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L’Encyclopédie/1re édition/PORTRAIT

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PORTRAIT, IMAGE, FIGURE, EFFIGIE, (Synon.) L’effigie est pour tenir la place de la chose même. L’image est pour en représenter simplement l’idée. La figure est pour en montrer l’attitude & le dessein. Le portrait est uniquement pour la ressemblance.

On pend en effigie les criminels fugitifs. On peint des images de nos mysteres. On fait des figures équestres de nos rois. On grave les portraits des hommes illustres.

Effigie & portrait, ne se disent dans le sens littéral qu’à l’égard des personnes. Image & figure, se disent de toutes sortes de choses.

Portrait se dit dans le sens figuré pour certaines descriptions que les Orateurs & les Poëtes font, soit des personnes, des caracteres, ou des actions. Image se prend aussi dans le même sens, mais le but qu’on se propose dans les images poétiques, c’est l’étonnement & la surprise ; au lieu que dans la prose, c’est de bien peindre les choses : il y a pourtant cela de commun, qu’elles tendent à émouvoir dans l’un & & dans l’autre genre. Enfin, image se dit encore au figuré des idées, des peintures qui se font dans l’esprit, par l’impression des choses qui ont passé par les sens : l’image des affronts qu’on reçoit ne s’efface point si-tôt de la mémoire. (D. J.)

Portrait, (Peinture.) ouvrage d’un peintre qui imite d’après nature l’image, la figure, la représentation d’une personne en grand, ou en petit. On fait des portraits à l’huile, en cire, à la plume, au crayon, en pastel, en miniature, en émail, &c.

Le principal mérite de ce genre de peinture, est l’exacte ressemblance qui consiste principalement à exprimer le caractere & l’air de physionomie des personnes qu’on représente. Si la personne que vous peignez est naturellement triste, ne lui donnez pas de la gaieté qui seroit toujours quelque chose d’étranger sur son visage. Si elle est enjouée, faites paroître cette belle humeur par l’expression des parties de la physionomie où elle se montre. Si elle est grave & majestueuse, les ris sensibles rendroient cette majesté fade & niaise. Chaque personne a un caractere distinctif qu’il faut saisir. Il y a des vûes du naturel qui sont plus ou moins avantageuses ; il y a des positions & des momens où ce naturel se développe davantage ; on doit les étudier.

L’air, le coloris, les ajustemens, l’attitude, sont des choses essentielles à la perfection d’un portrait. L’air est cet accord des parties dans le moment, qui marque la physionomie, l’esprit en quelque sorte, & le tempérament d’une personne. Le coloris ou le teint dans les portraits, est cet épanchement de la nature qui sert à faire connoître d’ordinaire le caractere propre d’une personne. La distinction des états & du rang se tire en grande partie des ajustemens, & l’on doit avoir soin que les draperies soient bien choisies & bien jettées. L’attitude est la posture & comme l’action de la figure. On sent bien que cette attitude ne doit pas seulement convenir à l’âge, au sexe, au tempérament, mais qu’elle doit être propre à chacun pour produire son exacte ressemblance.

Tous les portraits des peintres médiocres sont placés dans la même attitude ; ils ont tous le même air, parce que ces peintres n’ont pas les yeux assez bons pour discerner l’air naturel qui est différent dans chaque personne, & pour le donner à chaque personne dans son portrait. Mais le peintre habile sait donner à chacun l’air & l’attitude qui lui sont propres en vertu de sa conformation ; il a le talent de discerner le naturel qui est toujours varié. Ainsi la contenance & l’action des personnes qu’il peint sont toujours variées. L’expérience aide encore beaucoup à trouver la différence qui est réellement entre les objets, qui au premier coup d’œil nous paroissent les mêmes. Ceux qui voient des negres pour la premiere fois, croient que tous les visages des negres sont presque semblables ; mais à force de les voir, ils trouvent les visages des negres aussi différens entr’eux, que le sont les visages des hommes blancs.

