L’Encyclopédie/1re édition/PARADE

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PARADE, s. f. (Grammaire.) vue ou exposition d’une chose vue dans tous ses avantages, & dans ce qu’elle a de plus beau. Voyez Spectacle.

Un lit de parade, est celui sur lequel on expose le corps d’un grand ou d’un prince après sa mort.

On appelloit parade dans les tournois, la marche que faisoient, en bel ordre, les chevaliers dans la lice avant que de commencer le combat.

On a donné aussi le nom de parade à ce que nous appellons aujourd’hui revue d’une troupe, d’un régiment : on disoit alors faire la parade, & montrer la parade, comme nous disons aujourd’hui faire l’exercice, & monter la garde.

Parade, faire la, (Art milit.) les officiers font la parade, lorsque leur bataillon, leur régiment, ou leur compagnie, ayant ordre de se mettre sous les armes, ils s’y rendent en meilleur état qu’il leur est possible, pour prendre le poste, & tenir le rang qui leur est dû, soit sur le terrein où le bataillon se forme, soit dans la place où l’on s’assemble pour monter la garde, soit devant le corps-de-garde, quand il faut relever la garde, ou bien lorsqu’une personne de qualité est prête à passer. Dict. milit. (D. J.)

Parade, (Marine.) faire la parade ; tous les vaisseaux firent parade, & chacun déploya tous ses pavillons : c’est orner un vaisseau de tous les pavillons qui sont à son bord, & de tous ses parois. On dit aussi parer, les vaisseaux seront parés de flâmes. (Z)

Parade, (Maréchalerie.) on appelle cheval de parade, celui dont on ne se sert que dans les occasions de cérémonie, & plus pour la beauté que pour le service qu’on en attend.

On appelle la parade, un endroit que le maquignon a désigné pour faire monter le cheval qu’il veut vendre.

La parade, en terme de manege, est la même chose que le parer. Voyez Parer.

Parade, terme d’escrime, action par laquelle on pare une estocade. Voyez Parer.

Il y a autant de parades différentes, qu’il y a de différentes façons de terminer une estocade, voyez Estocade. Il y a donc cinq parades, qu’on appelle en terme d’escrime, quarte, tierce, seconde, quarte basse & quinte.

Parade, espece de farce, originairement préparée pour amuser le peuple, & qui souvent fait rire, pour un moment, la meilleure compagnie.

Ce spectacle tient également des anciennes comédies nommées platariæ, composées de simples dialogues presque sans action, & de celles dont les personnages étoient pris dans le bas peuple, dont les scenes se passoient dans les cabarets, & qui pour cette raison furent nommées tabernariæ. Voyez Comédie.

Les personnages ordinaires des parades d’aujourd’hui, sont le bon-homme Cassandre, pere, tuteur, ou amant surané d’Isabelle : le vrai caractere de la charmante Isabelle est d’être également foible, fausse & précieuse ; celui du beau Léandre son amant, est d’allier le ton grivois d’un soldat, à la fatuité d’un petit-maître : un pierrot, quelquefois un arlequin & un moucheur de chandelle, achevent de remplir tous les rôles de la parade, dont le vrai ton est toujours le plus bas comique.

La parade est ancienne en France ; elle est née des moralités, des mysteres & des faceties que les éleves de la basoche, les confreres de la passion, & la troupe du prince des sots jouoient dans les carrefours, dans les marchés, & souvent même dans les cérémonies les plus augustes, telles que les entrées, & le couronnement de nos rois.

La parade subsistoit encore sur le théâtre françois, du tems de la minorité de Louis le Grand ; & lorsque Scarron, dans son roman comique, fait le portrait du vieux comédien la Rancune, & de mademoiselle de la Caverne, il donne une idée du jeu ridicule des acteurs, & du ton platement bouffon de la plupart des petites pieces de ce tems.

La comédie ayant enfin reçu des lois de la décence & du goût, la parade cependant ne fut point absolument anéantie : elle ne pouvoit l’être, parce qu’elle porte un caractere de vérité, & qu’elle peint vivement les mœurs du peuple qui s’en amuse ; elle fut seulement abandonnée à la populace, & releguée dans les foires & sur les théâtres des charlatans qui jouent souvent des scenes bouffones, pour attirer un plus grand nombre d’acheteurs.

Quelques auteurs célebres, & plusieurs personnes pleines d’esprit, s’amusent encore quelquefois à composer de petites pieces dans ce même goût. A force d’imagination & de gayeté, elles saisissent ce ton ridicule ; c’est en philosophes qu’elles ont travaillé à connoître les mœurs & la tournure de l’esprit du peuple, c’est avec vivacité qu’elles les peignent. Malgré le ton qu’il faut toujours affecter dans ces parades, l’invention y décele souvent les talens de l’auteur ; une fine plaisanterie se fait sentir au milieu des équivoques & des quolibets, & les graces parent toujours de quelques fleurs le langage de Thalie, & le ridicule déguisement sous lequel elles s’amusent à l’envelopper.

On pourroit reprocher, avec raison aux Italiens, &beaucoup plus encore aux Anglois, d’avoir conservé dans leurs meilleures comédies trop de scenes de parades ; on y voit souvent regner la licence grossiere & révoltante des anciennes comédies nommées tabernariæ.

