L’Encyclopédie/1re édition/PIEU

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PIEU, s. m. (Hist. anc.) gros bâton pointu, ou piece de bois, dont on se sert pour faire des enclos, des palissades. Les Grecs & les Romains s’en servoient pour fortifier leurs camps en les plantant sur la crête du parapet ; mais ils n’avoient pas le même usage de les tailler ni de les ébrancher. Voici ce que Polybe remarque à cette occasion. Chez les Grecs, dit-il, les meilleurs pieux sont ceux qui ont beaucoup de branches autour du jet. Les Romains au contraire n’en laissent que deux ou trois, tout au plus quatre, & seulement d’un côté. Ceux des Grecs sont plus aisés à arracher : car comme les branches en sont fortes & en grand nombre, deux ou trois soldats y trouveront de la prise, l’enleveront facilement ; & voilà une porte ouverte à l’ennemi, sans compter que tous les pieux voisins en seront ébranlés. Il n’en est pas ainsi chez les Romains, les branches sont tellement mêlées & insérées les unes dans les autres, qu’à-peine peut-on distinguer le pié d’où elles sortent. Il n’est pas non plus possible d’arracher ces pieux, parce qu’ils sont enfoncés trop avant ; & quand on parviendroit à en enlever un de sa place, l’ouverture qu’il laisse est presque imperceptible. D’où il est aisé de voir avec quelle attention les anciens fortifioient leurs camps, partie de la guerre que les modernes ont presque totalement abandonnée. On plantoit encore dans le camp d’espace en espace des pieux, pour servir de but aux jeunes soldats qu’on y exerçoit à tirer des armes & à lancer le javelot.

Dans les supplices, le pieu servoit à attacher les criminels condamnés à être battus de verges : ce qu’on appelloit ad palum alligare. Quelques-uns prétendent qu’on s’en servoit aussi pour les empaler, comme on fait aujourd’hui chez les Turcs, mais sans fondement ; on ne trouve point dans les historiens de traits qui aient rapport à cette espece de supplice.

PIEUX, s. m. pl. (Archit. hydraul.) pieces de bois de chêne, qu’on emploie dans leur grosseur, pour faire les palées des ponts de bois, ou qu’on équarrit pour les files des pieux (voyez ce mot) qui retiennent les berges de terre, les digues, &c. qui servent à construire les batardeaux. Les pieux sont pointus & ferrés comme les pilots ; ce qui en fait pourtant la différence, c’est que les pieux ne sont jamais tout à fait enfoncés dans la terre, & que ce qui en paroît au dehors est souvent équarri. Voyez Pilots.

Pieux de garde. Ce sont des pieux qui sont audevant d’un pilotis, plus peuplés & plus hauts que les autres, & recouverts d’un chapeau. On en met ordinairement devant la pile d’un pont, & au pied d’un mur de quai ou de rempart, pour le garantir du heurt des bateaux & des glaçons, & pour empêcher le dégravoyement. Daviler. (D. J.)

Pieux, pilots ou Pilotis. Les pieux sont le plus communément employés à porter un édifice construit au-dessus des hautes eaux, tels que sont les ponts de charpente, les moulins, &c.

On se sert des pilots ou pilotis pour porter un édifice de maçonnerie que l’on veut fonder sous les basses eaux, comme sont les ponts, les murs de quai, de certains bâtimens & autres ouvrages.

Les dimensions, positions, espacemens & le battage des pieux & des pilots ou pilotis, forment quatre objets distincts que l’on va examiner séparément.

Dimensions. Un pieu qui doit être exposé à l’eau & à l’injure du tems, doit être formé de la piece la plus forte que l’on puisse tirer d’un arbre ; & ce sera l’arbre même, surtout s’il est d’un droit fil & sain ; tout équarrissage & redressement trancheroit les fibres, & tronqueroit par segmens les corps ligneux, annulaires, dont la contexture plus serrée que des insertions qui se trouvent de l’un à l’autre de ces corps ligneux, pour mieux résister, étant conservés en leur entier ; on doit se contenter d’abattre les nodosités, d’équarrir & former en pointe pyramidale, le bout destiné à la fiche. On se contente quelquefois de le durcir au feu, quand le pieu est destiné pour un terrein qui n’est pas ferme, sinon il doit être armé d’une lardoire, ou sabot de fer à trois ou quatre branches, ou d’équarrir aussi le bout vers la tête, lorsqu’il est trop gros & qu’il pourroit excéder la largeur des sommiers que l’on pose & assemble horisontalement à tenons & mortaises sur la tête des pieux.

On a le même intérêt de conserver les bois dans toute leur force pour les pilots ; ils doivent pour cet effet être également ronds, de droits fils & sans nœuds excédens.

La grosseur des pieux dépend donc de celle des arbres que l’on peut avoir dans chaque endroit ; l’on se propose communément de leur donner environ 10 pouces de grosseur mesurés au milieu de leur longueur pour 15 & 18 piés, & deux pouces de plus pour chaque toise excédente cette premiere longueur : ainsi un pieu de 33 à 36 piés, par exemple, devroit avoir environ 16 pouces de grosseur réduite sans l’écorce.

Les pilots d’une certaine longueur n’ont pas besoin d’être si gros à proportion que les pieux, étant presque toujours enfoncés entierement dans le terrein, & moins exposés pour cette raison à plier sous le fardeau & à être usés par le frottement de l’eau & des corps qu’elle charie ; on doit pour cette raison choisir les arbres les plus jeunes & les plus menus.

Il suffit que ces pilots ayent environ 9 pouces de grosseur, jusqu’à 10 & 12 piés de long, & un pouce de plus pour chaque toise excédente cette premiere longueur. Ainsi un pilot de 28 à 30 piés de long auroit un pié de grosseur réduite, mesurée aussi sans l’écorce : ce qui donneroit à peu près 10 pouces à la pointe & 14 à la tête.

