L’Encyclopédie/1re édition/POLOGNE

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POLOGNE, (Géog. mod.) grand royaume d’Europe, borné au nord, par la mer Baltique qui le sépare de la Suede ; à l’orient, par la Tartarie & la Moscovie ; au midi, par le Pont-Euxin, la Valachie, la Moldavie, la Transsylvanie & la Hongrie ; à l’occident, par la Poméranie, le Brandebourg, la Silésie & la Moravie.

Ce royaume étoit autrefois plus vaste ; car il occupoit encore la Silésie, la Livonie, les duchés de Smolensko, de Séverie, de Czernichovie, le palatinat de Kiow, &c. il est malgré cela très-étendu ; sa longueur depuis l’extrémité du Marggraviat de Brandebourg, jusqu’aux frontieres de Moscovie, est de 210 lieues polonoises. Sa largeur depuis le fond de la Pokucie jusqu’au Parnau, en Livonie, est de près de 200 lieues du même pays ; c’est en grande partie ce qu’on appelloit autrefois Sarmatie.

Ce vaste état se divise en trois parties principales, la grande Pologne au nord, la petite Pologne au milieu, & le grand duché de Lithuanie, au sud-est ; Ces trois parties contiennent vingt-sept palatinats, qui ont chacun un gouverneur & un castellan.

Les principales rivieres de la Pologne sont la Vistule, le Bogh, la Varte, la Niemen, le Nieper, & le Niester. Cracovie est la capitale du royaume, & Varsovie la résidence la plus ordinaire des rois polonois de naissance. Long. depuis le 33d. jusqu’au 45. lat. du 47d. jusqu’au 56.

L’histoire & le gouvernement de la Pologne, demandent un article à part ; mais les curieux qui forment des bibliotheques considérables, où ils font entrer l’histoire de toutes les monarchies du monde, peuvent recueillir sur la Pologne les livres suivans ; d’abord pour la géographie, Ortelius, Bertius, Cluvier, Briet, Alexandre Guagnini de Vérone, sarmat. europ. descriptio, & mieux encore Andreæ Cellarii, noviss. descript. Poloniæ. Petri Rzaczinschi, hist. naturalis regni Poloniæ, Sandomiriæ 1720. in-4o.

Plusieurs auteurs ont compilé l’histoire de ce royaume, entr’autres Matthias Mickow, in chronicis ; Sarnic, annal. Polon. Neughbaveri res Polonorum ; Kedlubek, hist. Polon. Les suivans sont plus estimés, Dlugloss, hist. Polon. Martini Cromer, hist. Polon. Hartknock, de republicâ polonicâ. Simon Okolski, orbis polonus ; enfin, on a recueilli en un corps les meilleurs historiens de Pologne.

Les François, comme le Laboureur, Davity, Rochefort, Hauteville, Beaujeu, Massuet, &c. n’ont fait qu’effleurer très-superficiellement l’histoire du gouvernement de Pologne ; mais il n’en est pas de même de l’auteur de la vie de Sobieski ; il a recouru aux sources, & a peint avec goût. Voyez l’article suivant. (D. J.)

Pologne, histoire & gouvernement de, (Hist. & Droit politique) un tableau général de l’histoire & gouvernement de la Pologne, ne peut qu’être utile ; mais quand il est aussi-bien dessiné, que l’a fait M. l’abbé Coyer à la tête de sa vie de Sobieski, il plaît encore ; il instruit, il intéresse, il offre des réflexions en foule au philosophe & au politique ; on en jugera par l’esquisse que j’en vais crayonner. Qu’on ne la regarde pas cette esquisse comme une superfluité, puisque ce royaume est beaucoup moins connu que les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suede & le Danemarck.

D’ailleurs, l’histoire des royaumes héréditaires & absolus, ne produit pas ordinairement le grand intérêt que nous cherchons dans les états libres. La monotonie d’obéissance passive, salutaire si le monarque est bon, ruineuse s’il est méchant, ne met guere sur le théâtre de l’histoire, que des acteurs qui n’agissent qu’au gré d’un premier acteur ; & quand ce premier acteur est sans crainte, il n’a pas le pouvoir lui-même de nous intéresser vivement.

Il n’en est pas ainsi d’un pays dont le roi est électif ; ou ses vertus le portent sur le trône, ou c’est la force qui l’y place. S’il s’éleve par ses vertus, le spectacle est touchant ; si c’est par la force, il attire encore les regards en triomphant des obstacles ; & lorsqu’il est au faîte de la puissance, il a un besoin continuel de conseil & d’action pour s’y maintenir. Le roi, la loi, & la nation, trois forces qui pesent sans cesse l’une sur l’autre, équilibre difficile. La nation sous le bouclier de la loi, pense, parle, agit avec cette liberté qui convient à des hommes. Le roi, en suivant ou en violant la loi, est approuvé ou contredit, obéi ou désobéi, paisible ou agité.

Les Polonois avant le sixieme siecle, lorsqu’ils étoient encore Sarmates, n’avoient point de rois. Ils vivoient libres dans les montagnes & les forêts, sans autres maisons que des chariots, toujours méditant quelque nouvelle invasion ; mauvaises troupes pour se battre à pié, excellentes à cheval. Il est assez étonnant qu’un peuple barbare, sans chef & sans loix, ait étendu son empire depuis le Tanaïs jusqu’à la Vistule, & du Pont-Euxin à la mer Baltique ; limites prodigieusement distantes, qu’ils reculerent encore en occupant la Bohème, la Moravie, la Silésie, la Lusace, la Misnie, le Mecklenbourg, la Poméranie & les Marches Brandebourgeoises. Les Romains qui soumettoient tout, n’allerent point affronter les Sarmates.

Ce paradoxe historique montre ce que peuvent la force du corps, une vie dure, l’amour naturel de la liberté, & un instinct sauvage qui sert de loix & de rois. Les nations policées appelloient les Sarmates des brigands, sans faire attention qu’elles avoient commencé elles-mêmes par le brigandage.

Il s’en faut beaucoup que les Polonois, qui prirent ce nom au milieu du sixieme siecle, aient conservé tout l’héritage de leurs peres. Il y a long-tems qu’ils ont perdu la Silésie, la Lusace, une grande partie de la Poméranie, la Bohème, & tout ce qu’ils possédoient dans la Germanie. D’autres siecles ont encore amené de nouvelles pertes ; la Livonie, la Podolie, la Volhinie, & les vastes campagnes de l’Ukraine ont passé à d’autres puissances ; c’est ainsi que tant de grands empires se sont brisés sous leur propre poids.

Vers l’an 550, Leck s’avisa de civiliser les Sarmates ; sarmate lui-même, il coupa des arbres, & s’en fit une maison. D’autres cabanes s’éleverent autour du modèle. La nation jusqu’alors errante se fixa ; & Gnesne, la premiere ville de Pologne, prit la place d’une forêt. Les Sarmates apparemment connoissoient mal les aigles ; ils en trouverent, dit-on, plusieurs nids en abattant des arbres ; c’est de-là que l’aigle a passé dans les enseignes polonoises. Ces fiers oiseaux font leurs aires sur les plus hauts rochers, & Gnesne est dans une plaine. Leck attira les regards de ses égaux sur lui, & déployant des talens pour commander autant que pour agir, il devint leur maître, sous le nom de duc, pouvant prendre également celui de roi.

Depuis ce chef de la nation jusqu’à nos jours, la Pologne a eu d’autres ducs, des vaivodes, aujourd’hui palatins, des rois, des reines, des régentes & des interregnes. Les interregnes ont été presqu’autant d’anarchies ; les régentes se sont fait haïr ; les reines en petit nombre n’ont pas eu le tems de se montrer ; les vaivodes ne furent que des oppresseurs. Parmi les ducs & les rois, quelques-uns ont été de grands princes ; les autres ne furent que guerriers ou tyrans. Tel sera toujours à-peu-près le sort de tous les peuples du monde, parce que ce sont des hommes & non les loix qui gouvernent !

Dans cette longue suite de siecles, la Pologne compte quatre classes de souverains ; Leck, Piast, Jagellon, voilà les chefs des trois premieres races. La quatrieme qui commence à Henri de Valois, forme une classe à part, parce que la couronne y a passé d’une maison à une autre, sans se fixer dans aucune.

La succession dans les quatre classes montre des singularités, dont quelques-unes méritent d’être connues.

L’an 750 les Polonois n’avoient pas encore examiné si une femme pouvoit commander à des hommes ; il y avoit long-tems que l’Orient avoit décidé que la femme est née pour obéir. Venda regna pourtant & glorieusement ; la loi ou l’usage salique de la France fut ensuite adopté par la Pologne ; car les deux reines qu’on y a vûes depuis Venda, savoir, Hedwige en 1382 & Anne Jagellon en 1575, ne monterent sur le trône, qu’en acceptant les époux qu’on leur désigna pour les soutenir dans un poste si élevé. Anne Jagellon avoit soixante ans, lorsqu’elle fut élûe. Etienne Battori, qui l’épousa pour régner, pensa qu’une reine étoit toujours jeune.

Des siecles antérieurs avoient ouvert d’autres chemins à la souveraineté. En 804, les Polonois furent embarrassés pour le choix d’un maître ; ils proposerent leur couronne à la course : pratique autrefois connue dans la Grece, & qui ne leur parut pas plus singuliere, que de la donner à la naissance. Un jeune homme nourri dans l’obscurité la gagna, & il prit le nom de Lesko II. Les chroniques du tems nous apprennent qu’il conserva sous la pourpre, la modestie & la douceur de sa premiere fortune ; fier seulement & plein d’audace lorsqu’il avoit les armes à la main.

