L’Encyclopédie/1re édition/NUDITÉS

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NUDITÉS, s. f. (Peint. & Sculpt.) on nomme nudités, des figures qui ne sont pas couvertes dans plusieurs parties, ou qui sont entierement immodestes. Toute nudité n’est pas blâmable dans un tableau, parce que souvent le sujet ne permet pas à l’artiste d’agir autrement. Il seroit ridicule de voir Adam & Eve habillés ; c’est pour cela que les statues sont presque toutes nues au milieu de nos places, & que dans nos églises même, les vierges ont le sein découvert, l’enfant Jésus ainsi que les anges, sont toujours peints nus. Les tableaux de Raphaël, de Michel-Ange, de Jules Romain & de tous les autres grands peintres, qui ornent nos églises, ne présentent que des figures d’hommes & de femmes nues, parce que le sujet qu’ils traitoient l’exigeoit nécessairement : il y auroit donc de la foiblesse à en être scandalisé.

Mais il ne faut pas que les nudités puissent faire rougir ceux qui les regardent. Il ne faut pas représenter aux yeux des honnêtes gens, ce qu’on n’oseroit pas faire entendre à leurs oreilles. Ces peintures impudiques s’appelloient en latin libidines. Parrhasius entre les anciens, n’étoit pas moins repréhensible à cet égard, que l’est entre les modernes Marc-Antoine Raimond, pour de certaines gravures trop connues. Pline dit en parlant de Parrhasius  : pinxit & ex minoribus tabellis libidines, eo genere petulantis joci se reficiens.

Il est vrai que c’étoit la coutume de peindre les femmes nues dans les endroits publics de la Grece & de Rome. La Vénus de Médicis est une nudité admirable pour l’élégance & le beau fini ; mais toutes les nudités des Grecs & des Romains n’étoient pas des libidines. Les peintures obscenes, dont on porta les représentations en gravure sur l’or, l’argent, & jusque sur les pierres précieuses, ità ut in poculis libidines cœlabant ; de telles peintures, dis-je, ne prirent faveur qu’avec la corruption. Tite-Live raconte qu’on voyoit alors sur les murs d’un temple détruit de Lanuvium, une Hélene & une Atalante nues, d’une si grande beauté, & en même-tems peintes si immodestement, que des personnes craignant que ces nudités ne fussent que propres à allumer des passions criminelles, vouloient les tirer de-là, mais qu’un ancien préjugé ne permit pas de les laisser enlever.

Cependant la Chaussée se justifie très-bien d’avoir mis au jour les monumens obscenes du paganisme, & Léonard Agostini n’a pas craint de dédier au pape ses gemme antiche, parmi lesquelles on en voit plusieurs qui représentent les choses les plus immodestes. Enfin les peintures d’Herculanum ne sont pas exemptes de nudités licentieuses ; mais il n’étoit pas possible de les supprimer sans tomber dans le ridicule. (D. J.)