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L’Encyclopédie/1re édition/PRÉGADI

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PRÉGADI, (Hist. de Venise) nom du sénat de Venise, dans lequel réside toute l’autorité de la république. On y prend les résolutions de la paix ou de la guerre, des ligues ou des alliances : on y élit les capitaines généraux, les provéditeurs des armées, & tous les officiers qui ont un commandement considérable dans les troupes : on y nomme les ambassadeurs ; on y regle les impositions ; on y choisit tous ceux qui composent le college ; on y examine les résolutions que les sages prennent dans les consultations du college, sur lesquelles le sénat se détermine à la pluralité des voix. En un mot, le prégadi est l’ame de l’état, & par conséquent le principe de toutes les actions de la république.

L’origine du nom de prégadi vient de ce qu’autrefois le sénat ne s’assemblant que dans des occasions extraordinaires, on alloit prier les principaux citoyens de s’y trouver, lorsque quelque affaire importante méritoit qu’on prît leur avis : aujourd’hui le sénat s’assemble les mercredis & les samedis ; mais le sage de semaine peut faire tenir extraordinairement le prégadi, lorsque les affaires qu’on y doit porter, demandent une promte délibération.

Le prégadi fut composé de soixante sénateurs dans la premiere institution ; c’est ce qu’on appelle le prégadi ordinaire. Mais comme on étoit obligé d’enjoindre souvent plusieurs autres dans les affaires importantes, on en créa encore soixante ; ce qu’on appelle la giunte. Ces cent vingt places sont remplies par des nobles d’un âge avancé, & de la premiere noblesse. Tous les membres du college, ceux du conseil des dix, les quarante juges de la quarantie criminelle, & les procurateurs de saint Marc entrent aussi au prégadi ; de sorte que l’assemblée du sénat est d’environ deux cens quatre-vingt nobles, dont une partie a voix délibérative, & le reste n’y est que pour écouter & pour se former aux affaires. Le doge, les conseillers de la seigneurie & les sages grands, sont les seuls dont les avis peuvent être balotés, pour éviter la confusion qui naîtroit de la diversité des sentimens dans une si grande assemblée où les avis ne peuvent passer, qu’ils n’ayent la moitié des voix. Cependant ceux qui n’ont pas le droit du suffrage, peuvent haranguer pour approuver ou pour contredire les opinions que l’on propose ; mais leurs harangues ne changent guere les résolutions du sénat.

Il résulte de ce détail que le prégadi représente une parfaite aristocratie, avec un pouvoir absolu dans les plus importantes affaires de l’état ; de sorte que le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. Il peut ravager l’état par ses volontés générales ; & comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulieres. En un mot, toute la puissance y est une ; & quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant. On dira peut-être que les tribunaux de Venise se temperent les uns les autres ; que le grand conseil a la législation ; le prégadi, l’exécution ; les quaranties, le pouvoir de juger : mais je réponds avec l’auteur de l’Esprit des lois, que ces tribunaux différens sont formés par des magistrats du même corps, ce qui conséquemment ne fait guere qu’une même puissance. (Le Chevalier de Jaucourt.)