L’Encyclopédie/1re édition/ONOMANCIE, ou ONOMAMANCIE, ou ONOMATOMANCIE

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ONOMANCIE, ou ONOMAMANCIE, ou ONOMATOMANCIE, s f. (Divin.) divination par les noms ou l’art de présager par les lettres d’un nom d’une personne, le bien ou le mal qui lui doit arriver.

Le mot onomancie pris à la rigueur devroit plutôt signifier divination par les ânes que par les noms, puisqu’ὄνος en grec signifie âne. Aussi la plûpart des auteurs disent-ils onomamancie & onomatomancie, pour exprimer celle dont il s’agit ici, & qui vient d’ὄνομα, nom, & de μαντεία, divination.

L’onomancie étoit fort en usage chez les anciens. Les Pythagoriciens prétendoient que les esprits, les actions & les succès des hommes étoient conformes à leur destin, à leur génie, & à leur nom. Platon lui-même semble incliner vers cette opinion, & Ausone l’a exprimée dans ces vers :

Qualem creavit moribus,
Jussit vocari nomine
Mundi supremus arbiter.

Le même auteur plaisante l’ivrogne Meroé sur ce que son nom sembloit signifier qu’il bûvoit beaucoup de vin pur, merum, merum. On remarquoit aussi qu’Hypolite avoit été déchiré & mis en pieces par ses chevaux, comme son nom le portoit. Ce fut par la même raison que S. Hypolite martyr dut à son nom le genre du supplice que lui fit souffrir un juge païen, selon Prudence.

Ille supinatâ residens, cervice, quis inquit,
    Dicitur ? affirmant diciet Hypolitum ;
Ergo sit Hypolitus, quatitat turbetque jugales
    Intereatque feris dilaniatus equis.

De même on disoit d’Agamemnon que, suivant son nom, il devoit rester long-tems devant Troie, & de Priam qu’il devoit être racheté d’esclavage dans son enfance. C’est encore ainsi, dit on, qu’Auguste la veille de la bataille d’Actium ayant rencontré un homme qui conduisoit un âne, & ayant appris que cet animal se nommoit nicon, c’est-à-dire victorieux, & le conducteur Eutyches, qui signifie heureux, fortuné, tira de cette rencontre un bon présage de la victoire qu’il remporta le lendemain, & en mémoire de laquelle il fonda une ville sous le nom de Nicopolis. Enfin on peut rapporter à cette idée ces vers de Claudius Rutilius :

Nominibus certis credam decurrere mores ?
Moribus aut potius nomina certa dari ?

C’est une observation fréquente dans l’histoire, que les grands empires ont été détruits sous des princes qui portoient le même nom que ceux qui les avoient fondés. Ainsi la monarchie des Perses commença par Cyrus fils de Cambyse, & finit par Cyrus fils de Darius. Darius fils d’Hystaspes la rétablit, & sous Darius fils d’Arsamis elle passa au pouvoir des Macédoniens. Le royaume de ceux-ci avoit été considérablement augmenté par Philippe fils d’Amyntas ; un autre Philippe fils d’Antigone le perdit entierement. Auguste a été le premier empereur de Rome, & l’on compte Augustule pour le dernier. Constantin établit l’empire à Constantinople, & un autre Constantin le vit détruire par l’invasion des Turcs. On a encore observé que certains noms sont constamment malheureux pour les princes, comme Caius parmi les Romains, Jean en France, en Angleterre & en Ecosse, & Henri en France.

Une des regles de l’onomancie parmi les Pythagoriciens, étoit qu’un nombre pair de voyelles dans le nom d’une personne signifioit quelqu’imperfection au côté gauche, & qu’un nombre impair de voyelles signifioit quelqu’imperfection au côté droit. Ils avoient encore pour regle que de deux personnes, celle-là étoit la plus heureuse dans le nom de laquelle les lettres numérales ajoutées ensemble formoient la plus grande somme ; ainsi, disoient-ils, Achille avoit vaincu Hector, parce que les lettres numérales comprises dans le nom d’Achille formoient une somme plus grande que celle du nom d’Hector.

C’étoit sans doute sur un principe semblable que dans les festins ou les parties de plaisir les jeunes Romains bûvoient à la santé de leurs maîtresses autant de coups qu’il y avoit de lettres dans le nom de ces belles. C’est pourquoi on lit dans Martial :

Nævia sex cyathis, septem justina bibatur.

Enfin on peut rapporter à l’onomancie tous les présages qu’on prétendoit tirer pour l’avenir des noms, soit considérés dans leur ordre naturel, soit décomposés & réduits en anagramme ; ce qu’Ausone appelle,

Nomen componere, quod sit
Fortunæ, morum, vel necis indicium.

Cœlius Rhodiginus nous a donné la description d’une espece d’onomancie fort singuliere. Il dit que Théodat, roi des Goths, voulant savoir quel seroit le succès de la guerre qu’il projettoit contre les Romains, un juif expert dans l’onomancie lui ordonna de faire enfermer un certain nombre de cochons dans de petites étables, & de donner à quelques-uns de ces animaux des noms romains, à d’autres des noms de goths, avec des marques pour les distinguer les uns des autres, & enfin de les garder jusqu’à un certain jour ; lequel étant arrivé, on ouvrit les étables, & l’on trouva morts les cochons qu’on avoit désignés par des noms des goths, tandis que ceux à qui l’on avoit donné des noms romains étoient pleins de vie, ce qui fit prédire au juif que les Goths seroient défaits.