L’Encyclopédie/1re édition/PASTEUR

La bibliothèque libre.
◄  PASTEQUE
PASTICHE  ►

PASTEUR, s. m. (Gramm. & Théol.) dans un sens littéral signifie un berger, un homme occupé du soin de faire paître les troupeaux. Dans l’antiquité on a par analogie appliqué ce nom aux princes ; Homere dit que les rois sont les pasteurs des peuples, parce qu’ils doivent veiller à la félicité de leurs sujets.

Dans l’ordre de la religion pasteur signifie un homme consacré à Dieu d’une maniere spéciale, ayant autorité & jurisdiction sur toute l’Eglise, comme le pape, ou sur une portion considérable des fideles, comme les évêques, ou sur une moindre portion, comme les curés. On distingue les premiers pasteurs, c’est-à-dire le pape & les évêques, des pasteurs du second ordre. Les premiers ont seul droit de décider dans les matieres de dogme & de discipline, les autres ont celui d’enseigner, mais avec subordination, aux premiers pasteurs. Voyez Curé.

Pasteur, livre du, (Théol.) le livre du pasteur tel que nous l’avons aujourd’hui est divisé en trois livres, dont le premier est intitulé visiones, le second mandata, & le troisieme similitudines. Le premier, dans l’édition qu’en a donné M. Cotelier, est sous-divisé en quatre visions, qui contiennent chacune plusieurs apparitions. L’auteur, qui est Hermas, raconte dans la premiere que son pere ayant vendu une jeune fille à Rome, le hazard fit qu’il la vit ensuite & l’aima comme sa sœur : que quelque tems après l’ayant vû se baigner dans le Tibre, il souhaita en lui-même d’avoir une femme aussi belle & aussi sage, & rien de plus, ajoute-t-il, nihil ultra : mais qu’un jour il vit le ciel ouvert, & cette femme dans le ciel qui lui reprochoit d’avoir péché à son occasion, du-moins par concupiscence. Il falloit qu’Hermas fût bien dévot pour trouver un péché dans un pareil souhait : son livre est je crois le premier livre de dévotion qui ait été fait, & par conséquent le premier qui a commencé d’altérer la religion, & de mêler aux vérités chrétiennes les visions d’un cerveau creux. Il voit ensuite une autre femme plus vieille qui lui dit les mêmes choses que la premiere, & qui ajoute qu’elle lui a été envoyée pour l’avertir du mauvais gouvernement de sa famille & de ce qu’il ne corrigeoit pas assez ses enfans. Ce dernier avertissement étoit plus raisonnable, & pouvoit être donné avec plus de fondement : car les gens qui s’amusent à des visions sont plus sujets que les autres à négliger l’essentiel de leur devoir.

Dans la seconde vision, la même vieille lui apparoît pour lui reprocher le trop grand babil de sa femme : mais il étoit lui-même bien babillard de parler & d’écrire de telles bagatelles : elle disparoit ensuite après lui avoir promis bien des révélations, parce que c’étoit peut-être son goût & celui de son siecle, goût qui se renouvella du tems de saint Brigite. La vieille femme n’a pas sitôt disparu qu’un jeune homme se présente sur les rangs, pour instruire Hermas que cette femme qu’il vient de voir est l’Eglise qui a pris la figure d’une vieille, parce qu’elle a été créée la premiere, & que le monde a été fait pour elle. Cette Eglise avoit donné à Hermas un livre avec ordre de le copier, & d’en donner un exemplaire à Clément pour l’envoyer aux églises, & un à la veuve Grapte pour l’enseigner aux veuves & aux orphelins.

