L’Encyclopédie/1re édition/PEINTRE

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PEINTRE, s. m. (Peinture.) artiste qui sait représenter toutes sortes d’objets par le secours des couleurs & du pinceau.

Le bonheur d’un peintre est d’être né avec du génie. Ce génie est ce feu qui éleve les peintres au-dessus d’eux-mêmes, qui leur fait mettre de l’ame dans leurs figures, & du mouvement dans leurs compositions. L’expérience prouve suffisamment que tous les hommes ne naissent pas avec un génie propre à les rendre peintres. Nous avons vû des hommes d’esprit qui avoient copié plusieurs fois ce que la peinture a produit de plus sublime, vieillir le pinceau & la palette à la main, sans s’élever au-dessus du rang de coloristes médiocres, & de serviles dessinateurs d’après les figures d’autrui. Les esprits les plus communs sont capables d’être des peintres, mais jamais grands peintres.

Il ne suffit pas aux peintres d’avoir du génie, de concevoir des idées nobles, d’imaginer les compositions les plus élégantes & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leurs mains ayent été rendues dociles à se fléchir avec précision en cent manieres différentes, pour se trouver capables de tirer avec justesse la ligne que l’imagination leur demande. Le génie a, pour ainsi dire, les bras liés dans un artiste dont la main n’est pas dénouée.

Il en est de l’œil comme de la main ; il faut que l’œil d’un peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une opération sûre & facile en même tems quel effet doit faire un certain mélange, ou bien une certaine opposition de couleurs ; quel effet doit faire une figure d’une certaine hauteur dans un groupe ; & quel effet un certain groupe fera dans le tableau après que le tableau sera colorié. Si l’imagination n’a pas à sa disposition une main & un œil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu’enfante cette imagination, qu’un tableau grossier, & que dedaigne l’artiste même qui l’a peint, tant il trouve l’œuvre de sa main au-dessous de l’œuvre de son esprit.

L’étude nécessaire pour perfectionner l’œil & la main ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere, & une persévérance continuée durant plusieurs années. On sait la maxime qui défend aux peintres de laisser écouler un jour entier, sans donner quelques coups de pinceau ; maxime qu’on applique communément à toutes les professions, tant on la trouve judicieuse : nulla dies sine lineâ.

Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquérir leur perfection à l’œil & à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu’extérieurs, achevent de se former : c’est le tems qui s’écoule depuis l’âge de quinze ans jusqu’à trente. Les organes contractent sans peine durant ces années toutes leurs habitudes, dont leur premiere conformation les rend susceptibles. Mais si l’on perd ces années précieuses, si on les laisse écouler sans les mettre à profit, la docilité des organes se passe sans que nos efforts puissent jamais la rappeller. Quoique notre langue soit un organe bien plus souple que notre main, cependant nous prononçons toujours mal une langue étrangere que nous apprenons après 30 ans.

Un peintre doit connoître à quel genre de peinture il est propre, & se borner à ce genre. Tel demeure confondu dans la foule, qui seroit au rang des illustres maîtres, s’il ne se fût point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait tenter de se rendre habile dans des genres de peinture pour lesquels il n’étoit point né, & qui lui a fait négliger ceux auxquels il étoit très-propre. Les ouvrages qu’il a essayé de faire sont, si l’on veut, d’une classe supérieure ; mais ne vaut-il pas mieux être cité pour être un des premiers faiseurs de portraits de son tems, que pour un misérable arrangeur de figures ignobles & estropiées ?

Les jeunes peintres qui ont à cœur de réussir doivent encore se garder des passions violentes, en particulier de l’impatience, de la précipitation & du dégoût. Que ceux qui se trouvent dans une fortune étroite ne desesperent point de l’améliorer par l’application : l’opulence détourne du travail & de l’exercice de la main : la fortune est plus nuisible aux talens qu’elle ne leur est utile ; mais d’un autre côté les distinctions, les honneurs & les récompenses sont nécessaires dans un état pour y encourager la culture des beaux-arts, & y former des artistes supérieurs. Un peintre en Grece étoit un homme célebre aussitôt qu’il méritoit de l’être. Ce genre de mérite faisoit d’un homme du commun un personnage, & il l’égaloit à ce qu’il y avoit de plus grand & de plus important dans l’état ; les portiques publics où les peintres exposoient leurs tableaux étoient les lieux où ce qu’il y avoit de plus illustre dans la Grece se rendoit de tems en tems pour en juger. Les ouvrages des grands maîtres n’étoient point alors regardés comme des meubles ordinaires, destinés pour embellir les appartemens d’un particulier ; on les réputoit les joyaux d’un état & un trésor du public, dont la jouissance étoit dûe à tous les citoyens. Qu’on juge donc de l’ardeur que les artistes avoient alors pour perfectionner leurs talens, par l’ardeur que nous voyons dans nos contemporains pour amasser du bien, ou pour faire quelque chose de plus noble pour parvenir aux grands emplois d’un état.

Quoique la réputation du peintre soit plus dépendante du suffrage des experts que celle des poëtes, néanmoins ils ne sont pas les juges uniques de leur mérite. Aucun d’eux ne parviendroit que long-tems après la mort à la distinction qui lui est dûe, si la destinée demeuroit toujours au pouvoir des autres peintres. Heureusement ses rivaux compatriotes n’en sont les maîtres que pour un tems. Le public qu’on éclaire tire peu-à-peu le procès à son tribunal, & rend à chacun la justice qui lui est dûe. Mais en particulier un peintre qui traite de grands sujets, qui peint des coupoles & des voûtes d’église, ou qui fait de grands tableaux destinés pour être placés dans tous les lieux où tous les hommes ont coutume de se rassembler, est plutôt connu pour ce qu’il est, que le peintre qui travaille à des tableaux de chevalet destinés pour être renfermés dans des appartemens de particuliers.

De plus il est des lieux, des tems, des pays où le mérite d’un peintre est plutôt reconnu qu’ailleurs. Par exemple, les tableaux exposés dans Rome seront plutôt appréciés à leur juste valeur, que s’ils étoient exposés dans Londres & dans Paris. Le goût naturel des Romains pour la Peinture, les occasions qu’ils ont de s’en nourrir, si je puis parler ainsi, leurs mœurs, leur inaction, l’occasion de voir perpétuellement dans les églises & dans les palais des chef-d’œuvres de peinture ; peut-être aussi la sensibilité de leurs organes, rend cette nation plus capable qu’aucune autre d’apprécier le mérite de leurs peintres sans le concours des gens du métier. Enfin un peintre s’est fait une juste réputation, quand ses ouvrages ont un prix chez les étrangers ; ce n’est point assez d’avoir un petit parti qui les vante, il faut qu’ils soient achetés & bien payés ; voilà la pierre de touche de leur valeur.

Ce qui resserre quelquefois les talens des peintres, dit à ce sujet M. de Voltaire ; & ce qui sembleroit devoir les éteindre, c’est le goût académique, c’est la maniere qu’ils prennent d’après ceux qui président à cet art. Les acladémies sont sans doute très-utiles pour former des é eves, sur-tout quand les directeurs travaillent dans le grand goût ; mais si le chef a le goût petit, si la maniere est aride & léchée, si ses figures grimacent, si ses expressions sont insipides, si son coloris est foible, les éleves subjugués par l’imitation, ou par envie de plaire à un mauvais maître, perdent entierement l’idée de la belle nature. Donnez-moi un artiste tout occupé de la crainte de ne pas saisir la maniere de ses confreres, ses productions seront comparées & contraintes. Donnez-moi un homme d’un esprit libre, plein de la belle nature qu’il copie, cet homme réussira. Presque tous les artistes sublimes ou ont fleuri avant les établissemens des academies, ou ont travaillé dans un goût différent de celui qui regnoit dans ces sociétés ; presque aucun ouvrage qu’on appelle académique, n’a été encore dans aucun genre un ouvrage de génie.

Si présentement le lecteur est curieux de connoître les célebres peintres modernes, il en trouvera la liste génerale sous les artistes des différentes Écoles ; mais comme les noms & le caractere des anciens peintres méritent encore plus d’être recueillis dans cet ouvrage, voyez Peintres anciens. (Le chevalier de Jaucourt.)

Peintres grecs, (Peint. antiq.) ils sont si célebres dans les écrits de l’antiquité, & leurs ouvrages sont si liés à la connoissance de la Peinture, que les details qui les regardent appartiennent essentiellement à l Encyclopédie. D’ailleurs ils intéressent presque également les littérateurs, les curieux & les gens de métier.

Les peintres de la Grece qui ont pratiqué les premiers cet art, sont, selon Pline, Ardicès de Corinthe, & Téléphanès de Sycione : ensuite parurent Cléophante de Corinthe, l’auteur de la peinture monochrome, auquel succéderent Hygiemon, Dinias, Charmidas, Eumarus d’Athenes & Cimon de Cléone ; mais l’histoire n’a point fixé le tems où ils ont vécu, & Pline ne nous dit que quelques particularités des deux derniers.

Ludius peintre d’Ardéa, différent du Ludius d’Auguste qui fit quelque peinture à Cœré ville d’Etrurie, paroissent avoir été postérieurs à Cléophante, à Cimon, auteur des premieres beautés de l’art. Si donc on place la fondation de Rome en l’an 753 avant l’ere chrétienne, il en résulteroit assez vraissemblablement que Ludius auroit vécu pour le plus tard vers l’an 765 avant Jesus-Christ, l’anonyme de Cœré vers l’an 780, Cimon vers l’an 795, Eumarus vers l’an 810, Charmidas, Dinias & Hygiemon vers l’an 825, & Cléophante l’ancien vers l’an 840.

Bularque qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture, & qui étoit contemporain du roi Candaule, vécut vers l’an 730 avant Jesus-Christ. Nous n’avons point la suite des peintres grecs depuis Bularque, c’est-à-dire depuis l’an environ 730 jusqu’à la bataille de Marathon qui se donna l’an 490.

Panée ou Panænus peignit cette bataille, & comme de son tems l’usage de concourir pour le prix de Peinture fut établi à Corinthe & à Delphes, il se mit sur les rangs le premier pour concourir avec Timagoras de Chalcis l’an 474 avant Jesus-Christ.

Après Panænus, & avant la 90e olympiade, parut Polygnote de Thasos, fils d’Aglaophon, & surnommé quelquefois Athénien, parce qu’Athènes le mit au nombre de ses citoyens. Il eut pour contemporain le peintre Micon, Nesias de Thasos, Démophile qui fit des ouvrages avec Gorganus dans un temple de Rome.

Vers la même 90e olympiade, c’est-à-dire l’an 420 avant Jesus-Christ, parurent un autre Aglaophon différent du pere de Polygnote, Céphissodore dont le nom a été commun à différens sculpteurs, Phrylus & Evenos d’Ephèse. Vers le même tems doivent être placés deux autres peintres qu’Aristote a mis à la suite de Polygnote, l’un est Pauson & l’autre Denys de Colophon, tous deux antérieurs à l’an 404, qui fut l’époque des grands peintres de la Grece. Polygnote, en peignant les hommes, les rehaussa ; Pauson les avilit ; & Denys les représenta ce qu’ils ont coutume d’être.

Vers l’an 415 vécurent Nicanor & Arcésilaüs, tous les deux de Paros, & Lysippe d’Egine ; ils sont après Polygnote, & sont les trois plus anciens peintres encaustiques. Briétés, autre peintre encaustique, les suivit de près ; il eut pour fils & pour éleve Pausias célebre vers l’an 376.

A la 94e olympiade l’an 404, Apollodore d’Athènes ouvrit une nouvelle carriere, & donna naissance au beau siecle de la peinture. La quatrieme année de la 95e olympiade l’an 397, Zeuxis de la ville d’Héraclée entra dans la carriere qu’Apollodore avoit ouverte, & il y fit de nouveaux progrès.

Parhasius d’Ephese, Timanthe de Cythnos, Androcyde de Cyzique, Euxénidas & Eupompe de Sicyone ont tous été contemporains de Zeuxis, & la plûpart enrichirent l’art de quelques nouvelles beautés. Eupompe en particulier donna le commencement à une troisieme classe de peintres à l’école sycionienne, différente de l’ionienne ou asiatique, & de l’athénienne ou helladique.

Aristophon dont Pline rapporte différens ouvrages sans déterminer le tems où il vivoit, parce que c’étoit un peintre du second rang, doit avoir suivi de fort près les artistes précédens, & s’être fait connoître vers l’an 390. Il étoit fils d’Aglaophon, célebre en l’an 420 avant l’ere chrétienne.

En l’an 380 commença la 100e olympiade, après laquelle Pline met Pausias de Sycione, dont la célébrité appartient à la 101e olympiade vers l’an 376 ; il fut, à proprement parler, l’auteur de la belle encaustique ; il inventa la ruption de la couleur dans le noir, comme Zeuxis l’avoit fait dans le blanc.

Pamphile de Macédoine ayant été l’éleve d’Eupompe & le maître d’Apelle, fleurissoit vers l’an 364 olympiade, avec Ctésydeme peintre du second rang, Euphranor natif de l’Isthme de Corinthe & Cydias de Cythnos. Calades qui composa de petits sujets, doit être placé un peu après.

A la 107e olympiade, l’an 352, Echion & Térimachus, habiles statuaires, se firent encore honneur par leur pinceau, ainsi qu’Aristolaüs & Méchopane peintres encaustiques, celui-là fils, celui-ci éleve de Pausias. Antidotus, autre peintre encaustique, les suivit de près, & appartient environ à l’an 348. On doit placer Calliclès environ dans le même tems.

La 112e olympiade, autrement l’an 332, nous présente sous le regne d’Alexandre, Apelle, Antiphyle, Aristide le Thébain, Asclépiodore, Théomneste, Nicomaque, Mélanthius, Amphion, Nicophane, Ætion, Nicias d’Athènes, enfin Protogène & quelques autres peintres du premier mérite.

Tels ont été dans l’ordre chronologique les principaux peintres qui ont illustré la Grece ; il s’agit maintenant d’entrer dans des détails plus intéressans, je veux dire, de faire connoître leurs caracteres, leurs talens & leurs ouvrages. Je n’oublierai rien à tous ces égards pour satisfaire la curiosité des lecteurs, & pour leur commodité je vais suivre l’ordre alphabétique.