On peut s’étonner que le vrai caractere de la bonne comédie ait été si long-tems inconnu parmi nous ; les Grecs & les Latins nous ont laissé d’excellens modeles, & dans tous les âges, les auteurs ont eu la nature sous les yeux, par quelle espece de barbarie ne l’ont-ils si long-tems imitée que dans ce qu’elle a de plus abject & de plus désagréable ?

Le génie perça cependant quelquefois dans ces siecles dont il nous reste si peu d’ouvrages dignes d’estime ; la farce de Pathelin feroit honneur à Moliere. Nous avons peu de comédies qui rassemblent des peintures plus vraies, plus d’imagination & de gayeté.

Quelques auteurs attribuent cette piece à Jean de Meun ; mais Jean de Meun cite lui-même des passages de Pathelin, dans sa continuation du roman de la Rose : & d’ailleurs nous avons des raisons bien fortes pour rendre cette piece à Guillaume de Loris.

On accorderoit sans peine à Guillaume de Loris, inventeur du roman de la Rose, le titre de pere de l’éloquence françoise, que son continuateur obtint sous le regne de Philippe le Bel. On reconnoit dans les premiers chants de ce poëme, l’imagination la plus belle & la plus riante, une grande connoissance des anciens, un beau choix dans les traits qu’il en imite ; mais dès que Jean de Meun prend la plume, de froides allégories, des dissertations frivoles, appesantissent l’ouvrage ; le mauvais ton de l’école, qui dominoit alors, reparoit : un goût juste & éclairé ne peut y reconnoitre l’auteur de la farce de Pathelin, & la rend à Guillaume de Loris.

Si nous sommes étonnés, avec raison, que la farce de Pathelin n’ait point eu d’imitateurs pendant plusieurs siecles, nous devons l’être encore plus que le mauvais goût de ces siecles d’ignorance regne encore quelquefois sur notre théâtre : nous serions bien tentés de croire que l’on a peut-être montré trop d’indulgence pour ces especes de recueils de scenes isolées, qu’on nomme comédies à tiroirs. Momus Fabuliste mérita sans doute son succès par l’invention & l’esprit qui y regnent ; mais cette piece ne devoit point former un nouveau genre, & n’a eu que de très-foibles imitateurs.

Quel abus ne fait-on pas tous les jours de la facilité qu’on trouve à rassembler quelques dialogues, sous le nom de comédie ? Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces especes de parades ne renferment qu’une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures, ou de petites esquisses mal dessinées, des mœurs & des ridicules ; quelquefois même on y voit regner une licence grossiere ; les jeux de Thalie n’y sont plus animés par une critique fine & judicieuse, ils sont deshonorés par les traits les plus odieux de la satyre.

Pourra-t-on croire un jour que dans le siecle le plus ressemblant à celui d’Auguste, dans la fête la plus solemnelle, sous les yeux d’un des meilleurs rois qui soient nés pour le bonheur des hommes, pourra-t-on croire que le manque de goût, l’ignorance ou la malignité, aient fait admettre & représenter une parade, de l’espece de celles que nous venons de définir ?

Un citoyen, qui jouissoit de la réputation d’honnête homme (M. Rousseau de Geneve), y fut traduit sur la scene, avec des traits extérieurs qui pouvoient le caractériser. L’auteur de la piece, pour achever de l’avilir, osa lui prêter son langage. C’est ainsi que la populace de Londres traine quelquefois dans le quartier de Drurylane, une figure contrefaite, avec une bourse, un plumet & une cocarde blanche, croyant insulter notre nation.

Un murmure général s’éleva dans la salle, il fut à peine contenu par la présence d’un maître adoré ; l’indignation publique, la voix de l’estime & de l’amitié, demanderent la punition de cet attentat : un arrêt flétrissant fut signé par une main qui tient & qui honore également le sceptre des rois, & la plume des gens de lettres. Mais le philosophe fidele à ses principes, demanda la grace du coupable, & le monarque crut rendre un plus digne hommage à la vertu en accordant le pardon de cette odieuse licence, qu’en punissant l’auteur avec sévérité. La piece rentra dans le néant avec son auteur ; mais la justice du prince & la générosité du philosophe passeront à la postérité, & nous ont paru mériter une place dans l’Encyclopédie.

Rien ne corrige les méchans : l’auteur de cette premiere parade en a fait une seconde, où il a embrassé le même citoyen, qui avoit obtenu son pardon, avec un grand nombre de gens de bien, parmi lesquels on nomme un de ses bienfaiteurs. Le bienfaiteur indignement travesti, est l’honnête & célebre M. H… & l’ingrat, est un certain P… de M.....

Tel est le sort de ces especes de parades satyriques, elles ne peuvent troubler ou séduire qu’un moment la société ; & la punition ou le mépris suit toujours de près les traits odieux & sans effet, lancés par l’envie contre ceux qui enrichissent la littérature, & qui l’éclairent. Si la libéralité des personnes d’un certain ordre, fait vivre des auteurs qui seroient ignorés sans le murmure qu’ils excitent ; nous n’imaginons pas que cette bienfaisance puisse s’étendre jusqu’à les protéger. Lisez l’article Eclectisme, p. 284. t. V. seconde col.

Cet article est de M. le comte de Tressan, lieutenant général des armées du Roi, grand maréchal-des-logis du roi de Pologne, duc de Lorraine & membre des académies des Sciences de France, de Prusse, d’Angleterre, &c.