L’Encyclopédie/1re édition/PROPHETE

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PROPHETE, s. m. PROPHETIE, s. f. (Gramm.) ce terme a plus d’une signification dans l’Ecriture-sainte & dans les auteurs. Si l’on s’arrête à son étymologie, il vient du verbe grec φημι, qui signifie parler, & de la préposition πρὸ, qui quelquefois signifie auparavant, & quelquefois en présence ; car l’on dit, πρὸ τοῦ χρόνου, avant le tems, πρὸ τοῦ βασιλέως, en présence du roi : ainsi la prophétie sera, selon la force du mot, ou une prédiction, qui est une parole annoncée avant le tems de son accomplissement, ou une prédication, qui est une parole prononcée en présence du peuple.

Si l’on remonte à l’hébreu, le mot nabi qui répond à celui de prophete, peut avoir deux racines, & par-là deux significations différentes. Rabbi Salomon, en expliquant le chapitre vij. de l’Exode, le fait descendre de la racine noub, qui signifie proprement germer ou produire des fruits en abondance, & par métaphore, parler éloquemment ; de sorte que selon cette racine, un prophete sera un prédicateur ou un orateur, & la prophétie sera un discours public composé avec art. Mais Aben Esra tire l’étymologie de ce mot de la racine naba ou niba, qui signifie prophétiser ou découvrir les choses cachées & futures. Pour réfuter Rabbi Salomon, il se sert d’une regle de grammaire, selon laquelle il prétend que la lettre N qui se trouve dans le mot nabi est radicale, ce qui ne seroit pas ainsi si ce mot venoit de noub.

Quoi qu’il en soit de toutes ces différentes étymologies, voici les divers sens qu’on a donnés aux mots de prophete & de prophétie, & toutes les significations que l’Ecriture-sainte & les auteurs y ont attachées dans les lieux où ils les ont employés.

Premierement, dans un sens étendu & général, prophete signifie une personne spécialement éclairée, qui a des connoissances que les autres n’ont point, soit que ces connoissances soient divines ou purement humaines. De-là vient que Balaam, dans les Nombres selon l’édition des Septante, commence sa prophétie par ces paroles : voici ce que dit l’homme qui a l’œil ouvert & qui est éclairé de la vision du Tout-puissant ; & que, selon la remarque de l’auteur du premier livre des Rois, chap. ix. v. 9. on nommoit autrefois en Israël voyans ceux qu’on nomma dans la suite prophetes. Samuel étoit appellé voyant. C’est apparemment en ce sens que saint Paul, dans sa premiere lettre aux Corinthiens, prend le mot de prophétie, qu’il dit être un don de Dieu préférable au don des langues ; car il parle là des connoissances spéciales que Dieu donnoit à certaines personnes, pour l’instruction & pour l’édification des autres, soit en leur révélant le secret des cœurs & de la morale, soit en leur découvrant le vrai sens des Ecritures : delà vient qu’au chap. xiv. il veut que ces prophetes parlent dans l’Église tour-à-tour préférablement aux autres, sur-tout à ceux qui n’avoient que le don des langues étrangeres, les langues ne signifiant rien d’elles-mêmes si elles ne sont interpretées, au-lieu que la prophétie, dit-il, sert à l’instruction & à la consolation des fideles, ζηλοῦτε δὲ τὰ πνευματικὰ, μᾶλλον δὲ ἵνα πρωφητεύητε… ὁ λαλῶν γλώσσῃ ἑαυτὸν οἰκοδομεῖ· ὁ δὲ προφητεύων ἐκκλησίαν οἰκοδομεῖ. Le mot de prophete a le même sens dans la bouche de Notre-Seigneur, lorsqu’il dit qu’aucun prophete n’est privé d’honneur excepté dans sa patrie ; car prophete dans cet endroit signifie un homme distingué du reste du peuple par sa science & par ses lumieres, d’où est venu le proverbe commun, nul prophete en son pays ; c’est-à-dire que personne ne passe chez soi pour plus habile que les autres, ou dans un autre sens, qu’il faut pour acquérir des connoissances particulieres & supérieures, sortir de sa patrie & voir d’autres pays que le sien.

