L’Encyclopédie/1re édition/MUREX
MUREX, (hist. nat. Conchyl.) coquillage dont le nom se rend souvent en françois par celui de rocher ; mais nous avons mieux aimé lui conserver son nom de murex. Obtinuit nomen muricis hæc concha ob figuram quæ reproesentat saxorum aspera ; eadem pariter voce exprimitur bellica clava ferreis aculeis horrida quam eximiè refert testa admodum crassa, tuberculisque horrida & aspera propè summitatem, à latere dextero fulcata & aurita ; de sorte que murex & tribulus signifient la même chose ; tribulus veut dire chausse-trape, cheval de frise, terme de fortification.
Le murex est une coquille univalve, garnie de pointes & de tubercules, avec un sommet chargé de piquans, quelquefois élevé, quelquefois applati ; la bouche toujours alongée, dentée, édentée ; la lèvre aîlée, garnie de doigts, repliée, déchirée ; le fût ridé, quelquefois uni.
Quoique le caractere générique des murex soit d’avoir la bouche oblongue, garnie de dents, & tout le corps couvert de pointes ou de boutons, avec une tête élevée, & une base alongée, on y remarque encore quatre caracteres spécifiques qui déterminent des especes essentielles dans ce genre : 1°. le murex qui n’a point de pointes, & qui a des aîles ; 2°. l’araignée qui a des pointes, des doigts ou crochets remarquables, & que plusieurs naturalistes appellent aporrhaïs ou lambis ; 3°. la troisieme espece ou les casques qui sont de vrais murex triangulaires : c’est ainsi que plusieurs auteurs les ont nommées ; la derniere est un murex tout cannelé, sans pointes ni aîles ni boutons, avec la tête plate : la bouche dentelée & oblongue du murex en détermine le genre.
A l’aspect de quelques casques, sur-tout de ceux dont la robe est unie, on leur refuseroit une affiliation avec les murex ; leur corps dénué de pointes, semble d’abord leur défendre l’entrée dans cette famille : mais l’on changera d’avis, si l’on examine leur bouche oblongue & garnie de dents, c’est le premier caractere des murex ; ensuite leur corps uni, coupé d’une excroissance saillante, & souvent d’un repli mince & très-sensible vers la bouche, dénote l’apparence de quelques tubercules. Enfin, dans les circonvolutions d’une tête peu élevée, on voit la naissance de plusieurs pointes & trois gros replis saillans interposés dans leur contour : en faut-il davantage pour être de vrai murex, à la vérité moins hérissés que les autres ?
Comme le mot de murex se prend pour toute couleur de pourpre, on en a fait un nom générique dont les pourpres ne sont qu’une espece ; de-là est venu la confusion des différens genres qui se trouvent dans la famille des buccins. Virgile dit :
- Tyrioque ardebat murice lana,
parce que le suc de ce poisson servoit chez les anciens à teindre leurs robes de pourpre, & que ceux de Tyr y excelloient. Fabius Columna distingue le murex du pourpre & du buccin ; il est vrai que sa distinction est juste, mais il ne l’a pas faite avec son génie ordinaire. Il dit que la pourpre rapporte la belle couleur de pourpre ; que le murex est couvert de pointes & de tubercules ; & que le buccin se distingue par ses circonvolutions longues & lisses ; cependant 1°. il ne devoit pas ignorer que la couleur pourpre se tire également du murex comme de la pourpre, & même de quelques especes de buccins ; 2°. qu’il y a des murex qui ont très-peu de pointes & de tubercules ; 3°. que tous les buccins ne sont pas lisses. Si cet habile homme eût cherché d’autres caracteres plus essentiels, il eût peut-être prévenu les erreurs que son autorité a fait naître sur cette matiere.
Comme la famille des murex est d’une très-grande étendue, il est à propos d’en former des divisions prises des marques générales communes à un certain nombre d’especes. 1°. Quelques-uns sont tout garnis de tubercules & de pointes noires, éminentes & remarquables. 2°. D’autres sont unis, ayant la clavicule peu chargée de pointes, & le bec recourbé. 3°. Il y a des especes dont les levres sont garnies de doigts. 4°. On voit d’autres especes à levre aîlée & déchirée. 5°. Il y a même une espece unique de murex, dont la bouche va de droite à gauche. Les especes générales dont nous venons de parler, se trouvent dans les cabinets des curieux.
Ainsi, dans la premiere classe qui comprend les especes de murex garnis de pointes & de tubercules noirs, on connoît 1°. le murex à pointes émoussées & noires, avec le sommet applati ; 2°. le murex couleur de cendre, entouré de piquans noirs, avec une clavicule élevée ; 3°. le murex à pointes émoussées bleuâtres, avec un sommet applati ; 4°. le murex fauve, entouré de quatre rangs de pointes émoussées ; 5°. le murex blanchâtre, remarquable par deux rangs de pointes pliées ; 6°. le murex brun & le blanc, à trois rangs de pointes ; 7°. le murex jaune, à pointes rangées régulierement ; 8°. le murex blanchâtre, couvert de boutons jaunes, la bouche violette avec des dents des deux côtés ; 9°. le murex qu’on nomme hérisson blanc, à pointes noires & à bouche dentée ; 10°. le murex nomme le bois veiné ; 11°. le murex qu’on nomme la musique avec un fût ridé. 12°. Le murex qu’on appelle le pleinchant ; 13°. le murex dit le foudre, à fût ridé ; 14°. le murex barriolé, avec une clavicule élevée & raboteuse ; 15°. le murex ondé, avec un sommet élevé, raboteux & étagé ; 16°. le murex blanc, rayé, dont le sommet est garni de longues pointes ; 17°. le murex fauve, à côtes, raboteux de tous côtés & cannelé ; 18°. le murex plein de verrues, de stries, ombiliqué, avec un sommet rougeâtre.
