L’Encyclopédie/1re édition/PLESSIS-LEZ-TOURS

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PLESSIS-LEZ-TOURS, (Geog. mod.) ancienne maison royale de France, près de Tours, bâtie par Louis XI. qui y fonda une collégiale & un couvent de Minimes, le premier qu’ils aient eu en France.

C’est au Chateau de Plessis-lez-Tours que mourut Louis XI. le 30 Aout 1483, âgé de 60 ans. Peu de tyrans, dit M. de Voltaire, ont fait périr plus de citoyens par les mains des bourreaux, & par des supplices plus recherches. Les cachots, les cages de fer, les chaînes dont on chargeoit ces victimes, sont les monumens qu’il a laissés de son caractere. Le supplice de Jaquet d’Armagnac, Duc de Nemours, qu’il fit juger par des commissaires, les circonstances & l’appareil de sa mort, le partage de ses dépouilles, les prisons où il enferma ses jeunes enfans, sont autant de traits odieux.

On avoit vu l’héroïsme éclater sous Charles VII ; sous Louis XI, il n’y eut nulle vertu ; le peuple fut tranquille comme les forçats le sont dans une galere. Cependant ce cœur artificieux & dur avoit deux penchans qui auroient dû mettre de l’humanité dans ses mœurs : c’étoit l’amour & la dévotion ; mais son amour tenoit de son caractere, & sa dévotion n’étoit que la crainte d’une ame coupable. Toujours couvert de reliques, & portant à son bonnet sa notre-Dame de plomb, on prétend qu’il lui demandoit pardon de ses forfaits, avant de les commettre. Il donna par contrat la comté de Boulogne à la Sainte Vierge. La piété ne consiste pas à faire la Sainte Vierge Comtesse, mais à s’abstenir des mauvaises actions.

Sentant sa mort approcher, renfermé dans son château, inaccessible à ses sujets, entouré de gardes, dévoré d’inquiétudes, il fit venir de Calabre un hermite nommé François Martorillo, révéré depuis sous le nom de S. François de Paule. Il se jette à ses piés ; il le supplie, en pleurant, d’intercéder auprès de Dieu, & de lui prolonger la vie ; comme si l’ordre éternel établi par l’être suprème, eût dû changer à la voix d’un calabrois dans un village de France, pour laisser dans un corps usé, une ame foible & perverse, plus long-tems que ne comportoit la nature.

Tandis qu’il demande ainsi la vie à un homme étranger, incapable de lui être utile, il croit en ranimer les restes, en s’abreuvant du sang qu’on tire à de jeunes enfans, dans la fausse espérance de corriger l’âcreté du sien. Enfin on ne peut éprouver un sort plus triste dans le sein des prospérités, que celui d’un malheureux prince qui n’a d’autres sentimens que l’ennui, les remords, la crainte, & le désespoir d’être haï.

Louis XI, dit Comines, étoit léger à parler des gens, sauf de ceux qu’il craignoit ; car il étoit assez craintif de sa propre nature… Il répétoit souvent que tout son conseil étoit dans sa tête, parce qu’en effet il ne consultoit personne : ce qui fit dire à l’amiral de Brezé, en le voyant monter sur un bider très foible, qu’il falloit que ce cheval fût plus fort qu’il ne paroissoit, puisqu’il portoit le roi & tout son conseil. Il étoit jaloux de son autorité, au point qu’étant revenu d’une grande maladie où il avoit perdu connoissance, & ayant appris que quelques-uns de ses officiers l’avoient empêché de s’approcher d’une fenêtre, apparemment dans la crainte qu’il ne se précipitât, il les chassa tous.

Avare par gout, & prodigue par politique, méprisant les bienséances, incapable de sentimens, confondant l’habileté avec la finesse, préférant celle-ci à toutes les vertus, & la regardant non comme le moyen, mais comme l’objet principal, enfin moins habile à prévenir le danger qu’à s’en tirer, né cependant avec de grands talens dans l’esprit, & ce qui est singulier, ayant relevé l’autorité royale, tandis que sa forme de vie, son caractère, & tout son extérieur auroient semble devoir l’avilir.

