L’Encyclopédie/1re édition/NÉOLOGISME
NÉOLOGISME, s. m. ce mot est tiré du grec, νέος, nouveau, & λόγος, parole, discours, & l’on appelle ainsi l’affectation de certaines personnes à se servir d’expressions nouvelles & éloignées de celles que l’usage autorise. Le néologisme ne consiste pas seulement à introduire dans le langage des mots nouveaux qui y sont inutiles ; c’est le tour affecté des phrases, c’est la jonction téméraire des mots, c’est la bisarrerie des figures qui caractérisent surtout le néologisme. Pour en prendre une idée convenable, on n’a qu’à lire le second entretien d’Ariste & d’Eugène sur la langue françoise (depuis la pag. 168. jusqu’à la pag. 185.) le pere Bouhours y releve avec beaucoup de justesse, quoique peut-être avec un peu trop d’affectation, le néologisme des écrivains de P. R. & il le montre dans un grand nombre d’exemples, dont la plûpart sont tirés de la traduction de l’Imitation de Jesus-Christ, donnée par ces solitaires.
Un auteur qui connoît les droits & les décisions de l’usage ne se sert que des mots reçus, ou ne se résout à en introduire de nouveaux que quand il y est forcé par une disette absolue & un besoin indispensable : simple & sans affectation dans ses tours, il ne rejette point les expressions figurées qui s’adaptent naturellement à son sujet, mais il ne les recherche point, & n’a garde de se laisser éblouir par le faux éclat de certains traits plus hardis que solides, en un mot il connoît la maxime d’Horace (Art. poët. 309.), & il s’y conforme avec scrupule :
Scribendi rectè sapere est & principium & fons.
Il ne faut pourtant pas inférer des reproches raisonnables que l’on peut faire au néologisme, qu’il ne faille rien oser dans le style. On risque quelquefois avec succès un terme nouveau, un tour extraordinaire, une figure inusitée ; & le poëte des graces semble lui-même en donner le conseil, lorsqu’il dit, ib. 48.
Dixeris egregiè, notum si callida verbum
Reddiderit junctura novum. Si fortè necesse est
Indiciis monstrare recentibus abdita rerum ;
Fingere cinctutis non exaudita cethegis
Continget, dabiturque licentia sumpta pudenter.
Mais en montrant une ressource au génie, Horace lui assigne tout-à-la fois comment il doit en user ; c’est avec circonspection & avec retenue, licentia sumpta pudenter ; & il faut y être comme forcé par un besoin réel, si fortè necesse est.
Dans ce cas, le néologisme change de nature ; & au lieu d’être un vice du style, c’est un figure qui est en quelque maniere opposée à l’archaïsme.
L’archaïsme est une imitation de la maniere de parler des anciens, soit que l’on en revivifie quelques termes qui ne sont plus usités, soit que l’on fasse usage de quelques tours qui leur étoient familiers & qu’on a depuis abandonnés : les pieces du grand Rousseau en style marotique sont pleines d’archaïsmes. Ce mot vient du grec ἀρχαιος, ancien, auquel en ajoutant la terminaison ισμος, qui est le symbole de l’imitation, on a ἀρχαισμος, qui veut dire antiquorum imitatio.
Le néologisme, envisagé comme le pendant de l’archaïsme, est une figure par laquelle on introduit un terme, un tour, ou une association de termes dont on n’a pas encore fait usage jusques-là ; ce qui ne doit se faire que par un principe réel ou très-apparent de nécessité, & avec toute la retenue & la discrétion possibles. Rien ne seroit plus dangereux que de passer les bornes ; la figure est sur les frontieres, pour ainsi dire, du vice, & ce vice même ne change pas de nom ; il-n’y a que l’abus qui en fait la différence.