L’Encyclopédie/1re édition/MEUTE

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MEUTE, s. f. (Vénerie.) c’est un assemblage de chiens-courans destinés à chasser les bêtes fauves ou carnassieres, cerfs, sangliers, loups, &c. Pour mériter le nom de meute, il faut que l’assemblage soit un peu nombreux. Cinq ou six chiens-courans ne font pas une meute : il en faut au-moins une douzaine, & il y a des meutes de cent chiens & plus.

Pour réunir l’agrément & l’utilité, les chiens qui composent une meute doivent être de même taille, & ce qu’on appelle du même pié, c’est-à-dire qu’il ne faut pas qu’il y ait d’inégalité marquée entr’eux pour la vîtesse & le fonds d’haleine. Un chien de meute trop vîte est aussi défectueux que celui qui est trop lent, parce que ce n’est qu’en chassant tous ensemble que les chiens peuvent s’aider, & prendre les uns dans les autres une confiance d’où dépend souvent le succès de la chasse. D’ailleurs le coup d’œil & le bruit sont plus agréables lorsque les chiens sont rassemblés. Les chasseurs qui veulent louer leur meute, disent qu’on la couvriroit d’un drap. Mais c’est un éloge que certainement il ne faut jamais prendre à la lettre.

On parvient à avoir des chiens de même taille & du même pié, par des accouplements dirigés avec intelligence, & en réformant sévérement tout ce qui est trop vîte ou trop lent. En général on chasse plus sûrement avec une meute un peu pesante. La rapidité du train ne laisse pas le tems de goûter la voie au plus grand nombre des chiens. Ils s’accoutument à ne crier que sur la foi des autres, à ne faire aucun usage de leur nez. Par-là ils sont incapables de se redresser eux-mêmes lorsqu’ils se sont fourvoyés, de garder le change, de relever un défaut. Ils ne servent à la chasse que par un vain bruit qui même fait souvent tourner au change une partie des autres chiens & des chasseurs.

Les soins nécessaires pour se procurer & entretenir une bonne meute, doivent précéder la naissance même des chiens, puisqu’on n’obtient une race qui ne dégénere pas, qu’en choisissant avec beaucoup d’attention les sujets qu’on veut accoupler.

Lorsque les petits sont nés, on leur donne des nourrices au-moins pendant un mois. Quand ils sont parvenus à l’âge de six, on juge de leur forme extérieure, & on réforme ceux dont la taille, autant qu’on peut le prévoir, s’accorderoit mal avec celle des autres chiens de la meute. Lorsqu’ils ont à-peu-près quinze mois, il est tems de les mener à la chasse. On les y prépare en les accoutumant à connoître la voix, & à craindre le foüet soit au chenil, soit en les menant à l’ébat, soit en leur faisant faire la curée avec les autres.

Il seroit presqu’impossible de former une meute toute composée de jeunes chiens.

Leur inexpérience, leur indocilité, leur fougue donneroient à tout moment dans le cours de la chasse, occasion à des désordres qui augmenteroient encore ces mauvaises qualités par la difficulté d’y remédier. Il est donc presque indispensable d’avoir d’abord un fonds de vieux chiens déja souples & exercés. Si on ne peut pas s’en procurer, il faut en faire dresser de jeunes par pelotons de quatre ou cinq, parce qu’en petit nombre ils sont plus aisés à retenir.

Lorsque les jeunes chiens sont accoutumés avec les autres, qu’on les a menés à l’ébat ensemble, qu’on leur a fait faire la curée, qu’ils sont accoutumés à marcher couplés, on les mene à la chasse. Il faut se donner de garde de mêler ces jeunes chiens avec ceux qui sont destinés à attaquer. Dans ces premiers momens de la chasse, il ne faut que des chiens sûrs, afin qu’on puisse les rompre aisément pour les remettre ensemble, & faire tourner toute la meute à l’animal qu’on veut chasser. On garde donc les jeunes chiens pour les premiers relais. Encore ne faut-il pas les y mettre seuls. On gâteroit tout si l’on en découploit un trop grand nombre à-la-fois. Lorsque l’animal qu’on chasse est un peu échauffé, & qu’il commence à laisser sur la terre & aux portées un sentiment plus fort de son passage, on cherche l’occasion de donner un relais. Ce moment est souvent celui du désordre, si on ne le donne pas avec précaution. Il faut premierement laisser passer les chiens de meute. Ensuite on découple lentement ceux du relais, en commençant par les moins fougueux, afin que ceux qui le sont le plus, ayent le tems de s’essouffler avant de rejoindre les autres. Sans cela des chiens jeunes & pleins d’ardeur s’emporteroient au-delà des voies, & on auroit beaucoup de peine à les redresser. Lorsque les jeunes chiens ont chassé pendant quelque tems, & qu’on est assuré de leur sagesse, ce sont eux dont on se sert pour attaquer, parce qu’ayant plus de vigueur que les autres, ils sont plus en état de fournir à la fatigue de la chasse toute entiere. Un relais étant donné, les piqueurs doivent s’attacher à ramener à la meute les chiens qui pourroient s’en être écartés. Pour faciliter cet ameutement, il est nécessaire d’arrêter souvent sur la voie, & de-là résultent divers avantages.

