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L’Encyclopédie/1re édition/PERGAME

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PERGAME, (Géogr. anc.) Pergamum, Pergamia, Pergamea & Pergamus, sont les noms de plusieurs lieux & villes.

1°. Virgile appelle Pergamum, la citadelle de Troye, & prend souvent cette forteresse pour Troye elle-même.

2°. Pergamum, ville de la Thrace dans les terres, selon Ptolomée, l. III. c. xj.

3°. Pergamum, ou Pergamea, ville de l’île de Crete. Velleïus Paterculus dit qu’Agamemnon ayant été jetté dans cette île par la tempête, il y fonda trois yilles, Mycènes, Tégée & Pergame ; cette derniere en mémoire de sa victoire. Virgile, Æneïd, lib. III. v. 132. attribue cependant la fondation de cette ville à Enée, à qui il fait dire :

Ergo avidus muros optatæ molior urbis
Pergameamque voco.

Plutarque, in Lycurgo, dit que les habitans de l’île de Crete montroient le tombeau de Lycurgue dans le territoire de Pergame, près du grand chemin.

4°. Pergamum, ou Pergamus, ville de l’Asie mineure, dans la grande Mysie, selon Strabon, qui dit que le fleuve Caïcus l’arrosoit. Pline, liv. V. ch. xxx. y joint le Selinus & le Cetius. Sa situation étoit donc très-avantageuse. Ce fut d’abord une forteresse bâtie sur une montagne. Lysimachus, l’un des successeurs d’Alexandre, y mit ses trésors, & en confia le gouvernement à Philetærus, qui profitant des conjonctures, s’en appropria la succession. Pergame devint dans la suite la capitale des rois Eumenes & des Attale.

La magnifique bibliotheque que les rois de Pergame dresserent, & le temple d’Esculape, furent les principaux ornemens de cette ville. Plutarque nous apprend que Marc-Antoine fit présent à Cléopatre de la bibliotheque de Pergame, dressée par Eumenès, & dans laquelle il y avoit deux cens mille volumes. Le roi d’Egypte qui vivoit du tems d’Eumenès, vit avec chagrin que les soins du roi de Pergame étoient capables d’effacer la gloire de la bibliotheque d’Alexandrie ; & l’émulation de ces princes fit naître plusieurs impostures en fait de livres.

Pour ce qui regarde Esculape, il est nommé Pergaméen dans Martial, Epig. xvij. l. IV. & nous apprenons de Tacite, Annal. l. III. c. lxiij. ad annum 775, que quand on fit à Rome la recherche des faux asyles, les preuves de l’asyle de l’Esculape des Pergaméens se trouverent valables.

Pergame fit bâtir un temple à l’empereur Auguste & à la ville de Rome. Strabon, liv. XIII. p. 429. vous dira les hommes illustres dont elle fut la patrie. On sait que Galien & Oribaze, tous deux grands médecins, sont du nombre. Disons présentement un mot des rois de Pergame.

Ce royaume commença vers l’an 470 de Rome par Philétærus, dont nous avons déja parlé ; mais ni lui, ni son successeur ne prirent le nom de rois. Attare I. se donna le premier cette qualité, & il crut le pouvoir faire sans arrogance, après la gloire qu’il avoit acquise en gagnant une bataille contre les Gaulois. Il s’allia avec les Romains, & se rendit exprès à Athènes pour nuire à Philippe, roi de Macédoine. Alors toute la ville, hommes, femmes & prêtres avec leurs habits sacerdotaux, furent au-devant de lui. Peu s’en fallut qu’on ne contraignît les dieux à lui rendre le même honneur. Cependant il trouva plus conforme à sa dignité de communiquer par écrit ses propositions, que de commettre sa modestie à la nécessité d’étaler lui-même ses services, & de recevoir d’un peuple flatteur une infinité d’applaudissemens ; c’est Tite-Live qui le dit, liv. XXXI. La guerre fut conclue contre Philippe. Ce fut alors que pour honorer Attalus, on proposa d’ajouter une nouvelle tribu aux dix anciennes, & de la nommer Attalide. Ce prince regna 44 ans, & en vécut 72. Il aima les Philosophes, se servit de ses richesses en homme magnanime, fut fidele à ses alliés, & éleva très-bien ses quatre fils.

