L’Encyclopédie/1re édition/ORFEVRERIE
ORFEVRERIE, s. f. corps de l’Orfevrerie, sixieme & dernier corps des marchands de la ville de Paris. Le nombre des marchands de ce corps est fixé à trois cens. On l’appelle aussi Orfevrerie Joyaillerie à cause du négoce, qu’ils sont en possession de faire de tous les tems des joyaux, diamans, perles & pierres précieuses.
Ce corps est très-ancien ; ses premiers statuts sont de l’année 1260, & paroissent avoir été dirigés sur d’autres beaucoup plus anciens. La délicatesse & le goût de l’Orfévrerie de Paris, joint à l’attention scrupuleuse que le gouvernement a toujours eu de veiller à la bonté du titre & à la bonne foi de cette branche de commerce, l’a mise en crédit chez l’étranger, & a fait regarder cette capitale comme supérieure aux autres Orfévreries de l’Europe. Voyez Orfevre. Il jouit de toutes les prérogatives des six corps des marchands, & l’on remarque singulierement que dans les entrées des rois, reines, ou légats, où les six corps ont le privilege de porter le dais sur les personnes, rois, reines ou légats, souvent on n’appelloit à ces cérémonies que 3, 4 ou 5 de ces corps, mais que jamais celui de l’Epicerie & de l’Orfévrerie n’ont été omis ; qu’il a fréquemment fourni des sujets pour les places municipales & jurisdictions consulaires, & qu’il est le seul au-moins depuis plus de 300 ans chez lequel on ait pris un prevôt des marchands en l’année 1570, qui se nommoit Claude Marcel, & étoit d’une famille ancienne de l’Orfevrerie ; ce corps a aussi donné des hommes d’un talent rare. Voyez Orfevre.
Voici quelques-uns de leurs statuts.
Ils sont obligés d’avoir leurs forges & fourneaux scellés en plâtre dans leurs boutiques à six piés de la rue & en vûe ; il leur est aussi défendu de travailler passé les heures indiquées par la police : l’objet de ce statut est de tenir continuellement les Orfevres en état d’être veillés par les préposés à la police du corps. Les préposés à la police du corps sont les officiers de la cour des monnoies & les gardes Orfevres.
Tous les ans on fait élection de trois Orfevres, d’un qui a déja été garde, & de deux autres qui n’ont point encore passé cette charge : leur exercice est de deux ans ; les trois nouveaux élus avec les trois de l’année précédente forment le college de six gardes, lesquels font les essais, asseoient la capitation, la perçoivent, visitent les atteliers & les ouvrages de leurs confreres, sans assistance d’aucun officier de police, toutesfois & quand ils le jugent à propos, & gerent toutes les affaires du corps : ils prêtent serment pour l’exercice de leurs fonctions à la cour des monnoies, & entre les mains du lieutenant général de police.
Les contestations sur le fait de l’Orfévrerie se portent en ce qui concerne la police devant le lieutenant général de police du Châtelet de Paris, & en ce qui concerne le titre des matieres & contraventions sur icelles en la cour des monnoies de Paris.
Les veuves des Orfevres peuvent tenir boutique ouverte, & faire le commerce de l’Orfevrerie : autrefois même elles avoient un poinçon ; mais lors du réglement de 1679, le ministere craignant qu’elles n’en abusassent, ou que n’étant pas assez instruites, elles ne compromissent trop facilement la réputation de leur poinçon, ordonna qu’aussitôt le décès d’un orfevre leurs veuves remettroient le poinçon de leurs maris pour être biffé, leur laissant néanmoins la faculté de faire fabriquer chez elles, en faisant marquer leurs ouvrages du poinçon d’un autre maître, lequel demeureroit garant des ouvrages revêtus de son poinçon, comme s’ils étoient de sa fabrique.
Les Orfevres qui ne tiennent pas boutique ouverte sont obligés de déposer leurs poinçons au bureau des Orfevres, pour y être enfermés & scellés jusqu’à ce qu’ils reprennent boutique.
Les Orfevres ont la faculté de graver tous leurs ouvrages, même sceaux, cachets, lames d’acier, en un mot, tout ce dont ils ont besoin pour l’ornement de leur fabrique.
Le commerce d’Orfévrerie est interdit à tous marchands assistans ou commerçans qui ne sont pas du corps, il est seulement permis aux marchands merciers de vendre la vaisselle ou autres ouvrages d’Orfévrerie venant d’Allemagne ou des pays étrangers, à la charge d’en faire la déclaration au bureau, où on met sur ces ouvrages un poinçon à ce destiné.
Il est défendu aux Orfevres d’acheter, fondre ou déformer aucunes especes d’or ou d’argent du royaume ayant cours ou décriées.
