L’Encyclopédie/1re édition/MINOTAURE

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MINOTAURE, (Mythol.) monstre moitié homme, moitié taureau, qui étoit le fruit d’un infâme amour de Pasiphaé...... Je m’arrête ici, car personne n’ignore ce que la fable raconte du Minotaure, de Neptune, de Pasiphaé, de Minos, de la guerre qu’il soutint contre les Athéniens, de son fils Androgée, de Thesée, de Dédale & du labyrinthe de Crete ; on sait dis-je par cœur, toutes ces fictions fabuleuses, mais on ne sait pas assez les faits historiques, qui leur ont donné naissance. Exposons les en peu de mots.

Pasiphaé femme de Minos II. roi de Crete, avoit pris de l’inclination pour Taurus, que quelques-uns font l’un des secrétaires de Minos, & d’autres l’un de ses lieutenans généraux ; Dédale favorisa leurs amours, il leur procura la liberté de se voir, il leur prêta même sa maison. Pasiphaé étant accouchée d’un fils, que les auteurs nomment Astérius ou Astérion, comme le pere en étoit incertain, & qu’on pouvoit croire ce fils de Taurus, aussi-bien que de Minos, on l’appella Minotaure.

Dédale, complice des amours de la reine, encourut l’indignation de Minos, qui le fit mettre en prison ; Pasiphaé l’en tira en lui faisant donner un vaisseau, où Dédale s’étant embarqué, pour échapper à la colere du roi & à la flotte qui le poursuivoit, il s’avisa de mettre une voile & des vergues ou antennes au bout d’un mât ; Icare sur un autre bâtiment, ne sçut pas le gouverner, il fit si bien naufrage, que le flot ayant porté son corps dans une île proche de Samos, Hercule qui s’y trouva par hasard, lui donna la sépulture. Voilà tout le fondement de la fable de Pasiphaé, qui s’enferme dans une vache d’airain, pour avoir commerce avec un taureau ; de-là la naissance de ce monstre qui a fait tant de bruit sous le nom de Minotaure, & du prétendu secret que trouva Dédale, de fendre l’air avec des aîles comme un oiseau.

Minos auroit passé pour un des plus grands princes de son tems, sans la malheureuse avanture qui troubla la paix de ses états, & ternit sa réputation. L’envie qu’il eut de vanger la mort de son fils Androgée, tué dans l’Attique par la faction des Pallantides, lui fit déclarer la guerre aux Athéniens, dont il ravagea le pays. Le tribut qu’il leur imposa attira Thesée dans l’île de Crete, où après la défaite de Minotaure, il enleva la belle Arianne.

Enfin les désordres de Pasiphaé ayant éclaté, mirent le comble aux malheurs domestiques de Minos. Il poursuivit Dédale en Sicile, où regnoit Cocalus ; mais les filles de ce monarque, touchées du mérite de Dédale, concerterent de lui sauver la vie, aux dépens de celle de Minos. Un jour que ce prince étoit dans le bain, elles lui firent mettre l’eau si chaude, qu’il y fut suffoqué ; & sa mort passa pour naturelle.

Ainsi périt dans une terre étrangere Minos II, qui auroit tenu une place honorable dans l’histoire, sans la haine qu’Athènes avoit conçue contre lui ; tant il est dangereux, dit Plutarque, d’offenser une ville savante qui a, dans les ressources de son esprit, des moyens de se vanger. La mémoire de Minos étoit odieuse aux Athéniens, à cause du tribut également cruel & humiliant qu’il leur avoit imposé. Les autres grecs embrasserent leur cause, pour travestir l’histoire de Minos, & la crayonner des couleurs les plus noires.

Les poëtes ensuite, qui ne prenoient aucun intérêt à Minos, ne manquerent pas d’employer la fable inventée & accréditée par les Athéniens, comme une matiere qui pouvoit leur fournir de belles peintures, & même de grands sentimens ; témoins ces vers de Virgile.

Hic crudelis amor tauri, suppostaque furto
Pasiphae, mistumque genus, prolesque biformis
Minotaurus inest, veneris monimenta nefandæ.

Æneid. lib. VI.

Et ces autres où il parle d’Icare :

Tu quoque magnam
Partem opere in tanto, sineret dolor, Icare, haberes,
Bis conatus erat casus effingere in auro,
Bis patriæ cecidere manus.

Je supprime à regret, les ingénieuses descriptions d’Ovide ; car quoi qu’en disent quelques modernes, la fable, la fiction, & tout ce qui est du ressort de l’imagination, sera toûjours l’ame de la Poésie. Le prétendu esprit philosophique, dont on s’applaudit tant aujourd’hui, a beau rejetter ces ornemens, ils seront toûjours précieux aux grands poëtes ; & ceux qui veulent qu’en vers la raison parle toûjours à la raison, montrent par-là même qu’ils n’ont ni la connoissance, ni le talent de la vraie poésie.

Les innocens mensonges dont Homere, Virgile, le Tasse & l’Arioste, ont rempli leurs poëmes, plaisent à tous ceux qui ont quelque goût ; & ne trompent personne, parce qu’on doit les regarder comme des peintures ingénieuses, des allégories, ou des emblèmes, qui cachent quelquefois un fait historique ; quelquefois aussi :

Le doux charme de maint songe,
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité.

(D. J.)