L’Encyclopédie/1re édition/PHOCIDE

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PHOCIDE, (Géog. & Hist. anc.) Phocis, contrée de la Grece, entre la Béotie & la Locride. Elle avoit anciennement des frontieres plus reculées, puisque Strabon, lib. IX. dit qu’elle étoit bornée au nord par la Bœotie, mais qu’elle s’étendoit d’une mer à l’autre ; c’est-à-dire, depuis le golphe de Corinthe, jusqu’à la mer Eubée. Si nous nous en rapportons à Denis le périégete, la Phocide s’est autrefois étendue jusqu’aux Thermopyles, ce qui néanmoins fut de courte durée.

Deucalion commença à regner dans la Phocide, autour du mont Parnasse, du tems de Cécrops. Les Phocidiens formerent ensuite une république, en changeant leurs chefs selon les occasions. Leur pays avoit pour principaux ornemens le temple de Delphes & le mont Parnasse.

Les Phocidiens s’aviserent de labourer des terres consacrées à Apollon, ce qui étoit les profaner. Aussitôt les peuples d’alentour crierent au sacrilege, les uns de bonne foi, les autres pour couvrir d’un pieux prétexte leurs vengeances particulieres. La guerre qui survint à ce sujet, s’appella sacrée, comme entreprise par un motif de religion.

On déféra les profanateurs aux Amphictyons, qui composoient les états généraux de la Grece, & qui s’assembloient tantôt aux Thermopyles, tantôt à Delphes. L’affaire ayant été portée à leur tribunal, on déclara les Phocéens sacrileges, & on les condamna à une grosse amende. Un d’entr’eux nommé Philomele, homme audacieux & fort accrédité, les révolta contre ce decret. Il prouva par des vers d’Homere, qu’anciennement la souveraineté du temple de Delphes appartenoit aux Phocidiens ; il fallut soutenir la révolte par les armes : on leva de part & d’autre des troupes.

Les Phocidiens s’assurerent du secours d’Athènes & de Sparte, & ne se promirent pas moins que d’abattre l’orgueil de Thebes, qui s’étoit montrée la plus ardente à poursuivre le jugement. Les premiers avantages qu’ils remporterent ne servirent pas peu à fortifier cette espérance. Mais bientôt les fonds nécessaires pour les dépenses de la guerre leur ayant manqué, ils y suppléerent par un nouveau sacrilege.

Philomele avoit eu assez de religion pour ne pas toucher au temple de Delphes. Onomarque & Phayllus qui lui succéderent dans le commandement, furent moins scrupuleux ; ils enleverent tous les précieux dons que la piété des rois & des peuples y avoit consacrés. Les sommes qu’ils en retirerent à plusieurs fois, monterent à plus de dix mille talens. Ils trouverent ainsi le secret de soutenir la guerre aux dépens d’Apollon. Les dévots crierent plus que jamais au sacrilege. On en vint souvent aux mains. La fortune se rangea tantôt d’un parti, tantôt de l’autre. Les Phocidiens réduisirent enfin les Thébains à se jetter entre les bras de Philippe, qui se chargea volontiers de mettre les ennemis de Thebes à la raison.

Ce prince n’eut qu’à paroître pour terminer une guerre qui duroit depuis dix ans, & qui avoit également épuisé l’un & l’autre parti. Les Phocidiens désespérerent de résister à un tel ennemi. Les plus braves obtinrent la permission de se retirer dans le Péloponnese ; le reste se rendit à discrétion, & fut traité fort inhumainement.

Philippe ne sauva que les apparences dans ce dessein aux yeux du peuple, il convoqua les Amphictyons, les établit pour la forme souverains juges de la peine encourue par les Phocidiens ; & sous le nom de ces juges dévoués à ses volontés, il ordonne qu’on ruinera les villes de la Phocide ; qu’on les réduira toutes en bourgs de soixante feux au plus ; que l’on proscrira les sacrileges, & que les autres ne demeureront possesseurs de leurs biens qu’à la charge d’un tribut annuel, qui s’exigera jusqu’à la restitution entiere des six milles talens enlevés dans le temple de Delphes. Cela faisoit une somme d’environ six millions d’écus, ou dix-huit millions de livres.

On ne doit point être surpris que le butin pris par les Phocéens montât si haut. Il y avoit dans le temple de Delphes des richesses immenses, à cause de la multitude innombrable de vases, de trépiés, de statues d’or, d’argent & de bronze que les rois, les grands capitaines, les villes & les nations y envoyoient de tous les endroits de la terre.

Le vainqueur, c’est Philippe dont je veux parler, ne s’oublia pas pour prix d’une victoire qui ne lui couta que la peine de se montrer : outre le titre de prince religieux, de fidele allié, il eut encore les Thermopyles, le grand objet de ses desirs, & l’unique passage qui menât de Macédoine en Italie.

Avec le tems néanmoins les Phocidiens parvinrent à se rouvrir une belle porte pour leur rétablissement ; car chassés en qualité de profanateurs exécrables, ils rentrerent avec la qualité d’insignes libérateurs. Une œuvre de religion rehabilita de la sorte ceux qu’une action sacrilege avoit dégradés. On les avoit exclus des privileges des autres Grecs, pour avoir pillé de leurs propres mains le temple de Delphes, on les leur rendit honorablement pour l’avoir sauvé du pillage des Gaulois, commandés par Brennus. (D. J.)