Il est impossible de faire choix dans les objets animés, d’une attitude assez permanente, pour qu’elle soit absolument analogue à l’immobilité de la Peinture ; mais la raison veut au-moins qu’on choisisse celle qui en approche davantage, quelque éloignée qu’elle puisse être. Tout doit contribuer à la ressemblance d’un portrait ; or plus on choisit dans la nature de circonstances approchantes de celles où la Peinture est assujettie, plus on se trouve avoir rassemblé de circonstances illusoires qui contribueront à la ressemblance du portrait à son original, ou, si l’on peut le dire, de l’original à son portrait.

Une attitude forcée déplaît dans un portrait, dès qu’on le regarde beaucoup plus long-tems que cette attitude n’auroit pû durer dans la nature. Sa continuation détruit alors, sans qu’on y pense, l’illusion qu’on cherchoit à se faire ; elle révele trop grossierement & trop tôt l’imposture agréable de l’art, lors même qu’on tâchoit avec plaisir de s’y prêter. Il seroit aisé de donner plusieurs exemples de l’absurdité de l’introduction des attitudes instantanées dans le portrait.

Le sourire, par exemple, seroit désagréable dans la nature, s’il étoit perpétuel. Il dégénéreroit en idiotisme, en fadeur, en imbécillité. Le peintre qui le perpétue en l’introduisant dans un portrait, sous prétexte de peindre une grace, assujettit son ouvrage au même défaut. Dans tout portrait, on ne peut trop le dire, la ressemblance est la perfection essentielle. Tout ce qui peut contribuer à l’affoiblir, ou à la déguiser, est une absurdité ; c’est pour cela que tout ornement introduit dans un portrait aux dépens de l’effet de la tête, est une inconstance. C’est pour cela pareillement que tout attribut, qui, sous prétexte de faire tableau, égare nos idées & nous fait manquer la reconnoissance, est une erreur, une foiblesse, une défiance prématurée, de pouvoir remplir suffisamment la principale intention de l’ouvrage, la ressemblance ; & qui, en cherchant d’avance à en compenser le défaut, le produit. En effet peut-on aisément reconnoître le portrait de sa femme, ou de tout autre à qui on s’intéresse, dans l’image payenne d’une folle échappée de l’olympe, parcourant les airs sur une nue, ou d’une Minerve avec le casque d’un soldat, &c. Mais les personnes qui se font peindre aiment ces déguisemens ; elles se font masquer, & sont surprises de n’être pas reconnues.

Le genre de peinture le plus suivi & le plus recherché en Angleterre est celui du portrait. Dobson, Lely & Ramsay, s’y sont distingués. La maniere de colorer des peintres anglois, est ce que les Artistes appellent larges & simples. Ils colorent les portraits des femmes sur-tout avec un art singulier, & une pureté extrèmement agréable, mais ils négligent trop les détails. Leurs portraits du beau sexe se ressentent souvent des graces de l’original ; s’ils pouvoient y ajouter le caractere, ils peindroient une décence extrème dans les façons & dans la parure ; une modestie fine, séduisante, pleine d’esprit, & quelquefois un air d’innocence le plus capable d’enflammer Voyez Rouquet, état des arts en Angleterre. (D. J.)

Portrait en pié, (Peinture.) c’est un portrait en grand comme nature, & qui représente la personne toute entiere debout. Nous avons quelques portraits en pié de rois, de princes, de généraux ; mais il étoit réservé à la folie de Néron de se faire peindre en pié sur une toile de cent vingt piés de haut. C’est Pline qui nous l’apprend, l. XXXV. c. vij. voici ses termes : & nostræ ætatis insaniam ex picturâ non omittam ; Nero princeps jusserat colosseum se pingi cxx. pedum in linteo incognitum ad hoc tempus. Ce fait extrèmement singulier & unique dans l’Histoire, a fourni à M. de Caylus quelques réflexions que je trouve trop curieuses pour les passer sous silence.