Ætion est fameux par sa belle & grande composition qui représentoit le mariage d’Alexandre & de Roxane. Lucien décrit avec admiration ce chef d’œuvre de l’art, & sur sa description on ne peut s’empêcher de convenir que ce tableau devoit surpasser infiniment pour les graces de l’invention & pour l’élégance des allégories, ce que nos plus aimables peintres & ce que l’Albane lui-même a fait de plus riant dans le genre des compositions galantes. Empruntons la traduction de M. l’abbé du Bos : elle est faite avec autant de goût & de choix d’expressions, que Pline en a mis en parlant d’un tableau d’Aristide.

Roxane étoit couchée sur un lit ; la beauté de cette fille relevée encore par la pudeur lui faisoit baisser les yeux à l’approche d’Alexandre, & fixoit sur elle les premiers regards du spectateur. On la reconnoissoit sans peine pour la figure principale du tableau. Les amours s’empressoient à la servir. Les uns prenoient ses patins & lui ôtoient ses habits, un autre amour relevoit son voile, afin que son amant la vît mieux ; & par un sourire qu’il adressoit à ce prince, il le félicitoit sur les charmes de sa maîtresse. D’autres amours saisissoient Alexandre, & le tirant par sa cotte-d’armes, ils l’entraînoient vers Roxane dans la posture d’un homme qui vouloit mettre son diadème aux piés de l’objet de sa passion ; Ephestion, le confident de l’intrigue, s’appuyoit sur l’hymenée, pour montrer que les services qu’il avoit rendus à son maître avoient eu pour but de ménager entre Alexandre & Roxane une union légitime. Une troupe d’amours en belle humeur badinoit dans un des coins du tableau avec les armes de ce prince.

L’énigme n’étoit pas bien difficile à comprendre, & il seroit à souhaiter que les peintres modernes n’eussent jamais inventé d’allégories plus obscures. Quelques-uns de ces amours portoient la lance d’Alexandre, & ils paroissoient courbés sous un fardeau trop pesant pour eux : d’autres se jouoient avec son bouclier : ils y avoient fait asseoir celui d’entre eux qui avoit fait le coup, & ils le portoient en triomphe tandis qu’un autre amour, qui s’étoit mis en embuscade dans la cuirasse d’Alexandre, les attendoit au passage pour leur faire peur. Cet amour embusqué pouvoit bien ressembler à quelqu’autre maîtresse d’Alexandre, ou bien à quelqu’un des ministres de ce prince qui avoit voulu traverser le mariage de Roxane.

Un poëte diroit, ajoute M. l’abbé du Bos, que le dieu de l’hymenée se crut obligé de récompenser le peintre qui avoit célébré si galamment un de ses triomphes. Cet artiste ingénieux ayant exposé son tableau dans la solemnité des jeux olympiques, Pronéséides, qui devoit être un homme de grande considération, puisque cette année-là il avoit l’intendance de la fête, donna sa fille en mariage au peintre. Raphaël n’a pas dédaigné de crayonner le sujet décrit par Lucien. Son dessein a été gravé par un des disciples du célebre Marc-Antoine. Enfin la poésie même s’en est parée. M. de Voltaire en a emprunté divers traits pour embellir la position d’Henri IV, & de Gabrielle d’Estrée dans le palais de l’amour. On sait par cœur les vers charmans qu’il a imités de l’ordonnance du tableau d’Ætion, ces vers qui peignent si bien la vertu languissante d’Henri IV.

Les folâtres plaisirs dans le sein du repos,
Les amours enfantins desarmoient ce héros ;
L’un tenoit sa cuirasse encor de sang trempée,
L’autre avoit détaché sa redoutable épée,
Et rioit de tenir dans ses débiles mains
Ce fer l’appui du trône, & l’effroi des humains.

Mais il faut convenir que c’est ici un des sujets où le peintre peut faire des impressions beaucoup plus touchantes que le poëte. Il est aussi d’autres sujets plus avantageux pour le poëte que pour le peintre.

Agatharque de Samos travailla le premier à la sollicitation d’Eschile, aux embellissemens de la scene, selon les regles de la perspective sur laquelle il composa même un traité pour faire des décorations en ce genre. Plutarque, Vitruve & Suidas nous apprennent en même tems qu’il fleurissoit vers la 75 olympiade, c’est-à-dire 480 ans avant J. C.

Aglaophon ; Athénée cite deux tableaux d’Aglaophon. Dans l’un Alcibiade revenant des jeux olympiques, étoit représenté, couronné par les mains d’une olympiade & d’une pythiade, c’est-à-dire par les déesses qui présidoient à ces jeux ; & dans l’autre il étoit couché sur le sein de la courtisane Némea, comme se délassant de ses travaux. Ce dernier tableau d’Alcibiade nous rappelle celui que Lucrece fait de Mars couché sur le sein de Vénus, morceau de poésie comparable aux plus beaux morceaux d’Homere. La grande gloire d’Aglapohon est d’avoir eu pour fils & pour éleve le célebre Polygnote.

Antidotus, éleve d’Euphranor, diligentior quam numerosior, & in coloribus severus, dit Pline. Il fut plus soigneux que fécond, & très-exact dans sa couleur, c’est-à-dire qu’il observa la couleur locale, & qu’il ne s’écarta point de la vérité. Cet Antidotus eut pour éleve Nicias, athénien, qui peignit si parfaitement les femmes, & dont il y aura de plus grands éloges à rapporter ; car il conserva avec soin la vérité de la lumiere & celle des ombres, lumen & umbras custodivit ; c’est-à-dire qu’il y a mieux entendu le clair obscur ; & par une suite nécessaire, les figures de ses tableaux prenoient un grand relief, & les corps paroissoient saillans.

Antiphile né en Egypte, contemporain de Nicias & d’Apelle, se montra fort étendu dans son art, & réussit également dans les grands & les petits sujets. Il peignit Philippe, & Alexandre encore enfant ; mais il s’acquit beaucoup plus de gloire par le portrait d’un jeune garçon qui souffloit le feu, dont la lueur éclairoit un appartement d’ailleurs fort orné, & faisoit briller la beauté du jeune homme. Pline loue cet ouvrage de nuit, & avec raison ; car il n’en faut pas davantage pour prouver que cette partie de la Peinture, qui consiste dans la belle entente des reflets & du clair-obscur, étoit connue de l’ingénieux Antiphile, quoique M. Perrault en ait refusé l’intelligence aux anciens.

Le même Antiphile a été l’inventeur du grotesque ; il représenta dans ce goût Gryllus, apparemment l’olympionique de ce nom, que Diodore place à la cent douzieme olympiade ; & le nom de Grillus fut conservé dans la suite à tous les tableaux que l’on voyoit à Rome, & dont l’objet pouvoit être plaisant ou ridicule. C’est ainsi que l’on a nommé en Italie depuis le renouvellement des arts, bambochades, les petites figures faites d’après le peuple, & que Pierre Van Laïr, hollandois, surnomme Bamboche par un sobriquet que méritoit sa figure, avoit coutume de peindre. C’est encore ainsi que nous disons une figure à Calot, quand elle est chargée de quelque ridicule, ou de quelque imperfection donnée par la nature, ou survenue par accident ; non que cet habile dessinateur n’ait fait comme Antiphilus, des ouvrages d’un autre genre ; mais il est singulier de voir combien le monde se répete dans les opérations, dans celles même qui dépendent le plus de l’esprit.

Apaturius ; ce prestige de la Peinture qui consiste à éloigner des objets dans un tableau, faire fuir les uns & rapprocher les autres, est un prestige que connoissoient les anciens ; Apaturius en donna des preuves dans une décoration de théatre qu’il fit à Tralles, ville de Lydie. Nous en parlerons au mot Perspective. C’est Vitruve seul, liv. VII. chap. v. qui nous a conservé le souvenir du peintre Apaturius, sans nous apprendre ni sa patrie, ni dans quel tems il vivoit.

Apelle né l’an du monde 3672 ; il eut au degré le plus éminent la grace & l’élégance pour caractériser son génie, le plus beau coloris pour imiter parfaitement la nature, le secret unique d’un vernis pour augmenter la beauté de ses couleurs, & pour conserver ses ouvrages. Il se décéla à Protogene par sa justesse dans le dessein, en traçant des contours d’une figure (lineas) sur une toile. Il inventa l’art du profil pour cacher les défauts du visage. Il fournit aux Astrologues par ses portraits, le secours de tirer l’horoscope, sans qu’ils vissent les originaux. Il mit le comble à sa gloire par son tableau de la calomnie, & par sa Vénus Anadyomene, que les Poëtes ont tant célébrée, & qu’Auguste acheta cent talens, c’est-à-dire selon le P. Bernard ; environ vingt mille guinées, ou selon Mrs Belley & Barthelemi, 470000 liv. de notre monnoie. Enfin Apelle contribua lui seul plus que tous les autres artistes ensemble, à la perfection de la Peinture par ses ouvrages & par ses écrits, qui subsistoient encore du tems de Pline. Contemporain d’Aristote & d’Alexandre, l’un le plus grand philosophe, l’autre le plus grand conquérant qu’il y ait jamais eu dans le monde, Apelle est aussi le plus grand peintre.

Il vivoit vers la cent douzieme olympiade ; il étoit de Cos selon Ovide, d’Ephese suivant Strabon ; & si l’on en croit Suidas, il étoit originaire de Colophon, & devint citoyen d’Ephese par adoption. Cette diversité de sentimens semble indiquer que plusieurs villes se disputoient l’honneur d’avoir donné naissance à ce grand peintre, comme d’autres villes se sont disputé l’honneur d’être la patrie d’Homere.

Les habitans de Pergame acheterent des deniers publics, un palais ruiné, où il y avoit quelques peintures d’Apelle, non-seulement, dit Solin, pour empêcher les araignées de tendre leurs toiles dans une maison que les ouvrages de cet excellent artiste rendoient respectable, mais encore pour les garantir des ordures des oiseaux. Les citoyens de Pergame firent plus, ils y suspendirent le corps d’Apelle dans un reseau de fil d’or. On pourroit expliquer ce passage en imaginant qu’ils firent couvrir & réparer ce vieux palais, qui sans doute étoit inhabité, & dont nous dirions aujourd’hui que c’étoit un nid de chauve-souris, &c. Par cette explication, le récit de Solin n’auroit rien de ridicule ; mais il n’importe, il suffit de croire que tous les soins qu’on prit, eurent pour objet l’illustration de la mémoire d’Apelle, & la conservation de ses ouvrages ; leur beauté n’ôtoit rien à la ressemblance, ce qui fit dire à Apion d’un métoposcope, qu’il dressoit des jugemens certains sur le front d’une tête tirée de la main d’Apelle.

C’est le peintre sur lequel Pline, ainsi que tous les auteurs, s’est le plus étendu, & dont il a le mieux parlé. Voici un de ses passages : Pinxit & quæ pingi non possunt, tonitrua, fulgura, fulgetraque, bronten, astrapen : ceraunobolian appellant : inventa ejus, & cæteris proficere in arte. Toutes ces différences de noms données autrefois à la foudre, ne conviennent plus à la simplicité de nos principes physiques ; mais il semble que l’art devoit être bien resserré dans les grands effets de la nature avant Apelle, si elle lui a l’obligation dont parle Pline.

Il avoit représenté Alexandre ayant le foudre en main : digiti eminere videntur, & fulmen extrà tabulam esse. Cette attitude indique un raccourci des plus nobles & des plus heureux, & cette description est vraiment faite par un homme de l’art, car Raphaël ne se seroit pas exprimé autrement, en parlant d’un tableau de Michel-Ange : « la main étoit saillante, & le foudre paroissoit hors de la toile. »

On ne peut se résoudre à quitter Apelle ; cet homme qui a réuni tant de qualités du cœur & de l’esprit, qui a joint l’élevation du talent à celle du génie, & qui a été enfin assez grand pour se louer sans partialité, & pour se blâmer avec vérité ; on ne peut, dis-je, le quitter sans parler de l’idée que donne la description d’un de ses ouvrages. C’est le tableau de Diane & de ses nymphes, dont Pline dit : quibus vicisse Homeri versus videtur idipsum describentis. L’admiration que l’on a pour Homere, lui que Phidias voulut prendre pour son seul guide dans l’exécution du Jupiter, qui lui fit un honneur immortel, la supériorité que l’antiquité accorde à Apelle, enfin la réunion de ces deux grands hommes fera toujours regretter ce tableau.

Pline parle fort noblement de la Vénus d’Apelle, que la mort l’empêcha d’achever, & que personne n’osa finir. « Elle causoit plus d’admiration, dit-il, que si elle avoit été terminée, car on voit dans les traits qui restent, la pensée de l’auteur ; & le chagrin que donne ce qui n’est point achevé, redouble l’intérêt ».

Le même Pline, pour caractériser encore plus particulierement Apelle, dit de lui, præcipua ejus in arte venustas fuit. La maniere qui le rendit ainsi supérieur, consistoit dans la grace, le goût, la fonte, le beau choix, & pour faire usage d’un mot qui réunisse une partie des idées que celui de venustas nous donne, dans le morbidezza, terme dont les Italiens ont enrichi la langue des artistes. Quoiqu’il soit difficile de refuser des talens supérieurs à quelques-uns des peintres qui ont précédé celui-ci, il faut convenir que toute l’antiquité s’est accordée pour faire son éloge ; la justesse de ses idées, la grandeur de son ame, son caractere enfin, doivent avoir contribué à un rapport unanime. Il recevoit le sentiment du public pour se corriger, & il l’entendoit sans en être vû ; sa réponse au cordonnier devint sans peine un proverbe, parce qu’elle est une leçon pour tous les hommes, ils sont trop portés à la décision, & sont en même tems trop paresseux pour étudier.