Dans la seconde classe composée de murex unis, dont la clavicule est peu chargée de pointes, & le bec recourbé,, sont compris, 1°. le murex triangulaire ou le casque de Rondelet, à bouche dentée & à lèvre repliée ; 2°. le murex, dit le turban rouge, plein de boutons, dont les levres sont étendues des deux côtés ; 3°. le murex en forme de casque, dont parle Bonnani ; 4°. le casque couleur d’agate, à bouche moins dentée ; 5°. le casque bariolé de taches fauves ; 6°. le casque couleur de cendre, sans boutons ; 7°. le casque blanc, ondé de lignes jaunes ; 8°. le casque agate, séparé par des taches fauves & régulieres ; 9°. le casque bleu, à stries, ondé de lignes rousses en zigzags.
La troisieme classe est des murex, dont les levres sont garnies de doigts ; 1°. le murex surnommé araignée ; 2°. celle qu’on appelle lambis ; 3°. le murex qu’on nomme le crochet ou l’araignée mâle ; 4°. le murex appellé araignée femelle ; 5°. celle dite la millepiés, très-grosse, qui a des cornes selon Rumphius ; 6°. celle qui a sept doigts selon Pline ; 7°. celle qui a cinq doigts ou grosses pointes ; 8°. l’araignée qui a quatre doigts selon Rondelet ; 9°. celle qui a six excroissances cannelées ; 10°. le murex appellé le scorpion don la bouche est rayée de petites lignes ; 11°. le scorpion de couleur rouge, & dont les pointes sont droites ; 12°. celui à pointes recourbées semblables au bec d’un corbeau ; 13°. le murex à lèvre pliée en cinq excroissances, de couleur bleue, blanche & fauve.
La quatrieme classe comprend les murex à lèvre aîlée & déchirée. On rapporte à cette classe, 1°. le murex, dit l’oreille d’âne, rouge en de dans, avec un bec recourbé ; 2°. le murex triangulaire, entouré de grande stries & de tubercules, nommé l’oreille de cochon ; 3°. le murex à bouche rouge, & le fût noir ; 4°. le murex nommé gueule noire ; 5°. le murex à bouche blanche & brune ; 6°. le murex appellé la tourterelle à bouche faite en oreilles, dont parle Rumphius, avec une pyramide pleine de piquans ; 7°. celle à levre étendue, rougeâtre, découpée avec une clavicule pleine de pointes ; 8°. le murex rouge à levre déchirée, & la clavicule garnie de piquans ; 9°. le murex bariolé, plein de verrues, à lèvre déchirée & épaisse ; 10°. le murex jaune à levre déchirée & la tête bossue ; 11°. le ventru à levre repliée, de couleur de plomb ; 12°. le murex uni, à levre épaisse & pliée, & la columelle dentée, 13°. le murex jaunâtre & à tubercules, à levre repliée, dentée d’un côté & tacheté de l’autre ; 14°. le murex jaune, avec une côte réguliere & tachetée, qui prend du sommet vers la queue, traversant par le milieu du dos ; 15°. le murex couleur de cendre, à côtes, la levre étendue du côté du fût ; 16°. enfin, le murex blanc, ventru, à côtes, & la columelle étagée.
Le P. Plumier nous apprend que le murex se nomme en Amérique le pisseur, à cause qu’il jette promptement sa liqueur qui est la pourpre.
Il paroît que l’animal qui habite la coquille du murex ou rocher, est le même que celui qui occupe les cornets & les olives ; & c’est peut-être la raison pour laquelle les auteurs ont confondu jusqu’à présent ces trois genres de coquilles, auxquelles ils ont encore ajouté les pourpres & les buccins. Il est vrai que le murex approche assez de la pourpre pour la figure intérieure & extérieure, & qu’il ne paroît d’abord de différence que dans la couleur, dont la partie supérieure est d’un blanc jaunâtre, & l’inférieure tire sur un brun verdâtre. Mais le murex se distingue par sa bouche alongée, garnie de dents, & par son corps, qui au lieu de feuilles déchirées & de piquans, comme en la pourpre, est couvert de pointes, de boutons, de côtes, de tubercules, de crochets ou de doigts quelquefois peu saillans : souvent le murex est tout nud comme le casque, avec cependant des replis & des apparences de tubercules qui le font reconnoître pour un véritable murex.
Celui qu’on nomme la belle musique, est couvert d’une croûte blanche assez épaisse qui cache les différentes couleurs de sa robe. Ce que ce coquillage a de singulier, est sa tête & son cou qui sont extrémement gros, avec des yeux éminens qui saillent en-dehors. Son museau est occupé par une grande bouche chagrinée dans son pourtour ; sa chair est d’un blanc sale tirant sur le cendré.
Tous ces détails sont tirés de l’Histoire naturelle éclaircie, où les curieux trouveront de très belles Planches de ce genre de coquillage. (D. J.)