L’Encyclopédie/1re édition/PEPINIERE

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PEPINIERE, s. f. (Jard.) c’est un terrein destiné à multiplier, cultiver & élever des arbres de toutes sortes, jusqu’à ce qu’ils soient en état d’être placés à demeure. On y seme les noyaux, les pepins, les noix, les amandes, & généralement toutes les graines qui doivent servir à la multiplication des différentes especes d’arbres fruitiers, & des diverses sortes d’arbres qui sont propres à peupler les forêts, à planter les possessions rurales, & à embellir les parcs, les jardins, & les approches des, châteaux & maisons de plaisance : d’où il suit que le terrein d’une pepiniere doit être distribué en différentes parties, relativement à la diversité de culture & à la variété des objets qu’on se propose d’y élever.

Après qu’on aura traité de la qualité du terrein propre à former une pepiniere, de l’exposition qui lui convient, & de l’étendue qu’elle doit avoir, on entrera dans le détail des semés & des greffes, de la culture & de la transplantation, des boutures & des branches couchées ; enfin, des précautions & des soins qu’exige la premiere éducation des arbres pendant leur jeunesse.

Le terrein d’une pepiniere doit être de médiocre qualité : si on la plaçoit dans un sol bas, humide & gras, il y auroit autant d’inconvénient que de la mettre dans une terre seche, légere & trop superficielle. Loin de considérer en ceci le premier progrès des arbres, c’est la qualité du sol où on se propose de les mettre qu’il faut avoir principalement en vûe. Si l’on tire les arbres d’un terrein fort limonneux & trop substanciel, ils auront à courir les risques de passer dans une terre fort inférieure ou tout au-moins médiocre, & dans l’un ou l’autre cas ils languiront, dépériront ou seront long-tems à se remettre du changement. S’ils viennent au contraire, d’un mauvais fonds, d’un terrein pauvre, ingrat ou usé ; les plants sont maigres, secs, & leurs racines sont foibles, minces & courtes ; ce n’est pour ainsi dire, que du chevelu. De tels plants sont d’une constitution languissante qu’on ne peut rétablir, ils reprennent difficilement & ne sont jamais des arbres vigoureux, quand même on les planteroit dans un bien meilleur sol. Il faut donc établir les pepinieres dans un terrein de moyenne qualité, qui soit de deux à trois piés de profondeur, qui ait du corps & de la substance, sans être gras ni humide ; qui soit meuble, fertile & en bonne culture.

Le levant est la meilleure exposition que l’on puisse choisir pour une pepiniere, & il vaudroit mieux la placer au nord qu’au midi, qui est le plus mauvais aspect pour le premier progrès des arbres. La situation que l’on doit préférer ensuite, est celle des côteaux, pour éviter sur-tout l’humidité permanente qui est l’obstacle le plus contraire à la formation des arbres fruitiers, des arbres toujours verds, &c.

