L’Encyclopédie/1re édition/PENTATEUQUE
PENTATEUQUE, s. m. (Théolog.) composé de πέντε, cinq, & de τεῦχος, instrument, volume. C’est le nom que les Grecs, & après eux les Chrétiens, ont donné aux cinq livres de Moïse, qui sont au commencement de l’ancien Testament, savoir la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, & le Deutéronome, auxquels les Juifs donnoient par excellence le nom de loi ; parce que la partie la plus essentielle de ces livres contenoit la loi que Moïse reçut de Dieu sur le mont Sinai.
Une possession immémoriale, & des raisons détaillées par les plus habiles commentateurs de l’Ecriture, prouvent que Moïse est l’auteur du Pentateuque. Nous ne nous arrêterons ici qu’aux raisons de quelques nouveaux critiques, tels que M. Simon & M. Leclerc, qui ont contesté cet ouvrage à Moïse. On trouve, disent-ils, dans le Pentateuque, plusieurs choses qui ne conviennent point au tems & au caractere de ce législateur. L’auteur, num. xij. parle très-avantageusement de Moïse : d’ailleurs il parle toujours en troisieme personne ; le Seigneur parla à Moïse & lui dit, &c. Moïse parla à Pharaon, &c. Quelle apparence que Moïse eût fait lui-même son éloge & n’eût pas parlé en premiere personne ; 2°. le récit de la mort de Moïse, qui se trouve à la fin des nombres, n’est certainement pas de ce législateur, non plus que le détail de ses funérailles, & la comparaison qu’on y voit entre lui & les prophetes ses successeurs ; 3°. on remarque dans le texte du Pentateuque quelques endroits défectueux, par exemple, Exode xij. 8. on voit que Moïse parle à Pharaon, sans que l’auteur marque le commencement de son discours. Le Pentateuque samaritain l’a suppléé, ce qu’il fait encore en beaucoup d’autres endroits : enfin on voit dans le Pentateuque des traits qui ne peuvent guere convenir à un homme comme Moïse, né & élevé dans l’Egypte, comme ce qu’il dit du paradis terrestre, des fleuves qui l’arrosoient & qui en sortoient, des villes de Babylone, d’Arat, de Resen, de Chalamé, de l’or du Phison, du bdellium, & de la pierre de Sohem que l’on trouvoit en ces pays-là. Ces particularités, si curieusement recueillies, semblent, dit-on, prouver que l’auteur du Pentateuque étoit de-delà l’Euphtate : ajoûtez ce qu’il dit de l’arche de Noé, de sa construction, du lieu où elle s’arrêta, du bois dont elle fut bâtie, du bitume de Babylone, &c. Ces dernieres remarques ont fait croire à quelques-uns, que le lévite envoyé par Assaradon aux Cuthéens établis dans la Samarie, pourroit bien avoir composé le Pentateuque, & que les Juifs auroient pu le recevoir, avec quelques légeres différences, de la main des Samaritains : d’autres se sont imaginé que le Pentateuque, en l’état où nous l’avions, n’étoit que l’abrégé d’un plus grand ouvrage. composé par des écrivains publics, chargés de cette fonction chez les Juifs.
Dom Calmet, qui se propose ces objections dans son dictionnaire de la Bible, y répond par trois reflexions générales ; 1°. que pour débouter Moïse de la possession où il est depuis tant de siecles de passer pour l’auteur du Pentateuque, possession appuyée du témoignage de la synagogue & de l’Eglise, des écrivains sacrés de l’ancien & du nouveau Testament, de Jesus-Christ & des Apôtres, il faut certainement des preuves sans réplique & des démonstrations : or il est évident que les objections proposées sont fort au-dessous même de preuves solides ; car 2°. les additions, les transpositions, les omissions, les confusions qu’on lui reproche, & qu’on veut bien ne pas contester, ne décident pas que Moïse ne soit pas l’auteur du livre, elles prouvent seulement que l’on y a retouché quelque chose, soit en ajoutant, soit en diminuant. Dieu a permis que les livres sacrés ne soient pas exemts de ces sortes d’altérations qui viennent de la main des copistes, ou qui sont une suite de la longueur des siecles. Si une légere addition ou quelque changement fait au texte d’un auteur suffisoit pour lui ôter son ouvrage, quel écrivain seroit sûr de demeurer en possession du sien pendant un siecle ? 3°. Les systèmes de M. Leclerc & de M. Simon sont dénués de vraissemblance. Ces écrivains publics ne doivent leur existance qu’à l’imagination de M. Simon. Le prêtre ou le lévite envoyé par Assaradon aux Cuthéens ne peut être l’auteur d’un livre cité dans plusieurs ouvrages qui passent constamment pour être antérieurs au tems de ce lévite. La loi a toujours été pratiquée depuis Moïse jusqu’à la captivité ; elle étoit donc écrite : on en mit un exemplaire dans l’arche & il fut trouvé sous Josias : enfin les Juifs & les Samaritains avoient trop d’éloignement les uns pour les autres pour se communiquer leurs écrits sacrés : d’ailleurs on verra ci-dessous lequel du Pentateuque hébreu ou du Pentateuque samaritain est une copie de l’autre. Dictionn. de la Blible, tom. III. lettre P, pag. 161 & 162.