Presque tous les polonois soutiennent que leur royaume fut toujours électif : cette question les intéresse peu, puisqu’ils jouissent. Si on vouloit la décider par une suite de faits pendant six ou sept siecles, on la décideroit contre eux, en montrant que la couronne dans les deux premieres classes, a passé constamment des peres aux enfans ; excepté dans les cas d’une entiere extinction de la maison regnante. Si les Polonois alors avoient pû choisir leurs princes, ils auroient pris parmi leurs palatins des sages tout décidés.

Les eût-on vu aller chercher un moine dans le fond d’un cloître, pour le porter sur le trône, uniquement parce qu’il étoit du sang de Piast ? Ce fut Casimir I. fils d’un pere détesté, Miecislaw II. & d’une mere encore plus exécrable. Veuve & régente, elle avoit fui avec son fils ; on le chercha cinq ans après pour le couronner : la France l’avoit reçû. Les ambassadeurs polonois le trouverent sous le froc dans l’abbaye de Clugny, où il étoit profès & diacre. Cette vue les tint d’abord en suspens : ils craignirent que son ame ne fût flétrie sous la cendre & le cilice ; mais faisant réflexion qu’il étoit du sang royal, & qu’un roi quelconque étoit préférable à l’interregne qui les désoloit, ils remplirent leur ambassade. Un obstacle arrêtoit ; Casimir étoit lié par des vœux & par les ordres sacrés ; le pape Clément II. trancha le nœud, & le cénobite fut roi. Ce n’est qu’à la fin de la seconde classe, que le droit héréditaire périt pour faire place à l’élection.

Le gouvernement a eu aussi ses révolutions : il fut d’abord absolu entre les mains de Leck, peut-être trop : la nation sentit ses forces, & secoua le joug d’un seul ; elle partagea l’autorité entre des vaivodes ou généraux d’armée, dans le dessein de l’affoiblir. Ces vaivodes assis sur les débris du trône, les rassemblerent pour en former douze, qui venant à se heurter les uns les autres, ébranlerent l’état jusque dans ses fondemens. Ce ne fut plus que révoltes, factions, oppression, violence. L’état dans ces terribles secousses, regretta le gouvernement d’un seul, sans trop penser à ce qu’il en avoit souffert : mais les plus sensés chercherent un homme qui sût regner sur un peuple libre, en écartant la licence. Cet homme se trouva dans la personne de Cracus, qui donna son nom à la ville de Cracovie, en la fondant au commencement du septieme siecle.

L’extinction de sa postérité dès la premiere génération, remit le sceptre entre les mains de la nation, qui ne sachant à qui le confier, recourut aux vaivodes qu’elle avoit proscrits. Ceux-ci comblerent les desordres des premiers ; & cette aristocratie mal constituée ne montra que du trouble & de la foiblesse.

Au milieu de cette confusion, un homme sans nom & sans crédit, pensoit à sauver sa patrie : il attira les Hongrois dans un défilé où ils périrent presque tous. Przémillas (c’est ainsi qu’on le nommoit) devint en un jour l’idole du peuple ; & ce peuple sauvage qui ne connoissoit encore d’autres titres à la couronne que les vertus, la placa sur la tête de son libérateur, qui la soutint avec autant de bonheur que de gloire, sous le nom de Lesko I. dans le huitieme siecle.

Ce rétablissement du pouvoir absolu ne dura pas long-tems, sans éprouver une nouvelle secousse. Popiel II. le quatrieme duc depuis Przémislas, mérita par ses crimes d’être le dernier de sa race ; l’anarchie succéda, & les concurrens au trone s’assemblerent à Kruswic, bourgade dans la Cujavie. Un habitant du lieu les reçut dans une maison rustique, leur servit un repas frugal, leur montra un jugement sain, un cœur droit & compatissant, des lumieres au-dessus de sa condition, une ame ferme, un amour de la patrie, que ces furieux ne connoissoient pas. Des ambitieux qui desesperent de commander, aiment mieux se soumettre à un tiers qui n’a rien disputé, que d’obéir à un rival. Ils se déterminerent pour la vertu ; & par-là ils réparerent en quelque sorte tous les maux qu’ils avoient faits pour parvenir au trone ; Piast regna donc au neuvieme siecle.

Les princes de sa maison, en se succédant les uns aux autres, affermissoient leur autorité ; elle parut même devenir plus absolue entre les mains de Boleslas I. dans le dixieme siecle. Jusqu’à lui les souverains de Pologne, n’avoient eu que le titre de duc : deux puissances se disputoient alors le pouvoir de faire des rois, l’empereur, & le pape. A examiner l’indépendance des nations les unes des autres, ce n’est qu’à elles-mêmes à titrer leurs chefs. Le pape échoua dans sa prétention : ce fut l’empereur Othon III. qui touche des vertus de Boleslas, le revétit de la royauté, en traversant la Pologne.

On n’auroit jamais cru qu’avec cet instrument du pouvoir arbitraire (un diplome de royauté, donné par un étranger), le premier roi de Pologne eût jetté les premieres semences du gouvernement républicain. Cependant ce héros, après avoir eu l’honneur de se signaler par des conquêtes, & la gloire bien plus grande d’en gémir, semblable à Servius Tullius, eut le courage de borner lui-même son pouvoir, en établissant un conseil de douze sénateurs, qui pût l’empêcher d’être injuste.

La nation qui avoit toujours obéi en regardant du côté de la liberté, en apperçut avec plaisir la premiere image : ce conseil pouvoit devenir un sénat. Nous avons vu que dès les commencemens elle avoit quitté le gouvernement d’un seul pour se confier à douze vaivodes. Cette idée passagere de république ne l’avoit jamais abandonnée ; & quoique ses princes, après son retour à sa premiere constitution, se succédassent les uns aux autres par le droit du sang, elle restoit toujours persuadée qu’il étoit des cas où elle pouvoit reprendre sa couronne. Elle essaya son pouvoir sur Miecislaw III. prince cruel, fourbe, avare, inventeur de nouveaux impôts : elle le déposa. Ces dépositions se renouvellerent plus d’une fois ; Uladislas Laskonogi, Uladislas Loketek, se virent forcés à descendre du trone, & Casimir IV. auroit eu le même sort, s’il n’eût fléchi sous les remontrances de ses sujets. Poussés à bout par la tyrannie de Boleslas I I. dans le treizieme siecle, ils s’en délivrerent en le chassant.

Une nation qui est parvenue à déposer ses rois, n’a plus qu’à choisir les pierres pour élever l’édifice de sa liberté, & le tems amene tout. Casimir le grand, au quatorzieme siecle, pressé de finir une longue guerre, fit un traité de paix, dont ses ennemis exigerent la ratification par tous les ordres du royaume. Les ordres convoqués refuserent de ratifier ; & ils sentirent dès ce moment qu’il n’étoit pas impossible d’établir une république en conservant un roi.

Les fondemens en furent jettés avant la mort même de Casimir ; il n’avoit point de fils pour lui succéder ; il proposa son neveu Louis, roi de Hongrie. Les Polonois y consentirent ; mais à des conditions qui mettoient des entraves au pouvoir absolu : ils avoient tenté plus d’une fois de le diminuer par des révoltes ; ici c’est avec des traités. Le nouveau maître les déchargeoit presque de toute contribution ; il y avoit un usage établi, de défrayer la cour dans ses voyages ; il y renonçoit. Il s’engageoit pareillement à rembourser à ses sujets les dépenses qu’il seroit contraint de faire, & les dommages même qu’ils auroient à souffrir dans les guerres qu’il entreprendroit contre les puissances voisines : rien ne coûte pour arriver au trone.

Louis y parvint, & les sujets obtinrent encore que les charges & les emplois publics seroient desormais donnés à vie aux citoyens, à l’exclusion de tout étranger, & que la garde des forts & des châteaux ne seroit plus confiée à des seigneurs supérieurs au reste de la noblesse, par une naissance qui leur donnoit trop de crédit. Louis possesseur de deux royaumes, préféroit le séjour de la Hongrie, où il commandoit en maître, à celui de la Pologne, où l’on travailloit à faire des lois. Il envoya le duc d’Oppellen pour y gouverner en son nom : la nation en fut extrèmement choquée, & le roi fut obligé de lui substituer trois seigneurs polonois agréables au peuple : Louis mourut sans être regretté.

Ce n’étoit pas assez à l’esprit républicain, d’avoir mitigé la royauté ; il frappa un autre grand coup, en abolissant la succession ; & la couronne fut déférée à la fille cadette de Louis, à condition qu’elle n’accepteroit un époux que de la main de l’état. Parmi les concurrens qui se présenterent, Jagellon fit briller la couronne de Lithuanie, qu’il promit d’incorporer à celle de Pologne. C’étoit beaucoup : mais ce n’étoit rien, s’il n’avoit souscrit à la forme républicaine. C’est à ce prix qu’il épousa Hedwige, & qu’il fut roi.

Il y eut donc une république composée de trois ordres : le roi, le sénat, l’ordre équestre, qui comprend tout le reste de la noblesse, & qui donna bientôt des tribuns sous la dénomination de nonces. Ces nonces représentent tout l’ordre équestre dans les assemblées générales de la nation qu’on nomme dietes, & dont ils arrêtent l’activité, quand ils veulent, par le droit de veto. La république romaine n’avoit point de roi : mais dans ses trois ordres, elle comptoit les plébéiens, qui partagecient la souveraineté avec le sénat & l’ordre équestre ; & jamais peuple ne fut ni plus vertueux, ni plus grand. La Pologne différente dans ses principes, n’a compté son peuple qu’avec le bétail de ses terres. Le sénat qui tient la balance entre le roi & la liberté, voit sans émotion la servitude de cinq millions d’hommes, autrefois plus heureux lorsqu’ils étoient Sarmates.