Secondement, le mot de prophétie se prend pour une connoissance surnaturelle des choses cachées, quoique présentes ou passées. Dans ce sens Samuel prophétisa à Saül, que les ânesses qu’il cherchoit avoient été retrouvées ; & les soldats disoient à J. C. en le maltraitant dans la salle de Pilate, de prophétiser celui qui l’avoit frappé, Pπροφητεύσον ἡμῖν Χριστὲ τίς ἐστιν ὁ παίσας σε.

Troisiemement, on entend par prophete un homme qui ne parle pas de lui-même & de son propre mouvement, mais que Dieu fait parler, soit qu’il sache que ce qu’il dit vient de Dieu, ou qu’il l’ignore. C’est en ce sens que l’évangéliste dit de Caïfe, qu’étant pontife cette année, il prophétisa, en disant à l’occasion de Jesus-Christ, qu’il étoit expédient qu’un homme mourût pour le peuple, τοῦτο δὲ ἀφ᾽ ἐαυτοῦ οὐκ εἶπεν, dit saint Jean, chap xj. v. 51. ἀλλὰ ἀρχιερεὺς ὢν τοῦ ἐνιαυτοῦ ἐκείνου ἐπροφήτευσεν ὅτι ἔμελλεν ὁ Ἰησοῦς ἀποθνῄσκειν ὑπὲρ τοῦ ἔθνους. En ce même sens Josephe met les auteurs des treize premiers livres de l’Ecriture au rang des prophetes, quoique plusieurs de ces livres ne nous révélent point des choses cachées ou futures. Ainsi quand il dit que ces livres ont été écrits par des prophetes, il entend & veut dire par des hommes que Dieu inspiroit ; afin de les distinguer des autres livres qui contiennent l’histoire des tems qui ont suivi Artaxerxes, & dont on ne regardoit pas les auteurs comme inspirés de Dieu, mais seulement comme des écrivains ordinaires qui avoient écrit & travaillé de leur propre fond, & selon les lumieres humaines.

Quatriemement, un prophete est celui qui porte la parole au nom d’un autre ; ainsi Moïse s’excusant dans l’Exode, & voulant se dispenser de parler à Pharaon sur ce qu’il n’avoit pas la parole libre, Dieu lui dit que son frere Aaron seroit son prophete, c’est-à-dire qu’il parleroit pour lui & de sa part au roi d’Egypte. Aaron frater tuus, erit propheta tuus, tu loqueris & omnia quæ mando tibi, & ille loquetur ad Pharaonem, chap. vij. Jesus-Christ & saint Etienne le prennent au même sens, lorsqu’ils reprochent aux Juifs d’avoir persécuté tous les prophetes depuis Abel jusqu’à Zacharie, car ils entendent par-là tous les justes qui avoient annoncé à ce peuple la vérité de la part de Dieu ; & la fonction des anciens prophetes n’étoit pas seulement de prédire l’avenir, il étoit encore de leur charge & de leur devoir de parler au peuple & aux princes de la part de Dieu sur les choses présentes, de les reprendre de leurs crimes, de les instruire de ses volontés, & de porter ses ordres.

