L’Encyclopédie/1re édition/PRÉTEUR

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PRÉTEUR, s. m. (Hist. rom.) magistrat souverain de Rome, dont la principale fonction étoit de rendre la justice ; c’est pour cela que sur les médailles des préteurs on voit souvent une balance.

Les lois seroient oisives & sans force, si on ne les tournoit à leur usage, & si elles n’avoient du consentement des citoyens, un homme grave & puissant sous la voix, & l’autorité duquel elles se manifestassent ; c’est la charge du magistrat. Il est en quelque maniere la vie & la main des lois pour ranimer celles qui languissent, débrouiller celles qui sont obscures, étendre celles qui sont trop resserrées.

Ce pouvoir donné à certains hommes par le choix du peuple, des principaux de la nation, ou par l’ordre du prince, produit promptement ce qui ne pourroit s’exécuter sans beaucoup de peine, par les citoyens réunis ensemble. Ainsi le peuple arme quelqu’un d’eux de la puissance de tous, afin de terminer les affaires par le ministere des lois ; c’est ce qu’exécutoit chez les Romains un magistrat duquel découloit la jurisdiction & le jugement des affaires. Ce magistrat s’appelloit préteur dont auparavant toute la puissance appartenoit au consulat.

Le nom général de préteur convenoit à toutes les souveraines magistratures, mais principalement au consulat, parce que le consul présidoit à tous les jugemens en paix & en guerre ; de là vient que nous lisons dans Tite-Live, qu’il y avoit une loi très-ancienne par laquelle il étoit prescrit au souverain préteur, c’est-à-dire à celui qui étoit consul ou dictateur, de ficher le clou. Justinien nous apprend que le nom de préteur désignoit l’empire, & que les anciens généraux romains avoient été appellés préteurs.

Les patriciens dans leurs disputes avec les plébéiens, n’ayant pû empêcher que l’un des consuls seroit tiré de l’ordre des plébéiens, songerent à réparer en quelque maniere le partage de leur puissance. Ils prétexterent alors les trop grandes occupations du consul, & représentant la multitude des affaires de la ville, qui ne pouvoient être expédiées par des consuls toujours occupés d’affaires militaires & d’expéditions longues & éloignées, obtinrent l’an 386, qu’une partie de la puissance consulaire, c’est-à-dire celle qui comprenoit les affaires du barreau, seroit conférée à un magistrat particulier choisi dans le nombre des sénateurs, & qui seroit nommé préteur par une dénomination commune attachée à cette charge particuliere. Cela fut exécuté, & Spurius Furius Camillus fut le premier élu préteur l’an de Rome 387.

Ce préteur fut fait dans les comices assembles par centuries avec les mêmes cérémonies de religion, c’est-à-dire en prenant les mêmes auspices que pour les consuls ; aussi le préteur est-il appellé quelquefois leur collegue. On créa d’abord un seul préteur ; mais l’an 510 l’abondance des affaires en fit nommer un second pour rendre la justice entre les citoyens & les étrangers ; ce qui fit qu’on l’appella préteur etranger, peregrinus pretor. Celui qui ne jugeoit que des procès entre citoyen & citoyen, étoit appellé préteur de la ville, pretor urbanus ; & sa charge étoit plus honorable que celle de l’autre ; elle lui étoit aussi supérieure. On appelloit la justice qu’il rendoit, la justice d’honneur, jus honorarium.

L’an 526 de Rome, lorsque la Sicile & la Sardaigne eurent été réduites en provinces romaines, on créa deux préteurs pour les gouverner au nom de la république. Et l’an 556, lorsqu’on eut subjugué les deux Espagnes, citérieure & ultérieure, on créa deux autres préteurs pour régir ces deux provinces. Mais en 561, il fut réglé par la loi Bebia, qui cependant ne fut pas longtems observée, qu’on ne créeroit tous les deux ans que quatre préteurs, dont deux demeureroient dans la ville, savoir l’urbanus & le peregrinus, & que les autres se rendroient aussi-tôt dans les provinces qui leur seroient tombées en partage.

