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L’Encyclopédie/1re édition/PROTÉE

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PROTÉE, s. m. (Mythol.) la fable nous donne Protée pour un dieu de la mer, fils de Neptune & de l’Océan. Ceux qui ont lu l’Odyssée & les Géorgiques, doivent savoir par cœur tout ce qui le regarde. Il avoit le don de connoître les choses cachées, & de prédire l’avenir. Virgile nous l’apprend :

Est in carphato Neptuni gurgite vates
Coeruleus Proteus.

Ce don de connoître les choses cachées étoit la récompense du soin qu’il prenoit de faire paître sous les eaux les monstres qui composoient le troupeau du dieu des mers ; mais il n’annonçoit pas ces prophéties, comme tant d’autres, de gaieté de cœur : quand on vouloit tirer de lui des lumieres sur l’avenir, il se transformoit en toutes sortes de figures ; & ce n’étoit qu’à force de violences qu’on venoit à bout de le faire parler. Virgile nous assure encore cette particularité.

Ille suæ contra non immemor artis
Omnia transformat sese in miracula rerum,
Ignemque, horribilemque feram fluviumque liquentem.

C’est-à-dire,

Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune,
Protée à qui le ciel, pere de la Fortune,
Ne cache aucuns secrets,
Sous diverse figure, arbre, fleuve, fontaine,
S’efforce d’échapper à la vue incertaine
Des mortels indiscrets.

Homere raconte, Odyssée, livre IV. que Ménélas, de retour de Troie, ayant été jetté par la tempête sur la côte d’Egypte, y fut retenu vingt jours entiers sans pouvoir en sortir. Dans cette triste situation, il alla consulter Protée, ce vieillard marin de la race des immortels, principal ministre de Neptune, & toujours vrai dans ses réponses. Eidothée sa propre fille voulut bien instruire Ménélas de la maniere dont il devoit se conduire pour tirer de son pere la connoissance de l’avenir.

Tous les jours vers l’heure du midi, lui dit-elle, Protée sort des antres profonds de la mer, & va se coucher sur le rivage au milieu de ses troupeaux. Dès que vous le verrez assoupi, jettez-vous sur lui, & serrez-le étroitement malgré tous ses efforts ; car pour vous échapper il se métamorphosera en mille manieres ; il prendra la figure de tous les animaux les plus féroces ; il se changera même en eau, ou bien il deviendra feu : que toutes ces formes affreuses ne vous épouvantent point, & ne vous obligent point à lâcher prise ; au contraire liez-le, & le retenez plus fortement. Mais dès que revenu à la premiere forme où il étoit quand il s’est endormi, il commencera à vous interroger ; alors n’usez plus de violence : vous n’aurez qu’à le délier, & lui demander ce que vous voulez savoir, il vous enseignera les moyens de retourner dans votre patrie ; il vous instruira même de tout le bien & de tout le mal qui est arrivé chez vous pendant votre voyage.

Je laisse Ménélas au milieu des transports de sa joie & de sa reconnoissance ; ou plutôt j’abandonne les fictions d’Homere pour donner la véritable histoire de Protée.

C’étoit un roi d’Egypte qui regna deux cens quarante ans après Moïse ; il avoit appris à prédire les révolutions du cours des planetes par une étude profonde de l’Astronomie. Quant à ses métamorphoses, dit Diodore de Sicile, c’est une fable qui est née chez les Grecs d’une coutume qu’avoient les rois égyptiens. Ils portoient sur leur tête pour marque de leur force & de leur puissance, la dépouille d’un lion ou d’un taureau ; ils ont même porté des branches d’arbres, du feu, & quelquefois des parfums exquis. Ces ornemens servoient à les parer, & à jetter la terreur & la superstition dans l’ame de leurs sujets. (D. J.)