L’Encyclopédie/1re édition/NAXOS

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NAXOS, (Géogr. anc. & mod.) Ναξος par les Grecs, Naxus par les Latins, Naxia dans le moyen âge, & Naxe par les François, île considérable située au milieu de l’Archipel, à 37d. d’élévation, & à environ 9 milles de la pointe septentrionale de Paros : son circuit est de plus de 100 milles ; c’est-à-dire, de près de 35 lieues françoises, & sa largeur est de 30 milles, qui font 10 lieues de France. C’est la plus grande, la plus fertile & la plus agréable de toutes les Cyclades. Les anciens l’appelloient Dyonisia, parce qu’on disoit que Bacchus avoit été nourri dans cette île ; & les habitans prétendoient que cet honneur leur avoit attiré toutes sortes de félicités : ce qu’il y a de sûr, c’est que ce dieu étoit particulierement adoré chez les Naxiotes.

Les principales choses qui rendent Naxos célebre, sont la hauteur de ses montagnes, la quantité de marbre blanc qu’on en tire, la beauté de ses plaines, la multitude des fontaines & des ruisseaux qui arrosent ses campagnes, le grand nombre de jardins remplis de toutes sortes d’arbres fruitiers, les forêts d’oliviers, d’orangers, de limonniers & de grenadiers d’une hauteur prodigieuse. Tous ces avantages qui la distinguent de toutes les autres, lui ont acquis le nom de reine des Cyclades. Cependant cette île n’a jamais eu que peu de commerce par le défaut d’un beau port où les bâtimens pussent être en sureté.

Les pointes des falaises & des montagnes paroissent à ceux qui abordent cette île, former comme des rangées de grosses boules blanches ; & c’est peut-être pour cela, suivant l’idée du P. Sanadon, que Virgile, Ænéid. liv. III. vers 125. écrit, baccatam jugis Naxon ; c’est-à-dire, cujus juga baccarum speciem referunt.

Si quelqu’un veut remonter jusqu’à l’antiquité la plus reculée, il trouvera dans Diodore de Sicile & dans Pausanias, l’origine des premiers peuples qui s’établirent dans l’île de Naxos : il y verra qu’elle fut occupée par les Cariens, & que leur roi Naxos lui donna son nom. Il eut pour successeur son fils Leucippus ; celui-ci fut pere de Smardius, sous le regne duquel Thésée, revenant de Crete avec la belle Ariadne, aborda dans l’île, où il abandonna sa maîtresse à Bacchus, dont les menaces l’avoient horriblement frappé dans un songe ; c’est-à-dire qu’il devint infidelle à son amante : c’est pourquoi Racine, parlant de ce héros, nous peint

Sa foi par-tout offerte, & reçue en cent lieux ;
Ariadne aux rochers contant ses injustices ;
Phedre enlevée enfin sous des meilleurs auspices, &c.

Naxos, quoique sans port, étoit une république très-florissante, & maîtresse de la mer, dans le tems que les Perses passerent dans l’Archipel. Il est vrai qu’elle possédoit les îles de Paros & d’Andros, dont les ports sont excellens pour entretenir & recevoir les plus grandes flottes. Aristagoras tenta vainement de s’en rendre maître, quoique Darius roi de Perse, lui donnât non-seulement des troupes, mais encore une flotte de deux cens voiles. Les Perses firent une seconde descente dans cette île, où ils eurent plus de succès. Datis & Artaphernes y brûlerent jusqu’aux temples,& emmenerent un très-grand nombre de captifs. Cependant Naxos se releva de cette perte, & fournit quatre vaisseaux de guerre qui battirent celle de Xercès à Salamine, dans le fond du golfe d’Athènes. Diodore de Sicile assure encore que les Naxiotes donnerent des marques d’une grande valeur à la bataille de Platée, où Mardonius, autre général des Perses, fut défait par Pausanias. Néanmoins dans la suite, les alliés ayant remis le commandement des troupes aux Athéniens, ceux-ci déclarerent la guerre aux Naxiotes. La ville fut donc assiégée & forcée à capituler avec ses premiers maîtres : car Hérodote, qui place Naxos dans le département de l’Ionie, & l’appelle la plus heureuse des îles, en fait une colonie d’Athènes, & prétend que Pisistrate l’avoit possédée à son tour. Voilà ce qui se passa de plus remarquable dans cette île du tems de la belle Grece.