Vers l’an 605 de Rome, ou peu de tems après, c’est-à-dire en 607, lorsque l’Afrique, l’Achaie, la Macédoine, furent devenues provinces romaines, on établit ce qu’on appelloit quæstiones perpetuæ, recherches perpétuelles, dont nous parlerons bientôt. Alors il fut réglé que tous les préteurs rendroient la justice à Rome, soit en public, soit en particulier, dans l’année de leur magistrature ; & qu’à la fin de cette année, ils partiroient pour les provinces qui leur seroient échues. L. Cornelius Sylla ayant augmenté les recherches perpétuelles l’an 672, il ajouta encore deux autres préteurs ; quelques-uns prétendent qu’il en augmenta le nombre jusqu’à dix. Quoi qu’il en soit, Jules César l’an 707 créa dix préteurs ; il augmenta ensuite leur nombre jusqu’à quatorze, & ensuite jusqu’à seize, pour récompenser les cooperateurs de sa criminelle ambition. Mais après sa mort, on réduisit le nombre à dix. Auguste créa encore dix autres préteurs, & ils furent ensuite au nombre de seize, auxquels l’empereur Claude en ajouta deux, pour juger en dernier ressort des fidei-commis jusqu’à une certaine somme limitée, à ce qu’il paroît. Quand la somme excédoit, on en appelloit au consul. L’empereur Titus n’en retrancha qu’un, qui fut rétabli par Nerva, pour juger des affaires entre le fisc & les particuliers. Marc Aurele Antonin institua un préteur pour les affaires de tutelle. Lorsque l’étendue de l’empire eut été diminuée, le nombre des préteurs le fut aussi ; ensorte que sous les empereurs Valentinien & Marcien, il n’y en avoit que trois. Enfin vers le tems de Justinien, la préture fut entierement abolie.

Les marques de la dignité du préteur étoient 1°. six licteurs avec des faisceaux, au moins hors de la ville. Quelques-uns ne lui en donnent que deux, c’est-à-dire qu’au moins il en avoit toujours deux qui l’accompagnoient par-tout : 2°. il portoit la robe prétexte, qu’il prenoit comme les consuls dans le capitole le jour qu’il étoit installé, après avoir fait les vœux ordinaires dans le temple : 3°. il avoit la chaise curule : 4°. il avoit un tribunal qui étoit un lieu élevé en forme de demi-cercle, sur lequel étoit placée la chaise curule ; car les magistrats & juges inférieurs n’étoient assis que sur des bancs : 5°. il avoit la lance qui marquoit sa jurisdiction, & l’épée qui marquoit le droit de question.

Les fonctions du préteur étoient 1°. de donner des jeux, sur-tout les jeux du cirque, tels que ceux qu’on appelloit les grands jeux floraux, & autres ; ce qui se faisoit avec beaucoup de pompe & de somptuosité. Il avoit pour cette raison une espece d’inspection sur les comédiens & autres gens de cette sorte, au moins du tems des empereurs. Durant la vacance de la censure, il avoit droit d’ordonner la réparation des édifices publics ; mais il falloit y joindre un decret du sénat. 3°. Dans l’absence des consuls, il faisoit leurs fonctions ; il assembloit le sénat ; il falloit cependant que ce fût pour quelque affaire nouvelle : il demandoit les avis des sénateurs, tenoit les comices, & haranguoit le peuple. De sorte que lorsque le consul étoit absent, il étoit véritablement le premier magistrat de Rome. Il pouvoit empêcher tout magistrat, excepté les consuls, de tenir les comices & de haranguer. Cependant il paroît que quelques-unes de ces prérogatives ne concernoient que le préteur de la ville.

La principale fonction du préteur étoit ce qui regardoit sa jurisdiction, comme s’exprime Cicéron, de leg. l. III. c. iij. Cette jurisdiction étoit si étendue, & l’occupoit tellement, qu’il lui étoit impossible d’être hors de Rome plus de dix jours. Pour savoir en quoi consistoit cette jurisdiction, il est nécessaire de dire ici quelque chose de la forme des jugemens chez les Romains.

