L’Encyclopédie/1re édition/NOYON

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NOYON, s. m. signifie, en Horlogerie, une petite creusure, de forme cylindrique. Voyez Creusure. (T)

Noyon, terme de jeu de boule, espace qui est au-delà de la barre du jeu de boule, & qui est environ trois piés derriere le but. Quand la boule entre dans cet espace, on dit qu’elle est noyée, & le joueur a perdu son coup.

Noyon, (Géog.) ville de France, dans le Vermandois, en Picardie, aujourd’hui du gouvernement de l’ile de France, avec un évêché suffragant de Reims, dont l’évêque est comte & pair de France, ayant l’honneur de porter le ceinturon & le baudrier au sacre du roi.

Cette ville est fort ancienne : elle a été nommée en latin Noviodunum, Noviomagum, Novionunum, & Noviomagus-Veromanduorum. Elle n’étoit pas fort considérable sous l’empire romain ; parce que la capitale des peuples Vermandois étoit la ville d’Auguste, aujourd’hui Saint-Quentin, située sur la Somme. Comme elle fut détruite par les Barbares, l’évêque des Vermandois se retira à Noviomagus, changé par corruption en Noviomum, Noyon. On voit par la notice de l’empire, section 35, que sur la fin du iv. siecle, ou au commement du v. Noyon étoit la demeure d’un préfet pour les Romains. Elle est dans une situation assez commode pour le commerce, & contient environ quatre mille habitans.

Les trois races des rois de France ont illustré cette ville par quelques événemens particuliers. Chilpéric II. de la premiere race, y fut enterré en 721. Charlemagne, de la seconde race, y fut selon quelques-uns couronné en 768 ; & Hugues Capet, de la troisieme, y fut élevé à la royauté en 987. François I. y conclut un traité avec Charles-Quint en 1516.

Cette ville a aussi essuyé en différens tems diverses calamites. César s’en rendit le maître. Les Normands la saccagerent dans le ix. siecle. Elle a été incendiée plusieurs fois depuis. Du tems de la ligue, elle fut prise & reprise. Enfin elle fut rendue à Henri IV. en 1594. Son commerce consiste en blé & avoine, en toiles de chanvre & de lin, & en cuirs tannés.

L’évêché des Vermandois fut transféré à Noyon sous l’épiscopat de Saint-Médard en 531. Cet évêché est évalué à plus de 25000 liv. de revenu fixe, & le casuel en est très-considérable. On compte dans le diocèse 17 abbayes, & 450 paroisses qui sont partagées en 12 doyennés ruraux.

Noyon est bâti sur une pente douce & en bon air, à un quart-de-lieue de l’Oise, sur la riviere de Vorse, à 9 lieues N. O. de Soissons, 13 S. E. d’Amiens, 24 N. E. de Paris. Long. 20. 40. 43. lat. 49. 34. 37.

Je ne sai par quelle étoile Noyon a produit plus de gens de lettres que les autres villes de Picardie. Je pourrois nommer M. le Cat, mais il vit encore heureusement ; ainsi je ne parlerai que des morts, & je n’en citerai que quelques-uns, dont cette ville est la patrie. Tels sont :

Conte (Antoine le), en latin Contius, jurisconsulte du xvj. siecle, dont Cujas faisoit beaucoup de cas, mourut en 1586. Ses œuvres ont été imprimées en un volume in-4°.

Fourcroi (Bonaventure) étoit mauvais poëte ; mais avocat célebre, quoique les ouvrages de sa profession soient aujourd’hui peu recherchés. Il mourut à Paris en 1691, dans un âge décrépit.

Masson (Innocent le), s’acquit pendant sa vie de la réputation par ses livres de piété, qui sont à présent tombés dans le plus profond oubli. Il devint général des Chartreux, & violent ennemi des Jansénistes. Il est mort en 1704, à 76 ans.