Premierement, dit-il, ce fait nous indique les grands moyens d’exécution que les Artistes d’alors pouvoient avoir. Si ce colosse a été bien exécuté, & s’il a eu ce qu’on appelle de l’effet, comme on ne peut presque en douter, puisque Néron l’exposa à la vûe de tout le peuple, on doit regarder ce morceau non seulement comme un chef-d’œuvre de la Peinture, mais comme une chose que peu de nos modernes auroient été capables de penser & d’exécuter. Michel-Ange l’auroit osé, & le Corrège l’auroit peint ; car aucun de nos modernes n’a vû la Peinture en grand comme ce dernier. Les figures colossales de la coupole de Parme qu’il a hasardées le premier en sont une preuve : car il n’est pas douteux qu’un pareil ouvrage de Peinture ne soit plus difficile que toutes les choses de Sculpture ; chaque partie dans ce dernier genre conduit nécessairement aux proportions de celle qui l’approche. D’ailleurs la Sculpture porte ses ombres avec elle, & dans la Peinture il faut les donner, il faut les placer, &, pour ainsi dire, les créer successivement ; il faut enfin avoir une aussi grande machine tout à-la-fois dans la tête ; il est absolument nécessaire qu’elle n’en sorte point, non-seulement pour les proportions & le caractere, mais pour l’accord & l’effet. L’esprit a donc beaucoup plus à travailler pour un tableau d’une étendue si prodigieuse, que pour tous les colosses dépendans de la Sculpture.

Cette immense production de l’art fut exposée dans les jardins de Marius ; c’est une circonstance qui ne doit rien changer à nos idées : car elle ne prouve pas que ces espaces réservés dans Rome fussent plus étendus que nous ne le croyons ; le terrein étant aussi cher, & les maisons aussi proches les unes des autres, la distance nécessaire pour le point de vûe de ce tableau n’étoit pas fort grande. La regle la plus simple de ce point de vûe donne une distance égale à la hauteur ; ajoutons-y deux toises, pour faire encore mieux embrasser l’objet à l’œil, & nous n’aurons jamais que vingt-deux toises ; ce qui n’est pas fort considérable si l’on pense que ces jardins de Marius étoient publics, & si l’on suppose avec quelque apparence de raison que l’on aura choisi le terrein le plus espacé.

Cet ouvrage surprenant, mais ridicule en lui-même, fut consumé par la foudre, comme si l’entreprise étoit trop audacieuse pour la Peinture. Pline rapporte nuement ce fait comme s’il étoit tout simple, cependant on peut le regarder comme une opération de l’art vraiment merveilleuse. (D. J.)

Portrait, (Prose & Poésie.) L’art de bien peindre les qualités particulieres de l’esprit & du cœur d’une personne, n’est pas une chose facile. Il faut aussi caractériser l’air qui forme la ressemblance.

« Mademoiselle de Chatillon étoit une grande fille bise & seche, d’une physionomie ambiguë, d’un maintien équivoque ; elle se présentoit de bonne grace, s’asseyoit de mauvaise grace, dansoit noblement, marchoit mal. Elle avoit ordinairement de l’esprit, rarement du bon sens, jamais de la raison. Elle étoit vive dans ses reparties, turbulente dans ses manieres, froide dans le courroux, évaporée dans la joie. Ses gestes, ses paroles, son action, tout avoit l’activité d’un éclair, tout annonçoit l’orage, la grêle, le tonnerre. Elle avoit du penchant à l’amour, & de l’aversion pour la galanterie. Délicatesse, inquiétude, discrétion, mystère, ménagement, petits soins, en un mot, toutes les graces riantes & légeres qui accompagnent la tendresse, lui déplaisoient mortellement. Elle vouloit du bruyant, du brusque, de l’éclat. Elle étoit coquette, mais par imitation après les modeles les plus vils & les plus décriés ».

M. de Saint-Evremont & l’abbé de Saint-Réal nous ont donné tous les deux le portrait de la belle Hortense Mancini, niece du cardinal Mazarin, qui avoit épousé le duc de la Meilleraye. On trouve bien des choses finement pensées dans l’un & l’autre tableau ; mais on y voudroit plus de laconisme & de précision : il faut savoir peindre fortement & en peu de mots.

