L’Encyclopédie/1re édition/MISITRA

La bibliothèque libre.

MISITRA, (Géog. anc. & mod.) ville de la Morée, dans les terres auprès d’une petite montagne, branche du Taygete des anciens, & d’une petite riviere du même nom qui se décharge dans le Vasilipotamos.

Misitra, ou du-moins son fauxbourg, est l’ancienne Sparte, cette ville si célebre dans le monde. Le nom de Misitra lui a été donné sous les derniers empereurs de Constantinople, à cause des fromages de ses environs qu’on appelle vulgairement misitra.

Cette ville n’a plus, à beaucoup près, les 48 stades que Polybe donnoit à l’ancienne Lacédémone. Misitra est divisée en quatre parties détachées, le château, la ville & deux fauxbourgs ; l’un de ces fauxbourgs se nomme Mesokorion, bourgade du milieu, & l’autre Enokorion, bourgade du dehors.

La riviere Vasilipotamos passe encore aujourd’hui à l’orient de la ville comme autrefois. Elle ne fait en été qu’un ruisseau ; mais en hiver, elle est comme le bras de la Seine à Paris devant les Augustins.

Le château n’est pas celui de l’ancienne Lacédémone, dont on voit encore quelques masures sur une colline opposée ; c’est l’ouvrage des despotes, sous le déclin de l’empire.

Il y a une mosquée dans le Mesokorion, deux bazars & une fontaine qui jette de l’eau par des tuyaux de bronze. C’est la fontaine Dorcea, aussi fameuse à Sparte que l’Ennéacrunos l’étoit à Athènes.

En abordant à Misitra, on n’oublie point de prendre son Pausanias à la main, pour l’examiner. Cet auteur ayant passé le pont qui est sur l’Eurotas, entre dans le Plataniste, qui est à la rive droite de ce fleuve, & que l’on voit encore. Il monte ensuite dans la ville, où il trouve le temple de Lycurgue ; il suit, il décrit tous les autres temples qui sont sur sa route. Il voit & décrit le palais des anciens rois, leurs tombeaux, & le théatre dont la beauté le surprend. Toutes ces choses sont abattues, & les princes paléologues n’ont laissé de tous ces édifices que quelques fondemens.

De tant de temples autrefois consacrés à Diane dans Sparte, à peine en trouve-t-on le terrein. Pallas en avoit sept ou huit pour sa part, entre lesquels, celui qu’on surnommoit Chalciœcos, étoit le plus célebre de toute la Grece. Il n’en reste pas le moindre vestige.

Les ruines du temple de Vénus armée sont à l’orient de Misitra. On voyoit autrefois aux environs de ce temple le Cœnotaphe de Brasidas, & près de ce Cœnotaphe les tombeaux de Pausanias & de Léonidas. Près de ces tombeaux étoit le théâtre de Lacédémone, dont il reste à peine quelques fragmens de colonnes. On y chercheroit en vain la place du temple de Cérès qui n’étoit pas loin delà.

Autrefois toute l’enceinte de l’Agora étoit embellie des statues superbes, de tombeaux célebres, ou de tribunaux majestueux. On y voyoit un temple dédié à Jules César, & un autre à Auguste. Il y en avoit de consacrés à Apollon, à la Terre, à Jupiter, aux Parques, à Neptune, à Minerve, à Junon ; il ne reste plus de traces d’aucun de tous ces édifices.

Il n’y en a pas davantage du Gérosia, c’est-à-dire du tribunal des vingt-huit gérontes, ni du tribunal ces éphores, ni de celui des bidiaques qui avoient l’œil sur la discipline des enfans, ni finalement des nomophylaces ou interpretes des lois de Lycurgue. Tout ce qu’on peut en juger, c’est que le terrein est occupé par le serrail de Mula, par la prison publique & par des jardins.

La rue du grand Bazar est la fameuse rue, qu’on appelloit Aphétars. Ulysse contribua à la rendre célebre, quand elle lui servit de carriere pour disputer à la course la possession de Pénélope contre ses rivaux.

On sortant de Misitra pour aller du côté du pont de pierre, qu’on nommoit autrefois le Babica, on trouve une grande plaine bornée à l’orient par la riviere & à l’occident par le Mézocorion. C’est-là que sont le Plataniste & le Dromos. Il ne reste de ce dernier que des amas de pierres bouleversées. A l’égard du Plataniste, la nature y produit encore des platanes à la place de ceux de l’antiquité. La riviere s’y partage en plusieurs bras ; mais on n’y sauroit plus discerner celui qui se nommoit l’Euripe, c’est-à-dire ce canal qui formoit l’île fameuse, où se donnoit tous les ans le combat des Ephebes.

A une portée de mousquet de l’Enokorion, on découvre au nord une colline où sont des vignobles qui produisent le meilleur vin de la Morée. C’est le même terroir où Ulysse planta lui-même une vigne, lorsqu’il alla chercher Pénélope à Lacédémone.

Mahomet II. a établi à Misitra un bey, un aga, un vaivode, & quatre gérontes. Le bey est gouverneur de la Zaconie, & indépendant du bacha de la Morée. L’aga commande la milice du pays. Le vaivode est comme un prevôt de maréchaussée. Ces trois charges sont exercées par des Turcs. Celles des gérontes sont possédées par des Chrétiens d’entre les meilleures familles greques de Misura. Ils font l’assiette & la levée du tribut pour les mêles, qu’on paye au sultan. Les femmes, les caloyers & les papas ne payent rien. Ce tribut est de quatre piastres & demi par tête dès le moment de sa naissance ; oppression particuliere à la Zaconie, & mauvaise en bonne politique : aussi l’argent est si rare dans le pays, que le peuple n’y vit que par échange de ses denrées. Le reste du trafic se fait par les mains des Juifs, qui composent la plus grande partie des habitans : ils ont à Misitra trois synagogues. Les caloyeres ou les filles consacrées à la Panagia y possedent un monastere bien bâti.

Enfin Misitra n’est plus recommandable que par ses filles greques qui sont jolies, & par ses chiens qui sont excellens ; c’est tout ce qu’elle a conservé de l’ancienne Sparte. Mais il ne faudroit pas faire aux Grecs de cette ville la même question qu’on fit autrefois à leur compatriote Léotichidas, ni attendre d’eux une aussi sage réponse que celle qu’il fit quand on lui demanda pourquoi les Lacédémoniens étoient les seuls d’entre les Grecs qui aimoient si peu à boire : afin, dit-il, que nous disposions toujours de nous comme nous voudrons, & que les autres n’en disposent jamais comme il leur plaira.

M. Fourmont, dans son voyage de Grece en 1729, dit avoir ramassé à Misitra des inscriptions de conséquence, mais il n’en a publié aucune.

Cette ville est sur la riviere ou le ruisseau de Visilipotamos, à 40 lieues S. O. d’Athènes, à 37 S. E. de Lépante, à 150 S. O. de Constantinople. Long. 40. 20. latit. 35. 26. (D. J.)