Natan exerça la charge & remplit la fonction de prophete lorsqu’il reprit David de l’enlevement de Bertzabée & de l’homicide d’Urie. Samuel fit les mêmes fonctions lorsqu’il oignit rois d’Israël Saül & David : nous voyons aussi dans l’Ecriture qu’ils étoient envoyés de Dieu, & qu’ils avoient ordre de parler en son nom. C’est en ce sens que Moïse, Heli, Henoc, & saint Jean-Baptiste sont appellés prophetes, & c’est peut-être par cette même raison que chez les anciens les prêtres qui présidoient aux sacrifices & dans les temples étoient nommés prophetes ; & ce nom étoit également donné à ceux qui interprétoient les oracles des dieux, comme nous l’apprenons de Festus Pompéius, dans son livre de verborum significatione, où il cite pour cela deux vers d’un poëte latin nommé Caius Cæsar, & dont les tragédies ont été attribuées à Jules César, ces vers sont tirés de la tragédie d’Adraste ; les voici :

Cum capita viridi lauro velare imperant
Prophetæ, sancta castè qui parant sacra.


Ces prêtres & ces interpretes avoient soin d’expliquer la volonté des dieux & de parler de leur part aux hommes. C’est encore par cette raison qu’il est dit en quelques endroits de l’Ecriture, que les faux prophetes parloient d’eux-mêmes & sans mission, au-lieu de parler au nom de Dleu, prophétisant de ore suo. Notre-Seigneur prend ce terme dans le même sens, lorsqu’il nous dit de nous défier des faux prophetes, attendite à falsis prophetis, qui couverts de la peau de brebis se disent être envoyés de Dieu, & ne sont pourtant que les émissaires du diable ; c’est enfin selon ce sens que saint Augustin (quest. xix. in Exod.) définit un prophete en disant que c’est un homme qui porte la parole de Dieu aux hommes, qui ne peuvent ou ne méritent pas de l’entendre par eux-mêmes : annunciatorem verborum Dei hominibus, qui vel non possunt vel non merentur Deum audire.

Cinquiemement, les Poëtes & les Chantres ont été appellés prophetes, & vates en latin signifie quelquefois un devin & quelquefois un poëte. Ce nom ne leur a peut-être été donné qu’à cause de l’enthousiasme poétique, qui élevant leurs discours au-dessus du langage ordinaire, & les faisant sortir d’un caractere modéré, les rend semblables à des hommes inspirés ; c’est pourquoi la Poésie est nommée le langage des dieux, & les Poëtes ont grand soin de faire entendre que leur style est au-dessus de celui des mortels, en commençant leurs ouvrages par l’invocation des dieux, des Muses, & d’Apollon qu’ils reclament & appellent sans cesse à leur secours ; coutume dont Tite-Live semble un peut se railler au commencement de son histoire, lorsqu’il dit qu’il chercheroit dans l’invocation des dieux un secours favorable à un aussi grand ouvrage qu’est celui d’une histoire romaine, si l’usage l’avoit également autorisé parmi les Historiens comme parmi les Poëtes, si ut Poëtis nobis quoque mos esset. Cette coutume n’avoit point passé jusque dans l’Histoire, dont la gravité ne sauroit admettre le faste dans le style non-plus que le faux dans les faits. Ces épithetes exagérées de prophetes, de devins, & de sacrés ont été & seront toujours apparamment l’apanage de la fiction & de l’enthousiasme ; de-là vient qu’Horace se nomme dans une de ses odes le prêtre des Muses ; odi profanum vulgus & arceo (dit-il) favete linguis, carmina non prius audita, Musarum sacerdos, virginibus puerisque canto. C’est peut-être en ce sens que saint Paul, dans son épître à Tite, donne à Epiménide le nom de prophete, proprius eorum propheta, dit-il, parce que c’étoit un poëte crétois. Il est dit en ce même sens de Saül, qu’il prophétisa avec une troupe de prophetes qu’il rencontra en son chemin, ayant à leur tête plusieurs instrumens de musique, & chantant des vers & des hymnes qu’ils avoient composés ou qu’ils composoient sur-le-champ. En ce sens David, Asaph, Heman, Idithun étoient des prophetes, parce qu’ils composoient & chantoient des pseaumes : & Conenias est nommé dans les Paralippomenes, le prince & le chef de la prophétie parmi les chantres, princeps prophetiæ inter cantores. Dans le même livre, chap. xxv. il est dit des chantres que David avoit établis pour chanter dans le temple, qu’ils prophétisoient sur la guitare, sur le psalterium, & sur les autres anciens instrumens de musique, prophetantes juxta regem… qui prophetarent in cytaris & psalteriis, & cymbalis.

