L’Encyclopédie/1re édition/PIRATE

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PIRATE, s. m. (Marine.) on donne ce nom à des bandits, qui, maîtres d’un vaisseau, vont sur mer attaquer les vaisseaux marchands pour les piller & les voler. Ils se retirent pour l’ordinaire dans des endroits écartés & peu fréquentés, où ils puissent être à l’abri de la punition qu’ils méritent.

On aura de la peine à croire que la piraterie ait été honorable, & l’emploi des Grecs & des Barbares, c’est-à-dire, des autres peuples qui cherchoient des établissemens fixes, & les moyens de subsister. Cependant Thucidide nous apprend, dès le commencement de son histoire : « que lorsque les Grecs & les Barbares, qui étoient répandus sur la côte & dans les îles, commencerent à trafiquer ensemble ; ils firent le métier de pirates sous le commandement des principaux, autant pour s’enrichir, que pour fournir à la subsistance de ceux qui ne pouvoient pas vivre par leur travail ; ils attaquoient les bourgs, les villes qui n’étoient pas en état de se défendre, & les pilloient entierement : ensorte que par ce moyen, qui bien loin d’être criminel, passoit pour honorable, ils subsistoient & faisoient subsister leur nation ».

L’historien ajoute que l’on voyoit encore des peuples de la terre, qui faisoient gloire du pillage ; & dans les anciens poëmes, on voit de même que, lorsqu’on rencontroit dans le cours de la navigation quelque navire, ils se demandoient réciproquement s’ils étoient pirates. Mais il y apparence que le métier de pirate, n’a pas été long-tems un métier honorable ; il est trop contraire à toutes sortes de droits, pour n’être pas odieux à tous les peuples qui en souffrent des dommages considérables.

On convient que les Egyptiens & les Phéniciens commencerent à exercer le commerce par la voie de la mer ; les premiers s’emparerent de la mer Rouge, & les autres de la Méditerranée, sur laquelle ils établirent des colonies, & bâtirent des villes qui ont été depuis fameuses ; ils y transporterent l’usage de la piraterie & du pillage, & quoiqu’on ait souvent tâché de les détruire, comme étant des voleurs publics dignes des plus cruels supplices ; ils se trouverent en si grand nombre sur la Méditeranée, qu’ils se rendirent redoutables aux Romains qui chargerent Pompée de les combattre.

On méprisa d’abord des gens errans sur la mer, sans chef, sans discipline : la guerre contre Mitridate étoit un objet plus pressant, & occupoit entierement le sénat, qui d’ailleurs étoit divisé par les brigues des principaux citoyens. Ensorte que les pirates profitant de l’occasion, s’aggrandirent & s’enrichirent par le pillage des villes situées sur le bord de la mer, & par la prise de ceux qu’ils rencontroient. Plutarque a même remarqué que des personnes considérables par leurs richesses & par leur naissance, armerent des vaisseaux, où ils s’embarquerent & se firent pirates, comme si par la piraterie on pouvoit acquérir beaucoup de gloire.

Il faut avouer que de la maniere dont Plutarque nous décrit la vie des corsaires, il n’est pas surprenant que des personnes riches, & même d’une famille illustre, aient pris leur parti. Leurs vaisseaux étoient magnifiques, l’or & la pourpre y éclatoient de toutes parts, leurs rames mêmes étoient argentées ; & s’étant rendus maîtres d’une partie de la côte maritime, ils descendoient pour se reposer, & tâchoient de se dédommager de leurs fatigues par toutes sortes de débauches. On n’entendoit, dit Plutarque, tout le long de la côte que des concerts de voix & d’instrumens ; & ils soutenoient les dépenses qu’ils faisoient, par les grosses rançons qu’ils exigeoient des personnes & des villes, & même par le pillage des temples.

Les Romains commençant à se ressentir du voisinage des pirates, qui causoient une diserte de denrées, & une augmentation de prix à toutes choses ; on résolut de leur faire la guerre, & l’on en donna la commission à Pompée, qui les dissipa dans l’espace de quarante jours, & les détruisit aisément par la douceur ; au lieu de les faire mourir, il les relegua dans le fond des terres, & dans des lieux éloignés des bords de la mer. C’est ainsi qu’en leur donnant moyen de vivre sans piraterie, il les empêcha de pirater. (D. J.)