Les Orfevres sont aussi tenus, quand ils en sont requis, de donner des bordereaux des marchandises qu’ils vendent, contenant le poids, le titre, le prix de la matiere & de la façon séparés l’un de l’autre.
Les Orfevres sont exempts de toutes créations de maîtrises, aux joyeux avénemens à la couronne, entrées de rois, reines, ou autres grands avénemens. Il n’est point permis aux Orfevres de travailler dans les lieux privilégiés, & il est défendu aux chefs de tous lieux privilégiés quelconques de donner retraite chez eux aux ouvriers d’Orfevrerie sans qualité ou ayant qualité.
Le tems de l’apprentissage est de huit années ; on ne peut être reçu apprentif avant dix ans, & passé seize ans.
Les enfans des maîtres sont dispensés de l’apprentissage, & du compagnonage qui est de deux ans pour les apprentifs. On suppose, ce qui est assez naturel, qu’ils ont dû apprendre dans la maison paternelle l’art qu’ils veulent professer : au surplus ni les uns ni les autres ne sont admis sans chef-d’œuvre ; il seroit à souhaiter qu’on y tînt une main bien sévere, & qu’on rétablît l’ancienne coutume d’exposer publiquement les chef-d’œuvres des aspirans, la crainte d’éprouver une juste critique exciteroit l’émulation, effaroucheroit l’ignorance, & produiroit un effet utile au progrès de cet art.
Les Orfevres travaillans à la galerie du Louvre, ont droit de faire des apprentifs de tout âge ; au bout de six années de leur premier apprentif, ils peuvent en prendre un second ; leurs apprentifs sont astraints comme les autres à huit années d’apprentissage, mais ils sont reçus sans faire de chef d’œuvre & sans frais ; on suppose qu’ayant appris sous de si excellens maîtres, ils sont suffisamment capables. Les ouvriers qui ont travaillé pendant six ans dans la manufacture royale des Gobelins, sont reçus à la maîtrise d’Orfevrerie sans chef-d’œuvre & sans frais. L’hôpital de Trinité jouit du droit de donner la maîtrise à deux ouvriers sans qualité tous les huit ans, travaillant l’un en or & l’autre en argent, pourvû qu’ils soient choisis par ledit hôpital, agréés sur leur chef-d’œuvre par les gardes orfevres, & qu’ils ayent appris le métier à un enfant dudit hôpital : il y a aussi quatre privilégiés du roi, & deux du duc d’Orléans ; mais ces privileges sont à vie, & ne donnent point qualité aux enfans : d’ailleurs ces privilegiés ne font point partie du corps de l’Orfévrerie, & n’en sont point membres ; on voit par ces privileges qu’il y a encore des moyens de parvenir à la maîtrise pour ceux qui n’ont pu l’acquérir à tems.
Quelques personnes dont les vûes pour le bien public & pour l’accroissement du commerce sont respectables & dignes des plus grandes éloges, regardent les lois d’apprentissage, du compagnonage & du chef-d’œuvre comme inutiles : ils pensent aussi qu’il est injuste de fixer le nombre des maîtres du corps de l’Orfévrerie, & de refuser place dans ce corps à des hommes d’un talent décidé, parce qu’ils n’ont point fait d’apprentissage, & qu’ils ne sont point fils de marchands : nous pensons comme eux à quelques égards, mais nous ne sommes point d’accord sur tous les points.
1°. La connoissance que nous avons de toutes les parties d’étude nécessaires pour faire un bon artiste, & dont nous avons tracé l’esquisse au mot Orfevre, nous porte à croire que huit années d’apprentissage bien employées ne sont pas trop longues pour acquérir toutes les lumieres nécessaires à cet art, sur-tout quand on reflechit qu’il ne suffit pas d’être bon théoriste, mais qu’il faut y joindre une excellente pratique ; il seroit à souhaiter seulement que tous les maîtres fussent assez habiles pour former de bons éleves : & comment parviendra-t-on à ne remplir le corps que de bons artistes, si on néglige d’éprouver leur capacité ? Quant à moi, j’ai toujours regardé le chef-d’œuvre comme une chose de premiere nécessité, & d’un intérêt essentiel au bien du corps & de l’état, à qui il importe beaucoup que l’Orfévrerie de Paris conserve sa supériorité. On peut me répondre qu’on peut apprendre sans être gêné par des lois : j’en conviens ; mais comme l’équité est la premiere regle, il faut la consulter, & voir qu’un maître qui perd son tems à montrer à un apprentif, devroit être payé trop cherement, si les lois ne lui avoient pas assigné les dernieres années de l’apprentissage, pour se dédommager sur le travail de son éleve des peines & soins qu’il lui a coûté dans ses premieres années ; & que l’ingratitude & la légereté étant très-communes chez les jeunes gens, on les verroit trop souvent, s’ils n’étoient astreints par les lois, quitter leurs maîtres aussi-tôt qu’ils sauroient quelque chose, & chercher à jouir de leurs talens, sans s’embarrasser de payer de reconnoissance ceux à qui ils doivent ce qu’ils sont.