L’étendue que doit avoit une pepiniere, dépend de tant de circonstances, qu’on ne peut guere la déterminer qu’avec connoissance des arrangemens particuliers qui en doivent décider. Cependant en examinant la portée de chaque objet qui doit y entrer, en pourra donner une notion générale, qui fera juger de l’espace convenable au service qu’on en voudra tirer. On fait communément ce calcul, qu’un arpent royal contient quarante-huit mille quatre cens piés quarres ; qu’en mettant les jeunes plants en ligne de deux piés de distance, & les plants à un pié l’un de l’autre ; un arpent en contiendra vingt-quatre mille deux cens. Mais on n’examinera pas qu’il faut de l’espace pour les clôtures, les allées, les semis, & pour les places vuides, parce que tout ne peut être rempli ; attendu que quand on a vuidé un canton, il faut le remettre en culture, qu’il y a d’ailleurs des arbres qui périssent, d’autres dont la greffe manque, d’autres aussi qui sont défectueux ; qu’enfin il faut attendre plusieurs années pour greffer les sujets dont on veut faire des hautes tiges. Il faut donc compter que la moitié de l’emplacement se trouvera employé en clôtures, en allées, en semis & autres places nécessaires au service ; ensorte que l’autre moitié ne pourra contenir qu’environ douze mille plants dans la supposition des distances que l’on a dites. Mais comme il y a toujours des plants qui meurent ou qui sont défectueux, ou qui manquent à la greffe, c’est un quart à déduire : ainsi reste à neuf mille plants. Et en considérant qu’il faut trois ans pour élever un pêcher nain, quatre ou cinq ans pour un poirier pain, & sept à huit ans pour les arbres à hautes tiges ; il en résulte que la mesure commune sera de cinq ans pour l’éducation des neuf mille plants, & que par conséquent, une pepiniere d’un arpent ne pourra produire que deux mille arbres fruitiers par an. Et en examinant encore que les files pour certains arbres sont trop terrées à deux piés, & que les plants sont souvent trop proches à un pié pour avoir de l’aisance ; il faut encore déduire un tiers du produit de la pepiniere qui n’ira plus qu’à quinze cens plants. Ce calcul peut conduire à déterminer, que quand on ne veut élever que des arbres fruitiers, un quart d’arpent doit suffire à un particulier qui a des jardins un peu considérables à entretenir, & qu’il faut trois ou quatre arpens à un marchand jardinier qui ne s’attache qu’à cette partie, & qui pourroit vendre tous les ans six mille plants d’arbres fruitiers. Mais si l’on veut élever en même tems des arbres forestiers & de curiosité, il faut augmenter le terrein à proportion de l’étendue des objets que l’on veut embrasser ; & comme il faut six à sept ans pour former la plûpart des grands arbres & les amener au point d’être transplantés à demeure, un arpent de pepiniere ne pourra guere fournir par an que mille plants de ces arbres. Ainsi on peut estimer que pour faire un établissement complet de pepiniere où on voudroit élever de toutes sortes d’arbres, il faudroit six arpens d’emplacement qui pourroient fournir tous les ans dix à douze mille plants, sans y comprendre les jeunes plants qu’on peut tirer des semis au-delà du service de la pepiniere.

Les arbres fruitiers font communément l’objet principal des pepinieres : si on veut se borner à ce point, on pourra diviser le terrein en six parties égales, dont la premiere sera destinée à placer le semis des différentes graines qui doivent servir au peuplement de la pepiniere ; la seconde place sera assignée aux pêchers & aux abricotiers ; la troisieme, aux cerisiers & aux pruniers ; la quatrieme, aux poiriers ; la cinquieme, aux pommiers ; & la sixieme, aux noyers, châtaigners, &c. mais si l’on se propose de généraliser l’objet de la pepiniere en y admettant de tout ; il faudra comprendre dans la distribution six autres parties égales, dont la premiere qui deviendra la septieme servira à élever des muriers blancs. Dans la huitieme, des ormes, des tilleuls, des marronniers d’inde & des peupliers. Dans la neuvieme, des arbres étrangers ; dans la dixieme, des arbrisseaux curieux ; dans la onzieme, des arbres toujours verds ; & dans la douzieme, des arbres forestiers, parmi lesquels la charmille sera comprise. J’entrerai dans le détail de la culture de chacun de ces objets en particulier, pour éviter les répétitions, & simplifier les idées autant qu’il sera possible de le faire sans prolixité.

La meilleure exposition & la terre la mieux qualifiée. doivent décider l’emplacement du semis ; on entend par la meilleure exposition, celle qui a son aspect au sud-est & qui est défendue par des haies, des murs, ou de grands arbres du côté du nord ; mais il ne faut pas que ces arbres couvrent le terrein de leurs branches, ni que leur racine puisse s’y étendre ; ce qui feroit un double inconvénient, pire que le défaut d’abri. La qualification de la terre consiste à ce qu’elle soit la plus saine, la plus légere & la plus meuble de l’emplacement dont on employera pour le semis une sixieme partie, quand il s’agira d’une petite pepiniere & seulement la douzieme partie environ, pour une grande pepiniere, attendu que l’on seme la plupart des graines des grands arbres dans la place même où ils doivent être élevés, & qu’il faut peu de plants pour le renouvellement de ces sortes d’arbres qui font long-tems à e former.

On peut aussi préserver le canton du semis, & favoriser ses progrès, en l’environnant d’une palissade dont la hauteur se détermine par l’étendue du semis ; cette palissade doit être formée pour le mieux avec des arbres toujours verds qui donnent en tout tems le même abri.