Lorsque l’on n’a pas des arbres assez longs, ou que les pieux ou pilots ayant pris plus de fiche que l’on ne l’avoit compté, se trouvent trop courts, on peut les anter & les assembler exactement en ⨂ sur 2 & 3 piés de longueur, après quoi on doit les lier fermement avec deux bonnes frettées de fer, observant pour les pieux de disposer ces antes de façon qu’elles puissent être recouvertes par les moises qui les doivent embrasser & en liaison alternativement de l’une à l’autre moise.

Il sera parlé de ces moises par la suite.

On trouve dans le traité de Charpenterie de Mathurin Jousse, par M. Delahire, que les pilots doivent être équarris ; on donne à ceux de 12 piés 10 à 12 pouces de grosseur, & à ceux de 30 piés 16 à 21 pouces, au lieu de 9 pouces & de 12 red. de grosseur que l’on a proposé ci-devant, & qui suffisent d’après ce qui se pratique avec succès sur les plus grands travaux pour ces différentes longueurs.

Mathurin Jousse, en proposant d’équarrir les pilots & de donner des dimensions inégales pour leur grosseur, avoit suivi ce qui se pratique pour les bâtimens, où cela est nécessaire, & où il convient de donner plus de hauteur que de largeur aux pieces que l’on pose horisontalement : c’est ce que M. Parent a fait aussi connoître dans les mémoires de l’académie des Sciences de 1708, où il est démontré que la piece la plus forte que l’on puisse tirer d’un arbre pour porter étant placée dans ce sens, doit être telle que le quarré de l’un de ses côtés soit double de celui de l’autre côté : ce qui revient à peu près au rapport de 7 à 5.

Il n’en est pas de même pour les pieux qui sont destinés à porter debout. Quant à l’équarrissement & à l’inégalité de leurs côtés, c’est ce que l’on croit avoir assez expliqué précédemment ; mais on ne pouvoit se dispenser d’exposer ce qu’ont adopté à la fois un bon charpentier & un mathématicien habile sur le sujet que l’on vient de discuter, afin que l’on pût connoître mieux ce qui doit être préféré.

Ces réflexions ne doivent cependant pas empêcher d’employer des pieux ou des pilots équarris dans de certaines circonstances ; on place quelquefois, par exemple, des pilots de cette espece au pourtour extérieur des fondations, pour que les palplanches que l’on chasse entre ces pilots puissent leur être plus adhérentes.

On doit ôter l’écorce en entier, & laisser l’aubier aux pieux & aux pilots pour les parties qui se trouvent sous l’eau.

L’écorce ne donne point de force au bois ; elle augmente beaucoup le frottement par son épaisseur & son aspérité, lors du battage des pieux ou pilots, & empêchent qu’ils ne prennent autant de fiche sous la même percussion.

L’aubier n’est point vicieux sous l’eau ; il s’y conserve comme l’on sait que le fait le bois, lorsqu’il est continuellement submergé : surtout le chêne que l’on emploie par préférence aux ouvrages construits dans l’eau ; il a d’ailleurs de la force lorsque la seve en est retirée, comme on peut en juger par les expériences de M. de Buffon (mémoires de l’académie, année 1741. page 296.) suivant lesquelles il a reconnu que la force de l’aubier étoit seulement de ou environ, moindre que celle du bois pris au cœur du même chêne : ce qui se trouvoit être aussi à peu près dans le rapport des densités de l’un & de l’autre bois & aubier. Les circonstances sur la longueur, grosseur & sur la façon de charger les bois & aubier, étoient d’ailleurs les mêmes, ainsi il paroît que l’on peut laisser l’aubier aux pilotis sans inconvénient.

Lorsque l’écorce recouvre l’aubier, elle garantit l’œuf que la mouche y a déposé, & le ver qui en provient jusqu’à ce qu’il ait acquis assez de force pour abandonner l’aubier, dont la substance, lorsqu’elle est encore abreuvée de la seve, peut mieux convenir à la délicatesse de premier âge, que le bois où il ne pourroit s’introduire d’abord ni y vivre. C’est ainsi qu’en use la nature par rapport aux insectes : en général le degré de chaleur qui fait éclore le ver à soie, développe aussi la feuille du murier pour lui présenter une substance délicate ; elle acquiert chaque jour une consistance plus forte, qui se trouve par ce moyen toujours analogue à celle du ver qui croît & se fortifie en même tems. L’arbre étant dépouillé sur pié de son écorce pendant le fort de la seve, & laissé ensuite sur pié au-moins six mois, on a reconnu que le bois durcissoit & que l’aubier en devenoit presque aussi fort que le bois. Voyez les expériences de M. de Buffon, mémoires de l’académie de 1738. page 169.

L’écorce étant ôtée lorsque l’on coupe l’arbre, le ver sera tué par les mauvais tems & la gelée, avant qu’il ait acquis assez de force pour s’introduire dans le bois ; c’est au-moins à quoi l’on pense devoir attribuer ce que l’on a remarqué sur la conservation des bois exposés au dehors, & auxquels l’on avoit usé de cette précaution.

Il n’en sera pas de même des bois employés à couvert ; la mouche déposera son œuf dans le peu d’aubier que l’on y aura laissé, & le bois sera ensuite attaqué du ver qui en proviendra ; on croit pour cette raison qu’il n’est pas toujours nécessaire d’ôter l’aubier des pieux dans la partie qui se trouve au-dessus de l’eau. On a même remarqué à plusieurs ponts qu’il s’étoit durci & avoit acquis une consistance capable de fortifier ces pieux & de les conserver plus long-tems, surtout lorsque l’on avoit eu l’attention de laisser le bois dans l’eau pendant quelques mois, avant de les employer, précaution dont on use pareillement avec succès pour la latte que l’on fait quelquefois avec l’aubier ; cependant chacun doit en user pour ce qui se trouvera au-dessus de l’eau, comme il le jugera le plus convenable, vû que la suppression de l’aubier ne sauroit d’ailleurs être préjudiciable dans cette partie, si l’on a attention d’y suppléer en donnant un peu plus de grosseur aux pieux.

