L’Encyclopédie/1re édition/PRIAPISME

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PRIAPISME, s. m. (Med. prat.) priapismus, πριαπισμὸς ; maladie dont le nom indique d’avance le siege & le caractere. Il est dérivé de Priape, ce vil tronc de figuier que quelques poëtes lascifs avoient divinisé, & qu’ils représentoient sous la figure d’un homme avec une verge d’une grosseur demesurée pour symbole de son empire ; c’est la partie de l’homme qui est soumise à la domination de cet infâme dieu, qui est attaquée dans le priapisme ; elle est aussi presque toujours alongée & grossie, en un mot dans une violente érection ; mais cette érection est convulsive, accompagnée quelquefois d’une douleur vive rapportée près du pubis, vers l’origine des corps caverneux ; elle n’est point excitée par des desirs voluptueux, & n’en excite point ; le malade dans cette situation n’est point porté à l’acte vénérien, cet appétit est éteint chez lui ; quoique les parties soient très-disposées à le satisfaire. C’est manifestement un état contre nature, qui est bien distingué par-là du satyriasis ou salacité immodérée, qui consiste dans une espece de fureur vénérienne insatiable, avec érection constante & démangeaison agréable, qui se soutiennent long-tems quoiqu’on assouvisse cette ardente passion, & qui exigent même qu’on réitere souvent les sacrifices. Voyez Satyriasis.

Il paroit par-là que le priapisme est produit par la convulsion des muscles érecteurs de la verge, la même cause qui augmente & soutient l’action de ces muscles pousse & retient le sang abondamment dans les cellules des corps caverneux : on pourroit y ajouter la difficulté qu’a le sang de sortir & de retourner par la veine qui rampe sur le dos de la verge, parce qu’alors elle est comprimée par les muscles érecteurs contractés. Il ne faut cependant pas croire que cette pression aille au point d’intercepter tout-à-fait la circulation, comme quelques auteurs l’ont pensé ; la gangrene ne tarderoit pas à survenir à des érections un peu longues & considérables ; il n’y auroit alors point de moyen qui ne pût ou ne dût être employé pour la faire cesser bientôt. Voyez Erection.

Il ne faut pas chercher les causes éloignées du priapisme dans quelque vice de la semence ; cette humeur trop abondante ou trop active, donne lieu à des érections fréquentes, presque continuelles ; mais elle fait naître en même tems un appétit violent pour le plaisir d’autant plus naturel, qu’il est fondé sur le besoin ; le malade attaqué du priapisme n’a comme nous l’avons déja observé, aucun desir ; il n’éprouve que de la douleur & de l’incommodité d’un état qui chez les autres, est la source, le principe & l’avant-coureur du plaisir. Les causes de cette maladie ne sont pas aussi momentanées ; elles agissent longtems & insensiblement avant de produire cet effet, qui en est par-là même plus solidement établi. Les personnes qu’une aveugle passion a entrainées dans d’infâmes pratiques que la pudeur défend presque de nommer, & qu’elle devroit sur-tout faire abolir, voyez Manustupration ; ces personnes, dis-je, sont très-sujettes au priapisme ; c’est une des punitions ordinaires de leurs crimes, & ce n’est ni la seule ni la plus cruelle ; cette maladie peut aussi être le fruit des lectures lascives continuées pendant long-tems, des méditations, des conversations de même espece, des compagnies libertines, &c. dans tous ces cas l’érection si souvent provoquée devient ensuite habituelle & enfin convulsive. L’usage des remedes aphrodisiaques, appellés par euphémisme, ad magnanimitatem, & surtout des cantharides, est une des causes les plus ordinaires du priapisme ; cette cause a souvent lieu chez les vieux libertins, dont l’âge a éteint le feu sans éteindre les desirs ; ils veulent forcer la nature ; les aiguillons naturels ne suffisent pas, ils empruntent ceux de l’art : malheureux de ne pouvoir être enflammés par la beauté & les caresses d’une femme, ils ne reçoivent d’ailleurs qu’un feu momentané, & qui se dissipe en fumée ; & souvent ces remedes leur laissent de fâcheuses impressions ; ils en éprouvent un effet plus grand qu’ils n’en espéroient, & sont cependant par la bisarrerie de leur situation, bien loin d’être satisfaits ; tel fut entr’autres, ce vieillard dont Salmuth fait l’histoire, qui prit des aphrodisiaques pour se rendre plus agréable à une jeune femme qu’il venoit d’épouser ; ses desseins furent mal remplis, il fut attaqué d’un priapisme si violent, qu’il subsista même quelque tems après sa mort qu’il accéléra par ses sotises. On peut ajouter à ces causes toutes celles qui peuvent produire en général les convulsions. Voyez ce mot. Agissant de concert avec une disposition particuliere, une foiblesse naturelle ou acquise de la verge, le priapisme est très-ordinaire aux épileptiques ; les convulsions roidissent quelquefois très-violemment la verge : les pendus éprouvent aussi des atteintes peu durables de priapisme ; Schenkius & Salmuth en rapportent des observations ; la convulsion de la verge n’est pas plus extraordinaire que celle des autres parties, qui survient pendant la strangulation, tems auquel toute la machine souffre, & tâche d’éluder par des efforts inutiles la prochaine destruction.