Sixiemement, le mot de prophétie a été appliqué, quoiqu’assez rarement, à ce qui étoit éclatant & merveilleux ; c’est pourquoi l’Ecclésiastique dit au chap. lxviij. que le corps d’Elisée prophétisa après sa mort, & mortuum prophetavit corpus ejus, parce que son attouchement ressuscita un mort qu’on enterroit auprès de lui. Et les Juifs voyant les miracles que faisoit Jesus-Christ, disoient, qu’il n’avoit jamais paru parmi eux un semblable prophete, c’est-à-dire un homme dont les actions & les paroles eussent tant de brillant & tant de merveilleux.

En septieme lieu, on a quelquefois donné le nom de prophétie à un juste discernement & à une sage prévoyance, qui font qu’on pense d’une maniere judicieuse sur les choses à venir comme sur les présentes ; alors pour être prophete il ne faut que de la science, de l’expérience, de la réflexion, de l’étendue & de la droiture d’esprit. C’est par cette raison qu’il est dit dans les Proverb. que la bouche du roi n’erre point dans les jugemens qu’elle prononce, & que ses levres annoncent l’avenir, divinatio in labiis regis, & in judicio non errabit os ejus, ou, dans un sens d’instruction & de commandement, que les rois doivent prévoir les événemens, & que leurs arrêts doivent toujours être dictés par la justice. Ce talent de prévoyance fit passer pour prophete Thalès milésien, parce qu’il sut prévoir, ou du-moins conjecturer, par les connoissances qu’il avoit de la physique, l’abondance d’huile qu’il dut y avoir une année dans son pays. Euripide a un beau vers sur cette sorte de prophétie, cité par M. Huet : le voici.

μάντις δ’ἄριστος ὅστις εἰκάζει καλῶς.

« Un excellent prophete est celui qui conjecture sagement. » Le poëte Ménandre dit aussi que plus on a d’étendue d’esprit, plus grand prophete on est ὁ νοῦν πλεῖστον ἔχων, μάντις πλεῖστον. Par cette raison le poëte Epiménide passoit pour prophete, car Aristote dit de lui qu’il découvroit les choses inconnues : & Diogene Laerce, dans la vie qu’il en a donnée, dit qu’il devinoit les choses futures ; qu’il prédit le succès de la guerre que les Arcadiens & les Lacedémoniens commençoient entre eux, & qu’il prévit les malheurs que causeroit un jour aux Athéniens le port qu’ils avoient fait construire ; il leur dit que s’ils le connoissoient, ils le renverseroient plutôt avec les dents que de le laisser sur pié. C’est sans doute pour cela que saint Paul ne fait point difficulté de l’appeller prophete, mais un prophete par sagesse humaine, tel qu’il pouvoit y en avoir chez les Crétois, proprius ipsorum propheta. Il approuve & confirme la justesse du discernement de ce poëte, lorsqu’il dit à Tite que le témoignage qu’il a rendu des Crétois est véritable. Ce témoignage ne leur fait pas honneur, car ils dit d’eux qu’ils sont toujours menteurs, méchantes bêtes, & grands paresseux, ἀεὶ ψεῦσται, κακὰ θηρία, γαστέρες ἀργαί ; il étoit cependant très-estimé des Crétois & de tous les Grecs ; ils le consultoient comme un oracle dans les affaires & dans les accidens publics.