Il sera encore très-à-propos de distribuer le terrein du semis en six parties, dont la premiere servira pour les noyaux des différens arbres fruitiers de ce genre ; la seconde pour les pepins des pommiers, &c. La troisieme pour les graines des arbrisseaux ; la quatrieme pour celle des grands arbres qui levent la premiere année ; la cinquieme pour les semences des arbres qui ne levent que la seconde année ; & la sixieme pour les arbres toujours verds qui se plairont dans la place la plus mal exposée & la moins défendue.

Le canton du semis n’exige pas autant de profondeur de terre que le reste de la pepiniere ; il suffira de l’avoir fait défoncer d’un pié & demi : du reste ce terrein doit être en bonne culture depuis un an, bien nettoyé de pierres, de mauvaises herbes, &c. & il est à-propos, pour la facilité de la culture, de le distribuer en planches de quatre piés de largeur, dont les sentiers de séparation donneront au-moins 15 pouces d’aisance pour le service. Sur la façon de semer on peut observer que c’est un mauvais usage de répandre les graines à plein-champ ; cette pratique est sujette à un double inconvénient : d’abord l’impossibilité de remuer la terre autour des jeunes plants épars, & ensuite la difficulté de démêler & enlever les mauvaises herbes parmi les bons plants. Il est donc bien plus avantageux de semer les graines en rangées ; il est indifférent de les diriger sur la longueur ou la largeur des planches, pourvu qu’on laisse depuis six pouces jusqu’à un pié de distance entre les rayons, relativement au plus ou moins de progrès des arbres pendant les deux ou trois premieres années. Si l’on seme les graines en rayons, il faudra donner à ces rayons une profondeur proportionnée au volume de la graine ; pour les plus grosses on creusera le rayon de deux à trois pouces ; pour les moyennes, il suffira de faire un sillon de la façon qu’on le pratique pour semer des pois ; & dans ces deux derniers cas on recouvre & on nivelle le terrein avec le rateau. Mais à l’égard des menues graines, il y faut plus d’attention : le rayon ne doit avoir qu’un pouce de profondeur ; & après que les graines y seront semées, on les recouvrira avec le terreau le plus fin & le plus consommé, que l’on répandra soigneusement avec la main, ensorte que les graines n’en soient couvertes que de l’épaisseur d’un demi-pouce ; & on se dispensera de niveler le terrein, afin que l’humidité puisse mieux se rassembler & se conserver autour des graines.

On peut semer en différens tems, & c’est une circonstance qui mérite de l’attention. Il y a des graines qui mûrissent dès l’été : on pourroit les semer aussi-tôt après leur maturité, si l’on n’avoit à craindre de les voir germer & pointer avant l’hiver, dont les intempéries en détruiroient un grand nombre ; il vaut mieux remettre cette opération à l’automne ou au printems. Entre ces deux partis, le volume de la graine doit décider. La fin d’Octobre & le mois de Novembre seront le tems convenable pour les grosses graines, & même pour les médiocres ; mais il faut attendre le commencement du printems pour toutes les menues graines, sur-tout celles des arbres résineux. Il y a cependant des précautions à prendre pour faire attendre les graines, dont la plûpart ne se conservent qu’en les mettant dans la terre ou du sable en un endroit sec & abrité. On ne peut entrer ici dans tout ce détail, non plus que dans la distinction de quelques especes d’arbres qui étant délicats dans leur jeunesse, demandent à être abrités pendant les premiers hivers ; pour s’en instruire, on pourra recourir à l’article de chaque arbre en particulier. On conçoit bien au surplus qu’il faut arroser les semis dans les tems de hâle & de sécheresse, les sarcler, béquiller, cultiver, &c. A l’égard du tems & de la force auxquels les jeunes plants doivent être mis en pepiniere, on en parlera dans les différens articles qui suivent.