Eumenès II. l’aîné de tous, lui succéda. Il étoit d’un tempérament infirme, mais d’une grandeur de courage qui suppléoit à la foiblesse de son corps. Il aimoit souverainement la gloire ; il fut magnifique, & combla de bienfaits plusieurs villes greques & plusieurs particuliers. Il étendit au long & au large les bornes de ses états, & ne fut redevable de cet aggrandissement qu’à son industrie & qu’à sa prudence. Il se tint inviolablement attaché à l’alliance des Romains, & il en tira de grandes utilités. Il mourut fort âgé l’an 596, laissant la tutelle de son fils à son frere Attale.

Celui-ci commença sa régence par une action glorieuse, ce fut de rétablir Ariarathe dans le royaume de Cappadoce. Il se signala par plusieurs autres faits, & mourut l’an 616 ; ensuite de quoi son pupille Attale III. regna seul.

Ce prince fut surnommé Philometor, en vertu de sa piété pour sa mere, qui même fut cause de sa mort ; car comme il lui creusoit un tombeau, il fut frappé du soleil sur la tête, & mourut en sept jours. Il aima extrèmement l’agriculture, & même il composa sur ce sujet des livres qui n’étoient pas inconnus à Varron, à Pline & à Columele. Il entendoit très-bien la matiere médicale & la fonte des métaux ; mais il ternit ses vertus & ses talens par un penchant à la cruauté. Il fit mourir plusieurs personnes illustres, ce qui le jetta dans une triste mélancholie ; il se couvrit alors, pour ainsi dire, de sac & de cendre, abandonna le soin des affaires, & ne s’occupa que du soin de son jardin. Il mourut environ l’an 621 ; & comme il n’avoit point d’enfans, il institua pour son héritier le peuple romain.

Ainsi finit le royaume de Pergame, qui dans l’espace de 150 années étoit devenu fort puissant, & où la magnificence fut si éclatante, qu’elle passa en proverbe. Il suffit de lire les Poëtes & leurs commentateurs pour n’en pas douter :

Attalicis conditionibus
Nunquam dimoveas.


C’est Horace qui parle ainsi des richesses d’Attale. Properce en dit bien davantage :

Nec mihi tunc fulcro sternatur lectus eburno
Nec sit in Attalico mors mea mixta toro.

Eleg. xiij. liv. II.

Attalicas supra vestes, atque omnia magnis
Gemmea sint ludis, ignibus ista dabis.

Eleg. xvij. l. III.

Les tapisseries ne furent connues à Rome que depuis qu’on y eut transporté celles d’Attalus. Ce prince fut l’inventeur de la broderie d’or : aurum intexere in eâdem Asiâ, invenit Attalus rex.

Enfin je ne dois pas oublier de dire que l’émulation de Ptolomée, roi d’Egypte, & d’Eumenès, roi de Pergame, à qui dresseroit une plus belle bibliotheque, fut cause que le roi d’Egypte fit interdire le transport du papier ; mais l’on trouva à Pergame l’art de préparer des peaux, c’est-à-dire le parchemin, pour y suppléer. C’est donc encore à cette ville de Mysie qu’est dûe la gloire de l’invention d’une chose qui assure aux hommes une sorte d’immortalité.

M. l’abbé Sevin a donné dans le recueil des Inscriptions, tom. XII. in-4o. trois savans mémoires sur les rois de Pergame ; c’est l’histoire complette de ce royaume : il faut la lire, elle ne laisse rien à desirer. J’ajouterai seulement qu’Athénodore, surnommé Cordylion, célebre philosophe stoïcien, étoit de Pergame, où il demeura une grande partie de sa vie, considéré de tout le monde, & refusant constamment les graces & les honneurs que les rois & les généraux voulurent lui faire. Caton le jeune étant en Asie à la tête d’une armée, & ayant oui parler du grand mérite de cet homme illustre, souhaita extrèmement de l’avoir auprès de lui ; mais persuadé qu’une simple lettre ne pourroit l’engager à sortir de sa retraite, il prit le parti de se rendre lui-même à Pergame, capitale du royaume d’Attale, & à force de sollicitations & de prieres, il engagea Athénodore à le suivre dans son camp, & de-là à Rome, où il revint avec lui en triomphe, plus content de l’acquisition qu’il venoit de faire, que Lucullus & Pompée ne pouvoient l’être de toutes leurs conquêtes. Athénodore demeura jusqu’à sa mort avec Caton, dans la maison duquel il mourut, ainsi que nous l’apprend Strabon, l. XIV. pag. 674. (Le Chevalier de Jaucourt.)