L’Encyclopédie/1re édition/MULOT

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MULOT, s. m. (Hist. nat.) animal quadrupede, qui a beaucoup de rapport avec la souris, cependant il est un peu plus gros ; il a la tête à proportion beaucoup plus grosse & plus longue, les yeux plus grands & plus saillans, les oreilles plus allongées & plus larges, & les jambes plus longues. Toutes les parties du corps de cet animal sont de couleur fauve mêlée d’une teinte noirâtre ; les parties inférieures sont blanchâtres. Les mulots sont très communs, sur-tout dans les terres élevées. On en trouve de différentes grandeurs : les plus grands ont quatre pouces & plus de longueur depuis le bout du nez jusqu’à l’origine de la queue, les autres ont jusqu’à un pouce de moins. Tous ces animaux se retirent dans des trous qu’ils trouvent faits ou qu’ils font eux-mêmes sous des buissons & des troncs d’arbres ; ils y amassent une grande quantité de glands, de noisettes ou de fêve ; on en trouve jusqu’à un boisseau dans un seul trou. On voit moins de mulots au printems qu’en autonne ; lorsque les vivres leur manquent, ils se mangent les uns les autres. Le mulot produit plus d’une fois par an ; chaque portée est de neuf ou dix. Il est généralement répandu dans toute l’Europe. Il a pour ennemis les loups, les renards, les martes, les oiseaux de proie, & lui-même. Hist. nat. gen. & part. tome VIII. pag. 325. & suivantes. Voyez Quadrupede.

On n’imagine pas à quel point les mulots sont nuisibles aux biens de la terre. Ils habitent seuls, souvent deux, quelquefois trois ou quatre dans un même gite. M. de Buffon avoit semé quinze à seize arpens de glands en 1740, les mulots enleverent tous ces glands & les emporterent dans leurs trous. On découvrit ces trous, & l’on trouva dans la plûpart un demi-boisseau & souvent un boisseau de glands, que ces animaux avoient ramassé pour vivre pendant l’hyver. M. de Buffon fit dresser dans cet endroit un grand nombre de piéges, où pour toute amorce on mit une noix grillée, & en moins de trois semaines on prit treize cens mulots, tant ces rats de campagne sont redoutables par leur nombre, par leur pillage, & par leur prévoyance à entasser autant de glands qu’il en peut entrer dans leurs trous.

Ils ravagent souvent les champs & les prés de la Hollande, mangent l’herbe des pâturages, & au défaut d’herbe, montent sur les arbres & en rongent les feuilles & le fruit. M. Musschenbroek rapporte, que le nombre de ces animaux étoit si grand en 1742, qu’un paysan en tua pour sa part cinq à six mille. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui, & ce n’est pas dans nos seuls climats que les mulots désoloient le monde. Il faut qu’ils ayent fait autrefois de furieux dégats à Tenédos, puisque Strabon parle d’un des temples de cette île, dédié par cette raison à Apollon Sminthien. Qui croiroit qu’Apollon eût reçu ce surnom à l’occasion des mulots ? On les a pourtant représentés sur les médailles de l’île, & l’on sait que les Crétois, les Troïens, les Eoliens les appelloient σμινθοι. Elien rapporte qu’ils faisoient de si grands ravages dans les champs des Troïens & des Eoliens, qu’on eut recours à l’oracle de Delphes ; la réponse porta qu’ils en seroient délivrés s’ils sacrifioient à Apollon Sminthien.

Nous avons deux médailles de Ténédos sur lesquelles les mulots sont gravés, l’une a la tête radiée d’Apollon avec un mulot, & le revers représente la hache à double tranchant ; l’autre médaille est à deux têtes adossées, le revers montre la même hache élevée, & deux mulots placés tout au-bas du manche. Strabon ajoûte qu’on avoit sculpté un mulot auprès de la statue d’Apollon, qui étoit dans le temple de Crysa, pour expliquer la raison du surnom de Sminthien qu’on lui avoit donné, & que même cet ouvrage étoit de la main de Scopas, ce sculpteur de Paros, si célebre dans l’histoire. (D. J.)