2°. Quant aux regles du compagnonage, on n’y tient pas assez la main pour qu’on puisse se plaindre de la gêne de cette loi ; & si on l’a quelquefois mise en vigueur, très-souvent c’est parce qu’on cherchoit par tous les moyens possibles à écarter un mauvais sujet. Les bons artistes ne se plaindront jamais de cette loi ; leur intérêt personnel les engage à visiter plusieurs atteliers pour étudier tous les goûts : on ne voit ordinairement que les ignorans, les présomptueux & les indépendans chercher à la franchir.
3°. Il paroît ridicule de fixer le nombre des Orfevres à 300, &, selon les personnes que je prens la liberté de combattre, ce commerce devroit être libre & de la plus grande étendue, parce que le nombre des artistes augmentant, la nécessité d’être employés fait baisser le prix des ouvrages, établit une concurrence de bon marché qui ne peut manquer d’étendre le commerce. Leur principe est juste, & leur conséquence nécessaire : mais ce principe qui peut être vrai pour toutes les autres branches de commerce, cesse de l’être pour celle-ci, à ce que je pense. Si on envisage les sources de l’aggrandissement de l’Orfévrerie de Paris, je crois qu’il est difficile de révoquer en doute que la sûreté du titre des matieres qu’on emploie, & l’excellence du goût des artistes françois soient la seule cause de leur grand crédit chez l’étranger, d’où il est aisé d’inférer que plus le nombre des Orfevres sera resserré, plus ils seront en état d’être veillés, & moins la réputation du poinçon de Paris sera compromise : que moins ils seront en nombre, plus ils seront en état de se faire bien payer, & par conséquent de consacrer plus de tems à l’étude, seul moyen de perpétuer le bon goût, & de l’empêcher de tomber en discrédit : il est vrai que nous sommes totalement contradictoires sur nos principes ; il n’est question que d’examiner lesquels sont les plus vrais & les plus avoués. Fouillons plus avant, & disons, que l’intérêt de l’état est que la main-d’œuvre se soutienne chere, afin que pour peu de valeur intrinseque l’artiste fasse rentrer beaucoup d’argent dans le royaume. Ce principe constant & jamais nié pourroit-il avoir lieu, si on fait baisser la main d’œuvre sur des objets dont la matiere premiere est toute valeur précieuse & indestructible ?
Un vœu que nous oserions former, & qui seroit digne & de la bonté du prince qui regne sur nous & de la sagesse de son gouvernement ; c’est qu’on réduisît presque à rien, si nous l’osons dire qu’on abolît tout entier les droits qui se prélevent sur les ouvrages de l’Orfevrerie ; l’expérience a prouvé que la chereté de ces droits est ce qui nuit le plus à l’étendue de son commerce : il seroit à souhaiter au moins que toutes les fois que l’étranger vient se fournir chez nous, il n’en payât aucun, & même qu’on lui remît ceux précédemment payés, en justifiant du transport de ces ouvrages hors du royaume.
4°. Ce seroit encore une justice d’ouvrir des portes aux artistes distingués, qui ne peuvent être admis dans le corps, parce qu’ils n’ont point fait d’apprentissage, & ne sont point fils de marchands, &c. il est, ce me semble, un bon moyen d’établir l’émulation & de couronner le talent à cet égard ; c’est d’ordonner que de tems à autre il y auroit un concours où celui dont l’ouvrage seroit jugé supérieur fût reçu gratis, admettant à ce concours apprentif, fils de maître, comme ouvrier sans qualité indistinctement ; & joignant aux gardes de l’Orfévrerie juges nés des chef-œuvres, d’autres artistes, même des mêmbres de l’académie de Peinture & de Sculpture ; ce seroit, il me semble, un bon moyen pour fermer la bouche aux gens à talens sur l’injustice des lois ; car alors leur sort seroit entre leurs mains. Ces sentimens & ces vœux sont le fruit des réflexions d’un citoyen impartial, qui proteste contre tout esprit de parti, de corps ou de compagnie : les seules vûes du bien public sont celles qui l’animent & l’engagent à mettre au jour ce qu’il regarde dans la sincérité de son cœur comme des vérités incontestables.