L’Encyclopédie/1re édition/PISE

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PISE, (Géog. mod.) ville d’Italie en Toscane, sur la riviere d’Arno, dans une plaine unie. Cette ville très-ancienne a été la capitale d’une république qui se rendit fameuse par ses conquêtes en Afrique, & dans la Méditerranée, où elle s’étoit emparée sur les Sarrazins des îles Baléares, de Corse & de Sardaigne. Son port situé à cinq milles de l’embouchure de l’Arno dans la mer, étoit un lieu d’un très-grand commerce.

Elle formoit au treizieme & quatorzieme siecle, une république florissante, qui mettoit en mer des flottes aussi considérables que celles de Gènes ; mais les Florentins assiégerent la ville de Pise, & la prirent en 1406. De ville libre qu’elle étoit, elle devint sujette, & n’a pu se relever depuis. Toutes ses rues tirées au cordeau, sont couvertes d’herbes : elles contiennent à peine quinze milles ames ; & cent mille habitans ne suffiroient pas pour les remplir.

L’évêché de cette ville fut érigé en métropole à la fin du onzieme siecle. La cathédrale est belle, quoique bâtie à l’antique. L’université fondée en 1339, a peu d’étudians. Pise est, à la vérité, le chef-lieu de l’ordre des chevaliers de S. Etienne, institué en 1561, mais cet ordre ne lui donne aucun lustre. Il s’est tenu dans cette ville deux conciles qui ne lui ont pas été avantageux ; l’un en 1409, & l’autre en 1511.

Elle est séparée en deux par l’Arno qu’on passe sur trois ponts, dont l’un est de marbre blanc. Ses fortifications sont mauvaises : sa situation est à 3 milles de la mer, 14 de Livourne, 12 sud-ouest de Lucques, 45 ouest de Florence. Long. (suivant Cassini) 27. 52. 30. latit. 43. 42.

Le lecteur peut consulter sur Pise, l’ouvrage de Pietro Cardosi, intitulé Memorie della gloria di Pisa, ainsi que les bibliographes, sur les gens de lettres qui sont nés dans cette ville : je ne parlerai que d’un seul nommé Albirzi ou Bartélemi de Pise, parce qu’il fit en cette ville profession dans l’ordre de S. François, où il fleurissoit vers l’an 1380. Un de ses écrits, d’un caractere extrèmement singulier, & sans lequel il seroit sans doute demeuré dans l’obscurité la plus profonde, l’a rendu l’un des auteurs les plus connus de ces derniers siecles. Ce sont les fameuses Conformités de la vie de saint François avec celle de J. C. qu’il composa en 1389, & qu’il présenta au chapitre général de son ordre assemblé à Assise en 1399. Il en reçut non-seulement une approbation universelle, mais même la récompense la plus glorieuse à laquelle un homme de son état pût jamais s’attendre ; on lui donna l’habit complet que saint François avoit porté pendant sa vie.

Le livre des Conformités fut imprimé diverses fois dans le xv. & xvj. siecle, & ces sortes d’éditions sont d’une rareté extrème. L’on conserve précieusement le manuscrit de cet ouvrage dans la bibliotheque du duc d’Urbin.

La premiere édition est de Venise, mais sans indication d’imprimeur, de date ni de format : on sait cependant qu’elle est in-folio, & il y en a un exemplaire dans la bibliotheque de l’empereur.

La seconde & la troisieme édition ne sont qu’un abrégé de l’ouvrage intitulé li Fioretti di san Francisco assimilati alla vita & alla passione di nostro Signore, toutes les deux imprimées à Venise, l’une en 1480, & l’autre en 1484, in-4°.

La quatrieme édition intitulée Opus aureæ & inexplicabilis bonitatis & continentiæ conformitatum vitæ beati Francisci ad vitam Domini nostri Jesu Christi, &c. a été faite à Milan en 1510, in-folio, elle est précédée d’une préface de François Zeni, vicaire général des Franciscains italiens.

La cinquieme édition portant le même titre, a été donnée par Jean Mapelli, franciscain, & a paru de même à Milan en 1513, .in-folio Cette édition ne differe en rien de la précédente. Aux titres de ces deux dernieres éditions, l’on voit les armes des Franciscains, au bras nud de Jesus-Christ, & au bras vêtu & stigmatisé de saint François, passés en sautoir, & traversés d’une grande croix posée en pal, & surmontée de son écriteau J. N. R. J On a même remarqué que dans ces armoiries, le bras de S. François occupe la place d’honneur, & que celui de Jesus-Christ est au-dessous.