Huitiemement, enfin le nom de prophétie signifie, dans un sens plus propre & plus resserré, la prédiction certaine des choses futures, à la connoissance desquelles la science ni la sagesse humaine ne sauroit atteindre ; comme lorsque Notre-Seigneur dit qu’il faut que tout ce qui est contenu dans les prophéties soit accompli. Cette sorte de prophétie est le caractere de la divinité ; de-là vient qu’Heli insulte les faux dieux & leurs prêtres idolâtres, en leur reprochant l’impuissance où ils sont de prédire l’avenir ; nunciate, dit-il, quæ ventura sunt, & sciemus quia dii estis vos, « prédisez-nous ce qui doit arriver & nous reconnoîtrons en vous la divinité ». C’est en ce sens que la définit M. Huet au commencement de sa démonstration évangélique, & c’est aussi presque le seul sens dans lequel on se sert aujourd’hui du mot de prophétie.

Prophetes, s. m. (Hist. ecclés.) secte d’hérétiques que l’on nomme en Hollande prophétantes. Ils s’assemblent de toute la province à Varmont, près de Leyde, les premiers dimanches de chaque mois, & vaquent tout le jour à la lecture de la sainte-Ecriture, proposant chacun leurs difficultés, & usant de la liberté de prophétiser, ou plûtôt de raisonner sur l’Evangile. D’ailleurs ils se piquent d’être honnêtes gens, & ne different des remontrans qu’en une plus étroite discipline sur le fait de la guerre, qu’ils condamnent sans aucune exception. La plûpart d’eux s’appliquent à étudier le grec & l’hébreu. Sorberiana.

Prophete, Devin, (Synon.) Le devin découvre ce qui est caché ; le prophete prédit ce qui doit arriver.

La divination regarde le présent & le passé ; la prophétie a pour objet l’avenir.

Un homme bien instruit, & qui connoît le rapport que les moindres signes extérieurs ont avec les mouvemens de l’ame, passe facilement dans le monde pour devin. Un homme sage qui voit les conséquences dans leurs principes, & les effets dans leurs causes, peut se faire regarder du peuple comme un prophete. Traité des synon. (D. J.)

Prophete, (Antiq. grecq.) προφήτης ; c’étoit un ministre chargé d’interpréter, & principalement de rédiger par écrit les oracles des dieux. Les prophetes les plus célebres étoient ceux de Delphes. On les élisoit au sort, & cette dignité étoit affectée aux principaux habitans de la ville. On leur adressoit les demandes que l’on vouloit faire au dieu ; ils conduisoient la pythie au trépié, recevoient la réponse, l’arrangeoient pour la faire mettre en vers par les poëtes. Des marbres de Milet prouvent qu’un prophete étoit attaché au temple d’Apollon Didymien. Nous voyons par une inscription, qu’il y avoit à Rome un prophete du temple de Sérapis. Calcédoine avoit aussi un prophete attaché à un temple de la ville ; il recevoit les oracles des dieux. (D. J.)

Prophete, faux, (Critique sacrée.) Un faux prophete dans l’Ecriture, est quelquefois appelle prophete abusivement, Deuteronome, xiij. 1. Moise donne aux Israélites un moyen de distinguer les prédicateurs du mensonge ; un tel homme, leur dit-il, ne mérite jamais que vous l’écoutiez, s’il entreprend de vous détourner du culte du vrai Dieu, & vous porter à l’idolâtrie. Ces prédicateurs du mensonge, esclaves d’un vil intérêt, n’avoient que des paroles de flatterie & de complaisance pour les grands. Ezéchiel, c. xiij. v. 18. s’éleve contre eux en termes pleins de force, & qui forment un tableau. « Malheur à vous, leur dit-il, qui préparez des coussinets pour les mettre sous les coudes ; qui faites des oreillers pour en appuyer des personnes de tout âge, dans le dessein de gagner les cœurs ; & qui après avoir trompé les ames de mon peuple, leur assurez qu’elles sont vivantes ». (D. J.)

Prophetes de Baal, (Critique sacrée.) c’est ainsi que l’Ecriture nomme les prêtres attachés à Baal, divinité que l’on croit être le soleil.

