L’Encyclopédie/1re édition/NAIVETÉ

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NAIVETÉ une, NAIVETÉ la, s. f. (Gram.) il faut que les étrangers apprennent la différence que nous mettons dans notre langue entre la naïveté, & une naïveté.

Ce qu’on appelle une naïveté, est une pensée, un trait d’imagination, un sentiment qui nous échappe malgré nous, & qui peut quelquefois nous faire tort à nous-mêmes. C’est l’expression de la vivacité, de l’imprudence, de l’ignorance des usages du monde. Telle est la réponse de la femme à son mari agonisant, qui lui désignoit un autre époux : prends un tel, il te convient, crois-moi : Hélas, dit la femme, j’y songeois.

La naïveté est le langage du beau génie, & de la simplicité pleine de lumieres ; elle fait les charmes du discours, & est le chef-d’œuvre de l’art dans ceux à qui elle n’est pas naturelle.

Une naïveté sied bien à un enfant, à un villageois, parce qu’elle porte le caractere de la candeur & de l’ingénuité ; mais la naïveté dans les pensées & dans le style, fait une impression qui nous enchante, à proportion qu’elle est la peinture la plus simple d’une idée, dont le fonds est fin & délicat ; c’est pour cela que nous goûtons ce madrigal de Chapelain.

Vous n’écrivez que pour écrire
C’est pour vous un amusement,
Moi qui vous aime tendrement
Je n’écris que pour vous le dire
.

Nous mettons enfin de la différence entre le naturel & le naïf ; le naturel est opposé au recherché, & au forcé ; le naïf est opposé au réfléchi, & n’appartient qu’au sentiment. Tel que cet aimable rougeur, qui tout-à-coup, & sans le consentement de la volonté, trahit les mouvemens secrets d’une ame ingénue. Le naïf échappe à la beauté du génie, sans que l’art l’ait produit ; il ne peut être ni commandé, ni retenu. (D. J.)