Pendant la guerre du Péloponnèse, Naxos se déclara pour Athènes avec les autres îles de la mer Egée, excepté le Milo & Théra ; ensuite elle tomba sous la puissance des Romains ; & après la bataille de Philippe, Marc-Antoine la donna aux Rhodiens. Cependant il la leur ôta quelque tems après, parce que leur gouvernement étoit trop dur. Elle fut soumise aux empereurs romains, & ensuite aux empereurs grecs jusqu’à la prise de Constantinople par les François & par les Vénitiens en 1207. Trois ans après ce grand événement, comme les François travailloient sous l’empereur Henri à la conquête des provinces & places de terre-ferme ; les Vénitiens maîtres de la mer, permirent aux sujets de la république qui voudroient équiper des navires, de s’emparer des îles de l’Archipel & d’autres places maritimes, à condition que les acquéreurs en feroient hommage à ceux à qui elles appartenoient, à raison du partage fait entre les François & les Vénitiens. Marc Sanudo, l’un des capitaines les plus accomplis qu’eût alors la république, s’empara des îles de Naxos, Paros, Antiparos, Milo, l’Argentiere, Siphanto, Policandro, Nanfio, Nio & Santorin. L’empereur Henri érigea Naxos en duché, & donna à Sanudo le titre de duc de l’Archipel & de prince de l’empire. Ses descendans regnerent dans la même qualité jusqu’à Nicolas Carceiro, neuvieme duc de Naxos, qui fut assassiné par les ordres de François Crispo, qui s’empara du duché, & le transmit à sa postérité. Elle en jouit jusqu’à Jacques Crispo, vingt-un & dernier duc de l’Archipel, dépouillé par les Turcs, sous l’empereur Selim II. & mort à Vénise accablé de chagrin.

Sous ce dernier duc de Naxos, les Grecs secouerent le joug des Latins pour subir celui de la Porte ottomane. Le grand-seigneur y mit pendant quelque tems un officier qui gouverna cette île en son nom. Dans la suite Naxos a eu la liberté de créer des magistrats tous les ans ; en sorte qu’elle fait, sous la domination des Turcs, comme une petite république à part. Ses magistrats se nomment epitropes ; ils ont une autorité fort étendue, étant maîtres d’infliger toutes les peines, jusqu’à celle de mort qu’ils ne peuvent ordonner sans la participation de la Porte. Cette île est une des plus agréables de l’Archipel, par ses plaines, ses vallées, & des ruisseaux qui arrosent des campagnes couvertes de toutes sortes d’arbres fruitiers.

Les anciens ont eu raison de l’appeller la petite-Sicile. Archilocus dans Athénée, compare le vin de Naxos au nectar des dieux. On voit une médaille de Septime Sévere sur le revers de laquelle Bacchus est représenté le gobelet à la main droite & le tyrse à la gauche : pour légende il y a ce mot Ναξιων. On boit encore aujourd’hui d’excellent vin à Naxos. Les Naxiotes, qui sont les vrais enfans de Bacchus, cultivent bien la vigne, quoiqu’ils la laissent traîner par terre jusqu’à huit ou neuf piés loin de son tronc ; ce qui fait que dans les grandes chaleurs le soleil desseche trop les raisins, & que la pluie les fait pourrir.

Quoiqu’il n’y ait point à Naxos de port propre à y attirer un grand commerce, on ne laisse pas d’y faire un trafic considérable en orge, vins, figues, coton, soie, émeri & huile. Le bois & le charbon, marchandises très-rares dans les autres îles de l’Archipel, sont en abondance dans celle-ci. On y fait bonne chere, & les lievres & les perdrix y sont à grand marché.

Il y a deux archevêques dans Naxos, l’un grec & l’autre latin ; & tous deux sont fort à leur aise. Mais les villages sont fort dépeuplés ; car on assure qu’il n’y a guere plus de 8000 ames dans l’île. Les habitans payoient au commencement de ce siecle, cinq mille écus de capitation, & cinq mille cinq cent écus de taille réelle.

Les gentilshommes de Naxie se tiennent à la campagne dans leurs tours, qui sont des maisons quarrées, assez propres, & ils ne se visitent que rarement : la chasse fait leur plus grande occupation. Quand un ami vient chez eux, ils ordonnent à un de leurs domestiques de faire passer à coups de bâton sur leurs terres le premier cochon ou le premier veau qui est dans le voisinage : ces animaux pris en flagrant délit, sont confisqués, égorgés, suivant la coutume du pays, & l’on en fait une fête. Pliki est un quartier de l’île où l’on dit qu’il y a des cerfs : les arbres n’y sont pas fort grands ; ce sont des cedres à feuilles de cyprès.

Zia, qui est la plus haute montagne de l’île, signifie le mont de Jupiter, & a retenu le nom de Dia, qui étoit autrefois celui de l’île. Corono, autre montagne de Naxie, a conservé celui de la nymphe Coronis, nourrice de Bacchus ; ce qui semble autoriser la prétention des anciens Naxiotes, qui vouloient que l’éducation de ce dieu eût été confiée dans leur île aux nymphes Coronis, Philia & Cleis, dont les noms se trouvent dans Diodore de Sicile. Fanari est encore une autre montagne de Naxie assez considérable.