Enfin Apelle fut in æmulis benignus, & ce sentiment lui fit d’autant plus d’honneur, qu’il avoit des rivaux d’un grand mérite. Il trouvoit qu’il manquoit dans tous les ouvrages qu’on lui présentoit, unam Venerem, quam Græci charita vocant ; cætera omnia contigisse : sed hac solà sibi neminem parem. Il faut qu’il y ait eu une grande vérité dans ce discours, & qu’Apelle ait possédé véritablement les graces, pour avoir forcé tout le monde d’en convenir, après l’aveu qu’il en avoit fait lui-même. Cependant lorsqu’il s’accordoit si franchement ce qui lui étoit dû, il disoit avec la même vérité, qu’Amphion le surpassoit pour l’ordonnance, & Asclépiodore pour les proportions ou la correction. C’est ainsi que Raphaël, plein de justesse, de grandeur & de graces, parvenu au comble de la gloire, reconnoissoit dans Michel-Ange une fierté dans le goût du dessein qu’il chercha à faire passer dans sa maniere ; & cette circonstance peut servir au parallele de Raphaël & d’Apelle.

Apollodore, athénien, vivoit dans la quatre-vingt-quatorzieme olympiade, l’an du monde 3596. Il fut le premier qui représenta la belle nature, qui à la correction du dessein, mit l’entente du coloris, cette magie de l’art qui ne permet point à un spectateur de passer indifféremment, mais qui le rappelle & le force pour ainsi dire, de s’arrêter ; Apollodore par son intelligence dans la distribution des ombres & des lumieres, porta la Peinture à un degré de force & de douceur, où elle n’étoit point parvenue avant lui. On admiroit encore du tems de Plutarque, le prêtre prosterné, & l’Ajax foudroyé de ce grand maître. Pline le jeune avoit un vieillard debout de la main de cet artiste, qu’il ne se lassoit point de considérer. En un mot, dit-il dans la description qu’il en fait, tout y est d’une beauté à fixer les yeux des maitres de l’art, & à charmer les yeux des plus ignorans.

Apollodore profita des lumieres de ceux qui l’avoient précédé. Pline en parle en ces termes, liv. XXXV. ch. ix. Hic primus species exprimere instituit, primusque gloriam, penicillo jure contulit : ce que M. de Caylus traduit ainsi : « Il fut le premier qui exprima la couleur locale, & qui établit une réputation sur la beauté de son pinceau ». On voit par-là, que du tems de Pline, & sans doute dans la Grece, la couleur & le pinceau étoient synonymes, comme ils le sont aujourd’hui. Avant Apollodore, aucun tableau ne mérita d’être regardé, ou de fixer la vue, quæ teneat oculos. En un mot, Apollodore ouvrit une nouvelle carriere, donna naissance au beau siecle de la Peinture, & fut le premier dont les tableaux aient arrêté & tenu comme immobiles les yeux des spectateurs.

Arcésilas ; il y a eu deux anciens peintres de ce nom, & un statuaire. Le plus illustre des peintres étoit de Paros, & vivoit à peu-près dans le même tems que Polygnote, vers la quatre-vingt-dixieme olympiade. C’est au rapport de Pline, un des plus anciens peintres qui aient peint sur la cire & sur l’émail. Pausanias nous apprend qu’entre les choses curieuses qu’on voyoit au Pirée, étoit un tableau d’Arcésilas qui représentoit Léosthene & ses enfans ; c’est ce Léosthene qui commandant l’armée des Athéniens, remporta deux grandes victoires ; l’une en Béotie ; l’autre au-delà des Thermopiles, auprès de la ville de Lamia.

Aristide, natif de Thebes, contemporain d’Apelle, est un peu plus ancien. Quoiqu’il n’eût pas ses graces & son coloris, ses ouvrages étoient d’un prix immense. La bataille qu’il peignit des Grecs contre les Perses, où il fit entrer dans un seul cadre jusqu’à cent personnages, fut achetée plus de 78000 liv. de notre monnoie, par le tyran Mnason. Aristide excella surtout à exprimer également les passions douces, & les passions fortes de l’ame. Attale donna cent talens, environ vingt mille louis, d’un tableau où il ne s’agissoit que de la seule expression d’une passion languissante. Le même prince offrit six mille grands sesterces, c’est-à-dire environ 750000 liv. d’un autre tableau qui se trouvoit dans le butin que Mummius fit à Corinthe ; le général romain sans connoître le prix des beaux arts, fut si surpris de cette offre splendide, qu’il soupçonna une vertu secrette dans le tableau, & le porta à Rome ; mais cette vertu secrette n’étoit autre chose que le touchant & le pathétique qui régnoit dans ce chef-d’œuvre de l’art. En effet, on ne peut voir certaines situations, sans être ému jusqu’au fond de l’ame. Ce chef-d’œuvre qui représentoit un Bacchus étoit si célebre dans la Grece, qu’il avoit passé en proverbe, ou plûtôt il servoit de comparaison, car on disoit beau comme le Bacchus.

Pline parle à sa maniere, c’est-à-dire comme Rubens auroit pû faire d’un tableau de Raphael ; Pline, dis-je, parle avec les couleurs d’un grand maître d’un autre tableau, où le célebre artiste de Thebes avoit représenté dans le sac d’une ville, une femme qui expire d’un coup de poignard qu’elle a reçu dans le sein. Un enfant, dit-il, à côté d’elle, se traîne à sa mamelle, & va chercher la vie entre les bras de sa mere mourante : le sang qui l’inonde ; le trait qui est encore dans son sein ; cet enfant que l’instance de la nature jette entre ses bras ; l’inquiétude de cette femme sur le sort de son malheureux fils, qui vient au lieu du lait sucer avidement le sang tout pur ; enfin le combat de la mere contre une mort cruelle ; tous ces objets représentés avec la plus grande vérité, portoient le trouble & l’amertume dans le cœur des personnes les plus indifférentes. Ce tableau étoit digne d’Alexandre, il le fit transporter à Pella, lieu de sa naissance.

Aristolaüs, fils & éleve de Pausias, severissimis pictoribus fuit, fut un des peintres qui prononça le plus son dessein, & dont la couleur fut la plus fiere, ou plûtôt la plus austere ; car ce terme de severus, si souvent répété par Pline, paroît consacré à la Peinture, & paroit répondre pleinement à celui d’austere, que nous employons ce me semble, en cas pareil.

Asclépiodore, excellent peintre, & dont les tableaux étoient si recherchés, que Mnason tyran d’Elatée, homme vraiment curieux, lui paya trois cens mines, vingt-trois mille cinq cens livres, pour chaque figure de divinités qu’il avoit peintes au nombre de douze ; ce qui fait en tout, trois mille six cens mines, deux cens quatre-vingt-deux mille livres. Le même tyran donna encore à Théomneste autre artiste, cent mines, ou plus de sept mille huit cens livres, pour chaque figure de héros ; & s’il y en avoit aussi douze, c’étoit quatre-vingt-quatorze mille livres. Asclépiodore & Théomneste paroissent donc se rapporter au tems d’Aristide, & avoir été un peu plus anciens qu’Apelle. On peut placer vers le même tems Amphion, dont Apelle reconnoissoit la supériorité pour l’ordonnance, comme il reconnoissoit la supériorité d’Asclépiodore pour la justesse des proportions.

Athénion de Maronée, étoit éleve de Glaucion de Corinthe : voici, dit Pline, son caractere quant à la peinture : Austerior colore & in austeritate jucundior, ut in ipsâ picturâ eruditio eluceat. Fier, exact, & un peu sec dans sa couleur, cependant agréable à cause du savoir & de l’esprit qu’il mettoit dans ses compositions. Nos Peintres devroient bien profiter de cet exemple, pour ne pas négliger les belles-Lettres, dont la connoissance est si propre à rendre leurs travaux recommandables. Nous avons peu de peintres savans & instruits comme l’étoient les Grecs ; on peut nommer parmi les Italiens, Léonard de Vinci, le Ridotti, Baglione, Lomazzo, Armenini, Scaramucia, Vazari, & plusieurs autres ; mais les François n’en comptent que trois ou quatre, Dufresnoy, Antoine, & Charles Coypel.

Bularque, fleurissoit du tems de Candaule roi de Lydie, qui lui acheta au poids de l’or un tableau de la défaite des Magnetes ; or Candaule mourut dans la dix-huitieme olympiade, l’an 708 avant l’ere chrétienne. Ainsi Bularchus a vécu postérieurement à l’ere de Rome, & vers l’an 730 avant J. C. Pline, en disant que les peintres monochromes avoient précédé Bularque, fait clairement entendre que ce fut ce peintre qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. C’est donc à-peu-près vers l’an 730 avant J. C. qu’on peut établir l’époque de la peinture polychrome, & vraissemblablement l’époque de la représentation des batailles dans des ouvrages de peinture. Ce fut aussi l’époque du clair obscur ; Pline assure qu’au moyen de la pluralité des couleurs qui se firent mutuellement valoir, l’art jusques-là trop uniforme se diversifia, & inventa les lumieres & les ombres ; mais puisqu’il ajoute que l’usage du coloris, le mélange, & la dégradation des couleurs, ne furent connus que dans la suite, il faut que le clair obscur de Bularchus ait été fort imparfait, comme il arrive dans les commencemens d’une découverte.

Caladès vécut à-peu-près dans la cent-sixieme olympiade, & peignit de petits sujets que l’on mettoit sur la scene dans les comédies, in comicis tabellis ; mais l’usage de ces tableaux nous est inconnu ; peut-être qu’à ce terme comicis, répond le titre κωμῳδοῦντες, donné par Elien, var. hist. 43. à des peintres, qui pour apprêter à rire, représenterent Timothée, général des Athéniens endormi dans sa tente, & par dessus sa tête la Fortune emportant des villes d’un coup de filet. Dans la pluralité de ces peintres, pour un seul sujet de peinture, on découvre d’abord la catachrese d’un pluriel pour un singulier. C’étoit un seul peintre κωμῳδῶν, qui avoit ainsi donné la comédie aux dépens de Timothée, & le peintre borné à ces sortes de tableaux comiques, comicis tabellis, étoit Calades. M. de Caylus donne à l’expression de Pline une autre idée, mais qu’il ne propose que comme un doute. Il croit que les ouvrages de Caladès pouvoient être la représentation des principales actions des comédies que l’on devoit donner. C’est un usage que les Italiens pratiquent encore aujourd’hui ; car on voit sur la porte de leurs théatres, les endroits les plus intéressans de la piece qu’on doit jouer ce même jour ; & cette espece d’annonce représentée en petites figures coloriées sur des bandes de papier, est exposée des le matin. Le motif aujourd’hui est charlatan ; chez les anciens il avoit d’autres objets ; l’instruction du peuple, pour le mettre plus au fait de l’action, le desir de le prévenir favorablement ; enfin, l’envie de l’occuper quelques momens de plus par des peintures faites avec soin.

Calliclès peignit en petit, selon Pline, de même que Calades, parva & Callicles fecit. Ses tableaux, disoit Varron, n’avoient pas plus de quatre pouces de grandeur, & il ne put jamais parvenir à la sublimité d’Euphranor. Il fut donc postérieur à ce dernier ; ce qui détruit l’idée où étoit le pere Hardouin, que le peintre Calliclès a pu être le même que le sculpteur Calliclès, qui fit la statue de Diagoras, vainqueur aux jeux olympiques, en l’an 464 avant l’ere chrétienne.

Cimon cléonien ; il trouva la maniere de faire voir les figures en raccourci, & de varier les attitudes des têtes. Il fut aussi le premier qui représenta les jointures des membres, les veines du corps, & les différens plis des draperies. C’est ce qu’en dit Pline, liv. XXXV. ch. viij. entrons avec M. de Caylus, dans des détails de l’art que Cimon fit connoître.

La Peinture étoit bornée dans son premier âge à former une tête, un portrait ; on ne représentoit encore les têtes que dans un seul aspect, c’est-à-dire de profil. Cimon hasarda le premier d’en dessiner dans toutes sortes de sens contraires à celui-ci ; & il mit par ce moyen une grande variété dans la représentation des têtes. Celles qu’il dessinoit, regardoient tantôt le spectateur, c’est-à-dire, qu’elles se présentoient de face : quelquefois il leur faisoit tourner la vûe vers le ciel, & d’autres fois il les faisoit regarder en-bas. Il ne s’agissoit cependant encore que de positions, & non d’expressions & de sentimens. Le grand art de Cimon consistoit donc à avoir, pour ainsi dire, ouvert le premier la porte au raccourci ; ce premier pas étoit d’une grande importance, & il méritoit bien qu’on lui en fît honneur. Peut-être fit-il passer dans les attitudes de ses figures la même variété de position qu’il avoit imaginé d’introduire dans ces têtes, quoique Pline n’en dise rien, & qu’il faille en effet ne point trop donner aux Artistes dans ces premiers commencemens de la Peinture, où tout doit marcher pas à pas.

Quant aux autres progrès que Cimon avoit fait faire à la Peinture, ils n’étoient pas moins importans. Il entendit mieux que ceux qui l’avoient précédé, les attachemens sans quoi les figures paroissent un peu roides, & d’une seule piece ; défaut ordinaire des Artistes qui ont paru dans tous les tems. Lorsque la Peinture étoit encore dans son enfance, les mains & les bras, les piés & les jambes, les cuisses & les hanches, la tête & le col, &c. tout cela dans leurs ouvrages étoit, comme on dit, tout d’une venue, & les figures n’avoient aucun mouvement. Cimon avoit entrevu la nécessité de leur en prêter : il avoit commencé par donner à ses têtes des mouvemens diversifiés ; il étendit cet art aux autres parties de ses figures ; ce qui ne pouvoit se faire qu’en attachant avec justesse chaque membre ensemble.

Venas protulit, dit Pline : il fit paroître les veines, c’est-à-dire, que s’étant apperçu des effets que le mouvement produit sur le naturel, en changeant la situation des muscles toutes les fois que la figure prend une nouvelle situation, il essaya d’en enrichir la Peinture ; il commença par la représentation des veines ; il étoit bien près de connoître l’usage & l’office des muscles. Comme l’art de la Peinture n’avoit point fait ce même progrès dans la couleur que dans le dessein, il n’est pas vraissemblable que le mot vena soit ici une expression figurée de Pline, pour signifier que Cimon avoit animé la couleur, & qu’il y avoit pour ainsi dire mis du sang.