Indépendamment de la vermoulure à laquelle le bois est exposé, la fermentation de la seve, surtout dans les parties renfermées, & leur exposition alternative à l’air & à l’eau, sont également des causes principales de destruction assez connues, & sur lesquelles nous ne nous arrêterons point pour ne pas trop nous écarter de notre projet principal.

Position. Les pieux & pilotis battus dans les rivieres doivent toujours être placés dans le sens du cours de l’eau ; ils doivent être posés d’équerre entr’eux, autant que cela se peut, & à plomb, excepté le cas dont on va parler.

Une file de pieux battus pour porter un pont de charpente, se nomme palée ; & une même palée est quelquefois composée de plusieurs files de pieux posés parallelement, & à peu près suivant le plan des piles des ponts de maçonnerie.

Les deux ou trois pieux du milieu de ces palées doivent être battus à plomb, & les autres de chaque côté obliquement ; ou en décharge en sens opposé sur la longueur des palées, pour empêcher le deversement de l’édifice construit sur ces pieux.

On bat quelquefois des pieux plus petits de part & d’autre des palées pour les affermir à la hauteur des basses eaux, lorsque les principaux pieux ont beaucoup de longueur au-dessous de ces basses eaux au fond du lit de la riviere, ou bien aussi pour les préserver contre le choc latéral des glaces ; on les nomme pieux de basses palées ; ils doivent être battus à plomb, à quelques piés des grands pieux que l’on nomme aussi pieux d’étape ; & au droit du vuide ou intervale d’entre ces pieux, on les coëffe de chapeaux qui sont retenus entr’eux & contre les pieux d’étape avec des blochets moisés & assemblés à queue d’ironde sur les chapeaux.

Les pilots des batardeaux & ceux des crêches que l’on place quelquefois au pourtour des piles & au-devant des culées & murs pour plus de sûreté contre les affouillemens, doivent aussi être battus à plomb.

On est pareillement dans l’usage de battre les pilots de fondation à plomb ; cependant lorsque le terrein est de peu de consistance, il est à propos d’incliner un peu ceux du pourtour des paremens extérieurs vers le massif de la fondation ; par ce moyen on peut empêcher le deversement des pilotis qui ne pourroit avoir lieu sans le redressement de ceux qui seroient inclinés, à quoi le poids de la maçonnerie du dessus doit s’opposer ; ce sont les pilots des culées & murs de quai qui sont les plus exposés au déversement pour la poussée des terres du derriere.

Les pilots sont ordinairement présentés & posés par le petit bout ; ils entrent, dit-on, plus aisément dans le sens, & sont mieux battus au refus, ce qui est le but essentiel que l’on doit se proposer pour les ouvrages de maçonnerie, à fonder à cause de leur poids beaucoup plus considérable pour l’ordinaire que des édifices que l’on établit sur des pieux au-dessus des grandes eaux : cependant des expériences faites avec soin nous ont fait connoître que les pilots ferrés & battus le gros bout en bas, comparés avec ceux de même longueur & grosseur battus de sens contraire dans le même terrein, & avec le même équipage, étoient d’abord entrés avec plus de difficulté, mais toujours assez également, & qu’ils sont parvenus plûtôt d’environ un quart de tems au refus du mouton de 510 livres de pesanteur, à la même profondeur de 19 & 20 piés ; ce qui paroît devoir provenir de ce que le frottement qu’éprouvent ces derniers pilots, est à peu près égal, lorsqu’ils augmentent toujours, à ceux qui sont chassés le petit bout en bas.

On croit cependant qu’il convient de s’en tenir à l’usage ordinaire de battre les pilots le petit bout en bas ; cette disposition en plaçant la tête directement sous le fardeau, doit les rendre plus forts & moins vacillans.

A l’égard des pieux, le bout par lequel il convient de les mettre en fiche dépend de la hauteur à laquelle les basses eaux & les glaces doivent arriver contre ces pieux.

Lorsque le milieu de la longueur du pieu devra sensiblement se trouver au-dessous des basses eaux, il conviendra de les mettre en fiche par le petit bout, comme les pilots, parce que sa partie la plus forte se trouvera au-dessus des basses eaux, où est celle qui seche & mouille alternativement, & qui est pour cette raison la plus exposée à être endommagée. C’est aussi dans cette partie supérieure que se fait le choc des glaces, toutes causes de destruction plus importantes que celles que les pieux peuvent éprouver dans leur partie inférieure par le frottement seul de l’eau.

Si le milieu de la longueur des pieux devoit se trouver élevé à la hauteur des eaux moyennes, au lieu de celle des basses eaux, comme cela arrive assez ordinairement aux grands ponts de charpente, il conviendroit, pour la raison que l’on vient d’expliquer ci-devant, de les battre le gros bout en bas.

Les pieux des grands ponts fournissent à raison de leur longueur, un motif de plus pour les battre le gros bout en bas ; ils se trouvent pour lors comme l’arbre dans la position la plus naturelle & la plus forte près la racine, pour résister aux ébranlemens auxquels ils sont plus exposés par leur longueur.

On ne doit d’ailleurs point avoir égard à ce qui peut concerner une certaine situation que quelques physiciens prétendent devoir être préférable pour la conservation des bois, relativement à leur opinion, sur la circulation de la seve. On renvoie aux expériences de M. Hales pour en juger. Statique des végétaux, pag. 135.

