L’Encyclopédie/1re édition/OENANTHE
ŒNANTHE, œnanthe, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, en forme de parasol, composée de plusieurs pétales inégaux, en forme de cœur, disposés en rond & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences oblongues qui sont relevées en bosse, striées d’un côté & applaties de l’autre. Ces semences ont plusieurs pointes, celle du milieu est la plus forte. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante. (I)
Ajoutons ici ses caracteres, suivant le système de Ray. Sa racine est un gros navet, long, charnu, qui a la figure d’un fuseau : les pétales de la fleur sont inégaux & faits en forme de cœur. Le sommet de l’ovaire est couronné par le placenta qui pousse de longs tuyaux, & qui est environné par le bas de la levre supérieure de l’ovaire ; l’ovaire se déploie en cinq petits lobes, lesquels soutiennent les pétales de la fleur en forme de calice. Ces lobes s’attachent aux semences qui ont atteint leur maturité, comme les épines, & les tuyaux eux-mêmes se durcissent en des substances de même forme.
Tournefort compte dix especes d’œnanthe ; nous parlerons des deux principales, celle qui est à feuilles d’ache, & celle qui est à feuilles de cerfeuil.
L’œnanthe à feuilles d’ache ou de persil, œnanthe apii folio, est une plante dont les racines sont des navets noirs en-dehors, blancs en-dedans, suspendus par des fibres longues, comme par autant de filamens qui s’étendent plus au large, ou sur les côtés, qu’ils ne pénetrent avant dans la terre. Ils sont d’un goût doux & assez agréable, approchant un peu de celui du panais ; ses racines poussent plusieurs tiges à la hauteur d’environ deux piés, bleuâtres, anguleuses, cannelées, rameuses. Ses feuilles jouent beaucoup ; elles sont premierement larges, répandues à terre, & semblables à celles du persil des jardins, du goût duquel elles approchent, si ce n’est qu’elles ont un peu plus d’astriction, d’un verd presque luisant ; ensuite elles prennent la figure de celles de la queue de pourceau. Ses fleurs sont disposées en ombelles aux sommités des branches, petites, composées chacune de cinq pétales rangées en fleurs de lis, de couleur blanche tirant sur le purpurin. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, oblongues, cannelées sur le dos, garnies à leurs extrémités d’en-haut de plusieurs pointes. Cette plante croît aux lieux marécageux ; on la cultive aussi dans les jardins des curieux ; elle fleurit l’été en Juin, Juillet & Août. Sa racine passe en Médecine pour détersive, apéritive & diurétique.
Il faut bien se garder de confondre l’œnanthe dont nous venons de parler, avec l’espece vénéneuse qui est à feuilles de cerfeuil ou de ciguë, œnanthe chærophylli foliis, C. B. P. 162. I. R. H. 313. œnanthe cicutæ facie, succo viroso, croceo, Lobelii Icon. œnanthe cicutæ facie, Lobelii, Raii hist. I. 441. œnanthe succo viroso, I. B. 193. & Wepfer : décrivons cette plante.
Elle a beaucoup de rapport avec la ciguë : elle s’éleve à la hauteur d’environ trois piés : il sort de sa racine plusieurs tiges assez éparses, rondes, rameuses, portant des feuilles qui ressemblent à celles du cerfeuil, de couleur verte-brune, d’un goût âcre, remplies d’un suc qui est au commencement laiteux, mais qui jaunit ensuite & devient ulcérant : ses fleurs sont disposées en ombelles, & composées de plusieurs pétales rangés en rose ou en fleur-de-lis ; elles laissent, après qu’elles sont tombées, un petit fruit contenant deux semences oblongues & cannelées : ses racines sont des navets blancs, attachés immédiatement à leur tête, sans qu’aucune fibre les suspende, & remplis de suc. Cette plante ne croît guere qu’en Angleterre, en Irlande & en Hollande, le long des ruisseaux & des autres lieux aquatiques.
Ce végétable est un poison mortel pour ceux qui ont eu le malheur d’en avoir mangé ; il jette dans des convulsions dont la mort est la prompte suite. On en lit des exemples dans les observations de Vander-Wiel. On en cite en Angleterre d’autres preuves ; mais on n’a rien en ce genre de plus exact & de plus certain que le fait suivant rapporté dans les Transactions philosophiques.