Les pêchers & les abricotiers, après le semis, doivent occuper la meilleure place de la pepiniere, & toujours la plus saine ; ce n’est que pour la curiosité que l’on s’avise de faire venir ces arbres de noyau, c’est-à-dire pour se procurer de nouvelles variétés, car il n’y a que cinq ou six especes de pêchers dont les noyaux perpétuent l’espece. Dailleurs ces arbres lorsqu’ils sont francs ne durent pas long-tems ; l’usage est de les greffer pour les accélérer, les perfectionner & les faire durer. Comme on ne plante pas à beaucoup près autant d’abricotiers que de pêchers, ces premiers ne doivent occuper qu’une petite partie du quarre destiné à ces deux especes d’arbres ; & en général on ne doit former que le quart de ces arbres pour le plein-vent. Les sujets propres à greffer l’abricotier & le pêcher, sont les pruniers de damas, de cerisette & de saint Julien, l’amandier, les plants venus des noyaux d’abricot & de pêcher ; il y a des especes d’abricotiers & de pêchers qui réussissent mieux sur quelques-uns de ces sujets que sur d’autres. Le terrein sec ou humide dans lequel on se propose de placer ces arbres à demeure, doit aussi servir de regle pour la qualité des sujets : c’est sur toutes ces circonstances qu’il faut se déterminer pour le choix du sujet. On plante ces sujets en files éloignées l’une de l’autre depuis deux piés jusqu’à trois, selon l’aisance que l’on peut se donner : on place dans ces lignes les plants depuis un pié jusqu’à deux de distance. Le mois de Novembre est le tems le plus propre à faire cette plantation : on les rabat à six ou huit pouces pour les greffer ensuite en écusson au mois d’Août de la seconde année. A l’égard des noyaux de pêches & d’abricots, ainsi que les amandes, il vaut mieux les semer en place, & dans ce cas on pourra les greffer la même année : le tout pour former des arbres nains. Quant aux sujets que l’on veut élever pour le plein-vent, il ne faudra les greffer à hauteur de tige qu’au bout de quatre, cinq, ou six ans, lorsqu’ils auront pris une force suffisante. Tous ces arbres doivent se tirer de la pepiniere après qu’ils ont un an de greffe ; celles qui ont poussé trop vigoureusement sont autant à rejetter que celles qui sont trop foibles ; on doit préférer à cet égard les pousses d’une force médiocre. Il reste à observer que les amandes douces à coquille dure sont les meilleures pour former des sujets propres à la greffe, & que les amandes douces à coquille tendre sont bien moins convenables, parce que les plants qui en viennent sont plus sujets à la gomme.

Les cerisiers & les pruniers seront placés ensuite. Les sujets propres à greffer le cerisier sont le mérisier pour élever de grands arbres, & le cerisier mahaleb, que l’on nomme canot en Bourgogne, & canout à Orléans, pour former des plants d’un médiocre volume. On rejette pour sujet la cerise rouge commune, parce qu’elle n’est pas de durée, & que ses racines poussent des rejettons. On tire ces sujets du semis au bout de deux ans, pour être plantés en pepiniere dans les distances expliquées à l’article précédent ; & on peut les greffer dans l’année suivante en écusson à œil dormant, soit pour avoir des arbres nains, ou pour les laisser venir à haute tige avec le tems ; mais on peut attendre aussi que la tige des sujets soit formée, pour les greffer alors à la hauteur de six ou sept piés. A l’égard du prunier, on le multiplie également par la greffe sur des sujets de damas noir, de cerisette ou de saint Julien. On tire aussi ces sujets du semis à l’âge de deux ans : on les plante & on les espace dans le tems & de la façon qui a été ci-dessus expliquée ; ensuite on les greffe en écusson ou en fente, lorsqu’ils ont pris une grosseur suffisante.

Le poirier se multiplie aussi par la greffe en fente ou en écusson, sur franc ou sur coignassier : on nomme francs les sujets qui sont venus de culture en semant des pepins de poires, pour les distinguer des poiriers sauvages que l’on peut tirer du bois, mais qui ne sont pas aussi convenables que les sujets francs, parce que ces sauvageons conservent toujours une âcreté qui se communique aux fruits que l’on greffe dessus. Les sujets francs de poirier seront tirés du semis au même âge, plantés dans le même tems, reglés à pareille distance, & greffés de la façon qu’on l’a dit pour les arbres qui précedent. A l’égard des sujets de coignassier, on les éleve de deux façons : quelquefois on tire des jeunes plants aux piés d’anciens troncs de coignassier, que l’on nomme meres, & que l’on tient en réserve pour ce service dans un coin de la pepiniere ; mais le plus commun usage, qui est aussi la voie la plus courte, c’est de faire des boutures. On les plante de bonne heure au printems, de la grosseur d’un petit doigt & d’un pié de long, en rangée & à pareille distance que les plants enracinés, & on les enfonce de moitié dans la terre. Il faut avoir soin pendant la premiere année de ne laisser subsister que la plus haute des branches qui ont poussé, & de supprimer tous les autres rejettons avant qu’ils aient plus de deux pouces : on les greffe en écusson sur le vieux bois la seconde année. Les poiriers greffés sur franc sont propres à former de grands arbres à plein vent car on ne se détermine à les mettre en espalier que dans les terreins secs & légers, parce qu’ils sont trop long-tems à se mettre à fruit. Les poiriers greffés sur coignassier conviennent particulierement pour les terres humides & pour l’espalier ; comme on plante beaucoup plus de poiriers à ce dernier usage que pour le plein vent, la pepiniere doit être fournie de deux tiers de poiriers greffés sur coignassier, contre un tiers des autres. Ce n’est qu’après deux ou trois ans de greffe que ces arbres sont en état d’être plantés à demeure.