Præter ea, in veste & rugas & sinus invenit, ajoute Pline. Avant Cimon tout étoit comme l’on voit extrèmement informe dans la Peinture : les figures vues de profil, ne savoient se présenter que dans un seul aspect ; les habillemens étoient exprimés tout aussi simplement ; une draperie n’étoit qu’un simple morceau d’étoffe qui n’offroit qu’une surface unie. Entre les mains de Cimon, cette draperie prend un caractere ; il s’y forme des plis ; on y voit des parties enfoncées, d’autres parties éminentes qui forment des sinuosités, telles que la nature les donne, & que doit prendre une étoffe jettée sur un corps qui a du relief.

Pline a écrit de la Peinture, comme auroit pû faire un homme de l’art qui auroit eu son génie. Il s’attache moins à donner l’énumération & la description des ouvrages, qu’à établir le caractere de chaque maître ; & quoiqu’il le fasse avec une extrème concision, chaque peintre est caractérisé & rendu reconnoissable. Voici tout le passage de Pline : Hic, Cimon, catagrapha invenit, hoc est obliquas imagines, & variè formare vultus, respicientes, suscipientes, & despicientes ; articulis etiam membra distinxit, venas protulit, præterque in veste & rugas & sinus invenit. Il faut donc entendre par le mot grec catagrapha, & en latin obliquas imagines, non des visages ou des figures de profil, comme le pere Hardouin le croit, mais des têtes vûes en raccourci. Le mot imago ne doit point être pris ici pour une figure, mais seulement pour une tête, un portrait.

Cléophante de Corinthe, est l’inventeur de la peinture monochrome, ou proprement dite. Il débuta par colorier les traits du visage avec de la terre cuite & broyée ; ainsi la couleur rouge, comme la plus approchante de la carnation, fut la premiere en usage. Les autres peintres monochromes, & peut-être Cléophante lui-même, varierent de tems en tems dans le choix de la couleur des figures, différente de la couleur du fond. Peut-être aussi qu’ils mirent quelquefois la même couleur pour le fond, & pour les figures ; on peut le présumer par l’exemple de quelques-uns de nos camayeux, pourvû qu’on n’admette point dans les leurs l’usage du clair obscur, dont la découverte accompagna l’introduction de la peinture polychrome, ou de la pluralité des couleurs.

Clésidès vivoit vers l’an du monde 3700. On rapporte que voulant se vanger de la reine Stratonice, femme d’Antiochus I. du nom, roi de Syrie, il la représenta dans une attitude indécente, & exposa son tableau en public : mais cette princesse étoit peinte avec tant de charmes dans ce tableau de Clésidès, que sa vanité, ou peut-être son bon caractere, lui persuada de pardonner à la témérité de l’artiste, de le récompenser, & de laisser son ouvrage où il l’avoit placé. Quoi qu’il en soit, elle montra beaucoup de grandeur & de sagesse, en ne punissant point Clésides qui l’avoit peinte entre les bras d’un pêcheur qu’on l’accusoit d’aimer, & qui avoit exposé son tableau sur le port d’Ephèse. Michel-Ange, Paul Veronese, le Zuchero, & quelques autres modernes, n’ont que trop imité Clésidès, pour satisfaire leur vengeance.

Craterus d’Athènes, avoit un talent particulier pour peindre merveilleusement le grotesque, & il orna de ses ouvrages en ce genre le Panthéon d’Athènes, cet édifice superbe où l’on faisoit tous les préparatifs pour la célébration des fêtes solemnelles. Craterus est le Teniers des Athéniens.

Ctésiloque, disciple d’Apelle, petulanti picturâ innonotuit, se fit connoître par la fougue du pinceau, obéissant à la vivacité du génie ; c’est ainsi que M. de Caylus traduit ce passage, un peu en amateur de peinture ; mais il reconnoît avec raison que l’on peut lui donner un autre sens, car Pline ajoute tout de suite, Jove Liberum parturiente depicto mitrato & muliebriter ingemiscente inter obstetricia dearum. Cette peinture ridicule pour un dieu comme Jupiter, est forte pour un payen, & peut être surement traitée d’insolente ; car peut-on penser autrement d’un tableau qui représente le maître des dieux accouchant de Bacchus, & coëffé en femme, avec les contorsions de celles qui sont en travail, & avec le cortege des déesses pour accoucheuses ? Cléside, avons-nous dit ci-dessus, peignit une reine d’Egypte dans une attitude encore plus indécente ; mais ce n’étoit qu’une reine, & il la peignit très-belle. Pline dans son histoire, met en contraste ces peintres téméraires avec Habron, qui peignit la Concorde & l’Amitié, avec Nicéarque qui représenta Hercule confus, humilié de ses accès de rage, & avec d’autres artistes qui avoient consacré leurs ouvrages à la gloire de la vertu ou de la religion.

Cydias de Cytnos, étoit contemporain d’Euphranor, & comme lui peintre encaustique ; il fit entr’autres ouvrages un tableau des Argonautes.

Damophile & Gorgasus sont joints ensemble dans Pline ; c’étoient deux habiles ouvriers en plastique, & en même tems ils étoient peintres. Ils mirent des ornemens de l’un & l’autre genre au temple de Cérès, ornemens de plastique au haut de l’édifice, & ornemens de peinture à fresque sur les murs intérieurs, avec une inscription en vers grecs, qui marquoit que le côté droit étoit l’ouvrage de Damophile, & le côté gauche l’ouvrage de Gorgasus Avant l’arrivée de ces deux peintres grecs à Rome, les temples de la ville n’avoient eu, suivant la remarque de Pline, que des ornemens de goût étrusque, c’est-à-dire des ouvrages de plastique & de sculpture à l’ancienne façon des Etrusques, & non des ouvrages de peinture, qui dans l’Etrurie même étoient d’un goût grec. On peut donc placer au tems de Damophile & de Gorgasus l’introduction & l’époque de la Peinture dans la ville de Rome, vers l’an 424 avant l’ere chrétienne.

Démon, natif d’Athenes, vivoit du tems de Parrhasius & de Socrate, vers la 93 olympiade, & environ 408 ans avant J. C. Il s’attachoit fort à l’expression, & fit plusieurs tableaux qu’on estima beaucoup. Il y en avoit entr’autres un à Rome qui représentoit un prêtre de Cybele, que Tibere acheta 60 grands sesterces. Démon fit aussi un tableau d’Ajax en concurrence avec Timanthe, mais l’Ajax de Timanthe fut préféré.

Denys ou plutôt Dionysius, de Colophone, ne fit que des portraits, & jamais des tableaux, d’où lui vint à juste titre, dit Pline, liv. XXXV. ch. x. le surnom d’antropographus, c’est-à-dire, peintre d’hommes. Nous avons eu dans le xvj. siecle, un peintre flamand semblable en cela de fait & de nom (car on le nommoit en latin Dionysius) au peintre de Pline, & les deux Denys ne sont pas les seuls qui aient préféré ce genre de peinture à tout autre, par la raison qu’il est le plus lucratif ; mais ce n’est pas le plus honorable.

Erigonus, broyeur de couleurs de Néalcis, devint un très-bon peintre, & eut pour éleve Pausias, qui se rendit célebre ; c’est ainsi que Polidore, après avoir porté le mortier aux disciples de Raphael, se sentit en quelque sorte inspiré à la vue des merveilles qui s’opéroient sous ses yeux, étudia la Peinture, dessina l’antique, devint à son tour éleve de Raphael, & eut le plus de part à l’exécution des loges de ce grand maître.

Eumarus d’Athènes, peintre monochrome, est nommé dans Pline avec Cimon de Cléone. Eumarus marqua le premier dans la peinture la différence de l’homme & de la femme, dont on ne peignoit auparavant que la tête & le buste ; il osa aussi ébaucher toutes sortes de figures, les autres peintres s’étant toujours bornés à celle de l’homme. Cimon enchérit sur les découvertes d’Eumarus, il inventa les divers aspects du visage, distingua l’emmanchement des membres, fit paroître les veines à-travers la peau, & trouva même le jet des draperies. Voyez son article.

Euphanor, natif des environs de Corinthe dans l’isthme, fleurissoit dans la cent quatrieme olympiade, & fut en même tems célebre statuaire, & célebre peintre encaustique. On trouve les deux genres réunis dans les artistes de l’antiquité, comme ils ont été depuis dans Michel-Ange à la renaissance de la Peinture. Euphranor fut le premier qui donna dans ses tableaux un air frappant de grandeur à ses têtes de héros & à toute leur personne, & le premier qui employa dans l’encaustique, la justesse des proportions que Parrhasius avoit introduite dans la peinture ordinaire.

Pline parlant d’Euphranor, en dit tout ce qu’on en peut dire de flatteur pour un artiste. Voici ses paroles : Docilis ac laboriosus, & in quocumque genere excellens, ac sibi æqualis. Si ces épithetes se rapportoient à l’art, le Dominiquain pourroit lui servir de comparaison. Docile aux leçons de la nature, le travail ne l’effrayoit point ; une persévérance & une étude constante de cette même nature, l’ont élevé au-dessus des autres artistes. Pline regarde Euphranor comme le premier qui a donné aux héros un caractere qui leur fut convenable, hic primus videtur expressisse dignitates heroum. Il seroit aisé d’en conclure que tous les héros représentés avant lui, n’auroient pas mérité les éloges que Pline lui-même a donnés aux artistes plus anciens ; cependant l’on ne doit reprocher à l’historien naturaliste qu’une façon de parler trop générale, & un peu trop répétée ; on peut dire sur le cas présent, qu’il y a plusieurs degrés dans l’excellence. Titien est un grand peintre de portraits : Vandik a mis dans ce genre plus de finesse, de délicatesse & de vérité. Titien n’en est pas pour cela un peintre médiocre. Mais ce dont il faut savoir un très-grand gré à Pline, c’est la critique dont il accompagne assez souvent ses éloges ; car après avoir dit d’Euphranor, usurpasse symmetriam, c’est-à-dire qu’il s’étoit fait une maniere dont il ne sortoit point ; il ajoute : sed fuit universitate corporum exilior, capitibus, articulisque grandior. Cette maniere étoit apparemment dans le goût de celle que nous a laissé le Parmesan ; je sais qu’elle est peut-être blâmée, mais elle est bien élegante. Il est vrai qu’on ne peut reprocher au peintre moderne d’avoir fait comme Euphranor, ses têtes trop fortes, & ses emmanchemens trop nourris.

Euphranor a écrit plusieurs traités sur les proportions & les couleurs. Il est singulier qu’un peintre qui a mérité qu’on le reprît sur les proportions, ait écrit sur cette matiere ; cependant la même chose est arrivée depuis le renouvellement des arts à Albert Durer.

Gorgasus & Damophile, habiles ouvriers en plastique, & en même tems peintres sont joints ensemble dans Pline. Voyez ci-dessus Damophile & Gorganus.

Ludius, peintre d’Ardéa, paroît avoir vécu pour le plus tard vers l’an 765 avant l’ere chrétienne. Il ne faut pas oublier, dit Pline, liv. XXXV. ch. x. le peintre du temple d’Ardéa, ville du Latium, sur-tout puisqu’elle l’honora, continue-t-il, du droit de bourgeoisie, & d’une inscription en vers qu’on joignit à son ouvrage. Comme l’inscription & la peinture à fresque se voyoient encore sur les ruines du temple au tems de Pline, il nous a conservé l’inscription en quatre anciens vers latins ; elle porte que le peintre étoit Ludius, originaire d’Etolie. Qui, dit-il ailleurs, il subsiste encore aujourd’hui dans le temple d’Ardéa des peintures plus anciennes que la ville de Rome, & il n’y en a point qui m’étonnent comme celles-ci, de se conserver si long-tems avec leur fraîcheur, sans qu’il y ait de toît qui les couvre.

Il parle ensuite de quelques peintures du même Ludius extrémement belles, & également bien conservées à Lanuvium, autre ville du Latium, & d’autres peintures encore plus anciennes, qu’on voyoit à Cæré ville d’Etrurie. Quiconque voudra, conclut-il, les examiner avec attention, conviendra qu’il n’y a point d’art qui se soit perfectionné plus vîte, puisqu’il paroît que la Peinture n’étoit point encore connue du tems de la guerre de Troie. Ce raisonnement suppose une origine grecque aux peintures de Cæré, comme à celles d’Ardéa ; à la peinture étrusque, comme à la peinture latine.

Lysippe d’Egine, peintre encaustique, vécut entre Polygnote & le sculpteur Aristide, c’est-à-dire, entre l’an 430 & l’an 400 avant l’ere chrétienne. Un de ses tableaux qu’on voyoit à Rome, portoit pour inscription Lysippe m’a fait avec le feu ; c’est la plus ancienne des trois inscriptions, un tel m’a fait, qui paroissent à Pline des inscriptions singulieres dans l’antiquité, au lieu de la formule plus modeste, un tel me faisoit. Les deux autres inscriptions étoient l’une au bas d’une table qu’on voyoit à Rome au comice, & qu’on donnoit à Nicias ; l’autre qui lui servoit de pendant, étoit l’ouvrage de Philochares : voici présentement la remarque de Pline sur ces trois inscriptions dans sa préface de l’histoire naturelle.

« Vous trouverez, dit-il, dans la suite de cette histoire, que les maîtres de l’art, après avoir travaillé & terminé des chefs-d’œuvres de peinture & de sculpture, que nous ne pouvons nous lasser d’admirer, y mettoient pour toute inscription les paroles suivantes, qui pouvoient marquer des ouvrages imparfaits : Apelle ou Polyclete faisoit cela. C’étoit donner leur travail comme une ébauche, se ménager une ressource contre la critique, & se réserver jusqu’à la mort le droit de retoucher & de corriger ce qu’on auroit pu y trouver de défectueux ; conduite pleine de modestie & de sagesse, d’avoir employé partout dès inscriptions pareilles, comme si chaque ouvrage particulier eût été le dernier de leur vie, & que la mort les eût empêchés d’y mettre la derniere main. Je crois que l’inscription précise & déterminée, un tel l’a fait, n’a eu lieu qu’en trois occasions. Plus cette derniere formule annonçoit un homme content de la bonté de ses ouvrages, plus elle lui attiroit de censeurs & d’envieux ».

Ainsi parle Pline, dont les yeux, peut-être quelquefois trop délicats, étoient blessés des plus petites apparences de vanité & d’amour-propre.