« Les nations, dit M. de Voltaire, crurent l’Angleterre ensevelie sous ses ruines, jusqu’au tems où elle devint tout-à-coup plus formidable que jamais, sous la domination de Cromwel qui l’assujettit, en portant l’Evangile dans une main, l’épée dans l’autre, le masque de la religion sur le visage. & qui dans son gouvernement couvrit des qualités d’un grand roi tous les crimes d’un usurpateur ». Voilà dans ce peu de lignes toute la vie de Cromwel.

Voulez-vous un portrait de fiction noblement écrit, lisez celui d’Artenice par la Bruyere.

« Elle occupe, dit-il, les yeux & le cœur de ceux qui lui parlent : on ne sait si on l’aime, ou si on l’admire : il y a en elle de quoi faire une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l’amitié : trop jeune & trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de leur mérite, & ne croit avoir que des amis. Pleine de vivacités & capable de sentimens, elle surprend & elle intéresse ; & sans rien ignorer de ce qui peut entrer de plus délicat & de plus fin dans les conversations, elle a encore ces saillies heureuses qui entr’autres plaisirs qu’elles font, dispensent toujours de la réplique : elle vous parle comme celle qui n’est pas savante, qui doute, & qui cherche à s’éclaircir ; & elle vous écoute comme celle qui sait beaucoup, qui connoît le prix de ce que vous lui dites, & auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui vous échappe.

» Loin de s’appliquer à vous contredire avec esprit, & d’imiter Elvire qui aime mieux passer pour une femme vive, que marquer du bon sens & de la justesse, elle s’approprie vos sentimens, elle les croit siens, elle les étend, elle les embellit, vous êtes content de vous d’avoir pensé si-bien, & d’avoir mieux dit encore que vous n’aviez cru.

» Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit qu’elle parle, soit qu’elle écrive ; elle oublie les traits où il faut des raisons, elle a déja compris que la simplicité est éloquente. S’il s’agit de servir quelqu’un & de vous jetter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis discours, & les belles-lettres qu’elle met à tous usages, Artenice n’emploie auprés de vous que la sincérité, l’ardeur, l’empressement & la persuasion.

» Ce qui domine en elle, c’est le plaisir de la lecture, avec le goût des personnes de nom & de réputation, moins pour en être connue, que pour les connoître. On peut la louer d’avance de toute la sagesse qu’elle aura un jour, & de tout le mérite qu’elle se prépare par les années, puisqu’avec une bonne conduite elle a de meilleures intentions, des principes sûrs, utiles à celles qui sont comme elle exposées aux soins & à la flatterie ; & qu’étant assez particuliere, sans pourtant être farouche, ayant même un peu de penchant pour la retraite, il ne lui auroit peut-être manqué que les occasions, ou ce qu’on appelle un grand théâtre, pour y faire briller toutes ses vertus ».

L’auteur de Télémaque a fait en ce genre des portraits d’une grande beauté, mais il n’en a point fait qui soit au-dessus du portrait de la reine d’Egypte par l’abbé Terrasson. Il mérite bien d’être transcrit dans cet ouvrage.

« Le grand-prêtre de Memphis, conducteur du convoi de la reine, monta sur le pié du char, & se tenant de bout & la tête nue, il prononça ce discours.

» Inexorables dieux des enfers, voilà notre reine que vous avez demandée pour victime dans le printems de son âge, & dans le plus grand besoin de ses peuples. Nous venons vous prier de lui accorder le repos dont sa perte va peut-être nous priver nous-mêmes. Elle a été fidelle à tous ses devoirs envers les dieux. Elle ne s’est point dispensée des pratiques extérieures de la religion, sous le prétexte des occupations de la royauté ; & les seules pratiques extérieures ne lui ont point tenu lieu de vertu. On appercevoit au-travers des soins qui l’occupoient dans ses conseils, ou de la gaiété à laquelle elle se prétoit quelquefois dans sa cour, que la loi divine étoit toujours présente à son esprit, & regnoit toujours dans son cœur.

