L’Encyclopédie/1re édition/PRAXIDICE

La bibliothèque libre.

PRAXIDICE, s. f. (Mythol.) Πραξιδίκη, déesse, fille de Soter, qui est le dieu conservateur, & mere d’Homonoë & d’Arété, c’est-à-dire de la concorde & de la vertu. Son nom étoit un composé de deux mots, de πρᾶξις, qui veut dire action, & de δίκη, jugement ; parce que, dit-on, c’étoit elle qui avoit soin de marquer aux hommes les justes bornes dans lesquelles ils devoient se contenir, soit dans leurs actions, soit dans leurs discours.

Les anciens ne faisoient jamais de statue de cette déesse en entier, mais la représentoient seulement par une tête, pour montrer peut-être que c’est la tête & le bon sens qui déterminent les limites de chaque chose, aussi ne lui sacrifioit-on que les têtes des victimes.

Hésychius dit que Ménélas, au retour de la guerre de Troie, consacra un temple à cette divinité & à ses deux filles, la Concorde & la Vertu, sous le nom de Praxidice.

On remarque que cette déesse avoit tous ses temples découverts, pour désigner son origine qu’elle tiroit du ciel, comme de l’unique source de la sagesse ; on a aussi donné le nom de Praxidice à Minerve.

On ne sauroit douter que l’origine de Praxidice ne soit fort ancienne ; le poëte dont nous avons les ouvrages, sous le nom d’Orphée, que les chronologistes placent vers la cinquante-quatrieme olympiade, au tems de Pisistrate, nomme les fêtes de Praxidice parmi les différens sujets qui avoient exercé sa muse, avant son entreprise des Argonautiques, ὄργια Πραξιδίκης ; mais ce passage ne nous apprend que le nom de la déesse, & l’on n’y trouve rien qui établisse sa prétendue ressemblance avec Laverne. Nous ne tirons pas une plus grande lumiere d’un autre passage du même auteur, qui dans une hymne à Proserpine, fait de Πραξιδίκη un attribut de Proserpine même ; l’analyse de ce mot composé, & sa réduction aux principes desquels il est tiré, πρᾶξις & δίκη, jugement ou punition des actions, marque seulement la justesse de l’application que le poëte en fait à la reine des enfers.

Πραξιδίκη est personnifiée dans Pausanias, & conformément à l’analogie, l’historien en parle comme d’une divinité qui présidoit à la vengeance. Ménélas, dit-il, étant de retour chez lui après la prise de Troie, éleva une statue à Thétis & à Praxidice. Ménélas ne pouvoit se dispenser de rendre cet hommage à la divinité vengeresse, qui venoit de l’aider à tirer raison d’un affront ; mais si elle eût été soupçonnée de protéger le vol, comme on le voit par quelques gloses anciennes qui rendent mal-à-propos le nom de Praxidice par celui de Laverne, Ménélas auroit sans doute laissé à Pâris le soin de l’honorer : le ravisseur d’Hélene qu’elle avoit bien servi, pouvoit se charger seul de la reconnoissance qui lui étoit dûe ; & il n’étoit pas juste que le mari outragé fût encore condamné aux dépens.

Le même Pausanias rapporte ailleurs, que les Aliartiens connoissoient plusieurs déesses Praxidices, qui avoient un temple dans leur pays. Comme il ne nous avertit pas que dans cet autre endroit, il attache une nouvelle idée à la même dénomination ; nous pouvons toujours l’entendre des divinités de la vengeance, qu’il étoit en effet à propos de multiplier, pour partager entre plusieurs un emploi, auquel une seule ne pouvoit pas suffire. Pausanias ajoute que les Aliartiens juroient par ces déesses, & que le serment fait en leur nom étoit inviolable. Auroit-on eu cette délicatesse, si leur métier eût été de favoriser la tromperie ? D’ailleurs, si Praxidice avoit eu quelque chose de commun avec la déesse des voleurs, on ne lui auroit pas donné pour compagnes, la concorde & la vertu, lorsqu’on la représentoit, & on ne se seroit pas avisé de la peindre sans bras & sans mains. (D. J.)