L’objet de la chasse est de prendre sûrement la bête que l’on suit, & de la prendre avec certaines conditions, d’où résulte un plus grand plaisir. Or pour être sûr, autant qu’il est possible, de prendre la bête qu’on a attaquée, il faut que les chiens soient dociles, afin qu’on puisse aisément les redresser : il faut que le plus grand nombre ait le nez fort-exercé, pour garder le change, c’est-à-dire, distinguer l’animal chassé d’avec tout autre qui pourroit bondir devant eux : il faut encore qu’ils soient accoutumés à chasser des voies froides, afin que s’il arrive un défaut, ils puissent rapprocher l’animal & le relancer. Lorsqu’une meute n’a pas cette habitude, qu’on pique au premier chien, & qu’on veut étouffer l’animal de vitesse, au lieu de le chasser régulierement, on manque souvent son objet : le moindre défaut qui laisse refroidir les voies, n’est plus réparable, surtout lorsque le vent de nord-ouest souffle, ou que le tems est disposé à l’orage, les chiens ayant moins de finesse de nez, la voie une fois perdue ne se retrouve plus. On ne court pas ces risques, à beaucoup près au même degré, avec des chiens accoutumés à chasser des voies un peu vieilles ; mais on ne leur en fait prendre l’habitude qu’en les arrêtant souvent lorsque le tems est favorable, & qu’on peut juger en commençant la chasse, que les chiens emporteront bien la voie. Ces arrêts répétés donnent aux chiens écartés le tems de se rameuter. Ils les mettent dans le cas de faire usage de leur nez, de gouter eux-mêmes la voie, & de s’en assurer de maniere à ne pas tourner au change. Le bruit qui n’est pas un des moindres agrémens de la chasse, en augmente : les chasseurs se rassemblent, le son des trompes, les cris des veneurs & des chiens donnent ainsi dans le cours d’une chasse différentes scenes qui deviennent plus chaudes à mesure que les relais se donnent, & que l’animal perd de sa force. Ces momens vifs & gradués préparent & amenent enfin la catastrophe, la mort tragique & solemnelle de l’animal. C’est donc par la docilité qu’on amene les chiens d’une meute à acquérir toutes les qualités qui peuvent rendre la chasse agréable & sûre. Ils y gagnent, comme on voit, du côté de la finesse du nez, & de son usage ; mais cette qualité est toujours inégale parmi les chiens, malgré l’éducation ; & il en est quelques-uns que la nature a doués d’une sagacité distinguée : ceux-là ne changent jamais, quoi qu’il arrive. Le cerf a beau s’accompagner & se mêler avec une troupe d’autres animaux de son espece, ils le démêlent toujours, & en reconnoissent la voie à travers les voies nouvelles, de sorte qu’ils chassent hardiment lorsque les autres chiens aussi sages, mais moins françs, balancent & semblent hésiter. On dit que ces chiens supérieurs sont hardis dans le change. Les piqueurs doivent s’attacher à les bien connoitre, parce qu’ils peuvent toujours en sûreté y rallier les autres.

La plûpart des avantages qu’une meute puisse réunir, dépendent, comme on voit, de la docilité des chiens. Avec une meute sage, la chasse n’a presque point d’inconvéniens qu’on ne prévienne ou qu’on ne répare. Il faut que la voix du piqueur enleve toujours sûrement les chiens, qu’il soit le maître de les redresser lorsqu’ils se fourvoyent, & que lorsqu’ils le suivent, il n’ait rien à craindre de leur impatience. L’usage de mener les chiens couplés lorsqu’on va frapper aux brisées, annonce une défiance de leur sagesse, qui ne fait pas d’honneur à une meute. Il est très-avantageux de les avoir au point de docilité où ils suivent le piqueur posément & sans desir de s’échapper, parce qu’alors on attaque sans étourderie, & qu’on évite un partage de la meute qui est très-ordinaire au commencement des chasses. Il est toujours possible d’arriver à ce degré, lorsqu’on en prend la peine. L’alternative de la voix & du fouet est un puissant moyen, & il n’est point de fougue qui résiste à l’impression des coups répétés. Les autres soins qui regardent la meute, consistent à tenir propres le chenil & les chiens, à leur donner une nourriture convenable & réglée, à observer avec le plus grand soin les chiens qui paroissent malades, pour les séparer des autres. Voyez Piqueur & Vénerie.