La république polonoise étant encore dans son enfance, Jagellon parut oublier à quel prix il regnoit : un acte émané du trone se trouva contraire à ce qu’il avoit juré ; les nouveaux républicains sous ses yeux même, mirent l’acte en piece avec leurs sabres.

Les rois, qui avant la révolution décidoient de la guerre ou de la paix, faisoient les lois, changeoient les coutumes, abrogeoient les constitutions, établissoient des impôts, disposoient du trésor public, virent passer tous ces ressorts de puissance dans les mains de la noblesse ; & ils s’accoutumerent à être contredits. Mais ce fut sous Sigismond Auguste, au seizieme siecle, que la fierté républicaine se monta sur le plus haut ton.

Ce prince étant mort sans enfans en 1573, on pensa encore à élever de nouveaux remparts à la liberté ; on examina les lois anciennes. Les unes furent restraintes, les autres plus étendues, quelques-unes abolies ; & après bien des discussions, on fit un decret qui portoit que les rois nommés par la nation, ne tenteroient aucune voie pour se donner un successeur ; & que conséquemment ils ne prendroient jamais la qualité d’héritiers du royaume ; qu’il y auroit toujours auprès de leur personne seize sénateurs pour leur servir de conseil ; & que sans leur aveu, ils ne pourroient ni recevoir des ministres étrangers, ni en envoyer chez d’autres princes ; qu’ils ne leveroient point de nouvelles troupes, & qu’ils n’ordonneroient point à la noblesse de monter à cheval sans l’aveu de tous les ordres de la république ; qu’ils n’admettroient aucun étranger au conseil de la nation ; & qu’ils ne leur conféreroient ni charges, ni dignités, ni starosties ; & qu’enfin ils ne pourroient point se marier, s’ils n’en avoient auparavant obtenu la permission du sénat, & de l’ordre équestre.

Tout l’interregne se passa à se prémunir contre ce qu’on appelloit les attentats du trône. Henri de Valois fut révolté à son arrivée de ce langage républicain qui dominoit dans toutes les assemblées de l’état. La religion protestante étoit entrée dans le royaume sous Sigismond I. & ses progrès augmentoient à proportion des violences qu’on exerçoit contre elle. Lorsque Henri arriva à Cracovie on y savoit que Charles IX. son frere venoit d’assassiner une partie de ses sujets pour en convertir une autre. On craignoit qu’un prince élevé dans une cour fanatique & violente, n’en apportât l’esprit : on voulut l’obliger à jurer une capitulation qu’il avoit déja jurée en France en présence des ambassadeurs de la république, & sur-tout l’article de la tolérance, qu’il n’avoit juré que d’une façon vague & équivoque. Sans l’éloquent Pibrac, on ne sait s’il eût été couronné ; mais quelque mois après, le castellan de Sendomir Ossolenski, fut chargé lui sixieme, de déclarer à Henri sa prochaine déposition, s’il ne remplissoit plus exactement les devoirs du trône. Sa fuite précipitée termina les plaintes de la nation, & son regne.

C’est par tous ces coups de force, frappés en différens tems, que la Pologne s’est conservé des rois sans les craindre. Un roi de Pologne à son sacre même, & en jurant les pacta conventa, dispense les sujets du serment d’obéissance, en cas qu’il viole les lois de la république.

La puissance législative réside essentiellement dans la diete qui se tient dans l’ancien château de Varsovie, & que le roi doit convoquer tous les deux ans. S’il y manquoit, la république a le pouvoir de s’assembler d’elle-même : les diétines de chaque palatinat, précedent toujours la diete. On y prépare les matieres qui doivent se traiter dans l’assemblée générale, & on y choisit les représentans de l’ordre équestre : c’est ce qui forme la chambre des nonces. Ces nonces ou ces tribuns sont si sacrés, que sous le regne d’Auguste II. un colonel saxon en ayant blessé un legerement pour venger une insulte qu’il en avoit reçue, fut condamné à mort & exécuté, malgré toute la protection du roi : on lui fit seulement grace du bourreau ; il passa par les armes.

Pour connoître le sénat qui est l’ame de la diete, il faut jetter les yeux sur les évêques, les palatins, & les castellans. Ces deux dernieres dignités ne sont pas aussi connues que l’épiscopat : un palatin est le chef de la noblesse dans son palatinat. Il préside à ses assemblées ; il la mene au champ électoral pour faire ses rois, & à la guerre lorsqu’on assemble la pospolite ou l’arriere-ban. Il a aussi le droit de fixer le prix des denrées, & de regler les poids & mesures ; c’est un gouvernement de province. Un castellan jouit des mêmes prérogatives dans son district, qui fait toujours partie d’un palatinat, & il représente le palatin dans son absence. Les castellans autrefois étoient gouverneurs des châteaux forts, & des villes royales. Ces gouvernemens ont passé aux starostes qui exercent aussi la justice par eux-mêmes, ou par ceux qu’ils commettent. Une bonne institution, c’est un registre dont ils sont dépositaires : tous les biens du district libres ou engagés, y sont consignés : quiconque veut acquérir, achete en toute sûreté.

On ne voit qu’un staroste dans le sénat, celui de Samogitie ; mais on y compte deux archevêques, quinze évêques, trente-trois palatins, & quatre-vingt-cinq castellans ; en tout cent trente-six sénateurs.

Les ministres ont place au sénat sans être sénateurs ; ils sont au nombre de dix, en se répétant dans l’union des deux états.

Le grand maréchal de la couronne.

Le grand maréchal de Lithuanie.

Le grand chancelier de la couronne.

Le grand chancelier de Lithuanie.

Le vice-chancelier de la couronne.

Le vice-chancelier de Lithuanie.

Le grand trésorier de la couronne.

Le grand trésorier de Lithuanie.

Le maréchal de la cour de Pologne.

Le maréchal de la cour de Lithuanie.

Le grand maréchal est le troisieme personnage de la Pologne. Il ne voit que le primat & le roi au-dessus de lui. Maître du palais, c’est de lui que les ambassadeurs prennent jour pour les audiences. Son pouvoir est presque illimité à la cour, & à trois lieues de circonférence. Il y veille à la sureté du roi, & au maintien de l’ordre. Il y connoît de tous les crimes, & il juge sans appel. La nation seule peut réformer ses jugemens. C’est lui encore qui convoque le sénat, & qui reprime ceux qui voudroient le troubler. Il a toujours des troupes à ses ordres.

Le maréchal de la cour n’a aucun exercice de jurisdiction que dans l’absence du grand maréchal.

Le grand chancelier tient les grands sceaux ; le vice-chancelier les petits. L’un des deux est évêque, pour connoître des affaires ecclésiastiques. L’un ou l’autre doit répondre au nom du roi en polonois ou en latin, selon l’occasion. C’est une chose singuliere que la langue des Romains, qui ne pénétrerent jamais en Pologne, se parle aujourd’hui communément dans cet état. Tout y parle latin jusqu’aux domestiques.

Le grand trésorier est dépositaire des finances de la république. Cet argent, que les Romains appelloient le trésor du peule, ærarium populi, la Pologne se garde bien de le laisser à la direction des rois. C’est la nation assemblée, ou du moins un sénatus-consulte qui décide de l’emploi ; & le grand trésorier ne doit compte qu’à la nation.

Tous ces ministres ne ressemblent point à ceux des autres cours. Le roi les crée ; mais la république seule peut les détruire. Cependant, comme ils tiennent au trône, la source des graces, & qu’ils sont hommes, la république n’a pas voulu leur accorder voix délibérative dans le sénat.

On donne aux sénateurs le titre d’excellence, & ils prétendent à celui de monseigneur, que les valets, les serfs, & la pauvre noblesse leur prodiguent.

Le chef du sénat est l’archevêque de Gnesne, qu’on nomme plus communément le primat, & dont nous ferons un article à part : c’est assez de dire en passant qu’il est aussi chef de l’église, dignité éminente qui donne à ce ministre de l’humble christianisme tout le faste du trône, & quelquefois toute sa puissance.

Le sénat hors de la diete, remue les ressorts du gouvernement sous les yeux du roi : mais le roi ne peut violenter les suffrages. La liberté se montre jusque dans les formes extérieures. Les sénateurs ont le fauteuil, & on les voit se couvrir dès que le roi se couvre. Cependant le sénat hors de la diete, ne décide que provisionnellement. Dans la diete, il devient législateur conjointement avec le roi & la chambre des nonces.

Cette chambre ressembleroit à celle des communes en Angleterre, si, au lieu de ne représenter que la noblesse, elle représentoit le peuple. On voit à sa tête un officier d’un grand poids, mais dont l’office n’est que passager. Il a ordinairement beaucoup d’influence dans les avis de la chambre. C’est lui qui les porte au sénat, & qui rapporte ceux des sénateurs. On le nomme maréchal de la diete, ou maréchal des nonces. Il est à Varsovie ce qu’étoit le tribun du peuple à Rome ; & comme le patricien à Rome ne pouvoit pas être tribun, celui qui étoit est le tribun des tribuns doit être pris dans l’ordre équestre, & non dans le sénat.