Neuf prisonniers françois, dans la derniere guerre de 1744, eurent la liberté de se promener à Pembroke & aux environs : trois d’entr’eux ayant trouvé dans la campagne une grande quantité de cette plante fatale, qu’ils prirent pour du céleri sauvage, la cueillirent avec les racines, la laverent, & en mangerent sur le champ en petite quantité avec du pain & du beurre. Ils entroient à-peine dans la ville, que l’un d’eux, sans avoir ressenti de mal de tête ni d’estomac, fut tout-d’un-coup attaqué de violentes convulsions ; on le saigna vainement, car il mourut peu de tems après. Ses deux compagnons ignorant la mort de leur camarade & le danger qu’ils couroient, donnerent le reste des mêmes racines qu’ils avoient apportées, à huit autres prisonniers qui en mangerent tous plus ou moins à dîner ; cependant les deux camarades du mort tomberent au sortir de la table en convulsions, & l’un d’eux en mourut : le second réchappa après avoir été saigné & avoir pris un vomitif avec grande peine, par la difficulté qu’on eut de lui ouvrit la bouche pour lui faire avaler le remede ; les autres huit se rétablirent aussi par la prompte saignée & les vomitifs qu’on employa. Il est bon de remarquer qu’aucun d’eux n’eut ces symptomes comateux & ces stupeurs qu’éprouvent ceux qui ont mangé de la ciguë.
La racine de l’œnanthe vénéneuse est fort connue dans le pays de Galles sous le nom de racine à cinq doigts, the five fingered root, où le petit peuple l’applique extérieurement en cataplasme dans le panaris. Les françois dont nous avons parlé ne mangerent que la racine, & ne toucherent ni aux feuilles, ni à la tige.
Il est extrèmement important, & sur-tout en Angleterre, que cette dangereuse plante soit bien connue, parce qu’elle croît en abondance sur tous les bords de la Tamise ; c’est ce qui a engagé M. Watson à la bien faire graver dans les Transactions philosophiques, n°. 481. conjointement avec la ciguë aquatique de Wepfer, pour qu’on les connût toutes deux & qu’on ne les confondît point, comme il est arrivé à de très-habiles botanistes. Wepfer lui-même s’y est mépris dans son Traité de la ciguë, en nous disant que Lobel a décrit la ciguë aquatique sous le nom d’œnanthe. Hoffman qui généralement est assez exact, n’établit point la différence de ces deux plantes en traitant des poisons des végétaux. Huit jeunes gens en Irlande ont été empoisonnés par l’œnanthe, en la prenant pour la racine du panais aquatique ; deux autres en sont morts, en la prenant pour du persil de Macédoine.
Les racines de l’œnanthe, ainsi que celle de la ciguë aquatique de Wepfer, se ressemblent en ce qu’elles n’ont point d’odeur ni de saveur desagréable, & qu’elles causent également des convulsions & une prompte mort, si l’on n’y remédie sur le champ. Il semble donc que la méthode curative doit être la même, savoir, de vuider promptement l’estomac & les intestins, & ensuite de donner au malade une grande quantité de fluides huileux. Il est certain que quand l’estomac a été délivré de ce poison, les symptomes diminuent sensiblement, & le malade a le bonheur de se rétablir ; la plus grande difficulté est de lui faire avaler quoi que ce soit, ses mâchoires se serrant fortement l’une contre l’autre par la violence des spasmes.
L’œnanthe abonde dans la province de Cumberland, où le peuple l’appelle la langue morte, the deadtongue, & l’emploie cuite en bouillie pour les galles du dos de leurs chevaux. Les botanistes d’Allemagne ne la connoissent point dans leur pays ; & le savant Haller n’en fait aucune mention dans son catalogue des plantes de la Suisse. Il faut conclure de-là qu’on ne la trouve guere qu’en Angleterre, en Hollande, &, à ce qu’on prétend, dans quelques endroits de la France. (D. J.)
Œnanthe, voyez Cul-blanc.