» De toutes les fêtes auxquelles la majesté de son rang, le succès de ses entreprises, ou l’amour de ses peuples l’ont engagée, il a paru que celles qui l’amenoient dans nos temples étoient pour elle les plus agréables & les plus douces. Elle ne s’est point laissé aller, comme bien des rois, aux injustices dans l’espoir de les racheter par ses offrandes ; & sa magnificence à l’égard des dieux a été le fruit de sa piété, & non le tribut de ses remords. Au lieu d’autoriser l’animosité, la vexation, la persécution, par les conseils d’une piété mal entendue ; elle n’a voulu tirer de la religion que des maximes de douceur, & elle n’a fait usage de la sévérité, que suivant l’ordre de la justice générale, & par rapport au bien de l’état.

» Elle a pratiqué toutes les vertus des bons rois avec une défiance modeste, qui la laissoit à peine jouir du bonheur qu’elle procuroit à ses peuples. La défense glorieuse des frontieres, la paix affermie au-dedans & au-dehors du royaume, les embellissemens, & les établissemens de différente espece ne sont ordinairement de la part des autres princes, que des effets d’une sagesse politique que les dieux, juges du fond des cœurs, ne récompensent pas toujours : mais de la part de notre reine, toutes ces choses ont été des actions de vertu, parce qu’elles n’ont eu pour principe que l’amour de ses devoirs, & la vue du bonheur public.

» Bien loin de regarder la souveraine puissance comme un moyen de satisfaire ses passions, elle a conçu que la tranquillité du gouvernement dépendoit de la tranquillité de son ame, & qu’il n’y a que les esprits doux & patiens qui sachent se rendre véritablement maîtres des hommes. Elle a éloigné de sa pensée toute vengeange ; & laissant à des hommes privés la honte d’exercer leur haines dès qu’ils le peuvent, elle a pardonné comme les dieux avec un plein pouvoir de punir.

» Elle a réprimé les esprits rébelles, moins parce qu’ils résistoient à ses volontés, que parce qu’ils faisoient obstacle au bien qu’elle vouloit faire. Elle a soumis ses pensées aux conseils des sages, & tous les ordres du royaume à l’équité de ses loix. Elle a désarmé les ennemis étrangers par son courage, & par la fidélité à sa parole ; & elle a surmonté les ennemis domestiques par sa fermeté & par l’heureux accomplissement de ses projets.

» Il n’est jamais sorti de sa bouche ni un secret, ni un mensonge ; & elle a cru que la dissimulation nécessaire pour regner ne devoit s’étendre que jusqu’au silence. Elle n’a point cédé aux importunités des ambitieux ; & les assiduités des flateurs n’ont point enlevé les récompenses dues à ceux qui servoient leur patrie loin de sa cour.

» La faveur n’a point été en usage sous son regne ; l’amitié même qu’elle a connue & cultivée, ne l’a point emportée auprès d’elle sur le mérite, souvent moins affectueux & moins prévenant. Elle a fait des graces à ses amis ; & elle a donné les postes importans aux hommes capables. Elle a répandu des honneurs sur les grands, sans les dispenser de l’obéissance ; & elle a soulagé le peuple sans lui ôter la nécessité du travail. Elle n’a point donné lieu à des hommes nouveaux de partager avec le prince, & inégalement pour lui les revenus de son état ; & les deniers du peuple ont satisfait sans regret aux contributions proportionnées qu’on exigeoit d’eux ; parce qu’elles n’ont point servi à rendre leurs semblables plus riches, plus orgueilleux & plus méchans.

» Persuadée que la providence des dieux n’exclud point la vigilance des hommes qui est un de ses présens, elle a prévenu les miseres publiques par des provisions régulieres ; & rendant ainsi toutes les années égales, sa sagesse a maîtrisé en quelque sorte les saisons & les élemens. Elle a facilité les négociations, entretenu la paix & porté le royaume au plus haut point de la richesse & de la gloire par l’accueil qu’elle a fait à tous ceux que la sagesse de son gouvernement attiroit des pays les plus éloignés ; & elle a inspiré à ses peuples l’hospitalité qui n’étoit point encore assez établie chez les Egyptiens.