Dès que les esprits commencerent à s’éclairer, on déclama fortement contre les superstitions, les impertinences & les impiétés dont cet ouvrage étoit rempli. La premiere réfutation qui s’en fit, parut d’abord en Allemagne, sans nom de ville ni d’imprimeur, mais en 1511, sous le titre de Der Barfusser Munch Eleuspiegel und alcoran, avec une préface de Luther. Cette réfutation est d’un ministre luthérien du pays de Brandebourg, nommé Erasme Albere. Elle reparut de nouveau à Wittemberg en 1542, in-4o. & 1614, in 8°.

Cette premiere réfutation a été paraphrasée en latin, & imprimée sous divers titres : 1°. Alcoranus Franciscanorum, seu blasphemiarum & nugarum lerna, de stigmatisato idolo quod Franciscum vocant ex libro Conformitatum, &c. Francofurdiæ, 1542, in-8o. 2°. Alcoranus Franciscanorum, sive Epitome præcipuas fabulas & blasphemias complectens, eorum qui beatum Franciscum ipsi Christo æquare ausi sunt, id que cum salubri antidoto ; Genevæ, 1578, in-8o.

Conrad Badius, imprimeur de Genève, mit en françois cette réfutation, & la publia sous ce titre l’Alcoran des Cordeliers, tant en latin qu’en françois, à Genève, 1556. in-12. Il y joignit bien-tôt après un second livre, & le tout parut dans son imprimerie en 1560 en deux volumes in-12. La troisieme édition vit aussi le jour à Genève en 1578, & a été réimprimée dans la même ville en 1644 & 1664, in-8o. Enfin il en parut une édition nouvelle à Amsterdam en 1734 en 2 vol. in-12. avec de fort jolies figures imaginées par le célébre Bernard Picart, & gravées sous sa direction. Je ne parle pas ici des traductions latines & flamandes : ce détail me meneroit trop loin.

La seconde réfutation des Conformités a été faite en Italie par Pietro Paolo Vergerio ; & ce fut de purs motifs de religion qui l’engagerent à cet ouvrage ; cependant sa réfutation fut flétrie, & sa personne mise au nombre des hérétiques

Je laisse à part la réfutation des Conformités par Ofiander, par Volfius, ainsi que celle qui se trouve dans la légende dorée ; il me suffit de dire qu’entre tous les auteurs catholiques & protestans qui se sont attachés à refuter les Conformités, personne ne s’en est plus agréablement & plus solidement acquitté que le savant & ingénieux Bayle, dans les remarques de son article de saint François d’Assise.

Il est vrai que les Franciscains éclairés ont tâché de supprimer les éditions des Conformités, autant qu’il étoit possible, & à en donner de nouvelles éditions différentes ; mais quelques auteurs franciscains ne sentant pas le tort que cet ouvrage leur faisoit, n’ont pu résister à la tentation de le reproduire de tems en tems, sous quelque nouvelle face. Tel est l’ouvrage intitulé, Prodigium naturæ, & gratiæ portentum, hoc est, seraphici patris Francisci, vitæ acta, à Petro de Alva & Astarga, imprimé à Madrid en 1551, in-folio.

On fait l’histoire du P. le Franc, gardien des Cordeliers de la ville de Rheims, & docteur en Théologie de la faculté de Paris : voulant rendre son nom recommandable à la postérité, il fit graver ces paroles en lettres d’or sur une table de marbre, au haut du frontispice du portail des Cordeliers de Rheims : Deo-homini & beato Francisco utrique crucifixo. Cette inscription causa un scandale si général, que M. l’archevêque de Rheims lui commanda de l’ôter au plutôt ; & cet ordre fut accablant pour un homme qui s’imaginoit avoir parfaitement bien rencontré.

Je crois qu’il en étoit de même de Barthélemi de Pise. Ce bonhomme n’avoit eu pour but que de relever fortement la gloire & l’excellence de son patriarche ; il reçut avec des larmes de joie l’approbation du chapitre général des Franciscains, datée du 2 Août 1399, & il ne s’imagina point qu’un ouvrage si nettement approuvé, attireroit tant à lui qu’à son ordre, le mortifiant reproche d’impiété & de blasphème. Il ne jouit pas long-tems des applaudissemens & de la récompense que lui avoit valu son ouvrage ; car deux ans après il mourut extrèmement âgé dans le couvent de Pise, le 10 Décembre 1401. (Le Chevalier de Jaucourt.)