Achab, roi d’Israël, établit dans ses états le culte de Baal, à la sollicitation de Jezabel qu’il avoit épousée. Il ne projettoit rien de considerable sans l’aveu de ces prêtres ; & c’étoit une coutume généralement répandue dans tout l’orient, de n’entreprendre aucune affaire importante, guerre ou alliance, sans avoir consulté les devins ; politique propre à tenir les peuples dans le respect, & à inspirer au soldat plus de courage. Les Grecs & les Romains adopterent cette politique ; & c’est par-là que les augures répandoient la terreur dans les esprits, ou les remplissoient d’espérance.

Quinte-Curse dit finement que rien n’est si puissant que la superstition, pour tenir en bride une populace. Quelque inconstante & furieuse qu’elle soit, quand elle a une fois l’esprit frappé d’une vaine image de religion, elle obéit bien mieux à des devins qu’à des chefs. Nulla res efficaciùs multitudinem regit, quàm superstitio ; alioquin impotens, sæva, mutabilis, ubi vanâ religione capta est, melius vatibus quam ducibus suis paret. l. IV. c. x.

Achab voulant déclarer la guerre à Benhadad, roi de Syrie, sollicita Josaphat de se liguer avec lui : le roi de Juda y consentit, mais il souhaita que l’on consultât Dieu sur le succès de l’entreprise, indépendamment des quatre cens prophetes de Baal, qui tous annonçoient une heureuse réussite. Michée ayant été consulté, promit d’abord un succès favorable ; mais Achab l’ayant sommé de dire exactement la vérité, il lui répondit qu’il avoit vu tout Israël épars sur les montagnes, comme un troupeau de brebis qui n’a point de pasteur, & que Dieu avoit permis à un esprit de mensonge d’entrer dans les prophetes de Baal. I. Rois, c. xxij. 23.

Ce passage de l’Ecriture que nos versions traduisent, l’éternel a mis un esprit mensonger en la bouche de tous ces prophetes qui sont à toi ; ce passage, dis-je, embarrasse fort les critiques, parce qu’il répugne aux idées que l’on doit avoir de la divinité. M. Leclerc traduit le passage de cette maniere : nunc autem Jehova passus est esse spiritum mendacii in ore istorum omnium prophetarum. « Dieu a permis qu’un esprit de mensonge soit dans la bouche de tous ces prophetes ». Et il prouve dans divers passages de l’Ecriture, & particulierement par Genèse xx. 6. Exod. xij. 23. & Pseaume xvj. 10. que le terme hébreu nathan signifie très-souvent permettre qu’une chose arrive ou se fasse.

Le même critique observe que pour prévenir les fâcheuses conséquences que l’on pourroit tirer de cette histoire, il faut d’abord faire cette réflexion : c’est que le discours de Michée ne doit pas se prendre à la rigueur & dans un sens absolument littéral ; qu’il ne s’agit que d’une vision symbolique, dans laquelle Dieu lui avoit fait voir comment un si grand nombre de prophetes prophétisoient faussement, parce qu’ils étoient animés, non de l’esprit de vérité, mais par une basse flaterie. Ainsi l’on ne doit pas plus presser les circonstances de cette vision, que celles d’une parabole, dans laquelle on ne fait attention qu’au but de celui qui parle.

Deux raisons principales appuient cette explication ; la premiere est que Dieu est représenté réglant & dirigeant ce qui regardoit le peuple juif, non de la maniere qu’il le faisoit réellement, mais à la maniere des hommes, & selon l’usage ordinaire des rois de la terre. On voit Dieu assis sur son trône, environné de bons & de mauvais anges, qu’il consulte sur les moyens d’inspirer à Achab le dessein d’aller à Ramoth de Galaad. On propose divers expédiens que Dieu desapprouve. Enfin un esprit mensonger se présente & offre son secours ; on l’accepte, parce que c’étoit le moyen le plus sûr de faire réussir le dessein projetté. Pour peu qu’on ait de justes idées de la Providence, il n’y a personne qui s’imagine que Dieu gouverne le monde de cette maniere.