Espacemens. L’espacement des pieux & celui des pilots dépend de leur grosseur, leur longueur, & du fardeau qu’ils doivent porter, en les supposant d’ailleurs d’une même espece & qualité de bois.

Suivant les expériences de Musschembroeck, Essais de Physique, pag. 356. les forces des pieces de bois rondes ou quarrées étant chargées sur leur bout, sont entr’elles comme les cubes de leur diametre ou grosseur pris directement, & le quarré de leur longueur pris réciproquement.

[1] En comptant le pié rhenant dont s’est servi Musschembroeck pour 11 pouces 7 lignes du pié de roi, & la livre pour 14 onces poids de marc, qu’il paroît par d’autres expériences avoir employé, on peut conclure qu’une piece de six pouces de gros en quarré, & six piés de long portera 23418 livres, le tout étant réduit aux mesures de Paris.

Cette résistance est pour le cas de l’équilibre ; comme il ne faut pas même que les bois soient exposés à plier sensiblement, on conçoit qu’il convient, dans le calcul que l’on en feroit, évaluer cette résistance au-dessous du résultat précédent.

On peut voir par les expériences de M. de Buffon, & citées dans les mémoires de l’académie des Sciences de 1741, sur la résistance des bois posés horisontalement, que plusieurs pieces de 14 piés & 5 pouces de gros qui ont été cassées sous un poids réduit de 5283 livres après avoir baissé de 10 pouces, avoient déja plié de 12 à 15 lignes au dixieme millier de la charge ; ce qui fait connoître que la résistance des pieces ainsi chargées ne doit être évaluée qu’au quart ou au tiers au plus de leur résistance absolue.

Nous manquons de pareilles expériences en grand pour les pieces qui sont posées debout ; mais comme elles sont bien moins sujettes à plier sous le fardeau dans ce sens, on croit qu’en réduisant à moitié leur résistance, ou le poids dont on peut les charger pour les rompre, elles ne seront pas exposées à plier sensiblement.

Dans ces expériences & remarques, on trouvera l’espacement qu’il faudra donner aux pieux & aux pilots en divisant le poids dont ils devront être chargés par la force de l’un de ceux que les circonstances pourront permettre d’employer.

On connoîtra, en faisant ce calcul, qu’un pieu de 36 piés de longueur & 16 pouces de grosseur réduite, qui auroit 27 piés au-dessus de la fiche & seroit moisé de 9 en 9 piés, pourroit porter 73458 livres, ayant réduit à moitié la force résultante du calcul par les raisons expliquées ci-devant.

La travée du pont de charpente qui auroit 36 piés de long ou d’ouverture d’une palée à l’autre, & ce seroit une des plus grandes travées que l’on fait dans l’usage de construire, peseroit pour une partie de 4 piés & demi de largeur qu’auroit à porter un pieu d’entre ceux qui seroient espacés à cette distance, à-peu-près 41 milliers, compris le pavé & le sable du dessus ; il resteroit à ce pieu une force excédente de 32458 livres, pour résister d’une part aux voitures chargées, dans le cas même où leurs essieux viendroient à se casser, & pour compenser d’autre part la diminution de force sur les pieux qui auront été chassés obliquement ; car on sait que la force des pieces ainsi inclinées, est à celle des pieux qui sont posés debout, comme les co-sinus de l’angle que forment la direction de la charge avec la piece inclinée est au sinus total.

Il est bon de remarquer que les nœuds & de certains vices inévitables sur la qualité des bois doivent en diminuer encore la force ; mais cela pourra se trouver compensé en rapprochant les liernes & les moises jusqu’à six piés de distance entr’elles, ainsi que l’on est assez dans l’usage de le faire au-dessus des basses eaux ; car pour ce calcul on ne doit compter la longueur des pieux que par la distance qui se trouve d’une moise à l’autre. Un pilot de 12 piés & 9 pouces de gros que l’on supposera excéder de 3 piés le dessus du terrein, pourroit porter 111018 livres ou environ moitié plus que le précédent, ce qui devient assez bien proportionné à cause du plus grand fardeau que les pilots sont destinés à porter ; on n’a pareillement fait le calcul du pilot que pour 3 piés de longueur ; la partie qui a pris fiche & qui est entretenue par le terrein, ne pouvant plier, elle ne doit pas entrer en considération sur la diminution de force qu’occasionne la longueur des pieces.

En supposant les pilots espacés de 4 piés de milieu en milieu, & la maçonnerie du poids de 160 livres, le pié cube, ils pourroient porter un mur de près de 47 piés de hauteur ; ce qui viendroit assez bien à ce que donne l’expérience par rapport à la construction des ponts de maçonnerie de moyenne grandeur.

Si l’on vouloit faire porter un plus grand fardeau sans changer un certain espacement convenu pour les pieux ou les pilots, il faudroit augmenter leur grosseur en raison sous-triplée des poids ; ainsi pour une charge octuple, par exemple, il suffiroit de doubler leur diametre, & ce au lieu d’augmenter leur superficie dans la raison du poids dont ils devront être chargés, comme il sembleroit, à la premiere inspection, que cela devroit être pratiqué.

Cette regle que donne l’expérience est aussi conforme à ce qui arrive pour les bois inclinés ou posés horisontalement, leur résistance étant en raison du quarré de leur hauteur ; ainsi dans l’un & l’autre cas on voit que pour des pieces qui auroient même longueur, & dont la grosseur de l’une seroit double de celle de l’autre, la quantité du bois employé dans la plus grosse piece ne seroit que quadruple, lorsque sa force pour porter un fardeau de toute sorte de sens seroit octuple ; d’où il suit qu’il y aura de l’économie à employer par préférence des grosses pieces, lorsque leur prix augmente en moindre raison que la superficie de ces pieces prises dans le sens de leur grosseur.

