L’Encyclopédie/1re édition/PILUM

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PILUM ou EPIEU, s. m. (Art milit.) arme de jet chez les Romains, que portoient les hastaires & les princes. Cette arme avoit environ sept piés de longueur en y comprenant le fer ; le bois de sa hampe étoit d’une grosseur à être empoigné aisément ; le fer s’avançoit jusqu’au milieu du manche, où il étoit exactement enchâssé & fixé par des chevilles qui le traversoient dans son diametre. Il étoit quarré d’un pouce & demi dans sa plus grande grosseur ; il perdoit insensiblement de son diametre jusqu’à sa pointe, qui étoit très-aiguë, & près de laquelle étoit un hameçon qui retenoit cet énorme stilet dans le bouclier qu’il avoit percé. M. de Folard pouvoit avoir méconnu cette terrible arme de jet, comme presque tous ceux qui en ont parlé. Cet auteur la croit une pertuisane semblable à l’esponton des officiers ; & à la bataille de Régulus, il la donne aux soldats qui formoient la queue des colonnes.

Les savans qui ont écrit du militaire des anciens, ont trouvé obscure la description que Polybe fait du pilum, & ils ne conviennent point de la forme de cette arme. Le P. Montfaucon dans ses antiquités expliquées, représente plusieurs armes des anciens de différens âges, sans déterminer la figure du pilum.

Polybe compare le petit, que les soldats tenoient encore quelquefois dans la main gauche, & qui étoit plus leger que le grand, aux épieux d’usage contre le sanglier. On en peut déduire la forme du grand pilum. En combinant ce que Polybe, Tite-Live, Denis d’Halicarnasse, Appius & Végece en disent, on trouve que le pilum a eu entre six & sept piés de longueur, que la hampe a été deux fois plus longue que le fer qui y étoit attaché, moyennant deux plaques de fer qui s’avançant jusqu’au milieu de la hampe, recevoient les fortes chevilles de fer dont il étoit traversé. Marius ôta une de ces chevilles de fer, & il lui en substitua une de bois, laquelle se cassant par l’effort du coup, faisoit pendre la hampe au bouclier percé de l’ennemi, & donnoit plus de difficulté à arracher le fer. On sait de plus que c’étoit un gros fer massif & pointu, de 21 pouces de longueur, qui au sortir de la hampe avoit un pouce & demi de diametre ; que le pilum étoit quelquefois arme de jet, & quelquefois aussi arme pour se défendre de pié ferme. Les soldats étoient dressés à s’en servir de l’une & de l’autre maniere. Dans la bataille de Lucullus contre Tigrane, le soldat eut ordre de ne pas lancer son pilum, mais de s’en servir contre les chevaux de l’ennemi, pour les frapper aux endroits qui n’étoient point bandés.

Le pilum étoit l’arme particuliere des Romains. Aussi-tôt qu’ils approchoient de l’ennemi à une juste distance, ils commençoient le combat en le lançant avec beaucoup de violence. Par la grande pesanteur de cette arme & la trempe du fer, elle perçoit cuirasse & bouclier, & causoit des blessures considérables. Les soldats étant désarmés du pilum, mettoient à l’instant l’épée à la main, & ils se jettoient sur l’ennemi avec une impétuosité d’autant plus heureuse, que souvent les pilum avoient renversé ses premiers rangs.

Cet usage du pilum se trouve démontré dans les commentaires de César, & sur-tout dans le récit de la bataille de Pharsale. « Il n’y avoit, dit-il, entre les deux armées qu’autant d’espace qu’il en falloit pour le choc. Mais Pompée avoit commandé à ses gens de tenir ferme sans s’ébranler, espérant par-là de faire perdre les rangs & l’haleine aux nôtres, & rompant leur effort, rendre le pilum inutile.... Lorsque les soldats de César virent que les autres ne bougeoient point, il s’arrêterent d’eux mêmes au milieu de la carriere ; & après avoir un peu repris haleine, ils lancerent le pilum en courant, puis ils mirent l’épée à la main, selon l’ordre de César. Ceux de Pompée les reçurent fort bien, car ils soutinrent le choc sans branler, & mirent aussi l’épée à la main après avoir lancé leur pilum ».

La pesanteur du pilum ne permettoit pas de le lancer ou darder de loin. On laissoit les velites fatiguer l’ennemi par leurs javelots, avant que l’action fût générale. Les hastaires & les princes ne se servoient du pilum que quand l’ennemi étoit assez proche. De-là ce proverbe de Végece, pour indiquer la proximité des armées, ad pila & spatas ventum est ; l’affaire en est venue jusqu’aux piles.

La pique des triaires, propre pour le combat de main & celui de pié ferme, étoit plus longue, moins grosse, & par conséquent plus aisée à manier que le pilum, dont on ne faisoit plus de cas lorsque le combat étoit engagé ; les hastaires même & les princes étoient obligés de jetter leur pilum sans en faire usage, quand l’ennemi étoit trop près. César raconte qu’ayant tout-d’un-coup les ennemis sur le corps, au point même de n’avoir pas assez d’espace pour lancer les piles, les soldats furent contraints de les jetter à terre pour se servir de l’épée. Les triaires armés de la pique, attendoient souvent de pié ferme le choc de l’infanterie, comme celui de la cavalerie. Suivant Tite-Live, ils ne quittoient point la pique dans la mêlée ; ils meurtrissoient, dit-il, les visages des Latins avec leurs piques dont la pointe avoit été émoussée dans le combat. On pourroit regarder les triaires comme les piquiers d’autrefois ; il y avoit pourtant des occasions où ils abandonnoient la pique pour se servir de l’épée, qui étoit l’arme dans laquelle les Romains mettoient leur principale confiance.

M. le maréchal de Saxe, qui avoit conçu le projet de mettre l’infanterie sur le pié des légions, propose pour les soldats des armes de longueur, ou des piques mêlées avec les armes à feu, comme des armes équivalentes aux pilums ; mais on ne peut douter que l’arme romaine n’ait été tout-à-fait différente de la pique de ce général, quant à la forme & au service. Mémoires militaires par M. Guischardt. (Q)