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L’Encyclopédie/1re édition/NÉMÉSIS

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NÉMÉSIS, s. f. (Mythol.) fille de Jupiter & de la Nécessité, ou plutôt, selon Hésiode, de l’Océan & de la Nuit, étoit préposée pour venger les crimes que la justice humaine laisse impunis, l’arrogance, la présomption, l’oubli de soi-même dans la prospérité, l’ingratitude, &c.

Ses attributs sont dignes de remarque : elle avoit une roue pour symbole, des aîles, une couronne, tenoit la lance d’une main, & de l’autre une bouteille. Elle étoit montée sur un cerf, & son nom signifioit la fatalité.

Les vicissitudes de la fortune, dit le chancelier Bacon, & les desseins secrets de la providence, sont représentés par l’Océan & la Nuit. Némésis a des aîles, ainsi qu’une roue ; car la fortune court le monde, arrive, & disparoît d’un jour à l’autre. On ne peut prévoir ses faveurs, ni détourner ses disgraces ; sa couronne est sur la tête du peuple, quand il triomphe de l’abaissement des grands. Sa lance frappe & renverse ceux qu’elle veut châtier. La bouteille qu’elle tient de l’autre main, est le miroir qu’elle présente sans cesse aux yeux de ceux qu’elle ménage. Eh ! quel est l’homme à qui la mort, les maladies, les trahisons, & mille accidens ne retracent à l’esprit d’affreuses images ; comme si les mortels ne pouvoient être admis à la table des dieux, que pour leur servir de jouets ? Quand on rassemble tous les chagrins domestiques qui traverserent la prospérité d’Auguste, il faut bien adorer le pouvoir d’une divinité qui frappe sur les rois, comme sur des victimes ordinaires. Le cerf que monte Némésis, est le symbole d’une longue vie : la jeunesse qui meurt avant le tems, échappe seule aux révolutions du sort ; mais le vieillard ne finit point sa carriere sans avoir essuyé quelque revers.

Platon nous dit, que cette déesse, ministre de la vengeance divine, a une inspection spéciale sur les offenses faites aux peres par leurs enfans. C’est par-là que Platon avertit les hommes, qu’ils n’ont point dans leurs sanctuaires domestiques de divinités plus respectables, qu’un pere ou une mere accablés sous le poids des années. Je crois pour moi que le trouble d’une conscience agitée par l’horreur de ces crimes, & par les remords qui la suivent, a donné en partie la naissance à cette divinité du paganisme.

Elle fut nommée Adrastée, à cause d’Adraste, qui le premier lui dédia un temple ; & Rhamnusie, parce qu’elle étoit adorée à Rhamuse, bourg de l’Attique, où elle avoit une statue de la main d’Agoracrite, disciple de Phidias. Quand les Romains partoient pour la guerre, ils avoient coutume d’offrir un sacrifice à cette déesse ; mais alors Némésis étoit prise pour la Fortune, qui doit accompagner & favoriser les armes pour leur procurer du succès. (D. J.)