La seconde raison qui prouve que ce n’étoit là qu’une vision symbolique, est prise de la nature même de la chose. La véracité & la sainteté de Dieu ne permettent pas qu’il envoie dans les prophetes un esprit de mensonge auquel ils ne puissent résister : puisqu’il s’ensuivroit de là que Dieu lui-même seroit l’auteur du mensonge, & que les hommes ne seroient en aucune façon criminels ou blâmables ; & si les prophetes dont il s’agit n’étoient pas en état de distinguer entre l’inspiration divine & celle du démon, ils n’étoient nullement coupables.

Ajoutez à cela que si l’on suppose qu’il soit jamais arrivé que les prophetes du vrai Dieu, parlant sincerement & se croyant divinement inspirés, ont cependant été séduits par l’esprit de mensonge ; cela ne pouvoit qu’affoiblir l’autorité de la prophétie, & la décréditer, tant dans l’esprit des prophetes eux-mêmes, desormais hors d’état de distinguer une véritable inspiration d’avec une fausse ; que dans l’esprit du peuple, convaincu par expérience que les vrais prophetes, aussi-bien que les imposteurs, pouvoient se tromper dans leurs prédictions, & se croire inspirés tandis qu’ils ne l’étoient réellement point. Quiconque, dit M. le Clerc, pesera ces raisons & d’autres que l’on pourroit alléguer, ne pourra s’empêcher de conclure que cette vision n’est nullement un récit de ce qui s’étoit passé réellement dans le ciel.

Le P. Calmet penche pour le sentiment de M. le Clerc ; il remarque que Dieu, dans ses révélations au genre humain, s’accommode à notre portée, & souvent même à nos préjugés. Les Juifs se représentoient Dieu dans le ciel, tel qu’un roi dans son royaume ; les bons & les mauvais esprits, comme les exécuteurs & les instrumens de ses desseins, les uns à sa droite & les autres à sa gauche ; & comme les princes de la terre n’entreprennent guere rien qui soit de conséquence, sans l’avis de leur conseil, Dieu est représenté délibérant de la même maniere sur le sujet d’Achab. Tout cela ne peut se prendre au pié de la lettre ; Dieu ne consulte aucun ange pour exécuter ses volontés. Qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? On sait aussi que les mauvais anges ne se trouvent pas devant le Seigneur & à la gauche de son trône dans le ciel. L’écriture de l’ancien & du nouveau Testament nous apprend qu’ils sont tombés du ciel & détenus dans des chaines d’obscurité. Isaïe, xl. 12. Cependant puisque Job nous représente les mauvais anges devant le Seigneur, à-peu-près comme fait ici Michée, nous en devons conclure que telle étoit l’idée de le concevoir parmi les Hébreux & parmi les autres peuples qui n’étoient point plongés dans l’idolatrie.

Il faut enfin remarquer que les termes de l’Ecriture n’emportent pas un commandement direct ou une approbation, mais une simple permission ; c’est-à-dire, que Dieu n’empêcha point l’esprit malin de séduire les prophetes. Il permit, sans aucune approbation de sa part, que toutes ces circonstances contribuassent à avancer l’accomplissement de ses desseins. C’est ainsi que J. C. disoit à Judas : ce que tu fais fais-le bientôt, Jean, xiij. 27. quoique le Sauveur fût bien éloigné le lui commander ou d’approuver ce qu’il avoit dessein de faire. C’est encore ainsi que Dieu disoit à Isaïe, c. vj. 10. Engraisse le cœur de ce peuple, rend ses oreilles pesantes, & bouche ses yeux ; paroles qui n’étoient qu’une prophétie de ce qui devoit arriver. (D. J.)