L’Encyclopédie/1re édition/PINTADE

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PINTADE, voyez Peintade, s. f. (Ornithol.) Cet oiseau de la côte d’Or, d’Afrique, de Barbarie, de Guinée, de Numidie, de Mauritanie, en un mot de tous ces pays brûlans, étoit fort connu des Romains ; ils l’appelloient avis afra, l’oiseau afriquain. Il ne brille pas par l’éclat de son plumage, mais ses couleurs modestes ne sauroient manquer de contenter les yeux, par la régularité avec laquelle elles sont distribuées. Le pinceau ne peut rien faire de plus exactement symmétrisé ; & c’est aussi de-là que l’oiseau de Numidie a tiré son beau nom de pintade.

On range la pintade sous le genre des poules, d’où vient qu’on l’appelle la poule de Numidie. Elle a tous les attributs & toutes les qualités des poules, crête, bec, plumage, ponte, couvée, soin de ses petits ; ses caracteres distinctifs ont été indiqués ci-dessus.

Les différences des poules pintades sont fort bien désignées par Varron dans ces paroles, grandes, variæ, gibberæ. Grandes, elles sont effectivement plus grosses que les poules communes. Variæ, leur plumage est tout moucheté : il y en a quelquefois de deux couleurs ; les unes ont des taches noires & blanches, disposées en forme de rhombes, & les autres sont d’un gris plus cendré ; toutes sont blanches sous le ventre, au-dessous & aux extrémités des aîles. Gibberæ ; leur dos en s’élevant forme une espece de bosse, & représente assez naturellement le dos d’une petite tortue ; cette bosse n’est cependant formée que du replis des aîles, car lorsqu’elles sont plumées, il n’y a nulle apparence de bosse sur leur corps ; mais ce qui la fait paroître davantage, c’est que leur queue est courte & recourbée en bas, & non pas élevée & retroussée en haut comme celles des poules communes.

La pintade a le col assez court, fort mince, & légerement couvert d’un duvet. Sa tête est singuliere ; elle n’est point garnie de plumes, mais revétue d’une peau spongieuse, rude & ridée, dont la couleur est d’un blanc bleuâtre ; le sommet est orné d’une petite crête en forme de corne, qui est de la hauteur de cinq à six lignes : c’est une substance cartilagineuse. Gesner la compare au corno du bonnet ducal que porte la doge de Venise ; il y a pourtant de la différence, en ce que le corno du bonnet ducal est incliné sur le devant comme la corne de la licorne, au lieu que la corne de la pintade est un peu inclinée en arriere comme celle du rhinoceros. De la partie inférieure de la tête pend de chaque côté une barbe rouge & charnue, de même nature & de même couleur que la crête des coqs. Sa tête est terminée par un bec trois fois plus gros que celui des poules communes, très-pointu, très-dur, & d’une belle couleur rouge.

La pintade pond & couve de même que les poules ordinaires : ses œufs sont plus petits & moins blancs ; ils tirent un peu sur la couleur de chair, & sont marquetés de points noirs. On ne peut guere accoutumer la pintade à pondre dans le poulailler ; elle cherche le plus épais des haies & des brossailles, où elle pond jusqu’à cent œufs successivement, pourvu qu’on en laisse toujours quelqu’un dans son nid.

On ne permet guere aux pintades domestiques de couver leurs œufs, parce que les meres ne s’y attachent point, & abandonnent souvent leurs petits ; on aime mieux les faire couver par des poules d’inde, ou par des poules communes. Les jeunes pintades ressemblent à des petits perdreaux : leurs piés & leur bec rouge joint à leur plumage, qui est alors d’un gris de perdrix, les rend fort jolies à la vûe. On les nourrit avec du millet ; mais elles sont fort délicates, & très-difficiles à élever.

La pintade est un oiseau extrèmement vif, inquiet & turbulent ; elle court avec une vîtesse extraordinaire, à-peu-près comme la caille & la perdrix, & ne vole pas fort haut ; elle se plaît néanmoins à percher sur les toîts & les arbres, & s’y tient plus volontiers pendant la nuit que dans les poulaillers. Son cri est aigre, perçant, désagréable, & presque continuel : du reste elle est d’humeur querelleuse, & veut être la maîtresse dans la basse-cour. Les plus grosses volailles, & même les poules d’inde, sont forcées de lui céder l’empire. La dureté de son bec, & l’agilité de ses mouvemens, la font redouter de toute la gent volatile.

Sa maniere de combattre est à-peu-près semblable à celle que Salluste attribue aux cavaliers numides : « Leurs charges, dit-il, sont brusques & précipitées ; si on leur résiste, ils tournent le dos, & un instant après font volte face : cette perpétuelle alternative harcelle extrèmement l’ennemi ». Les pintades qui se sentent du lieu de leur origine, ont conservé le génie numide. Les coqs d’inde glorieux de leur corpulence, se flattent de venir aisément à bout des pintades ; ils s’avancent contre elles avec fierté & gravité, mais celles-ci les désolent par leurs marches & contremarches : elles ont plûtôt fait dix tours & donné vingt coups de bec, que les coqs d’inde n’ont pensé à se mettre en défense.

Les pintades nous viennent de Guinée : les Génois les ont apportées en Amérique dès l’an 1508, avec les premiers negres, qu’ils s’étoient engagés d’amener aux Castillans. Les Espagnols n’ont jamais pensé à les rendre domestiques ; ils les ont laissé errer à leur fantaisie dans les bois & dans les savannes, où elles sont devenues sauvages. On les appelle pintades marones ; c’est une épithete générale qu’on donne dans les Indes à tout ce qui est sauvage & errant. Lorsque les François commencerent à s’y établir, il y en avoit prodigieusement dans leurs cantons ; mais ils en ont tué une si grande quantité, qu’il n’en reste presque plus.

Entre les auteurs romains qui ont parlé de la pintade, les uns l’ont confondue avec la méléagride, & n’en ont fait qu’une seule espece. Tels sont Varron, Columelle & Pline. D’autres les ont distinguées, & en ont fait deux diverses especes ; tels sont Suétone, suivi par Scaliger, avec cette différence que Scaliger prétend mettre Varron de son côté, en quoi il est abandonné de ceux même qui suivent son sentiment sur la diversité de la pintade & de la méléagride, & en particulier de M. Fontanini, archevêque titulaire d’Ancire, lequel a donné une curieuse dissertation sur la pintade, dont on trouvera l’extrait dans les mem. de Trévoux, année 1729, au mois de Juin ; cependant le P. Margat a combattu le sentiment de M. Fontanini, dans le recueil des lettres édifiantes.

La pintade faisoit chez les Romains les délices des meilleures tables, comme il paroît par plusieurs passages d’Horace, de Pétrone, de Juvenal & de Varron ; ce dernier prétend qu’elle n’étoit recherchée que par les gourmands, propter fastidium hominum, c’est-à-dire pour piquer leur goût, & les remettre en appétit. Pline dit, veneunt magno pretio propter ingratum virus, expression assez difficile à entendre, mais qui vraissemblablement ne veut pas dire qu’on vendoit cher les pintades, parce qu’elles étoient détestables au goût. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Pintade, (Diete.) La chair de cet oiseau est très savoureuse & très-salutaire. Les experts en bonne-chere prétendent que son goût ne ressemble à celui d’aucune volaille, & que ses différentes parties ont différens goûts. Les gens qui ne sont pas si fins trouvent que la viande de cet oiseau a beaucoup de rapport avec celle de la poule d’inde. Voyez Poule d’inde, diete. On peut assurer en général que c’est un très-bon aliment. (b)