Louis XI. avoit augmenté les tailles de trois millions, & levé, pendant vingt ans, quatre millions sept cens mille livres par an, ce qui pouvoit faire environ vingt-trois millions d’aujourd’hui, au lieu que Charles VII. n’avoit jamais levé par an que dix-huit cens milles francs.

Il avoit une plaisante superstition ; il ne vouloit point entendre parler d’affaires le jour des Innocens, il ne vouloit pas non plus prêter serment sur la croix de S. Lo (car l’usage de jurer sur les reliques subsistoit encore) ; cette croix de S. Lo l’emportoit alors sur toutes les reliques, même sur celles de S. Martin, si révérées & si redoutables sous la premiere race.

Le prétexte de ce prince étoit que c’eut été manquer de respect pour l’instrument de notre salut ; mais un de ses historiens nous apprend que sa répugnance ne venoit que d’une vieille croyance de son tems : ceux qui se parjuroient en jurant sur cette relique, mouroient, croyoit-on alors, misérablement dans l’année, & le bon prince étoit un peu plus attaché à la vie qu’à sa parole.

C’est lui qui a honoré les armoiries des Medicis de l’écusson de France. Il eut d’abord intention de se rendre chef de l’ordre de la Toison, & de la conférer à la mort de Charles le téméraire, comme étant aux droits de la maison de Bourgogne ; mais ensuite il le dédaigna, dit Brantôme, & ne crut pas qu’il lui convînt de se rendre chef de l’ordre de son vassal. Voilà ce que dit de ce prince M. Hainault dans son abrégé de l’histoire de France. Ajoutez-y que le titre de roi très-chrétien fut donné à Louis XI. en 1469.

Jamais prince n’en fut moins digne, & sa donation de Boulogne à la Sainte-Vierge doit plutôt être réputée pour artifice que pour extravagance. Le seul titre du contrat qu’il fit semble justifier cette réflexion. Voici le titre de ce contrat : « Transport de Louis XI. à la Vierge-Marie de Boulogne du droit & titre du fief & hommage du comté de Boulogne, dont releve le comté de Saint-Pol, pour être rendu devant l’image de ladite Dame par ses successeurs, en 1478 ».

Il n’est point nécessaire de rechercher le fond des affaires que ce prince avoit eues pour l’acquisition de ces deux terres : ce sont de ces sentimens dont il est ici question, & non pas des droits de la couronne. Il suffit de savoir qu’il crut que cet acte, tout bizarre qu’il est, étoit utile au bien de ses affaires, puisqu’il s’en avisa & qu’il le fit.

Il n’y a rien d’extraordinaire de consacrer, vouer, dédier le revenu de ses terres au service de Dieu, à l’usage de ses ministres, à l’ornement de leurs temples & de leurs autels ; mais de choisir des puissances célestes pour en faire les objets de notre libéralité ; qu’au lieu de leur demander, ou de feindre d’avoir reçu d’elles, on se soit ingéré de leur donner, comme si elles avoient besoin de nos biens, ainsi que nous avons besoin des leurs ; qu’elles en pussent jouir efficacement, ainsi que nous pouvons jouir des leurs, de leurs lumieres & de leur intelligence, quand il leur plaît de nous en communiquer quelque rayon ; cette fausse libéralité, dis-je, est un indigne artifice, & cependant il réussit à Louis XI. car nous ne voyons pas que de son tems on ait taxé de fraude cette action extraordinaire. Personne ne trouva étrange que ce prince contractât avec la Sainte-Vierge tout comme il auroit contracté avec un autre prince, & qu’il lui fit du-moins par fiction accepter un présent dont il ne demeuroit pas moins maître après cette prétendue libéralité.

Car enfin, est-ce que les baillifs, prevôts & autres officiers de la comté de Boulogne, quand on les auroit appellés les baillifs de la Vierge, ses prevôt & ses officiers, en devoient moins obéir au roi ? Est-ce que l’église de Boulogne jouissant du revenu de la terre, en étoit mieux desservie ? Est-ce que le roi en étoit moins comte pour avoir donné cette comté à la Vierge ? Non assurément. Mais le peuple d’alors ne voyoit pas tout cela comme nous le voyons ; ses vues ne portoient pas assez loin. Il y a eu des tems où l’on a pu hasarder sans crainte toutes sortes d’artifices prétendus religieux. (Le Chevalier de Jaucourt.)