Il est aussi d’usage de multiplier le pommier par la greffe, en fente ou en écusson, sur franc, sur le doucin, ou sur le pommier de paradis. On nomme francs les sujets élevés de pepins de pomme, comme on vient de le dire pour le poirier ; & il y a même raison pour les préférer aux pommiers sauvages que l’on tire des bois. Il faudra aussi les conduire & les élever de la même façon. Le doucin, pour la hauteur & pour la durée, tient le milieu entre le pommier franc & le pommier de paradis. Les pommiers greffés sur le doucin ne font que des arbres d’une moyenne stature, mais ils croissent vite & donnent promptement de beaux fruits. A l’égard du pommier de paradis, c’est un excellent sujet pour former de petits arbres qu’on peut même admettre dans les jardins d’agrément. Le doucin & le paradis viennent aisément de boutures qui se plantent, comme celles du coignassier, & se greffent aussi la seconde année sur le vieux bois. Tous ces arbres ne doivent être tirés de la pepiniere qu’après deux ou trois ans de greffe ; mais comme on prend beaucoup plus de plants greffés sur franc que sur d’autres sujets, il faut élever du double plus de ceux-ci que des autres.

Les noyers, châtaigners, & autres arbres de ce genre, s’élevent en semant les graines dans l’en droit même de la pepiniere où on veut les élever. Après avoir conservé ces graines dans du sable, en lieu sec pendant l’hiver, on les plante de deux pouces de profondeur & à quatre d’intervalle, dans des lignes de deux ou trois piés de distance. Après la seconde année on élague les jeunes plants, & on enleve ceux qui sont trop serrés pour garnir les places vuides, ensorte pourtant que tous les plants se trouvent au moins à un pié de distance : on continue d’élaguer ces arbres dans les années suivantes, mais avec beaucoup de ménagement, c’est-à-dire en ne retranchant les branches qu’à mesure que les arbres prennent de la force ; cependant s’il y a sur une tige foible des branches qui s’élancent trop, on les coupe au trois ou quatrieme œil. Nul autre soin que d’aider ces arbres à former une tige droite ; au bout de cinq ou six ans ils auront assez de grosseur & d’élévation pour être transplantés à demeure.

