L’Encyclopédie/1re édition/PRUSE ou BURSE

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PRUSE ou BURSE, (Géog. mod.) ville autrefois capitale de la Bithynie, & aujourd’hui la plus grande & la plus belle de la Turquie, dans l’Anatolie au pié du mont Olympe, à 30 l. au midi de Constantinople. Elle étoit la capitale des Turcs avant la prise de Constantinople.

Les mosquées y sont belles, & la plupart couvertes de plomb. Il y a un serrail bâti par Mahomet IV. Les fontaines y sont sans nombre, & presque chaque maison a la sienne. Les rues sont bien pavées, ce qui n’est pas ordinaire chez les Turcs. Les fauxbourgs sont plus grands & plus peuplés que la ville ; ils sont habités par des Arméniens, des Grecs & des Juifs. Les premiers ont une église, les Grecs en ont trois, & les Juifs ont quatre synagogues. Le commerce y est considérable sur-tout en soie, la plus estimée de toute la Turquie. On compte plus de 40 mille ames dans la Pruse. C’est la résidence d’un pacha, d’un aga des janissaires & d’un cadi. Elle est située à l’entrée d’une grande plaine couverte de mûriers, à 30 lieues sud de Constantinople, 66 sud-est d’Andrinople, 36 sud de la mer Noire. Long. 46. 40. lat. 39. 54.

Le nom de Pruse, & sa situation au pié du mont Olympe, ne permettent pas de douter que cette ville ne soit l’ancienne Prusa, bâtie par Annibal, s’il s’en faut rapporter à Pline ; ou plutôt par Prusias roi de Bithynie, qui fit la guerre à Cræsus & à Cyrus, comme l’assurent Strabon & son singe Etienne de Bysance. Elle seroit même plus ancienne, s’il étoit vrai qu’Ajax s’y fût percé la poitrine avec son épée, comme il est représenté sur une médaille de Caracalla. Il est surprenant que Tite-Live, qui a si bien décrit les environs du mont Olympe, où les Gaulois furent défaits par Manlius, n’ait point parlé de cette place. Après que Lucullus eut battu Mithridate à Cyzique, Triarius assiegea Pruse & la prit.

Les médailles de cette ville, frappées aux têtes des empereurs romains, montrent bien qu’elle leur fut attachée fidélement. Les empereurs grecs ne la posséderent pas si tranquillement. Les Mahométans la pillerent, & la ruinerent sous Alexis Comnene. L’empereur Andronic Comnene, à ce que dit Nicétas, la fit saccager à l’occasion d’une révolte qui s’y étoit excitée.

Après la prise de Constantinople par le comte de Flandre, Théodore Lascaris, despote de Romanie, s’empara de Pruse à l’aide du sultan d’Iconium, sous prétexte de conserver les places d’Asie à son beaupere Alexis Comnene, surnommé Andronic. Pruse fut assiegée par Bem de Bracheux, qui avoit mis en suite les troupes de Théodore Lascaris. Les citoyens firent une si belle résistance que les Latins furent contraints d’abandonner le siege, & la place resta à Lascaris par la paix qu’il fit en 1214, avec Henri II. empereur de Constantinople, & frere de Baudouin.

Pruse fut le second siege de l’empire turc en Asie. L’illustre Othoman qu’on peut comparer aux grands héros de l’antiquité, fit bloquer la ville par deux forts, & obligea Berose gouverneur de la place, de capituler en 1326.

Tamerlan conquit Pruse sur Bajazet au commencement du xv. siecle. Ce fut, dit-on, dans cette ville capitale des états turcs asiatiques, que ce vainqueur écrivit à Soliman fils de Bajazet, une lettre, qui supposée vraie & sans artifice, eût fait honneur à Alexandre. « Je veux oublier, dit Tamerlan dans cette lettre, que j’ai été l’ennemi de Bajazet. Je servirai de pere à ses enfans, pourvû qu’ils attendent les effets de ma clémence ; mes conquêtes me suffisent, & de nouvelles faveurs de l’inconstante fortune ne me tentent point aujourd’hui ».

On lit dans les annales des sultans, qu’il y eut un si grand incendie à Pruse en 1490, que les vingt-cinq régions en furent consumées ; & c’est par-là qu’on sait que la ville étoit divisée en plusieurs régions. Zizim, cet illustre prince othoman, fils de Mahomet II. disputant l’empire à son frere Bajazet II. se saisit de la ville de Pruse, pour s’assurer de l’Anatolie ; mais Acomath général de Bajazet, le battit deux fois dans ce même pays, & peu de tems après il eut encore le malheur, par un enchaînement d’événemens extraordinaires, de tomber en 1494, entre les mains du pape. Voici comment la chose arriva, suivant le récit de M. de Voltaire.