Dans la troisieme vision, c’est la même Eglise qui lui paroît accompagnée de six jeunes hommes dans une espece de pavillon couvert d’un voile de fin lin, où il y avoit des bancs pour s’asseoir. Aussi-tôt qu’elle fut entrée, elle dit aux jeunes gens d’aller bâtir, & resta seule avec Hermas, à qui elle ne permit jamais de s’asseoir à sa droite, malgré les instances qu’il en fit ; parce que cette place appartenoit aux martyrs qui avoient beaucoup souffert pour J. C. Hermas lui fait à cette occasion une question niaise, qui surprend quand on fait attention que cet auteur vivoit du tems des martyrs & des persécutions, & qui feroit douter que tout ce qu’on nous conte dans les martyrologes ne tînt beaucoup plus d’une pieuse fiction, que de la vérité de l’histoire ; car il en parle comme s’il les ignoroit entierement : Dico ei domina, vellem scin quæ sustinuerunt : audi, inquit, feras, bestias, flagella, carceres, cruces. Pendant qu’il s’entretient avec l’Eglise, il s’apperçoit que les six jeunes hommes bâtissent sur l’eau une tour quarrée avec des pierres quarrées, dont les jointures ne paroissent pas. Qu’une infinité d’autres hommes apportent à ces nouveaux mâçons des pierres qu’ils tirent de la terre, dont celles qui se trouvent de figure quarrée & dont les jointures conviennent, sont employées dans l’édifice de la tour, & les autres sont rejettées. Parmi celles-ci, il y en a qui roulent sur les eaux sans pouvoir s’enfoncer, d’autres roulent dans le desert, les autres sont brisées en morceaux & jettées bien loin, quelques-unes enfin sont seulement mises au pié de la tour, & entre ces dernieres il y en a de belles, blanches & polies, mais rondes. Hermas, après avoir tout remarqué, demande à la vieille l’explication de la tour & de tout ce qu’il voit. Elle lui répond que ces révélations ont leur fin, & qu’elles sont déja accomplies, mais qu’il est un homme importun qui ne cesse de demander des révélations ; enfin que la tour est l’Eglise : que les six hommes qui bâtissent sont les six principaux anges du Seigneur ; que le grand nombre de ceux qui apportent des pierres sont d’autres anges employés à l’édification de l’Église ; que les premieres pierres quarrées sont les apôtres, les évêques, les docteurs & les ministres qui ont été unis dans la doctrine de Jesus-Christ, avec la jointure desquels les autres pierres doivent s’accorder ; que les autres pierres qu’on apporte de la terre sont les hommes qui doivent entrer dans ce bâtiment ; que celles qui se trouvent propres & bien taillées sont les véritables fideles ; que celles qui roulent sur les eaux sont celles qui refusent ou qui different de recevoir le baptême, parce qu’il faut renoncer à ses cupidités ; que celles qui roulent dans le desert sont les hommes qui, après avoir connu la véritable religion, doutent encore, & croient trouver quelque chose de meilleur par leur science, de sorte qu’ils errent dans les lieux solitaires & peu fréquentés ; que les pierres brisées & jettées bien loin, sont les scélérats & les endurcis ; que celles qui sont mises auprès de la tour sans être employées, sont les pécheurs qui ont besoin de faire pénitence ; que celles qui sont blanches & rondes sont les riches, qui ont la candeur de la foi, mais qui ne veulent pas renoncer à leurs richesses, elles ont besoin d’être taillées pour entrer dans le bâtiment qui est de pierres quarrées ; que la tour enfin est bâtie sur l’eau, parce que nous sommes sauvés par l’eau, il veut dire le baptême.

Dans la quatrieme vision, il conte que se promenant un jour dans la campagne, il vit une grande poussiere, ce qui lui fit croire que c’étoit un troupeau de bêtes que l’on conduisoit, mais qu’elle augmenta si fort, qu’il crut enfin qu’il y avoit quelque chose d’extraordinaire. En effet il vit une bête d’une grandeur prodigieuse, & d’une figure épouventable : il remarqua sur sa tête quatre couleurs, le noir, le rouge, l’or & le blanc. Ayant passé au-delà de la bête, non pas sans une extrême peur, il vit la vieille femme qu’il avoit déja vûe dans les autres visions, à qui il demanda ce que signifioit cette bête & ces couleurs, & comment ce monstre ne l’avoit pas dévoré. Elle lui répondit que le noir signifioit le monde, le rouge le siecle présent, l’or les élus en ce monde, & le blanc l’état de gloire ; que l’ange qui veille sur les bêtes, nommé Higrin, l’avoit conservé. Voilà, à-peu-près, ce que contient le premier livre.