Le mûrier blanc est d’une si grande utilité, qu’on ne sauroit trop s’attacher à le multiplier, à l’élever, & à le répandre dans tous les pays dent le terrein peut lui convenir. Sur la culture de cet arbre, on pourroit s’en tenir à renvoyer le lecteur au mot Murier ; mais l’objet est assez intéressant pour ne pas craindre de se répéter. On peut élever le mûrier blanc de semence ou de bouture : par le premier moyen on se procure une grande quantité de plants, mais dont les feuilles sont de petite qualité ; au lieu que de l’autre façon on n’a pas une si grande quantité de plants, mais aussi on les a plus promptement & d’aussi bonnes feuilles que celles des arbres dont on a coupé les branches pour en faire des boutures. On seme la graine dans le canton de la pepiniere destiné au semis. Lorsque les planches dont on veut se servir sont en bon état de culture & bien nivelées, on y trace en travers des rayons de six à huit pouces de distance, & d’un pouce de profondeur, en appuyant le manche du rateau sur la planche : on y semera la graine aussi épais que celle de laitue, & on la recouvrira avec du terreau de couche bien consommé, que l’on répandra avec la main sur les rayons, ensorte que les graines ne soient recouvertes que d’un demi-pouce d’épaisseur, & on laissera les planches en cet état sans les niveler. Il faut une once de graine pour semer une planche de trente piés de long, sur quatre de largeur. Le tems le plus convenable pour cette opération est le mois d’Avril, du 10 au 20 ; on pourra prendre la précaution de garnir les planches d’un peu de grande paille, pour ne laisser pénétrer l’air & le soleil qu’à demi, & pour empêcher que la terre ne soit battue par les arrosemens, qu’il ne faudra faire qu’au besoin, & avec bien du ménagement. Au bout d’un an les jeunes plants les plus forts, & les autres après deux ans, seront en état d’être mis en pepiniere, & on les plantera à un pié de distance en rangées éloignées de trois piés ; au printems suivant on retranchera toutes les branches latérales, mais les autres années il ne faudra les élaguer qu’à-proportion que la principale tige prendra du soutien & de la force. Si cependant il y a sur une tige foible des branches qui s’élancent trop, il faudra les couper au trois ou quatrieme œil. Quand ces arbres auront quatre ans, il seront en état pour le plus grand nombre d’être transplantés à demeure ; mais il sera plus aisé & bien plus court d’élever le mûrier blanc de bouture, qu’il sera inutile de greffer, & qu’il faudra planter dans l’endroit même où l’on se propose d’élever ces arbres. Voyez la façon d’élever ces boutures, au mot Murier. Il n’y a que le mûrier d’Espagne qui se multiplie de graine sans que ses feuilles s’abâtardissent ; à l’égard des mûriers communs que l’on éleve de semence, il n’y en a qu’un petit nombre qui aient des feuilles de bonne qualité, ensorte qu’il faut greffer ceux qui sont défectueux à cet égard : on peut les greffer à tout âge en écusson à œil dormant, ou à sifflet. La meilleure feuille pour les vers & pour sa soie est celle de l’arbre que l’on nomme la reine bâtarde. Il y a cependant de l’inconvénient à avoir des mûriers greffés, on prétend que ces arbres à l’âge de 25 ou 30 ans meurent subitement, quoiqu’ils soient dans un état florissant. On s’est plaint beaucoup dans le Languedoc, la Provence, les Cévennes, &c. Il y a donc un grand avantage à élever le mûrier blanc de bouture, puisque c’est la voie la plus facile & la plus courte, qui donne de beaux arbres & de longue durée.

L’orme, le tilleul, le marronnier d’inde, le peuplier, &c. méritent de trouver place dans une grande pepiniere. On multiplie l’orme de semence, que l’on doit conduire de la même maniere que celle du mûrier. On éleve le tilleul de branches couchées ; il faut avoir pour cet effet dans un canton de la pepiniere des souches ou meres de tilleuls de l’espece d’Hollande, dont on couche les rejettons qui ont d’assez bonnes racines au bout de l’année pour être plantés en pepinieres. On seme sur place les marrons d’inde comme les noix, & on les conduit de la même façon. On éleve le peuplier de boutures de 12 ou 15 pouces de longueur, que l’on plante sur place en rangées, & à la distance usitée pour les arbres de pareille grandeur ; le principal soin qu’on doive donner à ces arbres, c’est de les redresser & de ne les élaguer qu’avec ménagement à mesure qu’ils prennent de la force & du soutien. Mais on greffe sur l’orme comme en écusson, soit à la pousse ou à l’œil dormant, les especes curieuses de ce genre d’arbre. Comme l’orme ne pointe pas aisément, & qu’il est sujet à se garnir d’une trop grande quantité de menues branches qui se chiffonnent, il faudra les couper entierement après la troisieme année à un pouce de terre : on ne leur laissera ensuite qu’un rejetton qui s’élevera promptement au bout de cinq ou six ans. La plûpart de tous ces arbres seront en état d’être placés à demeure, savoir le peuplier à cinq ans, l’orme à six, le tilleul à sept, & le marronnier à huit ans.