On n’a parlé jusqu’à présent que des pieux ou des pilots de chêne ; mais on peut employer d’autre bois plus ou moins forts ; c’est à quoi il faudra avoir égard dans le calcul. Pour cet effet on va donner le rapport de la force de différentes especes de bois d’après les expériences qui en ont été faites pour les rompre, ces pieux étant chargés sur leur bout :

Le chêne 12 Saule 9
Sapin 9 Frêne 7
Peuplier 7 L’aune 7

Essais de Physique de Musschembroeck, pag. 357.

On voit par ces expériences que le bois de chêne est le plus fort, que le sapin l’est moins, quoique pour porter, étant chargé dans une position horisontale, il soit plus fort à-peu-près d’un cinquieme que le chêne, suivant l’expérience de M. Parent, Mémoire de 1707 ; le frêne qui est aussi plus dur que le sapin, & qui pourroit porter un plus grand poids que l’on y suspendroit étant placé horisontalement, se trouve cependant moins fort pour porter dans la position verticale : cela peut provenir de ce que le fil du bois de frêne est moins droit que celui du bois de sapin.

Les calculs que l’on vient de donner sur la force des pieux & des pilots pour déterminer leur espacement entr’eux, paroissent assez bien convenir aux applications qu’on en a faites ; mais l’on ne doit pas toujours s’en rapporter au calcul dans un genre comme celui-ci où l’on manque d’expériences faites assez en grand sur la force des bois chargés debout, & où de certaines considérations physiques, & encore peu connues, pourroient induire à erreur ; il faut donc consulter en même tems, comme on voit, l’expérience de ce qui se pratique avec le plus de succès.

On est dans l’usage d’espacer les pieux des ponts de bois depuis 4 jusqu’à 5 piés, & les pilots de fondation depuis 3 jusqu’à 4 piés, & quelquefois quatre & demi, le tout de milieu en milieu. M. Bultet, dans son traité d’Architecture, est d’avis que l’on doit espacer les pilots, tant pleins que vuides, c’est-à-dire de deux piés en deux piés, lorsqu’ils auront un pié de gros ; ainsi il en entreroit 16 dans une toise quarrée isolée, & ce nombre se trouvera réduit à 9 lorsque les pilots de bordage seront rendus communs avec les parties environnantes.

On trouve dans d’autres auteurs, traité des Ponts par M. Gautier, pag. 68. qui avoit acquis de la réputation pour ce genre de construction, qu’il faut mettre environ 18 à 20 pilots dans la toise quarrée des fondations.

Ce qui se pratique dans les plus grands ouvrages fait connoître qu’il suffit d’espacer ces pilots à 3 piés pour le plus près de milieu en milieu, il n’en entrera pour lors que 9 dans le premier cas ci-devant cité & seulement 4 dans le second, ce qui est bien suffisant, au lieu de 18 ou 20 proposés ci-dessus.

Battage ou enfoncement des pieux. Les pieux & les pilots sur-tout doivent être enfoncés jusqu’au soc ou tuf, & autre terrein assez ferme & solide pour porter le fardeau dont on aura à les charger, sans jamais pouvoir s’enfoncer davantage sous ce fardeau ; il faut par conséquent pénetrer les sables & les terres de peu de consistance, & qui seroient d’ailleurs susceptibles d’être affouillés par le courant de l’eau.

On doit pour cet effet commencer par reconnoître les différentes couches de terrein & leur épaisseur, au moyen d’une sonde de fer d’environ 2 pouces de grosseur, battue & chassée au refus jusque sur le roc ou terrein solide, afin de savoir la longueur & grosseur que l’on aura à donner aux pieux ou aux pilots pour chaque endroit où il conviendra d’en battre.

On se sert pour battre les pilots d’une machine que Vitruve, Philander, Baldus & Perrault ont nommée mouton. Ce nom se donne plus particulierement à la piece de bois ou de fonte qui sert à battre le pilot, & l’équipage employé pour faire mouvoir le mouton se nomme le plus ordinairement sonnette.

On fait les moutons plus ou moins pesans, suivant la force des pieux, la fiche que l’on doit leur donner & la nature du terrein. Cela varie depuis 400 jusqu’à 1200 liv. & plus : on emploie ordinairement un mouton de 6 à 700 livres pour les pilotis ; il est tiré par la force de 24 ou 28 hommes qui l’elevent 25 ou 30 fois de suite en une minute jusqu’à quatre piés & demi de hauteur, ces hommes se reposent après autant de tems alternativement.

Les moutons de 1200 livres sont tirés par la force de 48 hommes ; on s’en sert pour le fort pilotis ou les pieux ordinaires ; mais les plus gros pieux exigent un mouton plus pesant.

On emploie pour lors une machine différente de la sonnette ; six ou huit hommes sont appliqués avec des bras de leviers à mouvoir un treuil horisontal, sur lequel est placé la corde qui porte le mouton, étant élevé au sommet de la machine, un crochet à bascule ou un déclic, font lâcher le mouton, où descend la corde en déroulant le treuil pour le reprendre, ou bien plus commodément & par un échapement que M. Vaulhoue, horloger anglois, a imaginé ; la corde redescend immédiatement après le mouton, qu’elle reprend par une espece de tenaille de fer qui lui est attachée, & cette corde qui est placée sur une lanterne dont l’axe est vertical, le dévide seul en lâchant un déclic sans être obligé de retourner le treuil comme dans le premier cas, ce qui est bien plus commode & expéditif ; ces deux sortes de façons de battre les pieux se nomment également battre au déclic : on s’en sert souvent aussi pour les moutons qui pesent au-dessous de 1200 livres depuis 6 ou 700 livres, tant à cause de la difficulté d’avoir assez d’hommes dans de certaines circonstances pour équiper les grandes sonnettes, que parce qu’ils se nuisent, & qu’en tirant obliquement par les vingtaines ou petites cordes qui sont attachées à la corde principale, comme cela est inévitable, quoique ces petites cordes soient quelquefois attachées autour d’un cercle placé horisontalement pour diminuer l’obliquité, il y a toujours une partie assez considérable de la force qui se trouve perdue.