Méchopane étoit éleve de Pausias : Sunt quibus placeat diligentiâ quam intelligant soli artifices, alias durus in coloribus, & sile multus. Ces termes veulent dire que sa couleur a été crue, & qu’il a trop donné dans le jaune : les modernes offrent sans peine de pareils exemples ; mais l’intelligence, les soins ou la précision, qui ne sont connus que des seuls artistes, présentent une vue bien délicate & bien vraie.

Melanthius. Plutarque rapporte que Aratus, qui aimoit la peinture, & qui s’y connoissoit, ayant délivré Sicione sa patrie des tyrans qui l’opprimoient, résolut de détruire les monumens qui rappelloient leur souvenir. Il y avoit dans la ville un tableau fameux, où Mélanthius aidé de ses éleves, parmi lesquels étoit Apelle, avoit représenté Aristrate l’un de ces tyrans, monté sur un char de triomphe.

Dans le premier moment Aratus ordonna de le détruire ; mais se rendant bientôt aux raisons de Néalque, peintre habile, qui demandoit grace pour une aussi belle peinture, & qui lui faisoit entendre que la guerre qu’il avoit déclarée aux tyrans, ne devoit pas s’étendre aux arts, il le fit consentir que la seule figure d’Aristrate seroit effacée ; ainsi on laissa subsister celle de la Victoire & le char ; & Néalque qui s’étoit chargé de cette opération, mit seulement une palme à la place de la figure, & cela par respect pour un ouvrage sur lequel il ne croyoit pas que personne osât mettre la main.

Dans ce dernier passage on voit deux témoignages bien précis de la considération dans laquelle étoient chez les Grecs les ouvrages des grands maitres. Un prince fait céder des raisons d’état & de politique à la conservation d’un tableau dont la mémoire étoit odieuse, mais qui n’en étoit pas moins admirable par la beauté de son exécution. Un peintre habile en reconnoît l’excellence, & préfere la gloire d’avoir contribué à sa conservation, à celle qu’il auroit pu acquérir en le peignant de nouveau, ou du moins en y mettant une nouvelle figure de sa façon.

Au reste, Pline nomme Mélanthius au nombre des peintres dont les chef-d’œuvres avoient été faits avec quatre couleurs seulement. Plutarque ajoute que dans se tableau du tyran de Sicyone, Mélanthius y travailla conjointement avec les autres de sa volée, mais qu’Apelle, qui étoit du nombre, n’y toucha que du bout du doigt ; c’est apparemment parce qu’il étoit encore trop jeune.

Métrodore fut choisi par les Athéniens pour être envoyé à Paul Emile, qui après avoir pris Persée, roi de Macédoine, leur avoit demandé deux hommes de mérite, l’un pour l’éducation de ses enfans, & l’autre pour peindre son triomphe. Il témoigna souhaiter ardemment que le précepteur fût un excellent philosophe. Les Athéniens lui envoyerent Metrodore qui excelloit tout ensemble, & dans la Philosophie, & dans la Peinture. Paul Emile fut très-content à ces deux égards, de leur choix : c’est Pline qui raconte ce fait, liv. XXXV. ch. xj. mais sans entrer dans d’autres détails sur les ouvrages de Métrodore ; ce qu’on peut dire de certain, c’est que s’il a réussi dans ses tableaux, comme dans son éleve P. Scipion, il faut le regarder comme un des grands peintres de l’antiquité. Le P. Hardouin n’a commis que des erreurs au sujet de ce philosophe & de cet artiste, qui fleurissoit dans la 150e olympiade.

Micon étoit contemporain, rival & ami de Polygnote. Pline nous apprend que tous les deux furent les premiers qui firent usage de l’ocre jaune, & que tous deux peignirent à fresque ce célebre portique d’Athènes, qui de la variété de ses peintures, fut nommé le Pœcile ; mais Micon se fit payer de son travail, au lieu que Polygnote ne voulut d’autre récompense que l’honneur d’avoir réussi.

Néalcés s’acquit une très-grande réputation par la beauté de ses ouvrages, & entr’autres par son tableau de Vénus. Il étoit également ingénieux & solide dans son art. Il représenta la bataille navale des Egyptiens contre les Perses ; & comme il vouloit faire connoître que l’action s’étoit passée sur le Nil, dont les eaux sont semblables à celles de la mer, il peignit sur le bord de l’eau un âne qui bûvoit, & tout auprès un crocodile qui le guettoit pour se jetter sur lui. Secondé comme Protogène par le hasard, il ne vint à-bout, à ce qu’on dit, de représenter l’écume d’un cheval échauffé, qu’en jettant de dépit son pinceau sur son ouvrage ; Pline parle beaucoup de Néalcés dans son hist. nat. liv. XXXV. ch. xj.

Nicias d’Athènes, habile peintre encaustique, éleve d’Antidotus, vivoit comme Apelle à la cent douzieme olympiade, l’an 332 avant l’ere chrétienne. Il se distingua parmi les célebres artistes de ce tems florissant de la Peinture. Il fut le premier qui employa parmi ses couleurs, la céruse brûlée. On dit qu’il excelloit en particulier à peindre les femmes. On avoit de lui un grand nombre de tableaux extrèmement estimés, entr’autres celui où il avoit peint la descente d’Ulysse aux enfers. Il refusa d’un de ses tableaux 60 talens, 282000 l. que le roi Ptolomée lui offroit.

Praxitele faisoit un si grand cas de la composition dont Nicias avoit le secret, & qu’il appliquoit sur les statues de marbre, que celles de ses statues où Nicias avoit mis la main, méritoient, selon lui, la préférence sur toutes autres. Voilà ce que dit le texte de Pline, liv. XXXV. chap. xj. Nous ne connoissons plus cette pratique ; & comme nous n imaginons pas que des vernis ou quelqu’autre préparation semblable, puisse être appliquée sur une statue de marbre sans lui nuire, nous croyons trouver dans ce passage quelque chose d’absurde ; cependant il s’agit ici d’un vernis qui étoit peut-être une composition de cire préparée.

Mais il y a de bien plus grands éloges à faire de Nicias, car lumen & umbras custodivit ; il conserva avec soin la vérité de la lumiere & celle des ombres ; c’est-à-dire qu’il a parfaitement entendu le clair obscur, & par une suite nécessaire, les figures de ses tableaux prenoient un grand relief, & les corps paroissoient saillans, atque ut eminerent è tabulis picturæ, maximè curavit. On croiroit que Pline, dans ce passage feroit l’éloge de Polydore.

Nicias joignit à ces grandes parties, celle de bien rendre les quadrupedes, & principalement les chiens. Nos modernes ne nous fournissent aucun objet de comparaison ; car ceux qui ont excellé à peindre les animaux, n’ont ordinairement choisi ce genre de travail, que par la raison qu’ils étoient foibles dans l’expression des figures, & pour ainsi dire incapables de traiter les sujets de l’histoire & les grandes passions. Il est vrai que Rubens se plaisoit à peindre des animaux, & c’est à ses leçons que nous devons le fameux Sneyders ; mais ces sortes d’exemples sont rares.

Parmi les tableaux les plus estimés de Nicias, on admiroit sur-tout celui où il avoit peint la descente d’Ulysse aux enfers. Il refusa de ce tableau 60 talens, 282000 liv. que le roi Ptolomée lui offroit, & en fit présent à sa patrie.

Les Athéniens, par reconnoissance, éleverent un tombeau à sa gloire, & lui accorderent les honneurs de la sépulture aux dépens du public, comme à Conon, à Timothée, à Miltiade, à Cimon, à Harmodius, & à Aristognion. On trouvera d’autres détails assez étendus sur cet admirable peintre dans Pline, Ælien, Pausanias, Stobée & Plutarque.

Nicomaque, fils & éleve d’Aristodeme, étoit un peu plus ancien qu’Apelle. On achetoit ses tableaux pour leur grande beauté, des sommes immenses, tabulæ singulæ oppidorum vænebant opibus, dit Pline, & cependant personne n’avoit plus de facilité & de promptitude dans l’exécution. Aristote tyran de Sicyone, l’avoit choisi pour orner de tableaux un monument qu’il faisoit élever au poëte Teleste, & il étoit convenu du prix avec Nicomaque, à condition néanmoins que l’ouvrage seroit achevé dans un tems fixe. Nicomaque ne se rendit sur le lieu pour y travailler, que peu de jours avant celui où il devoit livrer l’ouvrage. Le tyran irrité alloit le faire punir, mais le peintre tint parole, & dans ce peu de jours, il acheva ses tableaux avec un art admirable & une merveilleuse célérité ; celeritate & arte mirâ, ajoute le même Pline. Les tableaux de Nicomaque, & les vers d’Homere, dit Plutarque, dans la vie de Timoléon, outre les perfections & les graces dont ils brillent, ont encore cet avantage, qu’ils paroissent n’avoir couté ni travail, ni peine à leur auteur.

Il fut le premier qui peignit Ulysse avec un bonnet, & tel qu’on le retrouve dans des médailles de la famille Mamilia, rapportées par Vaillant, Famil. Boman. Mamilia, 2. 3. 4. aux années 614 & 626 de Rome, environ deux cens ans après les ouvrages de Nicomachus.

Nicophanes, dit Pline, fut si élégant, si précis, que peu de peintres ont égalé ses agrémens, & jamais il ne s’est écarté de la dignité ni de la noblesse de l’art. Nicophanes elegans & concinnus, ita ut venustate ei pauci comparentur. Cothurnus ei, & gravitas artis.

Pamphile, de Macédoine, éleve d’Eupompus, & contemporain de Zeuxis, & de Parrhasius qu’on place ensemble vers la 115e olympiade, c’est-à-dire vers l’an du monde 3604, fut le premier peintre versé dans tous les genres de Science & de Littérature. Il a mérité que Pline dît de lui : primus in picturâ omnibus litteris eruditus, præcipuè arithmeticæ & geometricæ sine quibus negabat artem persici posse. Il avoit bien raison, puisque les regles de la Perspective dont les Peintres font continuellement usage, & celles de l’Architecture qu’ils sont quelquefois obligés d’employer, appartiennent les unes & les autres à la Géométrie. Or, la nécessité de la Géométrie la plus simple & la plus élémentaire, entraîne la nécessité de l’Arithmétique, pour le calcul des angles & des côtés des figures.

Pamphile fut primus in picturâ, mais d’une façon dont nos Peintres devroient tâcher d’approcher ; c’est qu’étant savant dans son art, il fut omnibus litteris eruditus. Il eut le crédit d’établir à Sicyone, ensuite dans toute la Grece, une espece d’académie où les seuls enfans nobles & de condition libre, qui auroient quelque disposition pour les beaux Arts, seroient instruits soigneusement avec ordre de commencer par apprendre les principes du dessein sur des tablettes de bouis, & défenses aux esclaves d’exercer le bel art de la Peinture.

Enfin, Pamphile mit cet art in primum gradum liberalium ; Pline l’appelle aussi un art noble & distingué qui avoit excité l’empressement des rois & des peuples. Il aime qu’elle fasse briller l’érudition au préjudice même du coloris : il joint avec complaisance au titre de peintre celui de philosophe dans la personne de Métrodore, & celui d’écrivain dans Parrhasius, dans Euphranor, dans Apelle & dans les autres. Quelquefois même il semble préférer la Peinture à la Poésie ; la Diane d’Apelle au milieu de ses nymphes qui sacrifient, paroît, dit-il, l’emporter sur la Diane d’Homere, lequel a décrit le même spectacle. Si les vers grecs qui subsistoient à la louange de la Vénus Anadyomene du même Apelle, avoient prévalu sur le tableau qui ne subsistoit plus, ils rendoient toujours hommage à sa gloire.

Cependant il semble que nos Artistes pensent bien différemment, & qu’ils secouent la littérature & les sciences comme un joug pénible, pour se livrer entierement aux opérations de l’œil & de la main. Leur préjugé contre l’étude paroît bien difficile à déraciner, parce que malheureusement presque tous ceux qui ont eu des lettres, n’ont pas excellé dans l’art ; mais l’exemple de Léonard de Vinci & de quelques autres modernes suffiroit, indépendamment de l’exemple des anciens, pour justifier qu’il est possible à un grand peintre d’être savant. Enfin, sans savoir comme Hippias, tous les Arts & toutes les Sciences ; il y a des degrés entre cet éloge, & une ignorance que l’on ne peut jamais pardonner.

Au reste, Pamphile après avoir élevé des especes d’académies dans la Grece, ne prit point d’éleves, qu’à raison de dix ans d’apprentissage, & d’un talent soit par année, soit pour les dix années de leçon ; car le texte de Pline est susceptible de ces deux sens. Il est cependant vraissemblable, qu’il faut entendre un talent attique par chaque année. Le talent attique est évalué par MM. Belley & Barthélemy à environ quatre mille sept cens livres de notre monnoie actuelle 1760 ; le docteur Bernard l’évalue à deux cens six livres sterlings cinq shellings. Ce fut à ce prix qu’Apelle entra dans l’école de Pamphile, & ce fut un nouveau surcroit de gloire pour le maître. Il eut encore l’avantage d’avoir Mélanthius pour disciple, ce Mélanthius dont Pline dit que les tableaux étoient hors de prix. Pausanias fut aussi son éleve ; nous n’oublirons pas son article.

On admiroit plusieurs ouvrages de Pamphile, entr’autres son Ulysse dans une barque ; son tableau de la confédération des Grecs ; celui de la bataille de Phlius au midi de Sicyone, aujourd’hui Phoica ; celui de la victoire des Athéniens contre les Perses, &c. Ajoutons-y un portrait de famille dont Pline parle, c’est-à-dire un grouppe ou une ordonnance de plusieurs parens ; c’est le seul exemple de cette espece rapporté par les anciens, non que la chose n’ait été facile & naturelle ; mais parce qu’elle n’étoit point en usage du-moins chez les Romains, qui remplissoient leur atrium ou le vestibule de leurs maisons de simples bustes.

Panée ou Panoenus, comme dit Pausanias, frere du fameux Phidias, fleurissoit dans la 55e. olympiade, ou l’an du monde 3560. Il peignit avec grande distinction la fameuse journée de Marathon, où les Athéniens défirent en bataille rangée toute l’armée des Perses. Les principaux chefs de part & d’autre étoient dans ce tableau de grandeur naturelle, & d’après une exacte ressemblance ; c’est de-là que Pline infere les progrès & la perfection de l’art, qui néanmoins se perfectionna beaucoup dans la suite.