Lorsque la diete est assemblée, tout est ouvert, parce que c’est le bien public dont on y traite. Ceux qui n’y portent que de la curiosité sont frappés de la grandeur du spectacle. Le roi sur un trône élevé, dont les marches sont décorées des grands officiers de la cour ; le primat disputant presque toujours de splendeur avec le roi ; les sénateurs formant deux lignes augustes ; les ministres en face du roi, les nonces en plus grand nombre que les sénateurs, répandus autour d’eux, & se tenant de bout : les ambassadeurs & le nonce du pape y ont aussi des places marquées, sauf à la diete à les faire retirer, lorsqu’elle le juge à-propos.

Le premier acte de la diete, c’est toujours la lecture des pacta conventa qui renferment les obligations que le roi a contractées avec son peuple ; & s’il y a manqué, chaque membre de l’assemblée a droit d’en demander l’observation.

Les autres séances pendant six semaines, durée ordinaire de la diete, amenent tous les intérêts de la nation ; la nomination aux dignités vacantes, la disposition des biens royaux en faveur des militaires qui ont servi avec distinction, les comptes du grand trésorier, la diminution ou l’augmentation des impôts selon la conjoncture, les négociations dont les ambassadeurs de la république ont été chargés, & la maniere dont ils s’en sont acquittés, les alliances à rompre ou à former, la paix ou la guerre, l’abrogation ou la sanction d’une loi, l’affermissement de la liberté, enfin tout l’ordre public.

Les cinq derniers jours qu’on appelle les grands jours, sont destinés à réunir les suffrages. Une décision pour avoir force de loi, doit être approuvée par les trois ordres d’un consentement unanime. L’opposition d’un seul nonce arrête tout.

Ce privilege des nonces est une preuve frappante des révolutions de l’esprit humain. Il n’existoit pas en 1652, lorsque Sicinski, nonce d’Upita, en fit le premier usage. Chargé de malédictions, il échappa avec peine aux coups de sabre ; & ce même privilege contre lequel tout le monde s’éleva pour lors, est aujourd’hui ce qu’il y a de plus sacré dans la république. Un moyen sûr d’être mis en pieces, seroit d’en proposer l’abolition.

On est obligé de convenir que, s’il produit quelquefois le bien, il fait encore plus de mal. Un nonce peut non-seulement anéantir une bonne décision ; mais s’il s’en prend à toutes, il n’a qu’à protester & disparoître : la diete est rompue. Il arrive même qu’on n’attend pas qu’elle soit formée pour penser à la dissoudre. Le prétexte le plus frivole devient un instrument tranchant. En 1752 les nonces du palatinat de Kiovie avoient dans leurs instructions d’exiger du roi, avant tout, l’extirpation des francs-maçons, société qui n’effraie que les imbécilles & qui ne faisoit aucune sensation en Pologne.

Le remede aux dietes rompues, c’est une confédération dans laquelle on décide à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations des nonces ; & souvent une confédération s’éleve contre l’autre. C’est ensuite aux dietes générales à confirmer ou à casser les actes de ces confédérations. Tout cela produit de grandes convulsions dans l’état, sur-tout si les armées viennent à s’en mêler.

Les affaires des particuliers sont mieux jugées. C’est toujours la pluralité qui décide ; mais point de juges permanens. La noblesse en crée chaque année pour former deux tribunaux souverains : l’un à Petrikow pour la grande Pologne, l’autre à Lublin pour la petite. Le grand duché de Lithuanie a aussi son tribunal. La justice s’y rend sommairement comme en Asie. Point de procureurs ni de procédures : quelques avocats seulement qu’on appelle juristes, ou bien on plaide sa cause soi-même. Une meilleure disposition encore, c’est que la justice se rendant gratuitement, le pauvre peut l’obtenir. Ces tribunaux sont vraiment souverains ; car le roi ne peut ni les prévenir par évocation, ni casser leurs arrêts.

Puisque j’en suis sur la maniere dont la justice s’exerce en Pologne, j’ajouterai qu’elle se rend selon les statuts du royaume, que Sigismond Auguste fit rédiger en un corps en 1520 ; c’est ce qu’on appelle droit polonois. Et quand il arrive certains cas qui n’y sont pas compris, on se sert du droit saxon. Les jugemens se rendent dans trois tribunaux supérieurs, à la pluralité des voix, & on peut en appeller au roi. Ces tribunaux jugent toutes les affaires civiles de la noblesse. Pour les criminelles, un gentilhomme ne peut être emprisonné, ni jugé que par le roi & le sénat.

Il n’y a point de confiscation, & la proscription n’a lieu que pour les crimes capitaux au premier chef, qui sont les meurtres, les assassinats, & la conjuration contre l’état. Si le criminel n’est point arrêté prisonnier dans l’action, il n’est pas besoin d’envoyer des soldats pour l’aller investir ; on le cite pour subir le jugement du roi & du sénat. S’il ne comparoit pas, on le déclare infâme & convaincu ; par-là il est proscrit, & tout le monde peut le tuer en le rencontrant. Chaque starostie a sa jurisdiction dans l’étendue de son territoire. On appelle des magistrats des villes au chancelier, & la diete en décide quand l’affaire est importante.

Les crimes de lèze-majesté ou d’état sont jugés en diete. La maxime que l’église abhorre le sang, ne regarde point les évêques polonois. Une bulle de Clément VIII. leur permet de conseiller la guerre, d’opiner à la mort, & d’en signer les decrets.

Une chose encore qu’on ne voit guere ailleurs, c’est que les mêmes hommes qui déliberent au sénat, qui font des lois en diete, qui jugent dans les tribunaux, marchent à l’ennemi. On apperçoit par-là qu’en Pologne la robe n’est point séparée de l’épée.

La noblesse ayant saisi les rênes du gouvernement, les honneurs & tous les avantages de l’état a pensé que c’étoit à elle seule à le défendre, en laissant aux terres tout le reste de la nation. C’est aujourd’hui le seul pays où l’on voie une cavalerie toute composée de gentilhommes, dont le grand duché de Lithuanie fournit un quart, & la Pologne le reste.

L’armée qui en résulte, ou plutôt ces deux armées polonoise & lithuanienne, ont chacune leur grand général indépendant l’un de l’autre. Nous avons dit que la charge de grand maréchal, après la primatie, est la premiere en dignité : le grand général est supérieur en pouvoir. Il ne connoît presque d’autres bornes que celles qu’il se prescrit lui-même. A l’ouverture de la campagne, le roi tient conseil avec les sénateurs & les chefs de l’armée sur les opérations à faire ; & dès ce moment le grand général exécute arbitrairement. Il assemble les troupes, il regle les marches, il décide des batailles, il distribue les récompenses & les punitions, il éleve, il casse, il fait couper des têtes, le tout sans rendre compte qu’à la république dans la diete. Les anciens connétables de France qui ont porté ombrage au trône, n’étoient pas si absolus. Cette grande autorité n’est suspendue que dans le cas où le roi commande en personne.

Les deux armées ont aussi respectivement un général de campagne, qui se nomme petit général. Celui-ci n’a d’autorité que celle que le grand général veut lui laisser ; & il la remplit en son absence. Un autre personnage, c’est le stragénik qui commande l’avant-garde.

La Pologne entretient encore un troisieme corps d’armée, infanterie & dragons. L’emploi n’en est pas ancien. C’est ce qu’on appelle l’armée étrangere, presqu’entierement composée d’allemands. Lorsque tout est complet, ce qui arrive rarement, la garde ordinaire de la Pologne est de quarante-huit mille hommes.

Une quatrieme armée, la plus nombreuse & la plus inutile c’est la pospolite ou l’arriere-ban. On verroit dans un besoin plus de cent mille gentilhommes monter à cheval, pour ne connoître que la discipline qui leur conviendroit ; pour se révolter, si on vouloit les retenir au-delà de quinze jours dans le lieu de l’assemblée sans les faire marcher ; & pour refuser le service, s’il falloit passer les frontieres.

Quoique les Polonois ressemblent moins aux Sarmates leurs ancêtres, que les Tartares aux leurs, ils en conservent pourtant quelques traits. Ils sont francs & fiers. La fierté est assez naturelle à un gentilhomme qui élit son roi, & qui peut être roi lui-même. Ils sont emportés. Leurs représentans, dans les assemblées de la nation, décident souvent les affaires le sabre à la main. Ils font apprendre la langue latine à leurs enfans ; & la plûpart des nobles, outre la langue esclavonne, qui leur est naturelle, parlent allemand, françois & italien. La langue polonoise est une dialecte de l’esclavonne ; mais elle est mêlée de plusieurs mots allemands.

Ils ont oublié la simplicité & la frugalité des Sarmates leurs ancêtres. Jusqu’à la fin du regne de Sobieski, quelques chaises de bois, une peau d’ours, une paire de pistolets, deux planches couvertes d’un matelas, meubloit un noble d’une fortune honnête. Aujourd’hui les vêtemens des gentilhommes sont riches ils portent pour la plûpart des bottines couleur de soufre, qui ont le talon ferré, un bonnet fourré, & des vestes doublées de zibeline, qui leur vont jusqu’à mi-jambe, c’est ainsi qu’ils paroissent dans les dietes ou dans les fêtes de cérémonies. D’autres objets de luxe se sont introduits en Pologne sous Auguste II. & les modes françoises déja reçues en Allemagne, se sont mêlées à la magnificence orientale, qui montre plus de richesse que de goût. Leur faste est monté si haut, qu’une femme de qualité ne sort guere qu’en carosse à six chevaux. Quand un grand seigneur voyage d’une province à une autre, c’est avec deux cens chevaux, & autant d’hommes. Point d’hôtelleries ; il porte tout avec lui ; mais il déloge les plébéiens qui ne regardent cette haute noblesse que comme un fléau ; elle est de bonne heure endurcie au froid & à la fatigue ; parce que tous les gentilhommes se lavent le visage & le cou avec de l’eau froide, quelque tems qu’il fasse. Ils baignent aussi les enfans dans l’eau froide de très-bonne heure, ce qui endurcit leurs corps à l’âpreté des hivers dès la plus tendre jeunesse.