Le second livre est intitulé mandata, parce qu’il contient des commandemens au nombre de douze ; ils sont donnés à hermas par un ange qu’il nomme Pasteur, & qui se nomme ainsi lui-même, ego sum pastor cui traditus es. C’est peut-être de-là que le livre a pris le nom de pasteur. Ces commandemens sont de croire en Dieu, de faire l’aumône sans distinction, d’éviter le mensonge, la médisance, l’adultere, la tristesse, de résister à la cupidité, d’être d’un esprit égal, de demander avec foi & sans hésiter.

Il y a quelque chose de remarquable dans le quatrieme commandement touchant la dissolution du mariage & la pénitence. Il prétend qu’un homme dont la femme est adultere péche en la gardant avec lui, à-moins qu’il n’en ignore le crime ; dès qu’il en est instruit, il doit la renvoyer, & ne point se remarier à une autre ; il ajoute qu’il en est de même à l’égard de la femme envers son mari. Pour ce qui est de la pénitence, il dit qu’on n’y est reçu qu’une fois. Les paroles de l’auteur sur ces articles méritent d’être rapportées tout-au-long : Et dixi illi, Domine, si quis habuerit uxorem fidelem in Domino, & hanc invenerit in adulterio, numquid peccat vir, si convivit cum illa ? Et dixit mihi quandiu nescit peccatum ejus, sine crimine est vir vivens cum illa. Si autem scierit vir uxorem suam deliquisse, & non egerit pœnitentiam mulier, & permaneat in fornicatione sua, & convivit cum illa vir, reus erit peccati ejus & particeps mæchationis ejus. Et dixi illi : quid ergo si permanserit mulier in vitio suo ? Et dixit, dimittat illam vir, & vir per se maneat : quod si dimiserit uxorem suam & aliam duxerit, & ipse mæchatur. Et dixi illi, quod si mulier dimissa pœnitentiam egerit & voluerit ad virum suum reverti, nonne recipitur à viro suo ? Et dixit mihi : imò si non receperit eam vir suus, peccat & magnum peccatum sibi admittit. Sed debet recipere peccatricem quæ pœnitentiam egit, sed non sæpè ; servis enim Dei pœnitentia una est….. hic actus, similis est in viro & in muliere. Le Sr Hermas prétend encore dans ce même endroit qu’un homme ne peut pas garder une femme idolâtre, ni une femme chrétienne demeurer avec un mari idolâtre ; ce qui est contraire à la doctrine de l’apôtre S. Paul. Dans le sixieme commandement, il semble dire qu’il y a deux génies qui nécessitent l’homme. Dans le troisieme, où le mensonge est défendu, il pleure ses péchés en avouant qu’il n’a fait autre chose que mentir : son livre en est une belle preuve.

Le troisieme livre, intitulé similitudines, contient des comparaisons analogiques, des choses spirituelles, avec des naturelles, qui sont expliquées à Hermas par le pasteur ou l’ange qui lui parle. Par exemple, que les riches sont appuyés sur les prieres des pauvres, comme la vigne est soutenue par l’ormeau ; de la même façon qu’on ne peut pas distinguer pendant l’hiver un arbre verd d’avec un arbre sec, aussi pendant cette vie on ne peut pas distinguer le juste d’avec le pécheur. Dans le cinquieme chapitre, il est parlé du véritable jeûne, qui consiste à observer les commandemens de Dieu. Dans le neuvieme, enfin c’est une vision d’un édifice à-peu-près semblable à celui de la troisieme vision du premier livre.