Mais l’aveu qu’on fait que les additions reprochées au Pentateuque sont d’Esdras, qui après la captivité retoucha & mit en ordre les livres saints, donnent matiere à une autre objection des incrédules : car, disent-ils, si Esdras a ainsi travaillé sur les livres saints, quelle preuve a-t-on qu’il ne les ait pas notablement altérés, ou même totalement supposés ?
Abbadie répond à cette difficulté, 1°. que les pseaumes, les prophetes, les livres de Salomon rapportent une infinité de traits comme Moïse, & par conséquent que le Pentateuque subsistoit avant tous ces auteurs : 2°. qu’Esdras n’a eu nul intérêt, soit personnel, soit politique, de changer la forme des livres saints : 3°. qu’il ne l’a pas fait à l’égard de ceux de Moïse, parce que sa phrase & sa maniere d’écrire est toute différente de celle de Moïse, & que d’ailleurs s’il en avoit été ainsi, il leur auroit donné une meilleure forme, selon Spinosa même, qui accuse les livres de Moïse d’être mal écrits & mal digérés : on peut voir ces réponses étendues dans Abbadic, traité de la vérité de la Relig. chrétienne, tom. I. sect. 3. chap. xij. & xiij.
On distingue deux Pentateuques, ou plutôt deux fameuses éditions du Pentateuque, qui se sont long-tems disputé la préférence, tant par rapport à l’ancienneté que par rapport au caractere : celui des Juifs appelle le Pentateuque judaïque ou hébreu, écrit en caractere chaldéen ou assyrien ; & celui des Samaritains, écrit en caractere samaritain ou phénicien : on soutient que l’un & l’autre est l’ancien Pentateuque hébraïque. A considérer le texte en général, ils sont assez conformes l’un à l’autre, puisqu’ils contiennent les passages dont nous avons parlé ci-dessus, attribués aux copistes, quoique le samaritain en contienne un ou deux qui ne se rencontrent point dans l’hébreu ; le premier est un passage qui se trouve dans le Deutéronome, xxvij. 4. où il est commandé de bâtir un autel & d’offrir des sacrifices sur le mont Ebal, un plutôt sur le mont Garizim, ce qui est une interpolation manifeste, faite pour autoriser le culte des Samaritains, & montrer qu’il ne le cédoit point en antiquité au culte qu’on rendoit à Dieu dans le temple de Jérusalem. Voyez Samaritains.
Cependant M. Whiston déclare qu’il ne voit pas la raison d’accuser de corruption sur ce point le Pentateuque samaritain, que ce reproche tombe plutôt sur le Pentateuque hébreu, & il soutient très-sérieusement que le premier est une copie très-fidele des livres de Moïse, qui vient originairement de la séparation des dix tribus, du tems de Jéroboam : mais le contraire est évident par les additions qu’on attribue à Esdras, qui vivoit plusieurs siecles après Jéroboam.
Mais la différence la plus sensible est dans les lettres ou caracteres. Le Pentateuque hébreu étant en caractere chaldéen ou assyrien, & le samaritain en ancien caractere phénicien ; il sembleroit par-là que ce dernier est plus ancien que le premier : mais M. Prideaux pense que le Pentateuque des Samaritains n’est qu’une copie tirée en d’autres caracteres, sur l’exemplaire composé ou réparé par Esdras ; 1°. parce que toutes les interprétations de l’édition d’Esdras s’y trouvent ; 2°. par l’inattention que l’on a eu d’y mettre des lettres semblables à celles de l’alphabet hébreu, qui n’ont rien de commun avec les lettres de l’alphabet samaritain, variations qui ne sont venues que de ce qu’on a transcrit le Pentateuque de l’hébreu vulgaire en samaritain, & non du samaritain en hébreu.