Un usage excellent des seigneurs, c’est qu’ils passent la plus grande partie de l’année dans leurs terres. Ils se rendent par-là plus indépendans de la cour, qui n’oublie rien pour les corrompre, & ils vivifient les campagnes par la dépense qu’ils y font.

Ces campagnes seroient peuplées & florissantes, si elles étoient cultivées par un peuple libre. Les serfs de Pologne sont attachés à la glèbe ; tandis qu’en Asie même on n’a point d’autres esclaves que ceux qu’on achete, ou qu’on a pris à la guerre : ce sont des étrangers. La Pologne frappe ses propres enfans. Chaque seigneur est obligé de loger son serf. C’est dans une très-pauvre cabane, où des enfans nuds sous la rigueur d’un climat glacé, pêle-mêle avec le bétail, semblent reprocher à la nature de ne les avoir pas habillés de même. L’esclave qui leur a donné le jour verroit tranquillement brûler sa chaumiere, parce que rien n’est à lui. Il ne sauroit dire mon champ, mes enfans, ma femme ; tout appartient au seigneur, qui peut vendre également le laboureur & le bœuf. Il est rare de vendre des femmes, parce que ce sont elles qui multiplient le troupeau ; population misérable : le froid en tue une grande partie.

Envain le pape Alexandre III. proscrivit dans un concile la servicude au xij. siecle, la Pologne s’est endurcie à cet égard plus que le reste du christianisme : malheur au serf si un seigneur ivre s’emporte contre lui. On diroit que ce que la nature a refusé à de certains peuples, c’est précisément ce qu’ils aiment avec le plus de fureur. L’excès du vin & des liqueurs fortes font de grands ravages dans la république. Les casuistes passent légeremnnt sur l’ivrognerie, comme une suite du climat ; & d’ailleurs les affaires publiques ne s’arrangent que le verre à la main.

Les femmes disputent aux hommes les jeux d’exercice, la chasse, & les plaisirs de la table. Moins délicates & plus hardies que les beautés du midi, on les voit faire sur la neige cent lieues en traîneau, sans craindre ni les mauvais gîtes, ni les difficultés des chemins.

Les voyageurs éprouvent en Pologne que les bonnes mœurs valent mieux que les bonnes lois. La quantité des forêts, l’éloignement des habitations, la coûtume de voyager de nuit comme de jour, l’indifférence des starostes pour la sureté des routes, tout favorise le vol & l’assassinat ; dix ans en montrent à peine un exemple.

La Pologne avoit déjà cette partie des bonnes mœurs avant que de recevoir le christianisme. Elle fut idolâtre plus long-tems que le reste de l’Europe. Elle avoit adopté les dieux grecs qu’elle défigura, parce qu’ignorant les lettres, & ne se doutant pas de l’existence d’Homere ni d’Hésiode, elle n’avoit jamais ouvert les archives de l’idolâtrie ; elle marchoit au crépuscule d’une tradition confuse.

Vers le milieu du dixieme siecle, le duc Miécislaw, premier du nom, cédant aux sollicitations de la belle Dambrowka sa femme, née chrétienne, embrassa la foi, & entreprit de la répandre. Dieu se sert de tout, adorable en tout. Ce sont des femmes sur le trône, qui en engageant leurs maris à se faire baptiser, ont converti la moitié de l’Europe ; Giselle, la Hongrie ; la sœur d’un empereur grec, la Russie ; la fille de Childebert, l’Angleterre ; Clotilde, la France.

Cependant si le christianisme, en s’établissant, avoit été par-tout aussi violent qu’en Pologne, il manqueroit de deux caracteres de vérité qui le faisoient triompher dans les trois premiers siecles, la douceur & la persuasion. L’évêque de Mersebourg, qui vivoit au tems de Miécislaw, nous apprend qu’on arrachoit les dents à ceux qui avoient mangé de la viande en carême ; qu’on suspendoit un adultere ou un fornicateur à un clou par l’instrument de son crime, & qu’on mettoit un rasoir auprès de lui, avec la liberté de s’en servir pour se dégager, ou de mourir dans cette torture. On voyoit d’un autre côté des peres tuer leurs enfans imparfaits, & des enfans dénaturés assommer leurs peres décrépits ; coûtume barbare des anciens Sarmates, que les Polonois n’ont quittée qu’au treizieme siecle. Le terrible chrétien Miécislaw avoit répudié sept femmes payennes pour s’unir à Dambrowka, & lorsqu’il l’eut perdue, il finit, si l’on en croit Baronius & Dithmar, par épouser une religieuse, qui n’oublia rien pour étendre la foi.

Son fils & son successeur, Boleslas I. étouffa sans violence les restes de l’idolâtrie. Humain, accessible, familier, il traita ses sujets comme des malades. Les armes qu’il employa contre leurs préjugés, furent la raison & la mansuétude ; le pere leur avoir ordonné d’être chrétiens, le fils le leur persuada.

Cet esprit de paix & de douceur dans les rois, passa à la nation. Elle prit fort peu de part à toutes les guerres de religion qui désolerent l’Europe au xvj. & xvij. siecle. Elle n’a eu dans son sein ni conspiration des poudres, ni saint Barthelemy, ni sénat égorgé, ni rois assassinés, ni des freres armés contre des freres ; & c’est le pays où l’on a brûlé moins de monde pour s’être trompé dans le dogme. La Pologne cependant a été barbare plus long-tems que l’Espagne, la France, l’Angleterre, & l’Allemagne ; ce qui prouve qu’une demi-science est plus orageuse que la grossiere ignorance ; & lorsque la Pologne a commencé à discourir, un de ses rois, Sigismond I. prononça la peine de mort contre la religion protestante.

Un paradoxe bien étrange, c’est que tandis qu’il poursuivoit avec le fer, des hommes qui contestoient la présence de Jesus-Christ sur les autels, il laissoit en paix les juifs qui en nioient la divinité. Le sang couloit, & devoit couler encore plus ; mais la république statua que désormais, les rois en montant sur le trône, jureroient la tolérance de toutes les religions.

On voit effectivement en Pologne des calvinistes, des luthériens, des grecs schismatiques, des mahométans & des juifs. Ceux-ci jouissent depuis long-tems des privileges que Casimir-le-grand leur accorda en faveur de sa concubine, la juive Esther. Plus riches par le trafic que les naturels du pays, ils multiplient davantage. Cracovie seule en compte plus de vingt mille, qu’on trouve dans tous les besoins de l’état ; & la Pologne qui tolere près de trois cens synagogues, s’appelle encore aujourd’hui le paradis des Juifs : c’est-là qu’ils semblent revenus au regne d’Assuérus, sous la protection de Mardochée.

Il n’est peut-être aucun pays où les rites de la religion romaine soient observés plus strictement. Les Polonois, dès les premiers tems, ne trouverent point ces rites assez austeres, & commencerent le carême à la septuagésime ; ce fut le pape Innocent IV. qui abrogea cette surérogation rigoureuse, en récompense des contributions qu’ils lui avoient fournies pour faire la guerre à un empereur chrétien, Ferdinand II. A l’abstinence ordinaire du vendredi & du samedi, ils ont ajouté celle du mercredi.

Les confréries sanglantes de Flagellans sont aussi communes dans cette partie du nord que vers le midi ; c’est peut-être de-là que le roi de France, Henri III. en rapporta le goût.

Aucune histoire, dans la même étendue de siecles, ne cite autant de miracles. On voit à cinq milles de Cracovie les salines de Bochnia ; c’est sainte Cunégonde, femme de Boleslas le chaste, disent toutes les chroniques, qui les a transportées de Hongrie en Pologne. Comme l’étude de la nature y est moins avancée que dans tout le reste du nord, le merveilleux, qui fut toujours la raison du peuple, y conserve encore plus d’empire qu’ailleurs.

Leur respect pour les papes s’est fait remarquer dans tous les tems. Lorsque Clément II. releva de ses vœux le moine Casimir, pour le porter du cloître sur le trône en 1041, il imposa aux Polonois des conditions singulieres, qui furent observées très-religieusement. Il les obligea à porter désormais les cheveux en forme de couronne monachale, à payer par tête tous les ans à perpétuité, une somme d’argent pour l’entretien d’une lampe très-chere dans la basilique de saint Pierre ; & il voulut qu’aux grandes fêtes, durant le tems du sacrifice, tous les nobles eussent au cou une étole de lin pareille à celle des prêtres : la premiere condition se remplit encore aujourd’hui.

Ce dévouement outré pour les decrets de Rome, se déborda jusqu’à engloutir la royauté. Boleslas I. avoit reçu le titre de roi de l’empereur Othon, l’an 1001. Rome s’en souvint lorsque Boleslas II. versa le sang de l’évêque Stanislas. Dans ce tems-là Hildebrand, qui avoit passé de la boutique d’un charron sur la chaire de saint Pierre, sous le nom de Grégoire VII. se rendoit redoutable à tous les souverains. Il venoit d’excommunier l’empereur Henri IV. dont il avoit été précepteur. Il lança ses foudres sur Boleslas, excommunication, dégradation, interdit sur tout le royaume, dispense du serment de fidélité, & défense aux évêques de Pologne de couronner jamais aucun roi sans le consentement exprès du saint siege. On ne sait ce qui étonne le plus, la défense du pontife, ou l’obéissance aveugle des Polonois. Pas un évêque n’osa sacrer le successeur, & cette crainte superstitieuse dura pendant deux siecles, dans les sujets comme dans les princes, jusqu’à Przémislas, qui assembla une diete générale à Gnesne, s’y fit sacrer, & reprit le titre de roi, sans prendre les auspices de Rome.