Tous les jugemens regardoient ou les affaires des particuliers, ou celles de l’état : à l’égard des premieres, qui étoient proprement l’objet de la jurisdiction de la préture ; c’étoient les deux préteurs qui présidoient ; mais pour ce qui est des affaires d’état qu’on appelloit les recherches, quæstiones, elles étoient d’abord dévolues au peuple, qui établissoit à cet effet des commissaires nommés quæstores, ou bien il créoit un dictateur. Les procès des esclaves & de la populace étoient jugés par les triumvirs capitaux. Les édiles jugeoient des affaires qui avoient rapport à l’exercice de leurs charges. Mais l’abondance & la prospérité ayant fait commettre dans Rome, comme il arrive ordinairement, toutes sortes de crimes, il fut réglé que les deux premiers préteurs auroient toujours la même jurisdiction par rapport aux procès des particuliers, & que les quatre autres feroient les recherches que le sénat auroit ordonné suivant les conjonctures pour les crimes capitaux & d’état. Les recherches ou inquisitions furent appellées quæstiones perpetuæ, soit parce qu’elles avoient une forme prescrite qui étoit certaine & invariable ; ensorte qu’elles n’avoient pas besoin d’une nouvelle loi, comme autrefois ; soit parce que les préteurs faisoient ces recherches perpétuellement & durant toute l’année de leur exercice, & que le peuple, comme ci-devant, ne nommoit plus des édiles pour faire ces sortes d’informations.

L’objet des premieres recherches perpétuelles furent les concussions, les crimes d’ambition, ceux d’état & de péculat. Sylla y ajouta le crime de faux, ce qui renfermoit le crime de fabrication de fausse monnoie, le parricide, l’assassinat, l’empoisonnement ; on y ajouta encore comme une suite, la prévarication des juges, & les violences publiques & particulieres. Cependant le peuple, & même le sénat, connoissoient quelquefois par extraordinaire, de ces crimes, & nommoient des commissaires pour informer ; ainsi qu’il arriva dans le procès de Silanus, accusé de concussion ; dans l’affaire de Milon touchant le meurtre de Clodius ; & dans celle de ce Clodius même, qui avoit profané le culte de la bonne déesse. On ordonnoit alors une information de pollutis sacris, surtout lorsqu’il s’agissoit d’une vestale accusée d’avoir eu commerce avec un homme, & d’autres crimes semblables. A l’égard de l’assassinat, le peuple, comme nous avons dit, faisoit le procès aux coupables dans les comices assemblés par centuries.

Lorsque le sénat avoit ordonné les informations, les préteurs tiroient entr’eux au sort le procès qui devoit leur échoir ; car les comices ne fixoient point l’attribution des causes. Quelquefois les deux préteurs travailloient au même procès, sur-tout quand il s’agissoit d’un grand nombre de complices. Quelquefois un seul préteur connoissoit de deux affaires. Le préteur étranger connut pendant un certain tems du crime de concussion ; & même le préteur de la ville, par un decret du sénat, informoit sur les affaires d’état : cependant cela est douteux ; car Verrés contrevint aux lois, lorsque dans sa préture, il voulut juger d’un crime d’état. Enfin on vit quelquefois les deux préteurs joints ensemble pour juger de la même affaire.

