L’Encyclopédie/1re édition/PITANE

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PITANE, (Géog. anc.) 1°. ville de l’Asie mineure, dans la Mysie, proche du Caïcus, de l’embouchure duquel elle étoit éloignée de trente stades. Vitruve, liv. II. c. iij. rapporte qu’on y faisoit des briques qui nageoient sur l’eau, ce qui est appuyé du témoignage de Strabon.

2°. Pitane est un lieu de la Laconie sur le bord du Vasilipotamos (l’ancien Eurotas). La Guilletiere, Lacédémone anc. & nouv. nous assure qu’il y a de l’erreur dans toutes les cartes qui en ont fait une ville, & en ont voulu marquer la position. C’étoit un quartier de Lacédémone, ou tout-au-plus un fauxbourg détaché de la ville. Pausanias, qui est très-exact à nommer les villes de Laconie, ne dit pas un mot de Pitane. Par ce silence il demeure si bien d’accord que ce lieu doit être confondu avec Sparte, qu’il parle d’un tribunal de Lacédémone appellé la jurisdiction des Pitanates, où apparemment ceux du quartier venoient répondre. Plutarque le marque assez dans son traité de l’Exil par ces paroles : « Tous les Athéniens ne demeurent pas dans le Colytos ; tous les Corinthiens dans le Cranaou, & tous les Lacédémoniens dans le Pitane ». Le Colytos étoit un quartier d’Athènes ; le Cranaou un fauxbourg de Corinthe ; & il n’y auroit eu ni proportion, ni justesse dans la comparaison de Plutarque, si le Pitane n’eût été dans la même proximité de Lacédémone.

La premiere église des Chrétiens fut autrefois bâtie dans ce lieu-là, quand S. André annonça l’Evangile à Lacédémone.

Ménélas reçut la naissance à Pitane ; entre plusieurs témoignages, le chœur de la Troade d’Eurypide le justifie quand il fait des imprécations contre ce fils d’Atrée, souhaitant qu’il ne revienne jamais dans Pitane sa patrie. Ne soyons pas surpris que la plûpart des historiens ayent parlé de ce petit fauxbourg, puisque c’étoit un fauxbourg de Lacédémone.

On voit encore quelques ruines de Pitane en venant de Magula à Misitra. Au-dessus de ces ruines est un vignoble qui produit le meilleur vin de la Morée, & qui paroît être le même terroir où Ulysse planta une vigne de sa propre main en l’honneur de Pénélope ; car la situation de ce vignoble quadre parfaitement à la description d’Athénée. Lisez ce qu’il en a dit dans son premier livre, & n’oubliez pas d’y voir les vers d’Alcman. Du tems de ce poëte gourmet, le vin de Pitane avoit une odeur de fleurs, & même encore aujourd’hui il sent la framboise.

3°. Pitane, ville de l’Eolide voisine de la Troade. Cette Pitane est célebre par la naissance d’Arcésilas, disciple du mathématicien Autolycus son compatriote, & qu’il suivit à Sardes ; ensuite il vint à Athènes pour y prendre des leçons de Théophraste & de Crantor. Il fut le fondateur de la moyenne académie, comme Socrate avoit été le pere de l’ancienne, & comme Carnéade le fut de la nouvelle. Cicéron nous la dépeint pour le plus déterminé sceptique de tous les académiciens.

Eumenes I. roi de Pergame & Attalus son successeur, le comblerent de bienfaits. Il étoit lui-même l’homme du monde le plus généreux ; il faisoit du bien, & ne vouloit pas qu’on le sût ; il pratiquoit ce précepte de l’Evangile avant qu’il eût été annoncé. Il fit une visite à Ctesibius son ami pauvre & malade, afin d’avoir occasion de lui glisser adroitement & en cachette sous l’oreiller, une bourse pleine d’argent. Une autre fois il prêta sa vaisselle d’argent à un ami qui devoit donner un festin, & il refusa de la reprendre lorsqu’on la lui reporta.

Ses dogmes tendoient au renversement des préceptes de la morale, & néanmoins il la pratiquoit, excepté dans les plaisirs de l’amour & de la table. Il mourut d’avoir trop bû à l’âge de 75 ans, la quatrieme année de l’olympiade 134.

Il souffroit la douleur en stoïcien, quoiqu’il fût l’antagoniste du fondateur de cette secte. Au fort des tourmens de la goutte. « Rien n’est passé de-là ici », dit-il, en montrant son cœur à Carnéades l’épicurien, qui s’affligeoit de le voir si souffrant.

Il avoit une pensée fort bonne & fort vraie sur la mort : il disoit « que de tous les maux c’étoit le seul dont la présence n’incommodât personne, & qui ne chagrinât qu’en son absence. »

Nous avons sa vie dans Diogene Laerce, & son article dans Bayle ; mais pour ce qui regarde sa doctrine, voyez dans ce Dictionnaire les mots Académiciens & Scepticiens. (Le Chevalier de Jaucourt.)