L’Encyclopédie/1re édition/PÉCULE
PÉCULE, s. m. (Jurisprud.) c’est ce qu’un fils de famille, un esclave ou un religieux amasse par son industrie, ou acquiert de quelqu’autre maniere, & dont on lui laisse l’administration.
L’invention de pécule vient des Romains. Le pécule, peculium, a été ainsi appellé, quasi pusilla pecunia, seu patrimonium pusillum, ou plutôt quasi res peculiaris, chose propre au fils de famille ou autre qui a ce pécule.
Il n’y avoit originairement dans le droit qu’une sorte de pécule pour les fils de famille & pour les esclaves. Le pécule des uns & des autres étoit une légere portion des biens du pere de famille ou du maître que celui-ci consentoit qui demeurât séparé du reste de ses biens, & pour le compte du fils de famille ou de l’esclave.
Il étoit au pouvoir du maître d’ôter à l’esclave le pécule entier, de l’augmenter ou de le diminuer : tout ce que l’esclave acquéroit étoit au profit du maître.
Il en étoit aussi de même anciennement des fils de famille ; mais dans la suite on distingua le pécule de ceux-ci du pécule des esclaves.
La division la plus générale du pécule du fils de famille, est en pécule militaire & pécule bourgeois, militare & paganicum.
Le pécule militaire se divise en castrense & quasi castrense.
On appelle pécule castrense, ce qui a été donné au fils étant au service militaire par ses parens ou amis, ou ce qu’il a lui-même acquis au service, & qu’il n’auroit pas pû acquérir s’il n’avoit été au service ; car ce qu’il auroit pû acquérir autrement n’est pas réputé pécule castrense.
On entend par pécule quasi castrense, ce qui vient au fils de famille à l’occasion de la milice de robe.
On distingue quatre sortes de pécules quasi castrense, savoir :
Le clérical, que les ecclésiastiques acquirent au service de l’église : l. cum lege, cod. de episc, & cler.
Le pécule appellé palatinum, qui est celui que les officiers du palais, c’est-à-dire, de la maison du prince y ont acquis. L. unic. cod. de pecul.
La pécule forense, du barreau, est celui que les magistrats, les avocats & autres gens de justice acquierent à l’occasion de leurs dignités ou professions. L. ult. cod. de inoff. test.
Le pécule littéraire est celui que les professeurs des sciences & médecins acquierent dans leur profession. Ibid.
Le pouvoir des fils de famille sur le pécule castrense & quasi castrense, est absolu & entierement indépendant de la puissance paternelle ; ils en peuvent dispenser entre vifs & à cause de mort, ils peuvent même en disposer par testament. § 1 2 & 3. instit. quibus non est permissum fac. test. ff. & eod. tit. de castr. pecul. est ult. de inoff. test.
Le pécule bourgeois, paganum, est ce qui vient au fils de famille autrement que par le service de robe ou d’épée ; il est de deux sortes, le profectice & l’adventice.
Le profectice est celui qui vient des biens du pere.
Le pécule adventice est celui qui vient de la mere, des parens maternels, & de toute autre maniere que des biens du pere.
Tous les anciens droits du pere de famille sur le pécule profectice, subsistent encore par-tout où la puissance paternelle a lieu ; mais il n’a plus que l’usufruit du pécule adventice, la propriété en appartient au fils.
Il y a même cinq cas où le pere n’a pas l’usufruit de pécule adventice : savoir, 1°. lorsque le fils a accepté une succession contre la volonté du pere. 2°. Lorsqu’on a donné un esclave au fils, à condition de lui donner la liberté. 3°. Quand les biens ont été donnés au fils, à condition que le pere n’en auroit pas l’usufruit. 4°. Dans le cas où le pere a partagé avec un de ses enfans la succession d’un autre enfant. 5°. Lorsque le pere sans juste cause a fait divorce avec sa femme. 117. 118. & 134.
Le pere avoit anciennement le tiers du pécule adventice pour prix de l’émancipation qu’il accordoit au fils de famille ; mais Justinien, au lieu du tiers en propriété, lui a donné la moitié en usufruit, de sorte que le fils en conserve seul toute la propriété. (A)
Pécule d’un religieux, qu’on appelle aussi côte morte, est ce qu’un religieux possede en particulier lorsqu’il a quitté la vie commune pour posséder ou desservir une cure, ou autre bénéfice, c’est un pécule clérical sur lequel ce religieux a pendant sa vie, & tant qu’il est hors de son couvent, un pouvoir aussi étendu que le fils de famille l’a sur le pécule castrense & quasi castrense ; mais il ne peut disposer de ce pécule par disposition à cause de mort.
Les conciles, les papes, les peres de l’Eglise se sont toujours élevés contre les religieux qui affectoient de posséder quelque chose en particulier. Le concile de Trente en contient de séveres défenses ; le pape Clément VIII. a confirmé les decrets de ce concile, & ordonné qu’ils seroient observés à la rigueur. Les conciles provinciaux de France y sont conformes, & les institutions d’ordres de tous les âges ont toutes à cet égard le même vœu.
Mais M. de Cambolas prétend que la rigueur des lois qui condamnent le pécule, ne doit avoir lieu que pour les religieux qui étoient arctioris regulæ ; & M. Bignon dit qu’il faut se mesurer selon nos mœurs & notre façon de vivre, la plûpart des religieux ayant beaucoup relâché de l’observance de l’austérité de leur regle, sur-tout à l’égard de la propriété & de la possession, qu’on la leur a permise tacitement en leur laissant la jouissance entiere séparée des bénéfices particuliers.
Tout ce qu’un religieux acquiert dans les emplois dont il est chargé, appartient à l’abbé & au monastere ; mais si le religieux est pourvu d’un bénéfice cure, son pécule ou côte morte doit être distribué aux pauvres de la paroisse & à la fabrique. Telle est la jurisprudence du parlement de Paris. Il y a cependant des arrêts du grand-conseil qui adjugent ce pécule du religieux curé à son monastere. Voyez le traité du pécule par Gerbais, la biblioth. can. les mémoires du clergé. (A)