Le priapisme passe pour être une maladie très-grave & très-dangereuse, qui dépeche bientôt le malade & qui se guérit difficilement ; Ætius assure que les malades qui en sont attaqués meurent en peu de jours bouffis, & qu’une sueur froide abondante précédant, annonce leur mort ; quelquefois les convulsions de tout le corps surviennent, accélerent la mort, & la rendent plus terrible ; la moindre attention aux causes de cette maladie nous fera voir encore le raisonnement ici d’accord avec l’observation. Il est rapporté que plusieurs moines atteints de cette maladie moururent presque entre les bras d’une religieuse dans laquelle ils avoient cru sans doute, trouver un remede agréable & spécifique à leurs maux. Dieter iatr. pag. 1116.

Les différens auteurs qui ont écrit sur cette matiere sont peu d’accord sur la méthode qu’il faut suivre dans le traitement du priapisme ; les uns vantent beaucoup l’efficacité des rafraichissans, des émulsions, des semences de chanvre, d’agnus castus, des boissons nitrées, &c. les autres conseillent les émétiques, les échauffans stomachiques, carminatifs, cordiaux, le camphre, l’eau de canelle, l’huile de rhue, l’eau de chasteté de Riviere ou de Quercetan. Platerus recommande & dit avoir éprouvé avec succès les pilules aromatiques chargées de mastic. Zacutus Lusitanus, l’eau distillée de clous de gérofle verds ; Joel, des décoctions de rhue & de cumin ; Poterius, l’or diaphorétique, &c. D’un autre côté, Lindanus, Etmuller, Baillou, sont pour les émulsions, le nitre, le nymphea, &c. De chaque côté il y a des observations authentiques ; il est bien difficile de concevoir comment deux méthodes si opposées produisent les mêmes effets ; d’où vient donc cette diversité dans la façon de penser & d’agir, & cette ressemblance dans les succès ? La source est dans l’erreur de la plûpart de ces médecins, qui ont confondu le priapisme & le satyriasis, & qui n’ont pas même bien distingué les causes de ces maladies : les rafraichissans conviennent très-bien au satyriasis ; telle étoit la maladie que Baldassar Timuaeus guérit avec du nitre (casuum medic. lib. III.). Les remedes un peu actifs, toniques, nervins, roborans, paroissent plus appropriés dans le priapisme ; ils combattent & détruisent plus efficacement ses causes ; les bains froids, les extraits amers, les martiaux, quelque peu de camphre, & sur-tout le quinquina, sont les plus assurés, les émétiques ne doivent pas être négligés lorsque ce sont les causes ordinaires des convulsions, de l’épilepsie qui ont produit le priapisme ; mais tous ces remedes seroient pernicieux s’il étoit la suite & l’effet de l’usage des cantharides, ou autres remedes de cette nature. Le remede qu’une observation constante a consacré comme le plus propre à réparer leur mauvais effet, est le lait des animaux qu’on peut couper avec les deux tiers d’eau pour en former un hydrogala, ou celui qu’on fait avec les semences émulsives, en étendant leur huile dans une suffisante quantité d’eau commune, ou si on veut, la rendre plus rafraichissante, on substitue à l’eau la décoction de nymphea. dans le priapisme qui succede à la manustupration, ou à quelqu’autre cause semblable, on doit sur-tout attendre la guérison d’un régime convenable, d’une diete restaurante, analeptique ; il ne faut pas négliger les secours moraux qui peuvent faire effet sur quelques esprits ; on doit aussi beaucoup compter sur la dissipation & les plaisirs qui éloigneront ces malades de leurs idées lascives, & plus encore de leur détestable pratique ; tels sont les spectacles châtiés, les concerts, les promenades, &c. On peut seconder leurs actions par l’usage des médicamens proposés plus haut, des toniques, nervins, antispasmodiques, &c. Voyez Manustupration.