Vers le bas de la montagne de Zia, à la droite du chemin de Perato, sur le chemin-même, se présente un bloc de marbre brut, large de huit piés, naturellement avancé plus que les autres d’environ deux piés & demi. On lit sous ce marbre cette ancienne inscription connue : Ὄρος Διὸς Μηλωσίου ; c’est-à-dire, montagne de Jupiter, conservateur des troupeaux.

On voit aussi la grotte où l’on veut que les bacchantes ayent célébré les orgies. A l’égard de l’histoire naturelle, on prétend qu’il y a des mines d’or & d’argent tout près du château de Naxie. Celles d’émeri sont au fond d’une vallée au-dessous de Pérato. On découvre l’émeri en labourant, & on le porte à la marine pour l’embarquer à Triangata ou à saint-Jean. Les Anglois en lestent souvent leurs vaisseaux. Il est à si bon marché sur les lieux, qu’on en donne vingt quintaux pour un écu, & chaque quintal pese 140 liv.

La ville capitale de l’île porte le même nom, & mérite l’article à part qui suit. (D. J.)

Naxos, (Géog. anc. & mod.) ou Naxie, capitale de l’isle de même nom, située sur la côte occidentale, vis-à-vis de l’isle de Paros, avec un château. Long. 43. 26. lat. 37. 8.

Thucydide dit que la ville de Naxos a été fondée dans le tems de la premiere guerre messéniaque, par Theucles de Chalcyde en Eubée. En effet, la ville moderne de Naxie paroît avoir été bâtie sur les ruines de quelque ancienne ville du même nom, dont il semble que Ptolomée, l. III. c. xv. ait fait mention. Le château situé sur le haut de la ville est l’ouvrage de Marc Sanudo, premier duc de l’Archipel. C’est une enceinte flanquée de grosses tours, qui en renferment une plus considérable & quarrée, dont les murailles sont fort épaisses, & qui proprement étoit le palais des ducs. Des descendans des gentilshommes latins, qui s’établirent dans l’isle sous ces princes, occupent encore l’enceinte de ce château. Les Grecs, qui sont en beaucoup plus grand nombre, s’étendent depuis le château jusqu’à la mer.

La haine de la noblesse grecque & de la latine est irréconciliable. Les Latins aimeroient mieux s’allier à des paysanes, que d’épouser des demoiselles grecques ; c’est ce qui leur a fait obtenir de Rome la dispense de se marier avec leurs cousines-germaines. Les Turcs traitent tous ces gentilshommes sur un même pié. A la vue du moindre bey de galiote, les Latins & les Grecs n’oseroient paroître qu’en bonnets rouges, comme les forçats de galere, & tremblent devant les plus petits officiers. Dès que les Turcs se sont retirés, la noblesse de Naxie reprend sa premiere fierté : on ne voit que des bonnets de velours, & l’on n’entend parler que d’arbres généalogiques. Les uns se font descendre des paléologues ou des Comnenes ; les autres des Justinian, des Grimaldi, de Summaripa ou Sommerives. Le grand-seigneur n’a pas lieu d’appréhender de révolte dans cette isle. Dès qu’un Latin se remue, les Grecs en avertissent le Cadi ; & si un Grec ouvre la bouche, le Cadi sait ce qu’il a voulu dire avant qu’il l’ait fermée.

Les dames y sont d’une vanité ridicule : on les voit venir dans la campagne après les vendanges une suite de trente ou quarante femmes, moitié à pié, moitié sur des ânes ; l’une porte sur sa tête des serviettes de toile de coton, ou quelque jupe de sa maîtresse ; l’autre marche avec une paire de bas à la main, une marmite de grès, ou quelques plats de fayance. On étale sur le chemin tous les meubles de la maison ; & la maîtresse montée sur une méchante rosse, entre dans la ville comme en triomphe à la tête de cette troupe. Les enfans sont au milieu de la marche ; ordinairement le mari fait l’arriere-garde. Les dames latines s’habillent quelquefois à la vénitienne : l’habit des Grecs est un peu différent de celui des dames de Milo.

Il y a dans la ville de Naxie des jésuites, des capucins & des cordeliers qui exercent tous la médecine. Voilà les docteurs qui composent cette faculté, & dans la capitale, & dans le reste de l’isle. (D. J.)

Naxos, (Géog. anc.) ou plutôt Naxus, ancienne ville de la Sicile, sur la côte orientale de cette isle. C’est aujourd’hui Cartel-Schiso. Il ne faut pas confondre, comme a fait M. Spont, cette ville de Sicile avec celle de Naxos dans l’Archipel. C’est à Naxus en Sicile que les peuples de l’isle Eubée avoient dressé un autel à Apollon..

Polybe, l. IV. c. xxxiij. parle de Naxos, ville de l’Acarnanie, que les Œtoliens enleverent aux Acarnaniens.

Enfin Suidas parle d’une ville de Naxos dans l’isle de Crete.