Il est vrai d’un autre côté que le déclic est moins expéditif, puisque le mouton est moins grand ; ainsi supposer que pour lever un mouton de 1200 livres on se serve de huit hommes appliqués à la sonnette à déclic de M. Vaulhoue, au lieu de 48 qu’il faudroit à la sonnette ordinaire sans déclic, on employera six fois plus de tems, le reste étant supposé d’ailleurs égal. On pourra donc préférer pour le battage des pieux ou des pilots, celle de ces deux machines qui pourra le mieux convenir pour le lieu & la circonstance, sans devoir se flatter que ce choix puisse épargner la dépense, & c’est-là le résultat de toutes les machines simples telles qu’elles soient.

Un pilotis ne doit être considéré avoir été battu suffisamment, & à ce que l’on appelle au refus du mouton, que lorsque l’on est parvenu à ne le plus faire entrer que d’une ou deux lignes par volée de 25 à 30 coups, & pendant un certain nombre de volées de suite ; à l’égard des pieux, comme ils doivent être moins chargés, on peut se contenter d’un refus de 6 lignes ou même d’un pouce par volée, suivant les circonstances.

Lorsque les pieux ou pilots sont serrés, il faut avoir l’attention d’en couper le bout quarrément sur 2 à 3 pouces, & de faire reserver au fond du sabot autant que cela se peut, afin que le choc du mouton puisse se transmettre immédiatement sur le fond de ce sabot, & non pas sur les cloux dont chaque branche est attachée, ce qui feroit cesser ce sabot & nuiroit à l’enfoncement des pieux.

La tête doit aussi être coupée quarrément sur la longueur du pieu un peu en chanfrain au pourtour, ensuite fretté de fer quelques pouces plus bas, s’il est besoin, pour empêcher qu’elle ne s’écrase ou se fende.

Le choc du mouton aidé de la pesanteur du pilot, le fait d’abord entrer sensiblement ; le terrein qui se reserve pour lui faire place forme ensuite une plus grande résistance.

Ce terrein est aussi ébranlé par la secousse & la réaction des fibres du pilot jusqu’à une certaine distance circulairement, & de plus en plus, à mesure que le pilot s’enfonce. On conçoit qu’il doit se trouver un terme auquel ces résistances & pertes de force employées pour mettre en mouvement le terrein qui environne le pilot, pourront le mettre en équilibre avec la percussion, le pilot n’entrera plus, & au lieu d’un refus absolu, on n’aura qu’un refus apparent.

Si on vient à rebattre ce pilot au bout de plusieurs jours, il pourra encore entrer ; le terrein qui le pressoit latéralement comprime & repousse de proche en proche chaque portion circulaire de terre qui l’environne, la résistance se trouvera diminuée, & la même percussion employée de nouveau sera capable d’un même effet ; c’est aussi ce qui se trouve confirmé par l’expérience.

On a grand intérêt de reconnoître le refus absolu pour cet effet, indépendamment de l’expédient précedent & de ce que l’on pourroit employer un mouton plus pesant en seconde reprise, le moyen le plus certain sera de faire préliminairement les sondes qui ont été proposées ci-devant, puisqu’elles feront connoître d’avance la profondeur & la nature du fonds sur lequel les pilots devront s’arrêter.

L’expérience donne aussi quelquefois à connoître ce refus absolu ; dans un terrein gras, lorsque le pilot est arrivé au refus apparent ou de frottement, l’élasticité de ce terrein fait remonter le pilot autant qu’il a pu entrer par le choc : si le pilot est au contraire parvenu au roc ou terrein ferme, le coup sera plus sec, & le mouton sera renvoyé avec plus de roideur par l’élasticité même de la réaction des fibres comprimées du pilot.

C’est de cette raison de l’élasticité de la part d’un terrein gras & compacte que l’on ne sauroit y enfoncer qu’un certain nombre de pilots, passé lequel ceux qui ont été premierement chassés resortent à mesure que l’on en bat de nouveaux, & cela doit toujours arriver lorsqu’il s’est fait équilibre entre la percussion & la densité nouvellement acquise du terrein par la compression des pilots.

Le terrein pourroit aussi avoir naturellement cette densité & élasticité dont on vient de parler ; pour lors le premier pilot même n’y entrera qu’à une certaine profondeur, & qu’autant que la surface du terrein pourra s’élever pour lui faire place, cela arrive ainsi dans la glaise pure & verte, lorsqu’elle est un peu ferme.

On pourroit faire que les pilots que l’on auroit pu chasser dans un terrein un peu gras & élastique, n’en sortiroient point par la chasse d’un nouveau pilot ; mais celui-ci n’y entreroit que comme le pourroit faire celui du dernier article, il suffiroit pour cela de battre les pilots le gros bout en bas : en voici la raison.

Lorsque les pilots sont chassés le petit bout en bas, leur surface conique se trouvant chargée de toute part, à cause de l’élasticité supposée dans ce terrein, (quand on vient à chasser un pilot aux environs) les chocs qui se font perpendiculairement à la surface du cône, se décomposent en deux autres ; les uns qui sont dans le sens horisontal se détruisent, & les autres qui sont suivant la direction de l’axe, soulevent le pilot, & le font ressortir en partie, il doit arriver le contraire, & pour la même raison, lorsque le pilot est chassé le gros bout en bas ; ainsi, loin de pouvoir sortir, les chocs qu’il éprouve à sa surface ne tendent qu’à le faire enfoncer, suivant son axe, s’il y a moyen.

