L’Encyclopédie/1re édition/PARNASSE

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PARNASSE, s. m. (Géog. anc.) en latin Parnassus ou Parnasus, selon Ptolomée, l. III. c. xv. voilà

Ce mont & son double sommet
Qui s’alloit cacher dans la nue,
Et sur qui Virgile dormoit.

Cette montagne de la Phocide étoit consacrée aux Muses, à Apollon & à Bacchus. Les Grecs modernes la nomment licaoura.

Presque tous les poëtes lui donnent deux sommets. Lucain, l. V. vers. 73. dit :

Parnassus gemino petit æthera colle
Mons Phœbo, bromeoque sacer.

Et Ovide, Métamorph. l. I. vers. 316.

Mons ibi verticibus petit ardua astra duobus
Nomine Parnassus, superat que cacumine nubes.

Ce fut sur le Parnasse qui tiroit son nom du héros Parnassus, fils de Neptune & de la nymphe Cléodore, que Deucalion & Pirrha se retirerent du tems du déluge, disent les mythologues ; & c’est vers le lieu où étoit la ville de Delphes, aujourd’hui Castri, que l’on peut justifier le nom de biceps, ou à deux sommets, qu’on a donné à cette montagne. De l’entredeux de ces sommets sort la fontaine Castalienne dont l’eau faisoit devenir poëtes ceux qui en buvoient.

M. Spon rapporte que cette fontaine coule dans le roc où elle fait de belles cascades. Au fond de l’entre-deux du rocher, ajoute-t-il, nous apperçûmes trente piés au-dessus de notre tête une grande ouverture ; c’étoit-là l’antre des nymphes que les poëtes appelloient antrum Corycium ; l’eau de la fontaine est excellente, le soleil pouvant à peine y donner un quart-d’heure en tout le jour, à cause de la hauteur de la roche, qui est derriere & aux deux côtes. Au-dessous de la source de cette fontaine, il y a un bain quarré, à trois ou quatre degrés tailles dans le roc.

M. Spon fut curieux de visiter la cîme de deux croupes du parnasse, où il ne trouva que des rochers aussi anciens que le monde, sans aucun autre bâtiment, qu’une dixaine de huttes de bergers ; ensuite poursuivant son chemin sur le Parnasse en tirant vers le nord, il avança cinq ou six milles dans des fonds de vallon, & de bocages de pins, propres à la solitude que demande la poésie. Du reste, c’est un terroir sec & stérile ; ce qui nous apprend que les anciens ne logeoient pas les Muses dans des pays gras & fertiles, dont le séjour délicieux auroit corrompu l’austérité des mœurs.

Après ces valons, notre voyageur entra dans une plaine de sept ou huit milles de tour, où il vit quelques terres labourées ; ensorte qu’il avoit peine à croire qu’il fut sur une haute montagne. Il s’arrêta quelques tems auprès d’une belle source, qui pousse deux ou trois bouillons de la grosseur de la tête, & fait en sortant un ruisseau de sept à huit piés de large, qui roule deux ou trois cens pas parmi les cailloux, & se va jetter dans un marais au milieu de la plaine.

Cette plaine s’étend jusqu’au pié du Licaoura, qui est ordinairement couvert de neiges toute l’année ; il y a de cet endroit encore pour deux heures à monter jusqu’au sommet ; de sorte que le Parnasse est une des plus hautes montagnes, non-seulement de la Grèce, mais du monde. On le découvre de la forteresse de Corinthe, qui en est éloignée de plus de soixante milles. S’il étoit détaché des montagnes voisines comme le mont Athos, il paroîtroit de plus loin. Il a de tour une grande journée de chemin, & n’est habité que vers le bas. Le Parnasse a au midi la montagne de Cyrphis ; au levant la montagne d’Hélicon ; au nord, la plaine où étoit autrefois Etatea & la riviere Cephissus ; & au couchant, la plaine de Salona.

Je regrette la perte de la description du mont Parnasse qu’avoit fait la Guilletiere ; il est peu d’écrivains plus agréables, & M. Spon ne l’a point remplacé. (Le Chevalier de Jaucourt.)