Ajoutez à cela que Mrs Simon, Allix, & plusieurs autres savans, prétendent que le caractere chaldéen ou assyrien a toujours été en usage parmi les Juifs, & que le samaritain ou ancien caractere phénicien n’avoit jamais été usité parmi eux avant la captivité, de quelque maniere que ce fut, ni dans les livres ni sur les médailles.
Usserius pense que le Pentateuque samaritain a été corrompu par un certain Dosithée, dont parle Origene, & M. Dupin croit que c’est l’ouvrage de quelque samaritain moderne qui l’a compile de divers exemplaires des Juifs répandus dans la Palestine & dans la Babylonie, aussi bien que de la version des Septante, parce qu’il est quelquefois conforme à l’hébreu & quelquefois au grec : mais il s’en éloigne aussi fort souvent. Le texte samaritain avoit été inconnu depuis le tems d’Origene & de saint Jerôme, qui en avoient quelquefois fait mention. Dans les derniers siecles on en rapporta quelques exemplaires d’Orient, & le pere Morin en fit imprimer un en 1631, qu’on trouve dans la Polyglotte de le Jai, & plus correct dans celle de Valton. La comparaison qu’on en a faite avec le texte hébreu, a fait penser à plusieurs savans qu’il étoit plus pur & plus ancien que celui-ci : de ce nombre sont le pere Morin & M. Simon. Le commun des théologiens pense que le Pentateuque samaritain & celui des Juifs ne sont qu’un seul & même ouvrage, écrit en la même langue, mais en caracteres différens ; & que les diversités qui se rencontrent entre ces deux textes, ne viennent que de l’inadvertance ou de la négligence des copistes, ou de l’affectation des Samaritains qui y ont glissé certaines choses conformes à leurs intérêts & à leurs prétentions ; que ces additions y ont été faites après coup, & qu’originairement ces deux exemplaires étoient entierement conformes : suivant cela il faut dire que le Pentateuque des Juifs est préférable à celui des Samaritains, comme étant exemt des altérations qui se rencontrent dans ce dernier. Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre S, au mot Samaritain, pag. 454. dissert. sur le Pentateuque.
Nous terminerons cet article par le récit de ce que pratiquent les Juifs dans la lecture du Pentateuque. Ils sont obligés de le lire tout entier chaque année, & le divisent en paragraphes ou sections, qu’ils distinguent en grandes & petites. Les grandes comprennent ce qu’on a accoutumé de lire dans une semaine. Il y en a cinquante-quatre, parce que dans les années intercalaires des Juifs il y a ce nombre de semaines. Les petites sections sont divers endroits qui regardent certaines matieres. Les Juifs appellent quelques-unes de ces sections, soit grandes soit petites, sections ouvertes. Celles-là commencent par un commencement de ligne : si c’est une grande section, on y marque trois fois la lettre phé, au-lieu que les petites n’ont qu’une lettre ; & ils nomment les autres sections fermées, elles commencent par le milieu d’une ligne. Si elles sont grandes on y met trois samech, ou un seul si elles sont petites. Ces sections sont appellées du premier mot par lequel elles commencent : ainsi la premiere de toutes s’appelle bereschit, qui est le commencement de la Genese. Chaque grande section se sous-divise en sept parties, parce qu’elles sont lues par autant de différentes personnes. C’est un prêtre qui commence, ensuite un lévite ; & dans le choix des autres lecteurs, on a égard à la dignité ou à la condition des gens. Après le texte de Moïse ils lisent aussi un paragraphe de la paraphrase d’Onkelos. On a fait une semblable division des livres prophétiques dont on joint la lecture à ceux de Moïse. Le pere Lami, dont nous empruntons ceci, pense que cette division est très-ancienne chez les Juifs, & qu’elle a donné lieu à celle que l’Eglise a faite des livres saints, dans les lectures distribuées qu’on en fait dans ses offices. Quoi qu’il en soit, elle a lieu parmi les Juifs, qui marquent exactement ces sections, tant du Pentateuque que des livres prophetiques, dans leurs Bibles & dans leurs Calendriers. Lami de l’Oratoire, Introduct. à l’Ecriture-sainte.