Ce fut de son tems que les concours pour le prix de la Peinture furent établis à Corinthe & à Delphes, tant les Grecs étoient déjà attentifs à entretenir l’émulation des beaux arts par tous les moyens les plus propres à les faire fleurir. Panœnus se mit le premier sur les rangs avec Timagoras de Chalcis, pour disputer le prix à Delphes dans les jeux pythiens. Timagoras demeura vainqueur ; c’est un fait, ajoute Pline, prouvé par une piece de vers du même Timagoras, qui est fort ancienne ; elle a du précéder d’environ cinq cens cinquante ans le tems où Pline écrivoit, si nous plaçons la victoire de Timagoras vers la xxviij. pythiade, en l’an 474 avant Jesus-Christ.

Panœnus devoit même être assez jeune l’an 474, seize ans après la bataille de Marathon, puisqu’il est encore question de lui à la lxxxiij. olympiade, l’an 448 ; qu’il peignit à Elis la partie concave du bouclier d’une Minerve, statue faite par Colotès, disciple de Phidias. Si ce mélange de Peinture & de Sculpture dans un même ouvrage révolte aujourd’hui notre délicatesse ; si nous condamnons comme inutiles & comme cachés à la vûe du spectateur, des ornemens qui ont pû cependant être presque aussi visibles en-dedans qu’en-dehors d’un bouclier, du-moins gardons-nous bien d’étendre nos reproches jusqu’à l’historien, ce seroit le blâmer de son attention à nous transmettre les anciens usages, & d’une exactitude qui fait son mérite & sa gloire.

Panœnus fit encore des peintures à fresque à un temple de Minerve dans l’Elide, & Phidias son frere, ce sculpteur si célebre, avoit aussi exercé l’art de la Peinture ; il avoit peint dans Athènes, l’olympien, c’est-à-dire Péricles, olympium Periclem, dignum cognomine, pour me servir des termes de Pline. Hist. nat. liv. XXXIV. chap. viij.

Parrhasius, natif d’Ephese, fils & disciple d’Evenor, contemporain & rival de Zeuxis, fleurissoit dans les beaux jours de la Peinture, vers l’an du monde 3564, environ quatre cens ans avant Jesus-Christ. Ce fameux artiste réussissoit parfaitement dans le dessein, dans l’observation exacte des proportions, dans la noblesse des attitudes, l’expression des passions, le finissement & l’arrondissement des figures, la beauté & le moëlleux des contours ; en tout cela, dit Pline, il a surpassé ses prédécesseurs, & égalé tous ceux qui l’ont suivi.

Le tableau allégorique que cet homme célebre fit du peuple d’Athenes, brilloit de mille traits ingénieux, & montroit dans le peintre une richesse d’imagination inépuisable : car ne voulant rien oublier touchant le caractere de cette nation, il la représenta d’un côté bisarre, colere, injuste, inconstante ; & de l’autre humaine, docile, & sensible à la pitié, dans certain tems fiere, hardie, glorieuse, & d’autresfois basse, lâche, & timide ; voila un tableau d’après nature.

C’est dommage que Parrhasius ait deshonoré son pinceau, en représentant par délassement les objets les plus infâmes : ubique celeber, comme dit Pline d’Arellius, nisi stagitiis insignem corrupisset artem ; ce que fit en effet le peintre d’Ephese par sa peinture licencieuse d’Atalante avec Méléagre son époux, dont Tibere dona cent cinquante mille livres de notre monnoie, & plaça cette peinture dans son appartement favori.

C’est encore dommage que cet homme si célebre ait montré dans sa conduite trop d’orgueil & de présomption. On le blame peut-être à tort de sa magnificence sur toute sa personne. On peut aussi lui passer son bon mot dans sa dispute avec Timanthe ; il s’agissoit d’un prix en faveur du meilleur tableau, dont le sujet étoit Ajax outré de colere contre les Grecs, de ce qu’ils avoient accordé les armes d’Achille à Ulysse. Le prix fut adjugé à Timanthe. « Je lui cede volontiers la victoire, dit le peintre d’Ephèse, mais je suis fâché que le fils de Télamon ait reçu de nouveau le même outrage qu’il essuya jadis fort injustement ».

On voit par ce propos que Parrhasius étoit un homme de beaucoup d’esprit ; mais c’étoit sans doute un artiste du premier ordre, puisque Pline commence son éloge par ces mots remarquables, qui disent tant de choses : primus symmetriam picturæ dedit ; ces paroles signifient, que les airs de tête de ce peintre étoient piquans, qu’il ajustoit les cheveux avec autant de noblesse que de légereté ; que ses bouches étoient aimables, & que son trait étoit aussi coulant que ses contours étoient justes ; c’est le sublime de la peinture : hæc est in picturâ sublimitas ; hanc ei gloriam concessére Antigonus & Xenocrates, qui de picturâ scripsére. Dans son tableau de deux enfans, on trouvoit l’image même de la sécurité & de la simplicité de l’âge, securitas & simplicitas ætatis. Il faut que ces enfans aient été bien rendus, pour avoir inspiré des expressions qui peignoient à leur tour cette peinture. C’est dommage que dans un artiste de cette ordre, nemo insolentius & arogantius sit usus gloriâ artis. Il se donna le nom d’abrodictos, le délicat, le voluptueux, en se déclarant le prince d’un art qu’il avoit presque porté à sa perfection. En effet, on ne lit point sans plaisir, cout ce que disent de ce grand maître Pline, Diodore de Sicile, Xénophon, Athénée, Elien, Quintilien, & parmi les modernes Carlo-Dati ; mais on n’est point fâché de voir l’orgueil de Parrhasius puni, quand il fut vaincu par Timanthe, dans le cas dont j’ai parlé ci-dessus ; cas d’autant plus important à sa gloire, que les juges établis pour le concours des arts dans la Grece, ne pouvoient être soupçonnés d’ignorance ou de partialité.

Pausias, natif de Sicyone, fils de Pritès & son éleve, fleurissoit vers la cj. olympiade. Il se distingua dans la pointure encaustique, & en décora le premier les voûtes & les lambris, pinxit & ille penicillo parietes Thespiis, dit Pline c. xj. C’étoit peut-être le temple des Muses que l’on voyoit à Thespies, au-bas de l’Hélicon. Polygnote avoit orné avant lui ce même lieu de ses ouvrages ; le tems les avoit apparemment dégradés ou effacés. On chargea Pausias de les refaire, & ces tableaux perdirent beaucoup à la comparaison, quoniam non suo genere certasset ; mais il décora le premier les murs intérieurs des appartemens avec un succès distingué ; c’est ce genre que Ludius fit ensuite connoître à Rome. Pausias y apportoit la plus grande facilité, car il peignit un tableau de ce genre en un jour ; il est vrai que ce tableau représentoit un enfant, dont les chairs mollettes, rondes, & pleines de lait, n’exigent qu’une forme générale sans aucun détail intérieur, sans aucune expression composée, enfin sans aucune étude de muscles & d’emmanchemens.

Quand l’occasion le demandoit, Pausias terminoit ses beaux ouvrages avec beaucoup de mouvement dans sa composition & d’effet dans la couleur. On admiroit de sa main, dans les portiques de Pompée, un tableau représentant un sacrifice de bœuf, parmi lesquels étoit un bœuf de front dont on voyoit toute la longueur : on y remarquoit sur-tout la hardiesse avec laquelle il les avoit peints absolument noirs : enfin les sacrifices de Pausias indiquoient, non-seulement l’art du racourci, mais une intelligence complette de la perspective.

Il devint dans sa jeunesse amoureux de Glycere ; cette belle vendeuse de fleurs le rendit excellent dans l’imitation de la plus légere & de la plus agréable production de la nature. Comme elle excelloit dans l’art de faire des couronnes des fleurs qu’elle vendoit, Pausias pour lui plaire imitoit avec le pinceau ces couronnes, & son art égaloit le fini & l’éclat de la nature. Ce fut alors qu’il représenta Glycere assise, composant une guirlande de fleurs, tableau dont Lucullus acheta la copie deux talens (neuf mille quatre cens livres) ; combien auroit-il payé l’original, qu’on nomma stéphanoplocos, la faiseuse de couronnes ? Horace n’a pas oublié cette circonstance.

Vel cum Pausiaca torpes ; insane, tabella
Qui peccas minus, atque ego cum, &c.

Le prix excessif que Lucullus mit au tableau de Pausias, ne doit pas néanmoins étonner ceux qui ont vû donner de nos jours des sommes pareilles pour les bouquets de fleurs peints par Van-Huysum, tandis que peut-être ils n’auroient pas donné le même prix d’un tableau de Raphaël. On pourroit comparer Baptiste, pour cette partie seulement, au célebre Pausias dans la belle imitation des fleurs, à laquelle il joignoit une grande facilité.

Cependant, le chef-d’œuvre de Pausias étoit une femme ivre peinte avec un tel esprit, que l’on appercevoit à-travers un vase qu’elle vuidoit, tous les traits de son visage enluminé, dit Pausanias, l. XXI. M. Scaurus transporta à Rome tous les tableaux du peintre de Sicyone ; il mérite doublement ce nom, car outre que c’étoit sa patrie, il y avoit fixé son séjour. Scaurus orna des tableaux de cet artiste, le superbe théâtre qu’il fit construire, dans le dessein d’immortaliser son édilité, laquelle en effet acheva la ruine & le renversement des mœurs des Romains.

Philocharès, ne nous est connu que par ce que Pline en dit en parlant des tableaux étrangers exposés dans Rome. « Le second tableau, dit-il, présente un sujet d’admiration dans la ressemblance d’un fils encore jeune avec son pere déjà vieux, malgré la différence des deux âges clairement exprimée : un aigle vole au-dessus, & tient un lion dans ses serres. Philocharès y a marqué que c’étoit son ouvrage, preuve éclatante, continue Pline, du pouvoir immense de l’art, quand on n’envisageroit que ce seul tableau, puisque le sénat & le peuple romain y contemplent depuis tant de siecles, en considération de Philocharès, deux personnages d’ailleurs très-obscurs, Glaucion & son fils Aristippe ».

Il ne faut pas croire que Pline reproche aux Romains de s’être dégradés, en portant leurs regards sur un portrait de deux personnes abjectes ; ce sens répugne, & à l’objet présent de l’auteur, & à tous ses principes de philosophie ; & à la maniere dont il nous offre plusieurs autres tableaux où les sujets étoient vils ou inconnus. Il ne prétend pas plus censurer les admirateurs de Glaucion & d’Aristippe, que les panégyristes de ce malade qu’Aristide avoit peint, ægrum sine fine laudatum ; comme c’étoit sur la finesse de l’exécution du peintre que tomboient les admirations & les louanges, le philosophe s’en servoit pour faire connoître les charmes de l’art, & le citoyen pour les faire aimer.

Philoxène d’Erythrée, éleve de Nicomachus, suivit la maniere de son maître. Pline dit de lui, cujus tabula nulli post ferenda ; c’est un éloge assez singulier. Il ajoute qu’il trouva des chemins plus courts encore pour peindre promptement. Il travailloit donc, dit M. de Caylus, comme le Pellegrini, qui avoit peint la banque à Paris, & comme Paul Mathéi qui a fait un si grand nombre d’ouvrages chez M. Crozat l’aîné ; l’un & l’autre faisoient ordinairement par jour une figure grande comme nature ; mais la promptitude & la facilité étoient leur seul mérite.

Polygnote de Thase, île de la mer Egée, étoit fils d’Aglaophon dont nous avons parlé, & qui vivoit avant la quatre-vingt-dixieme olympiade, tems où la peinture n’avoit pas encore fait de grands progrès. Il fut éleve de son pere ; mais comme il est arrivé depuis à Raphaël & à beaucoup d’autres, le disciple surpassa bien-tôt son maître. Guidé par son propre génie, il osa quitter l’ancienne maniere qui étoit dure, seche, & contrainte. Il porta tout-d’un-coup son art de l’enfance presque à la perfection. Jusqu’alors les Peintres ne s’étoient servi que d’une seule couleur, ce qui faisoit donner à leurs ouvrages le nom peu avantageux de μονοχροματον ou μονοχρόον, que Quintilien nous rend par les mots de simplex color.

Polygnote employa quatre couleurs, par le mélange desquelles il donna aux femmes une parure brillante qui charma les yeux. Il eut la gloire de trouver le secret des couleurs vives, des draperies éclatantes, & de multiplier avec dignité le nombre des ajustemens. Par cette nouveauté il éleva les merveilles de la Peinture à un degré qui n’étoit pas encore connu. Pline nous apprend que Polygnote & Micon furent les premiers qui firent usage de l’ocre jaune, & que tous deux peignirent à fresque ce célebre portique d’Athènes, qui de la variété de ses peintures fut nommé le Pœcile. Mais Micon, comme je l’ai déjà dit, se fit payer de son travail, au-lieu que Polygnote ne voulut d’autre récompense que l’honneur d’avoir réussi ; ce beau procédé le mit en un si haut degré d’estime, que les Athéniens lui donnerent droit de bourgeoisie dans leur ville, & les Amphyctions le droit d’hospitalité dans toutes les villes de la Grece, pour tout le reste de sa vie : des récompenses aussi flatteuses pour l’amour-propre, & telles que les Grecs les savoient accorder, ne sont plus en usage ; il faut croire que si elles existoient, nous verrions plusieurs de nos artistes décorer des temples sans recevoir aucune rétribution, ou plûtôt les décorer pour en avoir d’aussi distinguées.

On voyoit à Rome, du tems de Pline, un tableau de Polygnote, qui représentoit un jeune homme armé de son bouclier, dans une attitude qui laissoit en doute s’il montoit ou s’il descendoit. Pline en fait beaucoup d’éloges, parce qu’il se trouve une beauté réelle dans une attitude indécise, & dans une contenance mal assurée, qui peint l’irrésolution de l’esprit. Il arrive très-souvent qu’un soldat qui escalade, ou qui s’avance à l’ennemi, s’arrête tout-à-coup sans savoir d’abord s’il poursuivra, s’il continuera de monter, ou s’il prendra le parti de descendre. Or ces sortes de positions vacillantes sont difficiles à être bien représentées par un peintre. L’habile artiste dont nous parlons avoit pourtant saisi celle-ci, & l’habile écrivain de la nature a eu soin d’avertir qu’on en voyoit à Rome le tableau sous le portique de Pompée.