Maucroix (François), intime ami de la Fontaine, devint chanoine de Reims, & mourut en 1708, à 89 ans. Il éerivoit très-poliment, & versifioit avec aisance. Nous lui devons de bonnes traductions dans notre langue ; les Philippiques de Démosthène, l’Eutyphron, le grand Hippias, quelques Dialogues de Platon, & le Rationarium temporum du P. Petau.

Mais Noyon est bien moins connu par tous les gens de lettres que je viens de nommer, que pour avoir donné en 1509 la naissance à Calvin, cet homme si fameux par ses ouvrages, par ses disciples, & par les peuples éclairés, chez lesquels sa doctrine a été reçue dans tous les points où elle a paru conforme à celle de la primitive église.

Calvin possedoit les plus heureux dons de la nature. Il joignoit à beaucoup d’esprit une merveilleuse sagacité, une mémoire excellente, une rare érudition, une plume éloquente & facile, l’art de manier la parole, le talent supérieur d’écrire purement en latin comme en françois, un travail infatigable, qu’il ne cessoit pas même dans le tems que des maladies l’attachoient au lit, une vigueur d’esprit toujours active, un courage qui ne s’étonnoit de rien, & plus que tout cela, l’ambition d’étendre la réformation dans toute l’Europe, en France, en Suisse, en Allemagne, & jusqu’aux extrémités du nord.

Plein de ce vaste projet, il s’y dévoua dès sa jeunesse, étudiant profondément la Théologie & la Jurisprudence. Il fit connoître ce qu’il seroit un jour par la harangue qu’il suggéra au recteur de l’université de Paris, & qui excita des grandes rumeurs en Sorbonne & au Parlement. Il n’avoit que 26 ans, quand il publia son Institution chrétienne, avec une épître dédicatoire à François I. qui est une des trois préfaces qu’on admire le plus, car elle va de pair avec celle de M. de Thou & la préface du Polybe de Casaubon.

Cet ouvrage fit voler si haut la réputation de Calvin, qu’il ne tint plus qu’à lui de choisir dans les pays protestans, le lieu où il jugeroit bon de se fixer. Le hazard seul le décida pour Genève, où il acquit plus d’autorité que Luther n’en eut jamais en Saxe. Il devint le législateur spirituel de cette république ; il y dressa un formulaire de catéchisme, de confession de foi, & de discipline ecclésiastique, qui fut reçu par tout le peuple en 1541. Il mourut en 1564, à 55 ans. Ses travaux continuels abregerent ses jours, mais ils lui procurerent un nom célebre & un très-grand crédit.

Austere par tempérament, irréprochable dans ses mœurs, dur envers lui-même comme envers les autres, d’une frugalité & d’un desintéressement admirables, il ne laissa pour tout bien en mourant, que la valeur de cent vingt écus d’or. Mais c’étoit un homme entier dans ses sentimens, jaloux du mérite des autres, violent, emporté, dangereux quand il étoit contredit ; brûlant d’une seule passion, de l’ardeur de se signaler, & d’obtenir cet empire de la domination sur les esprits, qui flatte tant l’amour propre, & qui d’un théologien fait une espece de conquérant, comme dit M. de Voltaire. Piqué de trouver dans Servet, un adversaire plus fort que lui en raisons, il lui répondit par des injures ; passa des injures à la haine, le fit arrêter dans son voyage à Genève, & pour comble d’horreur, le fit brûler vif. Cette action barbare a souillé la mémoire de Calvin d’une tache éternelle dans l’esprit des Réformés tout autant que dans l’esprit des Catholiques.

Ce fut à Noyon que Hugues Capet se fit proclamer roi, en 987. On sait, dit l’auteur moderne de l’Histoire générale, comment ce duc de France, comte de Paris, enleva la couronne au duc Charles oncle du dernier roi, Louis V. Si les suffrages eussent été libres, le sang de Charlemagne respecté, & le droit de succession aussi sacré qu’aujourd’hui, Charles auroit été roi de France. Ce ne fut point un parlement de la nation qui le priva du droit de ses ancêtres ; ce fut ce qui fait & défait les rois, la force aidée de la prudence (D. J.)