Zizim, chéri des Turcs, avoit disputé l’empire à Bajazet qui en étoit haï ; mais malgré les vœux des peuples il avoit été vaincu. Dans son infortune il eut recours aux chevaliers de Rhodes, qui sont aujourd’hui les chevaliers de Malte, auxquels il avoit envoyé un ambassadeur. On le reçut d’abord comme un prince à qui on devoit l’hospitalité, & qui pouvoit être utile ; mais bientôt après on le traita en prisonnier. Bajazet payoit 40 mille sequins par an aux chevaliers, pour ne pas laisser retourner Zizim en Turquie. Les chevaliers le menerent en France dans une de leurs commanderies du Poitou, appellée le Bourneuf.

Charles VIII. reçut à la fois un ambassadeur de Bajazet, & un nonce du pape Innocent VIII. prédécesseur d’Alexandre, au sujet de ce précieux captif. Le sultan le redemandoit ; le pape vouloit l’avoir comme un gage de la sureté de l’Italie contre les Turcs. Charles envoya Zizim au pape. Le pontife le reçut avec toute la splendeur que le maître de Rome pouvoit affecter avec le frere du maître de Constantinople. On voulut l’obliger à baiser les piés du pape ; mais Bosso, témoin oculaire, assure que le turc rejetta cet abaissement avec indignation.

Paul Jove dit qu’Alexandre VI. par un traité avec le sultan, marchanda la mort de Zizim. Le roi de France, qui dans des projets trop vastes, assuré de la conquête de Naples, se flattoit d’être redoutable à Bajazet, voulut avoir ce frere malheureux. Le pape, selon Paul Jove, le livra empoisonné. Il resta indécis si le poison avoit été donné par un domestique du pape, ou par un ministre secret du grand-seigneur. Mais on divulgua que Bajazet avoit promis 300 mille ducats au pape, pour la tête de son frere.

Je ne dois pas finir l’article de Pruse, sans remarquer que Dion, orateur & philosophe, naquit dans cette ville. Il vivoit sous Vespasien, Domitien & Trajan qui le consideroit, & qui s’entretenoit souvent avec lui. Son éloquence lui valut le surnom de Chrysostome ou bouche d’or. Il composa en latin quatre-vingt oraisons, orationes, que nous avons encore, & qui ont été imprimées à Paris, en 1604 & 1623, in-fol. 2. vol. Mais on n’y retrouve pas cette pureté de langage, cette grandeur de sentimens, cette noblesse de style, en un mot, cette éloquence romaine du beau siecle de Cicéron.

Pruse étoit aussi la patrie d’Asclépiade, un des célebres médecins de l’antiquité, dont j’ai dejà parlé au mot Médecine.

J’ajouterai seulement qu’il étoit contemporain de Mithridate, puisqu’il ne voulut pas aller à sa cour, où l’on tâcha de l’attirer par des promesses magnifiques. Fameux novateur entre les médecins dogmatiques, il rétablit la Médecine à Rome, environ 100 ans après l’arrivée d’Archagatus, & prit tout le contre-pié de ce médecin. Il ne proposa que des remedes doux & faciles, & se fit un très-grand parti. Il sçut encore gagner les esprits par ses manieres & par son éloquence. Il ne croyoit point que l’ame fût distincte de la matiere. Il composa plusieurs livres qui sont tous perdus. Pline, Celse & Galien en ont cité quelques-uns. Apulée, Celse & Scribonius Largus, lui donnent de grandes louanges. Quand donc Pline nous dit qu’Asclépiade s’engagea à ne point passer pour médecin s’il étoit jamais malade, & qu’il gagna la gageure ; c’est un conte qu’on ne doit pas croire à la légere, parce qu’il n’y a pas d’apparence qu’un philosophe comme Asclépiade, eût été assez fou pour risquer ainsi sans nécessité, sa réputation & sa gloire. Enfin un témoignage bien avantageux en son honneur, c’est qu’il a été le médecin & l’ami de Cicéron, qui faisoit d’ailleurs beaucoup de cas de son éloquence, preuve qu’Asclépiade ne quitta pas son métier de rhéteur faute de capacité. Mais pour vous instruire à fond du caractere & du mérite d’Asclépiade, il faut lire ce qu’en dit M. Daniel le Clerc dans son Hist. de la Médec. (Le Chevalier de Jaucourt.)