Lorsque l’on se propose de battre plus d’une ou deux files de pieux ou pilots, comme quand il est question de fonder la pile ou la culée d’un pont, il faut commencer par ceux du milieu, nommés pilotis de remplage, s’éloignant successivement du milieu, & finissant par ceux du pourtour extérieur que l’on nomme pilotis de bordage : on donne par ce moyen au terrein la facilité de se porter de proche en proche vers le dehors de l’enceinte que l’on a à piloter, & on peut les enfoncer plus avant, que si l’on suivoit une marche contraire ; car ce terrein se trouveroit pour lors de plus en plus serré vers le milieu de la fondation, & les pilotis y entreroient beaucoup moins.

On pourroit alléguer contre cette opinion, que les pilots de bordage étant battus les premiers, pourront aussi être chassés plus avant, ce qui sera avantageux dans les terreins sableux, à cause des affouillemens auxquels le pié des pilots se trouveroit moins exposé ; qu’à l’égard de ceux du remplage, si on a soin de les chasser tous au refus, ils seront également propres au fardeau que la percussion du mouton leur aura donné la faculté de porter.

Cette percussion, comme on va le voir, seroit bien suffisante pour que l’on n’eût rien à appréhender de la part du tassement des pilots dans les premiers tems ; mais, comme on l’a fait remarquer précédemment, le terrein trop comprimé dans l’intérieur de la fondation tendra peu-à-peu à s’en écarter. La résistance occasionnée par le frottement diminuera, & les pilots pourront s’affaisser par cette premiere raison.

L’écartement du terrein poussera aussi les pilots avec d’autant plus d’avantage, que la force sera continuelle & lente, suivant les principes de la méchanique ; on peut remarquer que le fardeau qui agira sur la tête des pilots, suivant une direction perpendiculaire à celle de la poussée de ces sables, ne pourra en arrêter ou diminuer en aucune sorte l’effet : les pilots pourront donc aisément s’écarter par leur bout, n’étant d’ailleurs point engagés dans un terrein assez solide, ainsi qu’on le suppose ; ce qui formera une cause puissante d’affaissement & de destruction, d’où il suit que la premiere méthode que l’on vient d’expliquer, est préférable à tous égards.

Il est présentement question d’examiner quelle est la force de la percussion du mouron que l’on emploie à chasser les pieux, afin de connoître jusqu’à quel point il faudra les battre, pour être en état de porter une certaine charge déterminée, indépendamment de la résistance du terrein solide, lorsqu’ils y seront parvenus ; on aura pour lors une sûreté de plus, vû l’incertitude où l’on peut quelquefois se trouver, d’avoir atteint le roc, ou autre terrein ferme.

Suivant des expériences de M. de Camus, gentilhomme lorrain[2], & autres faites sur le battage des pilots dans les travaux des ponts & chaussées, il paroît que la force du choc du mouton est proportionnée à la hauteur de sa chûte, laquelle hauteur est comme le quarré de la vîtesse acquise à la fin de cette chûte.

Le tems employé par les hommes pour lever le mouton, est en effet proportionné à son élevation, & on a lieu d’en attendre une quantité de mouvement qui soit proportionnée à la hauteur de la chûte : ces expériences sont aussi conformes à celles faites sur la chûte des corps dans la cire & la glaise où ils se sont enfoncés, en proportion de la hauteur des chûtes. Voyez l’Histoire de l’académie des Sciences, pour l’année 1728, pag. 73 & suiv.

On voit, suivant ces expériences, que la force d’un seul coup de mouton sera équivalente à celle de plusieurs autres dont la somme des chûtes lui seroit égale ; ainsi deux coups d’un même mouton, par exemple, tombant chacun de deux piés de hauteur ; ou dont l’un viendroit de trois piés, & l’autre d’un pié, seront, pour l’effet, égaux à un seul coup dont le mouton seroit élevé de quatre piés de hauteur.

Ce principe mérite cependant une exception dans la pratique, à cause de la perte occasionnée par le branlement du terrein, & autres causes physiques mentionnées au présent memoire, qui pourroient rendre la percussion de nul effet, si le mouton étoit plus élevé ; aussi est-on dans l’usage de donner quatre piés & plus d’élevation ou de chûte au mouton : ce que l’on vient de dire à l’article précédent, n’aura donc lieu que pour le plus grand effet que l’on doive attendre de la percussion dans le battage des pilots, & il en resultera toujours que le declic qui donne la facilité d’élever le mouton beaucoup plus haut que la sonnette, n’éprouvera que peu d’avantage à cet égard, & que ce sera de la pesanteur seule du mouton que l’on aura lieu d’attendre le plus d’effet pour battre les gros pieux ; aussi voit-on que l’on a été obligé quelquefois d’avoir recours à des moutons de quatre mille livres, pour des pieux de quarante-cinq à cinquante piés de long, & de vingt à vingt-quatre pouces de grosseur à la tête, tels que les pieces de palées du pont de bois actuel de Saumur.

La force d’un mouton ordinaire de douze cens livres de pesanteur suffit à peine sur un tel pieu pour en ébranler la masse ; il y a une perte inévitable d’une partie considérable de la force, celle qui est employée à la compression des fibres, & à résister à leur élasticité ou réaction, avant qu’elle puisse arriver à la pointe du pieu, & percer le terrein. Cette perte se trouve encore augmentée en raison de la longueur du pieu, & du plus ou moins de rectitude, par la difficulté de placer la percussion verticalement dans la direction de son axe, l’obliquité presque inévitable de cette percussion occasionne un balancement nommé dardement, qui augmente son élasticité, & diminue d’autant l’effet du choc.