J’ai dit que le préteur de la ville étoit d’un rang fort au-dessus de l’autre ; on l’appelloit même honoré par excellence ; il étoit regardé comme le conservateur du droit des Romains ; & c’étoit sur ses ordonnances que le préteur étranger, c’est-à-dire le second préteur (Sigonius cependant en doute), & les préteurs des provinces, formoient les leurs. Delà vient qu’on l’appelloit aussi le grand préteur, prætor maximus. Au commencement de la magistrature, il publioit un édit concernant la formule ou la méthode suivant laquelle il rendroit durant l’année la justice, touchant les affaires de son ressort. Les préteurs avoient introduit cet usage pour avoir lieu d’interpréter à leur gré & de corriger le droit civil, dans les choses qui concernoient les particuliers. Le préteur ne manquoit jamais tous les ans de renouveller cet édit lorsqu’il entroit en charge ; & c’est ce que Cicéron appelle la loi annuelle, lex annua ; aussi les actions prétoriennes, c’est-à-dire les procédures faites sous un préteur, ne subsistoient ordinairement que durant l’année de son exercice. Mais les préteurs étant souvent guidés dans leurs jugemens par l’ambition & la faveur, & jugeant peu conformément à leurs propres édits, C. Cornélius, tribun du peuple l’an 686, porta une loi appellée la loi cornelia, par laquelle on obligea les préteurs de suivre exactement leurs édits dans leurs jugemens. Sous l’empereur Adrien, & par son ordre, Salvius Julianus, bisayeul de l’empereur Julien, & grand jurisconsulte, recueillit tous les édits des préteurs en un volume, & les mit en ordre ; ce qui a été appellé depuis edictum perpetuum, & jus honorarium.

Le préteur avoit coutume d’exprimer toute l’étendue de sa jurisdiction par ces trois mots : do, dico & abdico. Le premier signifioit qu’il avoit le pouvoir de donner des juges, de donner la possession des biens, d’accorder la revendication, &c. Le second, qu’il avoit droit de prononcer souverainement sur toutes les affaires des particuliers. Le troisieme, de faire exécuter tous ses jugemens.

Il donnoit audience aux parties, soit assis sur son tribunal, soit debout, de plano. Il jugeoit tantôt per decretum, & tantôt per libellum dans les affaires peu importantes. Au reste, il ne donnoit audience que dans les jours appellés fasti (à fando), parce qu’il n’y avoit que ces jours-là que le préteur pouvoit prononcer les trois mots que j’ai marqués ci-dessus.

Voilà les usages qu’on suivit tant que la république fut libre. Mais sous les derniers empereurs, les préteurs se virent dépouillés de toutes leurs anciennes fonctions, & réduits à l’intendance des spectacles ; ce qui fait que Boece, parlant des préteurs de son tems, appelle la préture un vain nom, & une charge inutile. En effet, les préfets du prétoire, qui étoient des officiers de l’empereur, avoient usurpé toutes les fonctions des préteurs de ville, parce que le pouvoir du peuple étoit passé entierement aux empereurs.

Le nom de préteur vient du latin prætendere, c’est-à-dire marcher devant, à cause de la supériorité de sa jurisdiction. On peut consulter sur cette charge, Sigonius, Juste-Liple, Gravina, & Perizonius, dans sa dissertation de prætorio. Voyez aussi Préture. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Préteur, droit du, (Jurisp. rom.) jus prætorium, c’est une partie considérable du Droit romain, laquelle tire son origine des édits annuels que publioit chaque préteur, ou magistrat revêtu d’une jurisdiction civile, pour une année seulement. Ces édits par lesquels le préteur expliquoit, corrigeoit ou suppléoit ce qu’il trouvoit obscur & défectueux dans le Droit écrit, où les coûtumes reçues ne pouvoient que varier beaucoup ; & ils n’eurent force de loi que par l’usage, jusqu’à ce que Salvius Julianus en composa, par ordre de l’empereur Adrien, un édit perpétuel, qui depuis eut la même autorité que les autres parties du Droit romain, dont il demeura néanmoins distingué, & par ses effets, & par le nom de droit du préteur, opposé au Droit civil : on entendoit par droit civil, 1°. les lois proprement ainsi nommées, qui avoient été établies sur la proposition de quelques magistrats du corps du sénat ; 2°. les plébiscites ou ordonnances du peuple, faites sur la proposition des magistrats, qu’il choisissoit lui-même de son ordre ; 3°. les senatus-consultes ou arrêts du sénat seul ; 4°. les décisions des jurisconsultes, autorisées par la coûtume, qui par elle-même avoit aussi force de loi ; 5°. enfin les constitutions des empereurs. On peut voir sur le droit du préteur Mrs Noodt, Sculting, & Averani. (D. J.)