissement des marées dans un port. Il ne nous reste plus que la table du retardement des marées, qu’on va donner.

Table du retardement des marées.
Anticipation Retard
H. M. H. M.
Jours
avant la
nouvelle
lune.
Jours
avant la
quadra-
ture.
7 7
6 5 22 6 0 54
4 42 1 11
5 4 4 5 1 28
3 34 1 46
4 2 58 4 2 3
2 29 2 21
3 2 4 3 2 40
2 1/2 1 39 3 1
2 1 17 2 3 21
0 57 3 44
1 0 37 1 4 9
0 18 4 37
0
Retard
0 5 6
Jours
depuis la
nouvelle
& pleine
lune.
0 17 Jours
après la
quadra-
ture.
5 39
1 0 36 1 6 19
0 54 6 58
2 1 11 2 7 37
1 28 8 14
3 1 46 3 8 47
2 3 9 17
4 2 21 4 9 4
2 40 10 9
5 3 1 5 10 21
3 21 10 53
6 3 4 6 11 13
7 7

Cette table sert aussi pour trouver l’établissement d’un port, lorsqu’on y aura observé l’heure de la marée.

Un certain jour la table marquera la quantité du retardement de l’anticipation pour le jour de l’observation, & elle la donnera toujours par rapport à l’heure de l’établissement ; ainsi il n’y aura qu’à ôter le retardement, ou ajouter l’anticipation à l’heure qu’on aura observée, & on aura l’heure de la pleine mer pour le jour de la nouvelle & pleine lune.

On observe, par exemple, la pleine mer à 10 heures 20 minutes dans un certain port un demi jour avant la nouvelle lune.

On consulte la petite table qui apprend qu’un demi jour donne 18 minutes d’anticipation, ou que la pleine mer doit arriver 18 m. plutôt à cause du demi jour, on aura donc 10 h. 38 m. pour l’établissement.

Supposons, pour second exemple, que deux jours & un quart avant une des quadratures, on observe qu’il est pleine mer dans un port à 5 heures 40 minutes, on trouvera dans la table 3 heures 11 minutes pour le retardement ; d’où il s’en suivra que la mer aura été pleine le jour de la nouvelle ou pleine lune à 2 h. 29 m., & ce sera l’établissement requis.

Marées qui portent au vent, sont des marées qui vont contre le vent.

Marées & contremarées, ce sont des marées qui se rencontrent en venant chacuns d’un côté, & qui forment souvent des courans rapides & dangereux, qu’on appelle des ras.

Marées qui soutiennent, expression qui signifie qu’un vaisseau faisant route au plus près du vent, & ayant le courant de la marée favorable, se trouve soutenu par la marée contre les lames que pousse le vent ; ensorte que le vaisseau va plus facilement où il veut aller. Article de M. Belin.