Les arbres étrangers doivent être élevés & conduits relativement à la grosseur de leurs graines. Les plus grosses, comme le gland, peuvent être semées dans le canton même de la pepiniere où l’on se propose de les cultiver : à l’égard des plus menues & même des médiocres, il faudra les élever dans le semis ; & comme partie de ces arbres sont assez délicats pour exiger qu’on les garantisse des gelées pendant les deux ou trois premiers hivers, il sera à-propos de les semer dans des terreins ou dans des caisses plates, pour les serrer sous quelqu’abri durant la saison rigoureuse. Ces différens arbres se mettent en pepiniere à mesure qu’ils acquierent une force suffisante. La plûpart de ces graines levent la premiere année, d’autres ne paroissent qu’à la seconde, & quelques-unes ne viennent complétement que la troisieme ; il faut que la patience engage à les soigner & à les attendre. Il y a tant de variété dans le progrès de ces arbres & dans la façon de les conduire, qu’il n’est pas possible d’entrer dans aucun détail à ce sujet.

Les arbrisseaux curieux doivent avoir leur canton particulier ; ils seroient retardés & souvent étouffés par les grands arbres si on les mettoit avec eux ; & d’ailleurs on peut serrer davantage les arbrisseaux, tant pour les ranger que pour la distance d’un plant à l’autre. Du reste on doit leur appliquer ce qui a été observé sur les grands arbres.

Les arbres toujours verds doivent nécessairement être placés séparément de ceux qui quittent leurs feuilles, moins pour éviter la bigarrure & faire une sorte d’agrément, que parce que ces arbres veulent être soignés différemment des autres. Les arbres toujours verds demandent l’exposition la plus fraîche, la plus ombragée, & la mieux tournée au nord, néanmoins il faut les placer sainement, car ils craignent l’humidité sur toutes choses : mêmes conseils pour les distinctions à faire sur le semis des graines, sur les attentions pour les préserver, & sur l’âge de les tirer du semis ; mais il n’en est pas de même sur la saison propre à les planter en pepiniere. Ces arbres se conduisent tout différemment de ceux qui quittent leurs feuilles : ceux-ci doivent se planter en automne, ou de bonne-heure au printems ; la transplantation des arbres toujours verds ne se doit faire au contraire que dans des saisons douces & assurées, c’est-à-dire immédiatement avant la seve, dans le tems de son repos, & quand elle cesse d’être en mouvement. Ces circonstances se trouvent communément dans le commencement des mois d’Avril, de Juillet & de Septembre : il faut profiter dans ces saisons d’un tems sombre & humide pour les changer de place ; cette opération ne leur réussit généralement que pendant leur premiere jeunesse, encore doit-on les planter le plus qu’il est possible avec la motte de terre à leur pié ; & une précaution encore plus indispensable, c’est de les couvrir de paille & de les arroser habituellement, mais modérément, jusqu’à ce que leur reprise soit assurée. Il suit de-là qu’on ne peut les laisser long-tems en pepiniere, & qu’il faut les mettre à demeure le plûtôt que l’on peut.

Enfin les arbres forestiers seront placés dans le restant de la pepiniere : on se conformera, pour la façon de les élever & de les conduire, sur la qualité des graines & sur la nature des arbres, relativement à ce qui vient d’être dit sur les arbres étrangers.

Il reste à parler de la culture nécessaire à la pepiniere, qui consiste sur-tout en trois labourages par an, qui doivent être faits très-légerement avec une pioche pointue, & non avec la bêche, qui endommageroit les racines des jeunes plants ; mais le principal objet à cet égard doit être d’empêcher les mauvaises herbes : on peut les comparer à des insectes qui sont d’autant plus voraces, que leur vie est de courte durée. Les herbes de toutes sortes interceptent les petites pluies, les rosées, les vapeurs, &c. & elles pompent évidemment les sucs, les sels, & l’humidité de la terre : ensorte qu’on doit regarder l’herbe comme le fléau des jeunes arbres, & sur-tout des nouvelles plantations. Un autre soin essentiel, c’est l’élaguement qu’exigent les différens arbres. La plus forte taille se doit faire après les grands froids passés : on doit ensuite les visiter durant la belle saison, pour retrancher, accourcir & émonder les branches folles, nuisibles ou superflues, avec cette attention pourtant, de traiter les arbres toujours verds avec beaucoup de réserve à cet égard ; on doit leur laisser plus de branches qu’on ne leur en ôte. Il faut aussi conserver aux arbrisseaux fleurissans leur figure naturelle en buisson, pour les placer dans des bordures ou dans des bosquets, & diriger pour la palissade les arbres qui y sont destinés. Enfin la grande attention du jardinier doit se porter à surveiller continuellement les écussons qui exigent absolument des soins habituels.