L’Encyclopédie/1re édition/PACTOLE

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PACTOLE, (Géog. anc.) Pactolus, fleuve d’Asie, dans la Lydie ; c’est le Ludon, Lydon flumem de Varron, & le Lydius amnis de Tibulle. Il prenoit sa source dans le mont Tmolus, mouilloit la ville de Sardes, & se jettoit dans l’Hernus, qui va se perdre dans le golfe de Smyrne, selon Ptolomée, l. V. c. ij. & Strabon, l. XI. p. 520.

Son lit est étroit & sans profondeur, son cours très-borné ; mais le canton qu’il traverse est un des plus beaux de la province. Il passe aujourd’hui près des ruines de Sardes ; mais autrefois il couloit au milieu de cette ville, l’une des plus anciennes & des plus riches de l’Asie mineure.

Le Pactole, à peine remarqué de nos jours dans les lieux qu’il arrose, étoit jadis fameux par plusieurs choses, dont la plus considérable est un mélange de parcelles d’or avec le sable qui rouloit dans son lit. Les auteurs anciens parlent de cette singularité, les Poëtes sur-tout l’ont célébrée comme à l’envi, & les continuelles allusions que les modernes font au Pactole, lui conservent encore une réputation qu’il ne mérite plus depuis long-tems.

Le Pactole a reçu le nom de Chrisorrhoas, épithete commune autrefois à plusieurs rivieres dont les eaux bienfaisantes fertilisoient leurs bords. Le Pactole la méritoit à ce titre & par une raison plus forte, les paillettes d’or qu’il entraînoit justifioient à son égard le surnom de Chrisorrhoas, lequel pris à la lettre, désigne une riviere qui coule des flots chargés d’or.

Suivant Ovide, Hygin, & Planciades, c’est à Midas, roi de Phrygie, que le Pactole a dû ses richesses. Ce prince avoit obtenu de Bacchus, le don de convertir en or tout ce qu’il touchoit : don funeste, dont il sentit bien-tôt les affreuses conséquences. Pour s’en délivrer il implora la pitié du dieu, qui lui dit de se baigner dans le Pactole, dont les eaux en le recevant acquirent la propriété qu’il perdit. Nous rapportons cette tradition fabuleuse empruntée des Grecs par les mythologues latins, pour montrer qu’il fut un tems où le Pactole passoit pour n’avoir point roulé d’or avec ses eaux. Mais quand a-t-il commencé ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. Hésiode ne fait aucune mention du Pactole, quoiqu’il ait donné dans sa Théogonie une liste de la plûpart des rivieres de l’Asie mineure, dont quelques-unes n’ont qu’un cours très-peu étendu. Homere n’en parle jamais ; ce poëte étoit géographe : auroit-il ignoré que dans le voisinage des lieux où il place l’Iliade, & de ceux mêmes, où selon quelques écrivains, il avoit pris naissance, couloit un fleuve qui, pour nous servir de l’expression de Virgile, arrosoit de son or les campagnes de la Lydie ? Et s’il ne l’ignoroit pas, auroit-il pu négliger cette singularité, si susceptible des ornemens de la poésie ? Ce fut donc long-tems après que les eaux du Pactole commencerent à rouler de l’or, & nous savons seulement que Xerxès I. en tiroit de cette riviere ; elle en fournissoit encore du tems d’Hérodote : mais enfin la source s’en tarit insensiblement, & long-tems avant Strabon qui vivoit sous Tibere, le Pactole avoit perdu cette propriété.

Si l’on demande de quelle nature étoit cet or, nous répondrons avec l’auteur du traité sur les fleuves, & le scholiaste de Licophron, que c’étoit des paillettes mêlées le plus souvent avec un sable brillant, & quelquefois attachées à des pierres que les courans d’eau enlevoient de la mine. Au rapport de quelques anciens, de Varron entre-autres, & de Dion Chrysostôme, la quantité de ces paillettes étoit comparable à celui qu’on retire des mines les plus abondantes. Le Pactole, à les entendre, fut la principale source des richesses de Crésus ; il en tira la matiere de ces briques d’or d’un si grand prix, dont il enrichit le temple d’Apollon ; mais gardons-nous de prendre au pié de la lettre ces témoignages des deux écrivains, qui n’ont consulté qu’une tradition vague des plus exagérées par les Grecs.

Ils apprirent avec admiration qu’un métal que la nature leur avoit refusé, couloit ailleurs dans les sables d’une riviere : singularité frappante, sur-tout pour des hommes épris du merveilleux. De-là vint la gloire du Pactole. Long-tems après la découverte des mines de la Thrace, le pillage du temple de Delphes, & sur-tout les conquêtes d’Alexandre, rendirent l’or plus commun dans la Grece ; mais la réputation du Pactole étoit faite, elle subsista sans s’affoiblir, & dure encore, du-moins parmi nos Poëtes, dont le langage est l’asyle de bien des faits proscrits ailleurs.

Rabattons donc infiniment du récit des anciens, pour avoir une juste idée des richesses du Pactole, qui toutefois étoient considérables. Si cette riviere n’avoit que détaché par hasard quelques parcelles d’or des mines qu’elle traversoit, elle n’auroit pas mérité l’attention de Crésus & de ses ayeux, moins encore celle des rois de Perse successeurs de Crésus. Les souverains s’attachent rarement à des entreprises dont la dépense excede le profit. Le soin avec lequel les rois de Lydie ramassoient l’or du Pactole, suffit pour montrer que la quantité en valoit la peine.

Le peu de profondeur du Pactole, & la tranquillité de son cours, facilitoient le travail nécessaire pour en retirer les parcelles de ce métal précieux ; ce que les ouvriers laissoient échapper alloit se perdre dans l’Hermus, que les anciens mirent par cette raison au nombre des fleuves qui roulent l’or, comme on y met parmi nous la Garonne, quoiqu’elle ne doive ce foible avantage qu’à l’Ariège, Aurigera, qui lui porte de tems-en-tems quelques paillettes d’or avec ses eaux.

Au reste, celui du Pactole étoit au meilleur titre, car l’auteur du traité des fleuves lui donne le nom d’or darique, monnoie des Perses qui étoit à 23 karats, d’où il résulteroit que l’or du Pactole, avant que d’être mis en œuvre, n’avoit qu’une 24. partie de matiere hétérogène.

Ajoutons à la gloire du Pactole, que l’on trouvoit dans ses eaux argentines une espece de crystal ; que les cygnes s’y plaisoient autant que dans celles du Caystre & du Méandre ; & que ses bords étoient émaillés des plus belles fleurs. Si l’on étoit assuré que la pourpre, si connue dans l’antiquité sous le nom de pourpre sardique, se teignît à Sardes & non pas en Sardaigne, on pourroit dire encore à la louange des eaux du Pactole, qu’elles contribuoient à la perfection de ces fameuses teintures. Enfin l’on sait que les habitans de Sardes avoient sous Septime-Sévere établi des jeux publics, dont le prix paroit tout-ensemble faire allusion aux fleuves qui embellissoient les rives du Pactole, & à l’or qu’il avoit autrefois roulé dans son lit : ce prix étoit une couronne de fleurs d’or.

Tout a changé de face ; à peine le Pactole est-il connu de nos jours : Smith, Spon, Whéeler, & d’autres voyageurs modernes n’en parlent que comme d’une petite riviere, qui n’offre rien aujourd’hui de particulier, & peut-être nous serions nous borné à le dire séchement, sans les recherches de M. l’abbé Barthélemi, dont nous avons eu le plaisir de profiter. (D. J.)