Aujourd’hui les papes ne tenteroient pas ce qu’ils ont exécuté alors ; mais il est encore vrai que leur puissance est plus respectée en Pologne que dans la plupart des états catholiques. Une nation qui a pris sur elle de faire ses rois, n’a pas osé les proclamer sans la permission du pape. C’est une bulle de Sixte V. qui a donné ce pouvoir au primat. On voit constamment à Varsovie un nonce apostolique avec une étendue de puissance qu’on ne souffre point ailleurs. Il n’en a pourtant pas assez pour soutenir l’indissolubilité du mariage. Il n’est pas rare en Pologne d’entendre dire à des maris, ma femme qui n’est plus ma femme. Les évêques témoins & juges de ces divorces, s’en consolent avec leurs revenus. Les simples prêtres paroissent très-respectueux pour les saints canons, & ils ont plusieurs bénéfices à charge d’ames.

La Pologne, telle qu’elle est aujourd’hui dans le moral & dans le physique, présente des contrastes bien frappans ; la dignité royale avec le nom de république ; des lois avec l’anarchie féodale ; des traits informes de la république romaine avec la barbarie gothique ; l’abondance & la pauvreté.

La nature a mis dans cet état tout ce qu’il faut pour vivre, grains, miel, cire, poisson, gibier ; & tout ce qu’il faut pour l’enrichir, blés, pâturages, bestiaux, laines, cuirs, salines, métaux, minéraux ; cependant l’Europe n’a point de peuple plus pauvre ; la plus grande source de l’argent qui roule en Pologne, c’est la vente de la royauté.

La terre & l’eau, tout y appelle un grand commerce, & le commerce ne s’y montre pas. Tant de rivieres & de beaux fleuves, la Duna, le Bog, le Niester, la Vistule, le Niemen, le Borysthène, ne servent qu’à figurer dans les cartes géographiques. On a remarqué depuis long-tems, qu’il seroit aisé de joindre par des canaux l’Océan septentrional & la mer Noire, pour embrasser le commerce de l’Orient & de l’Occident ; mais loin de construire des vaisseaux marchands, la Pologne, qui a été insultée plusieurs fois par des flottes, n’a pas même pensé à une petite marine guerriere.

Cet état, plus grand que la France, ne compte que cinq millions d’habitans, & laisse la quatrieme partie de ses terres en friche ; terres excellentes, perte d’autant plus déplorable.

Cet état large de deux cens de nos lieues, & long de quatre cens, auroit besoin d’armées nombreuses pour garder ses vastes frontieres ; il peut à peine soudoyer quarante mille hommes. Un roi qui l’a gouverné quelque tems, & qui nous montre dans une province de France ce qu’il auroit pû exécuter dans un royaume ; ce prince fait pour écrire & pour agir, nous dit qu’il y a des villes en Europe dont le trésor est plus opulent que celui de la Pologne, & il nous fait entendre que deux ou trois commercans d’Amsterdam, de Londres, de Hambourg, négocient pour des sommes plus considérables pour leur compte, que n’en rapporte tout le domaine de la république.

Le luxe, cette pauvreté artificielle, est entré dans les maisons de Pologne, & les villes sont dégoutantes par des boues affreuses ; Varsovie n’est pavée que depuis peu d’années.

Le comble de l’esclavage & l’excès de la liberté semblent disputer à qui détruira la Pologne ; la noblesse peut tout ce qu’elle veut. Le corps de la nation est dans la servitude. Un noble polonois, quelque crime qu’il ait commis, ne peut être arrêté qu’après avoir été condamné dans l’assemblée des ordres : c’est lui ouvrir toutes les portes pour se sauver. Il y a une loi plus affreuse que l’homicide même qu’elle veut réprimer. Ce noble qui a tué un de ses serfs met quinze livres sur la fosse, & si le paysan appartient à un autre noble, la loi de l’honneur l’oblige seulement à en rendre un ; c’est un bœuf pour un bœuf. Tous les hommes sont nés égaux, c’est une vérité qu’on n’arrachera jamais du cœur humain ; & si l’inégalité des conditions est devenue nécessaire, il faut du-moins l’adoucir par la liberté naturelle & par l’égalité des lois.

Le liberum veto donne plus de force à un seul noble qu’à la république. Il enchaîne par un mot les volontés unanimes de la nation ; & s’il part de l’endroit où se tient la diete, il faut qu’elle se sépare. C’étoit le droit des tribuns romains ; mais Rome n’en avoit qu’un petit nombre, & ce furent des magistrats pour protéger le peuple. Dans une diete polonoise on voit trois ou quatre cens tribuns qui l’oppriment.

La république a pris, autant qu’elle a pû, toutes les précautions pour conserver l’égalité dans la noblesse, & c’est pour cela qu’elle ne tient pas compte des décorations du saint empire qui seme l’Europe de princes. Il n’y a de princes reconnus pour tels par les lettres d’union de la Lithuanie, que les Czartoriski, les Sangusko, & les Wieçnowiecki, & encore le titre d’altesse ne les tire pas de l’égalité ; les charges seules peuvent donner des préséances. Le moindre castellan précede le prince sans charge, pour apprendre à respecter la république, plus que les titres & la naissance : malgré tout cela, rien de si rampant que la petite noblesse devant la grande.

Puisque le royaume est électif, il semble que le peuple, qui est la partie la plus nombreuse & la plus nécessaire, devroit avoir part à l’élection : pas la moindre. Il prend le roi que la noblesse lui donne ; trop heureux s’il ne portoit pas des fers dans le sein de la liberté. Tout ce qui n’est pas noble vit sans considération dans les villes, ou esclave dans les campagnes ; & l’on sait que tout est perdu dans un état, lorsque le plebéïen ne peut s’élever que par un boulversement général. Aussi la Pologne n’a-t-elle qu’un petit nombre d’ouvriers & de marchands, encore sont-ils allemands, juifs, ou françois.

Dans ses guerres, elle a recours à des ingénieurs étrangers. Elle n’a point d’école de Peinture, point de théâtre ; l’Architecture y est dans l’enfance ; l’Histoire y est traitée sans goût ; les Mathématiques peu cultivées ; la saine Philosophie presque ignorée ; nul monument, nulle grande ville.

Tandis qu’une trentaine de palatins, une centaine de castellans & starostes, les évêques & les grands officiers de la couronne jouent les satrapes asiatiques, 100 mille petits nobles cherchent le nécessaire comme ils peuvent. L’histoire est obligée d’insister sur la noblesse polonoise, puisque le peuple n’est pas compté. Le droit d’élire ses rois est celui qui la flatte le plus, & qui la sert le moins. Elle vend ordinairement sa couronne au candidat qui a le plus d’argent ; elle crie dans le champ électoral qu’elle veut des princes qui gouvernent avec sagesse ; & depuis le regne de Casimir le grand, elle a cherché en Hongrie, en Transilvanie, en France & en Allemagne, des étrangers qui n’ont aucune connoissance de ses mœurs, de ses préjugés, de sa langue, de ses intérêts, de ses lois, de ses usages.

Qui verroit un roi de Pologne dans la pompe de la majesté royale, le croiroit le monarque le plus riche & le plus absolu : ni l’un ni l’autre. La république ne lui donne que six cens mille écus pour l’entretien de sa maison ; & dans toute contestation, les Polonois jugent toujours que le roi a tort. Comme c’est lui qui préside aux conseils & qui publie les decrets, ils l’appellent la bouche, & non l’ame de la république. Ils le gardent à vûe dans l’administration : quatre sénateurs doivent l’observer par-tout, sous peine d’une amande pécuniaire. Son chancelier lui refuse le sceau pour les choses qu’il ne croit pas justes. Son grand chambellan a droit de le fouiller ; aussi ne donne-t-il cette charge qu’à un favori.

Ce roi, tel qu’il est, joue pourtant un beau rôle s’il sait se contenter de faire du bien, sans tenter de nuire. Il dispose non-seulement, comme les autres souverains, de toutes les grandes charges du royaume & de la cour, des évêchés & des abbayes, qui sont presque toutes en commande, car la république n’a pas voulu que des moines qui ont renoncé aux richesses & à l’état de citoyen, possédassent au-delà du nécessaire ; il a encore un autre trésor qui ne s’épuise pas. Un tiers de ce grand royaume est en biens royaux, tenutes, advocaties, starosties, depuis sept mille livres de revenu jusqu’à cent mille ; ces biens royaux, le roi ne pouvant se les approprier, est obligé de les distribuer, & ils ne passent point du pere au fils aux dépens du mérite. Cette importante loi est une de celles qui contribuent le plus au soutien de la république. Si cette république n’est pas encore détruite, elle ne le doit qu’à ses lois : c’est une belle chose que les lois ! Un état qui en a & qui ne les enfreint point, peut bien éprouver des secousses ; mais c’est la terre qui tremble entre les chaînes de rochers qui l’empêchent de se dissoudre.

Résumons à-présent les traits frappans du tableau de la Pologne, que nous avons dessiné dans tout le cours de cet article.