» Quand il s’est agi de mettre en œuvre les grandes maximes du gouvernement, & d’aller au bien général malgré les inconveniens particuliers ; elle a subi avec une généreuse indifférence les murmures d’une populace aveugle, souvent animée par les calomnies secretes des gens plus éclairés qui ne trouvent pas leur avantage dans le bonheur public. Hazardant quelquefois sa propre gloire pour l’intérêt d’un peuple méconnoissant, elle a attendu sa justification du tems ; & quoiqu’enlevée au commencement de sa course, la pureté de ses intentions, la justesse de ses vues, & la diligence de l’exécution lui ont procuré l’avantage de laisser une mémoire glorieuse, & un regret universel.

» Pour être plus en état de veiller sur le total du royaume, elle a confié les premiers détails à des ministres sûrs, obligés de choisir des subalternes qui en choisissoient encore d’autres, dont elle ne pouvoit plus répondre elle-même, soit par l’éloignement, soit par le nombre. Ainsi j’oserai le dire devant nos juges, & devant ses sujets qui m’entendent : si dans un peuple innombrable, tel que l’on connoît celui de Memphis, & des cinq mille villes de la Dynastie, il s’est trouvé, contre son intention, quelqu’un d’opprimé ; non seulement la reine est excusable par l’impossibilité de pourvoir à tout ; mais elle est digne de louange, en ce que connoissant les bornes de l’esprit humain, elle ne s’est point écartée du centre des affaires publiques, & qu’elle a réservé toute son attention pour les premieres causes & pour les premiers mouvemens.

» Malheur aux princes dont quelques particuliers se louent, quand le public a lieu de se plaindre ; mais les particuliers même qui souffrent n’ont pas droit de condamner le prince, quand le corps de l’état est sain, & que les principes du gouvernement sont salutaires. Cependant quelque irréprochable que la reine nous ait paru à l’égard des hommes, elle n’attend par rapport à vous, ô justes dieux, son repos & son bonheur que de votre clémence ».

Si l’on compare ce morceau au portrait qu’a fait Bossuet de Marie Thérese, on sera surpris de voir combien le grand maître de l’éloquence est au-dessous de l’abbé Terrasson dans son éloge.

Un portrait en vers est une petite piece de vers dans laquelle on peint, comme on fait en prose, une personne par les traits les plus propres à faire connoître ses agrémens & son caractere. Tel est le portrait de madame de Rochefort par M. le duc de Nivernois.

Sensible avec délicatesse,
Et discrette sans fausseté ;
Elle sait joindre la finesse
A l’aimable naïveté.
Sans caprice, humeur, ni folie
Elle est jeune, vive & jolie ;
Elle respecte la raison ;
Elle déteste l’imposture,
Trois syllabes forment son nom,
Et les trois graces sa figure.

Voici celui d’une autre dame par M. de Voltaire.

Etre femme sans jalousie
Et belle sans coqueterie,
Bien juger sans beaucoup savoir,
Et bien parler sans le vouloir ;
N’être haute ni familiere,
N’avoir point d’inégalité,
C’est le portrait de la Valliere,
Il n’est ni fini, ni flatté.

Il y a des portraits satyriques ; j’en supprime les exemples quelque bons, quelque vrais en eux-mêmes que soient ces portraits ; car la qualité des objets ne fait rien à la chose, dès qu’on la peint avec tous les traits qui lui conviennent. Que ce soit les graces ou les furies, il n’importe, Ciceron dit : Gorgonis os pulcherrimum crinitam anguibus. Orat. 4, in Verrem.

Un portrait plein d’énergie & d’une heureuse simplicité, est celui de l’empereur Titus par Ausone.

Felix imperio, felix brevitate regendi,
Expers civilis sanguinis, orbis amor.

Enfin, on fait quelquefois des portraits en vers à la gloire des beaux génies. Despreaux fit ceux-ci pour être mis au bas du portrait de Racine.

Du théâtre françois l’honneur & la merveille,
Il sut résusciter Sophocle & ses écrits,

Et dans l’art d’enchanter les cœurs & les esprits, Surpasser Euripide & balancer Corneille.

(Le Chevalier de Jaucourt.)

Portrait, s. m. (Paveur.) les maîtres paveurs appellent ainsi un des marteaux dont ils se servent pour fendre & tailler le pavé de grès, particulierement celui qu’on nomme du petit échantillon. (D. J.)