Polygnote fit encore plusieurs autres ouvrages vantés dans l’histoire ; tels sont en particulier les deux tableaux que Pausanias a décrits ; l’un représentoit la prise de Troie & le rembarquement des Grecs ; l’autre la descente d’Ulysse aux enfers avec une image de ces lieux souterrains, sujets magnifiques, & qui ne prêtent pas moins à la Peinture qu’à la Poésie, voyez les Mem. des Inscr. tom. VI. in-4o. Il fut le premier qui sut varier l’air du visage, sec & dur dans l’ancienne peinture, qui donna des draperies fines & légeres à ses figures de femmes, & le premier qui les coëffa d’une mitre de différentes couleurs. Aussi heureux en galanterie que noble dans ses actions, il sut plaire à Elpinice, sœur de Cimon, & fille de Miltiade, ce grand capitaine, dont la gloire ne fut égalée que par celle de son fils. Polygnote vivoit quatre cens vingt années avant l’ere chrétienne ; ainsi les tableaux dont parle Pausanias avoient, du tems de cet auteur, cinq ou six cens ans d’antiquité

Protogène, ne à Caunium en Carie, ville qui dépendoit de Rhodes, étoit contemporain d’Apelles : il commença par peindre des navires, & vécut long-tems dans une honnête pauvreté, la sœur, je dirai mieux, la mere du bon esprit. Il peignit ensuite des portraits & quelques sujets simples, mais auxquels il donna un si beau fini, qu’ils firent l’admiration des Athéniens, c’est-à-dire du peuple le plus éclairé qui fût au monde. Tous les Historiens parlent de ce fameux tableau qui lui coûta sept ans de travail, de l’Iabise, chasseur célebre, petit-fils du Soleil, & qui passoit pour le fondateur de Rhodes.

Protogène, jaloux de la durée de ses ouvrages, & voulant faire passer le tableau d’Iabise à la postérité la plus reculée, le repeignit à quatre fois, mettant couleurs sur couleurs, qui prenant par ce moyen plus de corps, devoit se conserver plus long-tems dans leur éclat, sans jamais disparoître ; car elles étoient disposées pour se remplacer, pour ainsi dire, l’une l’autre. C’est ainsi que Pline s’explique, comme le remarque M. le comte de Caylus, pour caractériser le coloris de ce célebre artiste.

On admiroit en particulier dans ce tableau l’écume qui sortoit de la gueule du chien ; ce qui n’étoit pourtant, dit-on, qu’un coup de hasard & de desespoir du peintre. On faisoit aussi grand cas de son satyre appuyé contre une colonne. Protogène y travailloit dans le tems même du siége de Rhodes par Démétrius. Il étoit alors logé à la campagne dans une maison près de la ville. Démétrius fit venir Protogène dans son camp ; & lui ayant demandé comment il pouvoit s’occuper à son beau tableau sans crainte, & s’imaginer être en sureté au milieu des ennemis, Protogene lui répondit spirituellement, qu’il savoit que Démetrius ne faisoit pas la guerre aux arts ; réponse qui plut extrèmement au monarque, & qui sauva Rhodes. C’est Aulugelle, liv, XV. ch. iij. qui rapporte ce fait, un des plus frappans que l’histoire nous ait conserve. Cet évenement d’un tableau qui opere le salut d’une ville, est d’autant plus singulier, que le peintre vivoit encore ; & l’on sait assez que d’ordinaire les hommes attendent la mort des auteurs en tout genre, pour leur donner les éloges les plus mérités, soit qu’un sentiment d’envie les conduise, soit qu’ils ne prisent que ce qu’ils n’ont pas la liberté de faire exécuter, le plaisir de voir naître sous leurs yeux, & que leur estime soit produite par le regret.

Apelle fit connoître aux Rhodiens le mérite des ouvrages de ce laborieux artiste ; car ayant offert d’acheter très-cherement tous ses tableaux, les compatriotes de Protogène ouvrirent les yeux sur cette offre qui étoit sérieuse, & payerent ses ouvrages comme ils le méritoient. Aristote, amateur des beaux arts autant que des sciences, & de plus ami de Protogène dont il estimoit les talens, voulut l’engager aux plus grandes compositions & aux plus nobles sujets d’histoire, comme à peindre les batailles d’Alexandre ; mais Protogène résista toujours à cette amorce dangereuse, & continua sagement de s’en tenir aux peintures de son goût & de son génie.

On sçait qu’Apelle & Protogene travaillerent ensemble à un tableau qui fut conservé précieusement. Ce tableau avoit été regardé comme un miracle de l’art ; & quels étoient ceux qui le considéroient avec le plus de complaisance ? C’étoient des gens du métier, gens en effet plus en état que les autres de sentir les beautés d’un simple dessein, d’en appercevoir les finesses, & d’en être affectés. Ce tableau, ou, si l’on veut, ce dessein avoit mérité de trouver place dans le palais des Césars. Pline, qui parle sur le témoignage des personnes dignes de foi, qui avoient vû ce tableau avant qu’il eût péri dans le premier incendie qui consuma le palais du tems d’Auguste, dit qu’on n’y remarquoit que trois traits, & même qu’on les appercevoit avec assez de peine ; la grande antiquité de ce tableau ne permettoit pas que cela fût autrement.

Il est à remarquer que s’il n’offroit à la vûe que de simples lignes coupées dans leur longueur par d’autres lignes, ainsi que M. Perrault se l’étoit imaginé, on en devoit compter cinq, & non pas trois. Le calcul est aisé a faire ; la premiere ligne refendue par une seconde ligne, & celle-ci par une troisieme encore, cela fait bien cinq lignes toutes distinctes, par la précaution qu’on avoit prise en les traçant, d’employer différentes couleurs. Une telle méprise dans une chose de fait, n’est que trop propre à faire sentir l’erreur de ceux qui cherchent sans cesse à rabaisser le mérite de l’antiquité.

Nous ne dirons rien de plus de la vie & des actions de ce grand peintre, sinon qu’il joignit, comme tant d’autres, l’exercice de la Sculpture avec celui de la Peinture. Du reste, Apelle lui reprochoit quelquefois de trop fatiguer ses ouvrages, & de ne sçavoir pas les quitter. Ce défaut a souvent jetté dans le froid quelques-uns de nos modernes. Apelle disoit à son ami, le trop de soin est dangereux ; mais la Peinture n’est pas la seule opération de l’esprit qui doit faire attention à ce précepte.

Pyreicus, dit Pline, arte paucis post ferendus, & sur-tout du côté de la beauté du pinceau ; mais il a dégradé son mérite, tonstrinas sutrinasque pinxit ; aussi fut-il nommé rhyparo graphos, c’est-à-dire bas & ignoble. Nous pouvons donner cette épithete à presque tous les peintres des Pays-bas. Il paroît que les Romains étoient sensibles à la séduction que causoient ces petits genres, & qu’ils pardonnoient aux sujets en faveur de la belle couleur, qui véritablement est attrayante.

Sérapion étoit un peintre de décoration. Les Grecs & les Romains ont eu de grands décorateurs de théatre ; leurs dépenses en ce genre, & leur goût pour les spectacles, ont dû produire des hommes très-habiles dans cette partie, & nous pouvons imaginer par conséquent, que la facilité du génie & de l’exécution, devoit être nécessairement appuyée en eux par la connoissance exacte de la perspective. Plus un trait est rapporté dans le grand, & plus il exige d’exactitude & de vérité ; & la perspective aérienne éprouve les mêmes nécessités. Sérapion se distingua dans l’art des décorations ; Pline après en avoir parlé sur ce ton, ajoute qu’il ne pouvoit peindre la figure, c’est une chose toute ordinaire. A la réserve de Jean Paul Panini, qui a sçu allier plusieurs parties de la Peinture, Bibiena, Servandoni, & tous ceux qui les ont précédés, n’ont jamais sçu représenter une figure, ni même l’indiquer en petit, sur le plan le plus éloigné. Si Sérapion ne pouvoit faire aucune figure, Dionysius au contraire ne savoit peindre que des figures ; ces partages se rencontrent tous les jours ; cependant les Dionysius seront plus aisément Sérapions, que les Sérapions ne seront Dionysius ; car un peintre d’histoire exprimera toujours ses pensées : le dessein de la figure conduit à tout, & rend tout facile.

Socrate est peint dans ces deux mots de Pline, jure omnibus placet ; cet artiste fut bienheureux ; il se trouvoit du goût de tout le monde. On peut dire qu’il eut un sort bien différent du divin philosophe dont il portoit le nom. C’est au peintre que nous devons la composition suivante, & qu’un philosophe auroit pû imaginer. Pour exprimer un négligent qui fait des choses inutiles, il peignit un homme assis par terre, travaillant une natte mangée par un âne, à mesure qu’il la terminoit. D’autres prétendent que Socrate avoit voulu représenter un mari imbécille, dont l’économie fournit aux dépenses de sa femme ; quoi qu’il en soit, le sujet étoit si bien peint, qu’il passa en proverbe. Œnus spartum torquens quod asellus arrodit.

Théomneste, contemporain d’Asclépiodore & d’Aristide, & un peu plus ancien qu’Apelle, reçut de Mnason, le prince de son tems le plus curieux en peinture, cent mines, c’est-à-dire près de 8000 livres de notre monnoie, pour chaque figure de héros qu’il avoit représentée ; & s’il y en avoit douze, pour répondre aux douze divinités d’Asclépiodore, comme il y a beaucoup d’apparence, cet ouvrage lui fut payé environ 96000 livres.

Timagoras de Chalcide fleurissoit dans la quatre-vingt-deuxieme olympiade. Il disputa le prix de la Peinture contre Panée dans les jeux Pythiens, le vainquit, & composa sur sa victoire un poëme qu’on avoit encore du tems de Pline.

Timanthe étoit natif de Sycione, ou selon d’autres, de Cythné. Cet artiste si renomme avoit en partage le génie de l’invention, ce don précieux de la nature qui caractérise les talens supérieurs, & que le travail le plus opiniâtre, ni toutes les ressources de l’art, ne peuvent donner. C’est Timanthe qui est l’auteur de ce fameux tableau du sacrifice d’Iphigénie, que tant d’écrivains ont célébré, & que les grands-maîtres ont regardé comme un chef-d’œuvre de l’art. Personne n’ignore que pour mieux donner à comprendre l’excès de la douleur du pere de la victime, il imagina de le représenter la tête voilée, laissant aux spectateurs à juger de ce qui passoit au fond du cœur d’Agamemnon. Velavit ejus caput, dit Pline, & sibi cuique animo dedit æstimandum. Tout le monde sait encore combien cette idée a été heureusement employée dans le Germanicus de Poussin. Les grands hommes, & sur-tout les Peintres, parlent tous, pour ainsi dire, le même langage, & le tableau de Timanthe ne subsistoit plus quand le Poussin fit le sien.

Pline, liv. XXXV. ch. x. en caractérisant les divers mérites des peintres grecs, dit au sujet de Timanthe, que dans ses ouvrages on découvroit plus de choses qu’il n’en prononçoit ; qu’étant grand par son art, il était encore plus grand par son génie, & que s’il représontoit un héros, il employoit tout ce que la Peinture avoit de force. Plutarque parle avec de grands éloges d’un tableau que ce peintre avoit fait du combat d’Aratus contre les Etoliens ; ce n’est pas, dit Plutarque, un tableau, c’est la chose même que l’on voit ; il est singulier que Pline ait oublié d’en faire mention, car il n’a pas manqué de nous raconter d’autres détails sur Timanthe, comme sa dispute contre Parrhasius, qui se passa à Samos, & où ce dernier fut vaincu. Cette même histoire, dont j’ai déjà parlé, se retrouve dans Athénée ; mais Pline a loué Timanthe en des termes qui disent tout, artem ipsam complexus viros pingendi. Il pratiqua l’art dans tout son entier pour peindre les hommes. Nous avons eu quelques modernes qui n’ont jamais pû rendre la délicatesse & les graces que la nature a répandues dans les femmes.

Timomaque, natif de Bizance, vivoit du tems de Jules-César. Il mit au jour, entre autres productions, un Ajax & une Médée que le conquérant des Gaules plaça dans le temple de Vénus, & qu’il acheta 80 talens, c’est-à-dire au-delà de seize mille quatre cens louis. Timomaque n’avoit pas mis la derniere main à sa Médée, & c’étoit néanmoins ce qui la faisoit encore plus estimer, au rapport de Pline, qui ne peut s’empêcher d’admirer ce caprice du goût des hommes. La pitié entre-t-elle dans ce sentiment ? se fait-elle un devoir de chérir les choses à cause de l’infortune qu’elles ont eu de perdre leur auteur, avant que d’avoir reçu leur perfection de sa main ? cela peut être ; mais il arrive aussi quelquefois qu’on se persuade avec raison, que de grands maîtres alterent l’excellence de leurs ouvrages par le trop grand fini dont ils sont idolâtres.

Quoi qu’il en soit, le morceau de peinture dont il s’agit ici étoit admirable par l’expression, genre particulier qui caractérisoit Timomaque ; car c’est par-là qu’Ausone, dans sa traduction de quelques épigrammes de l’Anthologie sur ce sujet, vante principalement ce magnifique tableau, où la fille d’Oetus, si fameuse par ses crimes, étoit peinte dans l’instant qu’elle levoit le poignard sur ses enfans. On voit, dit le poëte, la rage & la compassion mêlées ensemble sur son visage ; à-travers la fureur qui va commettre un meurtre abominable, on apperçoit encore des restes de la tendresse maternelle.

Immanem exhausit rerum in diversa laborem
     Pingeret affectum, matris in ambiguum,
Ira subest lacrymis, miseratio non caret irâ ;
     Alterutrum videat, ut sit in alterutro.

Cependant cette Médée, si louée par les auteurs grecs & latins, si bien payée par Jules-César, n’étoit pas le chef-d’œuvre du célebre artiste de Bizance : l’on n’estimoit pas moins son Iphigénie & son Oreste, & l’on mettoit sa Gorgone au-dessus de toutes ses compositions.