Cette monarchie a commencé l’an 550, dans la personne de Leck, qui en fut le premier duc. Au neuvieme siecle, l’anarchie qui déchiroit l’état finit par couronner un simple particulier qui n’avoit pour recommandation qu’une raison droite & des vertus. C’est Piast qui donna une nouvelle race de souverains qui tinrent long-tems le sceptre. Quelques-uns abuserent de l’autorité, ils furent déposés. On vit alors la nation, qui avoit toujours obéi, s’avancer par degrés vers la liberté, mettre habilement les révolutions à profit, & se montrer prête à favoriser le prétendant qui relâcheroit davantage les chaînes. Ainsi parvenue peu-à-peu à donner une forme républicaine à l’administration, elle la cimenta, lorsque sur la fin du xiv. siecle ses nobles firent acheter à Jagellon, duc de Lithuanie, l’éclat de la couronne par le sacrifice de sa puissance.

Le Christianisme ne monta sur le trône de Pologne que dans le x. siecle, & il y monta avec cruauté. Cette auguste religion y a repris finalement l’esprit de douceur qui la caractérise : elle tolere dans l’état des sectes que mal-à-propos elle avoit bannies de son sein ; mais en même tems la Pologne est restée superstitieusement soumise aux decrets du pontife de Rome, dont le nonce à Varsovie a un pouvoir très-étendu. Un archevêque, celui de Gnesne, est le chef du sénat comme de l’église ; les autres prélats polonois munis comme lui du privilege d’un pape, ont par ce privilege le droit de teindre leurs mains pacifiques du sang de leurs enfans, en les condamnant à la mort. Il n’y a dans toute la Pologne que trois ou quatre villes qui puissent posséder des terres ; & quoiqu’on soit accoutumé à voir dans l’histoire de ce pays le malheureux sort des paysans, on frémit toujours en contemplant cette degradation de l’humanité, qui n’a pas encore cédé au christianisme mal épuré de ce royaume.

La puissance souveraine réside dans la noblesse ; elle est représentée par ses nonces ou députés dans les dietes générales. Les lois se portent dans ses assemblées, & obligent le roi même.

Dans l’intervalle de ces parlemens de la nation, le sénat veille à l’exécution des lois. Dix ministres du roi, qui sont les premiers officiers de la couronne, ont place dans ce conseil, mais n’y ont point de voix. Les rois de Pologne en nommant à toutes les charges, peuvent faire beaucoup de bien, &, pour ainsi dire, point de mal.

Le gouvernement est en même tems monarchique & aristocratique. Le roi, le sénat & la noblesse, forment le corps de la république. Les évêques, qui sont au nombre de quinze sous deux archevêques, tiennent le second rang, & ont la presséance au sénat.

On voit dans ce royaume des grands partageant la puissance du monarque, & vendant leurs suffrages pour son élection & pour soutenir leur pompe fastueuse. On ne voit en même tems point d’argent dans le trésor public pour soudoyer les armées, peu d’artillerie, peu ou point de moyens pour entretenir les subsides ; une foible infanterie, presqu’aucun commerce : on y voit en un mot une image blafarde des mœurs & du gouvernement des Goths.

En vain la Pologne se vante d’une noblesse belliqueuse, qui peut monter à cheval au nombre de cent mille hommes : on a vû dix mille russes, après l’élection du roi Stanislas, disperser toute la noblesse polonoise assemblée en faveur de ce prince, & lui donner un autre roi. On a vu dans d’autres occasions cette armée nombreuse monter à cheval, s’assembler, se révolter, se donner quelques coups de sabres, & se séparer tout de suite.

L’indépendance de chaque gentilhomme est l’objet des lois de ce pays ; & ce qui en résulte par leur liberum veto, est l’oppression de tous.

Enfin ce royaume du nord de l’Europe use si mal de sa liberté & du droit qu’il a d’élire ses rois, qu’il semble vouloir consoler par-là les peuples ses voisins, qui ont perdu l’un & l’autre de ces avantages.

Pour achever complettement le tableau de la Pologne, il ne nous reste qu’à crayonner les principaux d’entr’eux qui l’ont gouvernée depuis le vj. siecle jusqu’à ce jour. Dans ce long espace de tems elle compte des chefs intelligens, actifs & laborieux, plus qu’aucun autre état ; & ce n’est pas le hasard qui lui a donné cet avantage, c’est la nature de sa constitution. Dès le xiv. siecle elle a fait ses rois : ce ne sont pas des enfans qui naissent avec la couronne avant que d’avoir des vertus, & qui dans la maturité de l’age peuvent encore sommeiller sur le trône. Un roi de Pologne doit payer de sa personne dans le sénat, dans les dletes, & à la tête des armées. Si l’on n’admire que les vertus guerrieres, la Pologne peut se vanter d’avoir eu de grands princes ; mais si l’on ne veut compter que ceux qui ont voulu la rendre plus heureuse qu’elle ne l’est, il y a beaucoup à rabattre.

Leck la tira des forêts & de la vie errante, pour la fixer & la civiliser. L’Histoire ne nous a pas conservé son caractere, mais on sait en genéral que les fondateurs des empires ont tous eu de la tête & de l’exécution.

Cracus, dans le vij. siecle, leur donna les premieres idées de la justice, en établissant des tribunaux pour décider les différends des particuliers. L’ordre régna où la licence diminuoit. Cracovie idolâtre honora long-tems son tombeau : c’étoit son palladium.

Au jx. siecle, Piast enseigna la vertu en la montrant dans lui même : ce qu’il ne pouvoit obtenir par la force du commandement, il le persuadoit par la raison & par l’exemple. Son regne s’écoula dans la paix, & des barbares commencerent à devenir citoyens.

Dans le x. siecle, Boleslas Chrobri, plein d’entrailles, les accoutuma à regarder leur souverain comme leur pere, & l’obéissance ne leur coûta rien.

Casimir I. fit entrevoir les Sciences & les Lettres dans cette terre sauvage, où elles n’étoient jamais entrées. La culture grossiere qu’on leur donna attendoit des siecles plus favorables pour produire des fruits : ces fruits sont encore bien âpres ; mais le tems qui mûrit tout, achevera peut-être un jour en Pologne ce qu’il a perfectionné en d’autres climats.

Dans le siecle suivant, Casimir II. qui ne fut nommé le juste qu’après l’avoir mérité, commença à protéger les gens de la campagne contre la tyrannie de la noblesse.

Au xiv. siecle, Casimir III. ou Casimir le grand, qu’on appelloit aussi le roi des paysans, voulut les mettre en liberté ; & n’ayant pu y réussir, il demandoit à ces bonnes gens lorsqu’ils venoient se plaindre, s’il n’y avoit chez eux ni pierres ni bâtons pour se defendre. Casimir eut les plus grands succès dans toutes les autres parties du gouvernement. Sous son regne, des villes nouvelles parurent, & servirent de modele pour rebâtir les anciennes. C’est à lui que la Pologne doit le nouveau corps de lois qui la regle encore à-présent. Il fut le dernier des Piast, race qui a régné 528 ans.

Jagellon fit tout ce qu’il voulut avec une nation d’autant plus difficile à gouverner, que sa liberté naissante étoit toujours en garde contre les entreprises de la royauté. Il est étonnant que le trône toujours électif dans sa race, n’en soit pas sorti pendant prés de 400 ans ; tandis qu’ailleurs des couronnes héréditaires passoient à des familles étrangeres. Cela montre combien les événemens trompent la sagesse humaine.

Le fils de Jagellon, Uladislas VI. n’avoit que 10 ans lorsqu’on l’eleva au trône, chose bien singuliere dans une nation qui pouvoit donner sa couronne à un héros tout formé ; c’est qu’on en appercevoit déja l’ame à-travers les nuages de l’enfance. La république nomma autant de régens qu’il y avoit de provinces, & des Burrhus se chargerent d’instruire l’homme de la nation. Il prit les rênes de l’état à 18 ans ; & en deux ans de regne il égala les grands rois. Il triompha des forces de la maison d’Autriche ; il se fit couronner roi de Hongrie ; il fut le premier roi de Pologne qui osa lutter contre la fortune de l’empire Ottoman. Cette hardiesse lui fut fatale ; il périt à la bataille de Varne, à peine avoit-il 20 ans ; & la Pologne regrettant également l’avenir & le passé, ne versa jamais de pleurs plus amers.

Elle n’essuya bien ses larmes que dans le xvj. siecle, sous le regne de Sigismond I. Ce prince eut un bonheur rare dans la diete d’élection ; il fut nommé roi par acclamation, sans division de suffrages. Une autre faveur de la fortune lui arriva, parce que les grands hommes savent la fixer. Il abattit la puissance d’un ordre religieux qui désoloit la Pologne depuis trois siecles ; je parle des chevaliers teutoniques. Sigismond étoit doué d’une force extraordinaire, qui le faisoit passer pour l’Hercule de son tems ; il brisoit les métaux les plus durs, & il avoit l’ame aussi forte que le corps. Il a vécu 82 ans, presque toujours victorieux, respecté & ménagé par tous les souverains, par Soliman même, qui ne ménageoit rien. Il a peut-être été supérieur à François I. en ce que plus jaloux du bonheur de ses peuples que de sa gloire, il s’appliqua constamment à rendre la nation plus équitable que ses lois, les mœurs plus sociables, les villes plus florissantes, les campagnes plus cultivées, les Arts & les Sciences plus honorés, la religion même plus épurée.

Personne ne lui ressembla plus parmi ses successeurs, qu’Etienne Battori, prince de Transilvanie, à qui la Pologne donna sa couronne, après la fuite d’Henri de Valois. Il se fit une loi de ne distribuer les honneurs & les emplois qu’au mérite ; il réforma les abus qui s’étoient accumulés dans l’administration de la justice ; il entretint le calme au-dedans & au-dehors. Il régna dix ans : c’étoit assez pour sa gloire, pas assez pour la république.