[3] On voit par l’expérience de M. Mariotte, que le choc d’un corps de deux livres deux onces tombant de sept pouces de hauteur, est équivalente à la pression qu’occasionneroit un poids de quatre cens livres ; ainsi la force d’un même poids de deux livres deux onces tombant de quatre piés de hauteur, qui est celle à laquelle on éleve communément le mouton, sera, en raison de ces hauteurs, de deux mille sept cens quarante-deux livres , & pour un mouton de six cens livres, de plus de sept cens soixante-treize milliers pour le cas du refus, car lorsque le pilot entre encore, il s’échappe en partie à l’effet de la percussion.

En matiere de construction, il convient de rendre la résistance toujours supérieure ; ainsi en la faisant double, il paroît que l’on pourroit charger un pieu chassé de la sorte, d’un poids de plus de trois cens quatre-vingt milliers, supposé qu’il soit assez fort par lui-même pour le porter.

On a vu ci-devant qu’un pilot de neuf pouces de grosseur, excédant de trois piés par sa tête le terrein dans lequel il est chassé, ne doit être chargé que d’un poids d’environ cent onze milliers, un pilot d’un pié de grosseur rédte. qui est un des plus forts que l’on emploie, porteroit, dans la raison du cube de son diametre comparé à celui du diametre du pilot précédent, environ deux cens soixante-quatre milliers ; ainsi la percussion d’un mouton de six cens livres pourroit donner plus de force qu’il n’est nécessaire pour le poids que doit porter un tel pilot.

Les petits pilots sont battus à la sonnette ; il convient de chasser les gros pilots, ainsi que les pieux au declic ; la hauteur de l’élevation du mouton dans le premier cas, est d’environ quatre piés, & celle pour le declic, depuis quatre piés jusqu’à douze ou environ, ce qui donne huit piés de hauteur réduite.

Si l’on veut présentement savoir quel sera le poids du mouton, & la hauteur nécessaire à sa chûte pour donner à un pieu ou à un pilot chassé au refus, une percussion équivalente au double du poids qu’il pourra porter :

En supposant le mouton seulement d’une livre de pesanteur, sa force de percussion sera pour élevation à la sonnette, suivant l’expérience de M. Mariotte que l’on a rapportée ci-devant, de mille deux cens quatre-vingt-dix livres ; & celle pour le declic, de deux mille cinq cens quatre-vingt livres : cette connoissance rend le calcul que l’on se propose, fort facile ; il suffit pour cela de diviser le poids qu’un pilot de moyenne grosseur peut porter, dans le cas de l’équilibre, par mille deux cens quatre-vingt-dix livres, lorsqu’il s’agira d’un gros pilot & d’un pieu qui devra être chassé au declic, afin de conserver la résistance double dans tous les cas.

On vient de voir par exemple qu’un pilot de douze pouces de grosseur peut porter deux cens soixante-quatre milliers ; divisant le double de ces poids mille deux cens quatre-vingt-dix livres, il viendra pour le poids du mouton qu’il faudra employer avec la sonnette seulement quatre cens neuf livres ; mais à cause des frottemens & de la perte d’une partie de la force occasionnée par le mouvement que ce pilot communique sur une certaine étendue du terrein qui l’environne, il convient de donner au moins six cens livres de pesanteur au mouton.

En suivant ce que donne le calcul précédent, on auroit aussi un mouton trop foible pour chasser les pieux au déclic par la raison précédente, & de plus, pour celle de la masse du pieu à mettre en mouvement de l’obliquité du choc, & de l’élasticité & dardement dont il a été parlé ci-devant, toutes causes physiques qui ne sauroient être bien appréciées ; ainsi il faut dans ce cas employer des moutons de mille deux cens livres & plus, suivant que les circonstances locales & les expériences l’indiqueront. Article de M. Perronet

Pieux-boureaux, terme de riviere, ce sont des pieces de bois que l’on met près des pertuis, pour y tourner une corde, afin que le bateau n’aille pas si vîte.

Pieux fourchus, terme de Chasse, ce sont les bâtons dont on se sert pour tendre les toiles.


  1. Pour appliquer l’expérience de Muschembroeck, à des pieces rondes, on a réduit dans les calculs qui suivent le bois rond en bois quarré, de même base en superficie.
  2. Traité des forces mouvantes, page 164. Expériences faites en 1744, par M. Soyer, à la fondation du pont de la Boirie, près la Fleche, les pilots étant battus au déclic.
  3. Suivant M. de Camus, traité des forces mouvantes, page 170. Un poids d’une livre un quart, tombant de huit piés de hauteur, occasionne un choc ou une percussion équivalante à la pression d’un poids de 200 livres, ce qui reviendra d’autant mieux à l’expérience de M. Mariote, que l’on croit qu’il y a erreur dans la hauteur de la chûte de l’expérience de M. de Camus ; & que suivant la proportion qu’il indique, elle doit être de 7 pouces, au lieu de huit pouces de chûte.

    On n’ignore pas combien il est difficile ou peut être même impossible d’établir mathématiquement aucun rapport entre les forces mortes & les forces vives ; telle que la pression simple & la percussion ; & on ne l’a entrepris ici que physiquement & d’après l’expérience, pour faire connoître à peu près à quoi on peut l’évaluer : cependant on n’en conclura rien qui puisse intéresser la solidité, si les pilots sont chassés au refus jusqu’au terrein ferme comme on le recommande, & que le poids dont on les devra charger ne puisse pas excéder la moitié de ce qu’ils pourroient porter.