Zeuxis, étoit natif d’Héraclée, soit d’Héraclée en Macédoine, ou d’Héraclée près de Crotone en Italie, car les avis sont partagés ; il fleurissoit 400 ans avant Jesus-Christ, vers la quatre-vingt-quinzieme olympiade. Il fut le rival de Timanthe, de Parrhasius, & d’Apollodore, dont il avoit été le disciple ; mais il porta à un plus haut degré que son maître la pratique du coloris & du clair obscur ; ces parties essentielles, que Pline nomme la porte de l’art, & qui en font proprement la magie, firent rechercher les ouvrages de Zeuxis avec empressement, ce qui mit bientôt ce celebre artiste dans une telle opulence, qu’il ne vendoit plus ses tableaux, parce que, disoit-il, aucun prix n’étoit capable de les payer ; discours qu’il devoit laisser tenir à les admirateurs.

Dans le nombre de ses productions pittoresques, tous les auteurs s’étendent principalement sur celle de les raisins, & du rideau de Parrhasius. Ce n’est point cependant dans ces sortes de choses que consiste le sublime & la perfection de l’art ; de semblables tromperies arrivent tous les jours dans nos peintures modernes, qu’on ne vante pas davantage par cette seule raison. Des oiseaux se sont tués contre le ciel de la perspective de Ruel en voulant passer outre, sans que cela soit beaucoup entré dans la louange de cette perspective. Un tableau de M. le Brun, sur le devant duquel étoit un grand chardon bien représenté, trompa un âne qui passoit, & qui, si on ne l’eût empêché, auroit mangé le chardon ; je dis avec M. Perrault mangé, parce que le chardon étant nouvellement fait, l’âne auroit infailliblement léché toute la peinture avec sa langue. Quelquefois nos cuisiniers ont porté la main sur des perdrix & sur des chapons naïvement représentés pour les mettre à la broche ; on en a ri, & le tableau est demeuré à la cuisine.

Mais des tableaux beaucoup plus importans de Zeuxis étoient, par exemple, son Hélene, qu’on ne voyoit d’abord qu’avec de l’argent, d’où vint que les railleurs nommerent ce portrait Hélene la courtisanne. On ne sait point si cette Hélene de Zeuxis étoit la même qui étoit à Rome du tems de Pline, ou celle que les Crotoniates le chargerent de représenter, pour mettre dans le temple de Junon. Quoi qu’il en soit, il peignit son Hélene d’après nature sur les cinq plus belles filles de la ville, en réunissant les charmes & les graces particulieres à chacune, pour en former la plus belle personne du monde, que son pinceau rendit à ravir.

On vantoit encore extrèmement son Hercule dans le berceau étranglant des dragons à la vûe de sa mere épouvantée. Il prisoit lui-même singulierement son Lutteur ou son Athlete, dont il s’applaudissoit comme d’un chef-d’œuvre inimitable. Il y a de l’apparence qu’il estimoit aussi beaucoup son Athalante, puisqu’il la donna aux Agrigentins ; qu’il n’estimoit pas moins son Pan, dont il fit présent à Archelaüs, roi de Macédoine, dans le tems qu’il employoit son pinceau pour l’embellissement du palais de ce monarque ; je ne dirai rien de son Centaure femelle, il a été décrit par Lucien.

Zeuxis ne se piquoit point d’achever promptement ses ouvrages ; & comme quelqu’un lui reprochoit sa lenteur, il répondit, « qu’à la vérité il étoit longtems à peindre, mais qu’il peignoit aussi pour long-tems ».

Pline parle de sa Pénélope, in quâ pinxisse mores videtur : on ne peut donner une idée plus délicate de son esprit & de son pinceau ; car il ne faut pas regarder ce trait comme une métaphore, semblable à celle où le même auteur, pour exprimer les peintures des vaisseaux, & faire entendre les dangers de la navigation, dit si noblement, pericula expingimus ; cette belle expression, mores pinxisse videtur, doit être prise ici pour une véritable définition. Raphaël parmi les modernes, a semblablement peint les mœurs, & a su plus d’une fois les exprimer. On sait quelle réunion de grandeur, de simplicité, & de noblesse cet illustre moderne a mis dans les têtes des vierges, mores pinxit. On peut encore peut-être mieux comparer Léonard de Vinci à Zeuxis, à cause du terminé auquel il s’appliquoit.

Pline ajoute en finissant le portrait de Zeuxis, deprehenditur tamen Zeuxis grandior in capitibus articulisque ; ces mots deprehenditur tamen, indiquent-ils un reproche de faire des têtes & ses attachemens trop forts ? ou le mot de grandior qui suit, marque-t-il un éloge, & Pline veut-il dire que Zeuxis faisoit ces parties d’un grand caractere, d’autant qu’il le loue de travailler avec soin, & d’après la nature ? car il ajoute, alioqui tantus diligentiâ. Je ne décide point l’explication de cette phrase latine.

Verrius Flaccus, cité par Festus, rapporte que le dernier tableau de Zeuxis fut le portrait d’une vieille, qui le fit tant rire qu’il en mourut ; mais si le fait étoit vrai, comment auroit-il échappé à tous les autres auteurs ? Je supprime ici beaucoup de choses sur ce grand maître en Peinture, parce qu’on les trouve dans Junius & dans la vie de Zeuxis, de Parrhasius, d’Apelle, & de Protogène, donnée en italien par Carlo-Dati, & imprimée à Florence en 1667, in-12.

Enfin, pour completer cet article, je ne dois pas taire quelques femmes qui ont exercé la Peinture dans la Grece ; telles sont Timarete, fille de Micon, & qui a excellé ; Irène, fille & éleve de Cratinus ; Calypso, Alcisthene, Aristarete qui s’étoit formée dans son art sous son pere Néarchus ; Lala de Cizique, perpetua virgo, épithete singuliere pour ce tems, si elle ne veut pas dire tout simplement qu’elle ne fut point mariée. Cette fille exerça la Peinture à Rome, selon M. Varron, cité par Pline ; non-seulement elle peignit, mais elle fit des ouvrages cestro in ebore, ce que M. de Caylus traduit généralement, en disant qu’elle grava sur l’ivoire : elle fit le portrait de beaucoup de femmes, & le sien même dans le miroir, nec ullius in picturâ velocior manus fuit, personne n’eut le pinceau aussi léger, ou bien, ne montra une aussi grande légereté d’outil, pour m’exprimer dans la langue des artistes ; Pline fait encore mention d’une Olympias.

Plusieurs de ces femmes ont fait de bons éleves, & laissé de grands ouvrages. Je ne puis opposer, avec M. de Caylus, à ces femmes illustres qu’une seule moderne ; non que les derniers siecles n’en aient produits qui pourroient trouver ici leur place ; mais la célebre Rosalba Carieri a fait des choses si remplies de cette charis qu’Apelle s’étoit accordée, qu’on peut la comparer, à divers égards, aux femmes peintres de la Grece. Les sujets qu’elle a faits n’ont cependant jamais été fort étendus, car elle n’a travaillé qu’en mignature & en pastel. (Le chevalier de Jaucourt.)

Peintres romains, (Peint. ant.) Pline ne compte de peintres romains que les suivans, rangés ici dans l’ordre chronologique. Fabius, surnommé Pictor, & qui étoit de l’illustre famille des Fabius, Pacuvius, Sopolis, Dionysius, Philiscus, Arellius, Ludius, qui fleurissoit sous Auguste, Quintus-Pedius, Antistius-Labéo, Amulius, Tripilius, Cornclius-Pinus, Accius-Priscus : nous indiquerons leurs caracteres & leurs ouvrages dans le même ordre que nous venons de suivre au mot Peinture des Romains.

Peintre de batailles, (Peint. mod.) on nomme ainsi le peintre qui s’adonne particulierement à cette sorte d’ouvrage. Il faut que dans une composition de ce genre, il paroisse beaucoup de feu & d’action dans les figures & dans les chevaux. C’est pourquoi on y doit préférer une maniere forte & vigoureuse, des touches libres, un goût heurté à un travail fini, à un pinceau délicat, à un dessein trop terminé. Voici les peintres célebres en ce genre.

Castelli (Valerio), né à Gènes en 1625, mort dans la même ville en 1659, montra de bonne heure son inclination à peindre des batailles, & eut un grand succès en ce genre.

Courtois (Jacques), surnommé le Bourguignon, né à S. Hippolite l’an 1621, mort à Rome en 1676, suivit pendant trois ans une armée, en dessina les campemens, les siéges, les marches & les combats dont il étoit témoin. Michel-Ange ayant vu de ses tableaux de bataille, publia partout ses talens. Il regne dans ses ouvrages beaucoup de feu, & ses compositions sont soutenues par le coloris.

Michel-Ange des batailles reçut ce surnom de son habileté singuliere à représenter ces sortes de sujets, dans lesquels il mettoit une imagination vive, une grande prestesse de main, & beaucoup de force. On a gravé quelques-unes de ses batailles dans le strada de Rome, où il mourut en 1660.

Parocel (Joseph), éleve du Bourgignon, a excellé à représenter des batailles, faisant tout de genie, sans avoir jamais été dans des camps ni suivi des armées. Cependant il a mis dans ses tableaux un mouvement & un fracas prodigieux. Il a peint avec la derniere vérité la fureur du soldat. Aucun peintre, suivant son expression, n’a su mieux tuer son homme. Son fils (Charles), mort en 1752, brilloit aussi dans le genre de son pere.

Le Primatice, disciple de Jules Romain, a fait avec succès, sur les desseins de son maitre, des batailles de stuc en bas-relief ; c’étoit le tems où l’on commençoit seulement à quitter en France la maniere gothique & barbare.

Rosa (Salvator), né à Naples en 1615, fit des tableaux d’histoire peu estimés, mais réussit à peindre des combats & des figures de soldats, dont il saisissoit admirablement l’air & la contenance.

Van Huchtenburg, né à Harlem, est connu par dix tableaux qui représentent dix batailles célebres du prince Eugene : 1°. celle de Zanta contre les Turcs, en 1697 ; 2°. celle de Chiari en Italie contre les deux couronnes, en 1701 ; 3°. celle de Luzara, en 1702. 4°. celle de Hochstedt, en 1704 ; 5°. celle de Cassano en Italie contre le duc de Vendôme, en 1705 ; 6°. celle de Turin, en 1706 ; 7°. celle d’Oudenarde, en 1708 ; 8°. celle de Malplaquet, en 1709 ; 9°. celle de Peterwaradin en Hongrie contre les Turcs, en 1716 ; 10°. enfin celle de Belgrade, en 1717.

Van-der-Veld (Guillaume), avoit un talent particulier pour représenter des vues & des combas de mer. On rapporte que l’amour pour son art l’engagea à s’embarquer avec l’amiral Ruyter, & que dans le feu du combat, il dessinoit tranquillement à l’écart l’action qui se passoit sous ses yeux ; mais son fils Guillaume le jeune l’a encore surpassé par ses talens en ce genre. Ce fils mourut à Londres en 1707, comblé des bienfaits de la nation ; ses tableaux sont portés à un très-haut prix.

Van-der-Mulen (Antoine-François), a pris pour sujets ordinaires de ses tableaux des chasses, des siéges, des combats, des marches, ou des campemens d’armées ; ils sont l’ornement de Marly, & des autres maisons royales.

Verschuur (Henri), né à Gorcum en 1627, mort en 1690, avoit un goût dominant pour représenter des batailles. Il suivit l’armée des Etats en 1672, pour peindre les divers campemens, les marches, les combats, les retraites. Né avec un génie vif & facile, il a mis dans ses tableaux tout le feu que requiert ce genre de composition.

Vroom (Henri Corneille), né à Harlem en 1566, avoit un rare génie pour représenter des batailles navales. L’Angleterre & les princes d’Orange l’occuperent à peindre les victoires que ces deux puissances avoient remportées sur mer contre les Espagnols. Enfin on exécuta de très-belles tapisseries d’après les ouvrages de cet artiste.

Peintre de fleurs & de fruits, (Peinture.) on appelle ainsi les artistes qui se sont attachés particulierement à ce goût de peinture ; c’est un genre qui veut être traité d’une maniere supérieure. Il requiert un choix élégant dans les fleurs & dans les fruits, l’art de les grouper & de les assortir, une touche légere, un coloris frais, brillant, & sur-tout une parfaite imitation de la belle nature. Entre les artistes qui se sont distingués dans l’art de peindre les fleurs & les fruits, on nomme Van-Huysum, Mignon, De Heem, Nuzzi, Monnoyer & Fontenay. J’ai parlé des trois premiers à l’article Ecole, je ne dirai ici qu’un mot des trois autres.

Mario Nuzzi, plus connu sous le nom de Mario di Fiori, né à Penna dans le royaume de Naples, mort à Rome en 1673, peignit les fleurs & les fruits avec cette vérité qui charme & séduit les sens ; aussi Smith en a-t-il gravé plusieurs pots d’après lui.

Monnoyer (Jean-Baptiste), né à Lille en 1635, mort à Londres en 1699, a peint des tableaux de fleurs qui sont précieux par la fraîcheur, l’éclat & la vérité qui y brillent.

Fontenay (Jean-Baptiste Blain de), né à Caen en 1654, mort en 1715, avoit un talent éminent à réprésenter des fleurs & des fruits, les groupper avec art, & varier l’esprit de sa composition. Les insectes paroissent vivre dans ses tableaux ; les fleurs n’y perdent rien de leur beauté, les fruits de leur fraîcheur. On croit voir découler la rosée des tiges, on est tenté d’y porter la main. (D. J.)

Peintre, marchand, s. m. (Communauté.) les maîtres peintres composent à Paris une communauté dont le commerce comprend tout ce qui se peut faire en Peinture & en Sculpture, soit doré, soit argenté, soit cuivré, en détrempe & à l’huile. Leurs ouvrages de dorure, s’ils sont ordinaires, sont dorés d’un or qu’on appelle or pale ; & si l’on veut qu’il soient propres, on y emploie de l’or jaune. Les ouvrages argentés s’argentent les uns en blanc, & les autres en jaune. Les ouvrages cuivrés sont ceux où l’on ne se sert que d’or faux, c’est-à-dire de cuivre battu en feuille & mis en œuvre comme l’or fin.