Sigismond III. prince de Suede, lui succéda sans le remplacer ; il n’eut ni les mêmes qualités ni le même bonheur ; il perdit un royaume héréditaire pour gagner une couronne élective ; il laissa enlever à la Pologne, par Gustave-Adolphe, l’une de ses plus belles provinces, la Livonie. Il avoit deux défauts qui causent ordinairement de grands malheurs ; il étoit borné & obstiné.

Casimir V. (Jean) fut le dernier de la race des Jagellons. Rien de plus varié que la fortune de ce prince. Né fils de roi, il ne put résister à l’envie d’être religieux, espece de maladie qui attaque la jeunesse, dit l’abbé de Saint-Pierre, & qu’il appelle la petite vérole de l’esprit. Le pape l’en guérit en le faisant cardinal. Le cardinal se changea en roi ; & après avoir gouverné un royaume, il vint en France pour gouverner des moines. Les deux abbayes que Louis XIV. lui donna, celle de S. Germain-des-Prés & celle de S. Martin de Nevers, devinrent pour lui une subsistance nécessaire, car la Pologne lui refusoit la pension dont elle étoit convenue ; & pendant ce tems-là il y avoit en France des murmures contre un étranger qui venoit ôter le pain aux enfans de la maison. Il voyoit souvent Marie Mignot, cette blanchisseuse que le caprice de la fortune avoit d’abord placée dans le lit d’un conseiller du parlement de Grenoble, & ensuite dans celui du maréchal de l’Hôpital. Cette femme singuliere, deux fois veuve, soutenoit à Gourville qu’elle avoit épousé secrettement le roi Casimir. Elle étoit avec lui à Nevers lorsqu’il y tomba malade & qu’il y finit ses jours en 1672.

Michel Wiecnoviecki fut élu roi de Pologne en 1669, après l’abdication de Casimir. Jamais roi n’eut plus besoin d’être gouverné ; & en pareil cas ce ne sont pas toujours les plus éclairés & les mieux intentionnés qui gouvernent. Au bout de quelques années il se forma une ligue pour le détrôner. Les Polonois ont pour maxime que tout peuple qui peut faire un roi, peut le défaire. Ainsi ce qu’on appelleroit ailleurs conjuration, ils le nomment l’exercice d’un droit national. Cependant les seigneurs ligués ne pousserent pas plus loin leur projet, par la crainte de l’empereur, & en considération de la misérable santé du roi, qui finit ses jours l’année suivante sans postérité, à l’âge de 35 ans, après quatre ans de troubles & d’agitations. Si le sceptre peut rendre un mortel heureux, c’est seulement celui qui le sait porter. L’incapacité du roi Michel fit son malheur & celui de l’état ; ses yeux se fermerent en 1673 la veille de la victoire de Choczin.

Jean Sobieski, qui remporta cette victoire, fut nommé roi de Pologne l’année suivante, & se montra un des grands guerriers du dernier siecle. C’est à l’article Olesko, lieu de sa naissance, que vous trouverez son caractere. Il mourut à Varsovie dans la 66e année de son âge.

Frédéric Auguste I. électeur de Saxe, devint roi de Pologne au moyen de son abjuration du Luthéranisme, & de l’argent qu’il répandit. Il se ligua en 1700 avec le roi de Danemarck & le czar, contre Charles XII. Il se proposoit par cette ligue d’assujettir la Pologne, en se rendant plus puissant par la conquête de la Livonie ; mais les Polonois le déposerent en 1704, & élurent en sa place Stanislas Lesczinski, palatin de Posnanie, âgé de 26 ans. Les Saxons ayant été battus par ce prince & par le roi de Suede, Auguste se vit obligé de signer un traité de renonciation à la couronne polonoise. La perte de la bataille de Pultowa en 1709, fut le terme des prospérités de Charles XII. Ce revers entraîna la chûte de son parti. Auguste rentra dans la Pologne, & le Czar victorieux l’y suivit pour l’y maintenir. Le roi Stanislas ne pouvant résister à tant de forces réunies, se rendit à Bender auprès du roi de Suede.

Les événemens de la vie du roi Stanislas sont bien remarquables. Son pere Raphaël Lesczinski avoit été grand général de la Pologne, & ne craignit jamais de déplaire à la cour pour servir la république. Grand par lui-même, plus grand encore dans son fils, dont Louis XV. est devenu le gendre ; les Polonois témoins de sa valeur, & charmés de la sagesse & de la douceur de son gouvernement, pendant le court espace qu’avoit duré son regne, l’élurent une seconde fois après la mort d’Auguste (en 1733). Cette élection n’eut pas lieu, par l’opposition de Charles VI. que soutenoient ses armes, & par celles de la Russie. Le fils de l’électeur de Saxe qui avoit épousé une niece de l’empereur, l’emporta de force sur son concurrent ; mais Stanislas conservant toujours de l’aveu de l’Europe le titre de roi, dont il étoit si digne, fut fait duc de Lorraine, & vint rendre heureux de nouveaux sujets qui se souviendront long-tems de lui.

L’Histoire juge les princes sur le bien qu’ils font. Si jamais la Pologne a quelque grand roi sur le trône pour la rétablir, ce sera celui-là seul, comme le dit M. l’abbé Coyer, « qui regardant autour de lui une terre féconde, de beaux fleuves, la mer Baltique & la mer Noire, donnera des vaisseaux, des manufactures, du commerce, des finances & des hommes à ce royaume ; celui qui abolira la puissance tribunitienne, le liberum veto, pour gouverner la nation par la pluralité des suffrages ; celui qui apprendra aux nobles que les serfs qui les nourrissent, issus des Sarmates leurs ancêtres communs, sont des hommes ; & qui, à l’exemple d’un roi de France plus grand que Clovis & Charlemagne, bannira la servitude, cette peste civile qui tue l’émulation, l’industrie, les arts, les sciences, l’honneur & la prospérité : c’est alors que chaque polonois pourra dire :

» Nam que erit ille mihi semper deus ».

(Le Chevalier de Jaucourt.)

Pologne, sacre des rois de, (Hist. des cérémonies de Pologne.) la Pologne, pour le choix de la scene du couronnement, fait comme la France. Au lieu de sacrer ses rois dans la capitale, elle les mene à grands frais dans une ville moins commode & moins belle, à Cracovie, parce que Ladislas Loketek, au iv. siecle, s’y fit couronner.

Ceux qui aiment les grands spectacles, sans penser à ce qu’ils coûtent aux peuples, seroient frappés de celui-ci. On y voit la magnificence asiatique se mêler au goût de l’Europe. Des esclaves éthiopiens, des orientaux en vêtemens de couleur du ciel, de jeunes polonois en robes de pourpre, une armée qui ne veut que briller ; les voitures, les hommes & les chevaux disputant de richesses, l’or effacé par les pierreries : c’est au milieu de ce cortege que le roi élu paroît sur un cheval magnifiquement harnaché.

La Pologne, dans l’inauguration de ses rois, leur présente le trône & le tombeau. On commence par les funérailles du dernier roi, dont le corps reste en dépôt jusqu’à ce jour ; mais comme cette pompe funébre ressemble en beaucoup de choses à celle des autres rois, je n’en citerai qu’une singularité. Aussitôt que le corps est posé sur le catafalque dans la cathédrale, un hérault à cheval, armé de pié en cap, entre par la grande porte, court à toute bride, & rompt un sceptre contre le catafalque. Cinq autres courant de même, brisent l’un la couronne, l’autre le globe, le quatrieme un cimeterre, le cinquieme un javelot, le sixieme une lance, le tout au bruit du canon, des trompettes & des tymbales.

Les reines de Pologne ont un intérêt particulier au couronnement. Sans cette solemnité, la république, dans leur vuidité, ne leur doit point d’apanage, (cet apanage ou douaire est de deux mille ducats assignés sur les salines & sur les starosties de Spiz & de Grodeck), & même elle cesse de les traiter de reines. Il s’est pourtant trouvé deux reines qui ont sacrifié tous ces avantages à leur religion, l’épouse d’Alexandre au xvj. siecle, & celle d’Auguste II. au xvij. siecle : la premiere professoit la religion greque, la seconde le luthéranisme qu’Auguste venoit d’abjurer ; ni l’une ni l’autre ne furent couronnées.

La pompe finit par un usage assez singulier. Un évêque de Cracovie assassiné par son roi dans l’onzieme siecle, étant à son tribunal, c’est-à-dire dans la chapelle où son sang fut versé, cite le nouveau roi comme s’il étoit coupable de ce forfait. Le roi s’y rend à pié, & répond comme ses prédécesseurs « que ce crime est atroce, qu’il en est innocent, qu’il le déteste, & en demande pardon en implorant la protection du saint martyr sur lui & sur le royaume ». Il seroit à souhaiter que dans tous les états, on conservât ainsi les monumens des crimes des rois. La flatterie ne leur trouve que des vertus.

Ensuite le roi, suivi du sénat & des grands officiers tous à cheval, se rend à la place publique. Là sur un théâtre élevé, couvert des plus riches tapis de l’Orient, il reçoit le serment de fidélité des magistrats de Cracovie, dont il ennoblit quelques-uns. C’est la seule occasion où un roi de Pologne puisse faire des nobles. La noblesse ne doit se donner que dans une diete après dix ans au-moins de service militaire. Histoire de Sobieski, par M. l’abbé Coyer. (D. J.)